jeudi 18 décembre 2014

Pourquoi faut-il voter Béji Caïd Essebsi ?

hassan arfaoui

La «neutralité» prônée par des acteurs politiques primordiaux ne peut nullement prétendre au rang de prise de position. Face aux défis majeurs qu’affronte le pays, elle s’apparente à une forme de démission et un cache-misère de l’irrésolution politique. Or, ici comme ailleurs, c’est dans les moments qui engagent le destin de tout un pays que l’on distingue le politicien de l’homme d’État. Ce dernier s’engage contre vents et marées, montre le chemin en pensant à la prochaine génération, tandis que le premier surfe sur le populisme ou se terre en songeant à la prochaine élection.

Les réserves que l’on peut légitimement formuler à l’égard de tel ou tel candidat ne peuvent servir d’alibi destiné à justifier l’immobilisme et le non choix. Le respect que doit un parti politique à son électorat ne lui impose guère de le caresser dans le sens du poil et le suivre y compris sur les plus scabreux des sentiers. Bien au contraire, par égard pour son intelligence, il convient de le guider et le ramener, par la pédagogie, à épouser une opinion clairement exposée quitte à s’attirer provisoirement son mécontentement. Dans son conseil aux princes désireux d’asseoir leur pouvoir, le grand Machiavel les met en garde : « Le parti de la neutralité qu’embrassent souvent les princes irrésolus, qu’effraient les dangers présents, le plus souvent aussi les conduit à leur ruine ».
Face aux grands choix ou quand des périls imminents guettent le pays, un média se doit aussi d’éclairer l’opinion. Dans un pays de vieille tradition démocratique comme les États-Unis, les plus illustres des journaux s’engagent clairement aux côtés d’un candidat dans les batailles décisives et s’efforcent de motiver leur choix auprès de leurs lectorats. Mais ce soutien affiché n’équivaut pas blanc-seing et ne vaut pas renoncement, ni à l’objectivité, ni à leur statut de contre-pouvoir tenu à surveiller l’exécutif. « L’objectivité, disait Camus dans ses chroniques algériennes, n’est pas la neutralité. L’effort de compréhension n’a de sens que s’il risque d’éclairer une prise de Parti ». 
Je prends donc parti pour Béji Caïd Essebsi en appelant clairement à voter pour lui et en exposant les arguments qui fondent ce choix.
Le spectre de l’hégémonie d’un seul parti, Nidaa Tounes, sur tous les rouages de l’État miroité comme un repoussoir par ceux qui entendent empêcher Caïd Essebsi d’accéder à la magistrature suprême est une imposture politique et intellectuelle. Le paysage politique tunisien d’aujourd’hui est suffisamment équilibré. Sans évoquer le scénario d’un gouvernement de salut national qui demeure d’actualité, les forces en présence au parlement permettent l’émergence d’une majorité de gouvernement face à une opposition suffisamment forte pour être efficace. La société civile qui a enfanté d’une révolution pacifique sans le concours des partis politiques ; celle qui a imposé son propre agenda de dialogue national aux mêmes partis ; celle qui a tranché en sa faveur tous les contentieux nés de la rédaction de la Constitution, celle qui a mené de facto le processus de transition et les élections à bon port, n’acceptera jamais, ni un retour au bercail du despotisme, ni d’être dépossédé de son rôle d’avant-garde dans la défense et l’illustration de la démocratie et de la liberté. Les médias non plus. Aussi, ce sont les institutions indépendantes et les contre-pouvoirs  (ISIE, HAICA, etc.) inscrits dans notre texte fondamental qui veilleront à la pérennité de notre démocratie et non les milices dissoutes des Ligues de protection de la Révolution (LPR) ou le fantomatique CPR ou encore l’antidémocratique et apôtre de l’application de la Charia, Hizb ut-Tahrir, qui comptent parmi les soutiens déclarés de M. Marzougui.
Le partage du pouvoir entre un Président et un gouvernement issus de sensibilités différentes et portant des visions diamétralement opposées soumet la Tunisie à une cohabitation désastreuse qui désagrège ses institutions, affaiblit sa diplomatie, ruine son économie en repoussant tout investissement local ou international, sans parler des périls d’ordre sécuritaire à l’intérieur du pays comme à ses frontières. En ce sens, la frivolité de M. Marzougui, son inexpérience, ses relations exécrables avec des puissances régionales telles que l’Algérie ou l’Égypte, sans parler de l’Arabie Saoudite ou des Émirats, représentent, pour la sécurité nationale dont il est censé être l’artisan, un péril majeur. À l’opposé, la gestion exemplaire des dossiers libyen ainsi que celui des élections de 2011 par Béji Caïd Essebsi, lors de son bref passage à la primature, le créditent d’un avantage certain sur son adversaire.
La logique de la «révolution permanente» qui semble animer M. Marzougui est antinomique avec l’édification d’une démocratie apaisée. Il semble négliger que le processus révolutionnaire, pour préserver ses acquis, doit céder place à une logique de construction étatique pour éviter le chaos alimenté par les surenchères permanentes et la démagogie pseudo-révolutionnaire. D’ailleurs, il est paradoxal de constater qu’une bonne part des soutiens de M. Marzougui, dans ce qu’ils sont et ce qu’ils font, relèvent d’une arrière-garde qui représente une négation des idées même de révolution, de démocratie et de modernité dont il se dit lui-même porteur et défenseur exclusif.
La longue expérience de M. Caïd Essebsi est un atout considérable. Elle lui a permis de mener le pays à bon port et assurer une alternance sereine à la tête du gouvernement au lendemain des élections du 23 octobre 2011. Elle lui a également servi pour fonder un parti qui a équilibré la scène politique et s’est imposé en un temps record en tête des formations politiques. Ces performances indubitables attestent de sa résolution et sa capacité de travail. À défaut d’apporter preuve du contraire, ses détracteurs l’attaquent sur son âge, comme s’il était en soi incapacitant, ou essaient de remonter au déluge, souvent en manipulant l’Histoire, pour trouver matière à le délégitimer.
La prochaine législature s’annonce cruciale pour le redressement du pays qui a besoin d’une gouvernance homogène, crédible auprès des partenaires étrangers et capable d’apaiser les nombreuses fractures dont souffre la société tunisienne, toutes régions et couches sociales confondues. M. Caïd Essebsi est plus à même de relever ces défis.
« Si je suis élu, il y aura un partage des pouvoirs. La bourgeoisie pourra se reconnaître dans Essebsi, le peuple en moi ». Ainsi s’exprimait M. Marzougui dans un récent entretien accordé à MEDIAPART. C’est la lutte des classes au sommet de l’État ! « Il faudra ensuite faire fonctionner ces deux entités, ce ne sera pas facile, mais il vaut mieux cela que le retour à la dictature. Après, il faudra que tout le monde s’attelle à la problématique économique ». Il faudra alors s’attendre à attendre longtemps ! Tout est dit sur l’état d’esprit et l’ordre des priorités du Président-candidat. A-t-il pris connaissance de la Constitution qui lui impose  d’être symbole et garant de l’unité du pays ou se dit-il qu’après tout la lutte des places en vaut la chandelle ? Que la chandelle en question risque de mettre le feu aux poudres et d’emporter classes et places comprises ne semble guère l’inquiéter.
À bien y regarder de plus près, cette posture rappelle étrangement la «théorie» du conflit social ( tadâfu‘ ijtimâ‘î ) chère à M. Rached Ghannouchi bien avant qu’il ne se convertisse au nécessaire consensus. M. Marzougui semble ainsi vouloir hériter de ce territoire abandonné par Ennahdha pour infertilité et pourquoi pas lui ravir durablement son électorat et de se placer, en cas d’échec à la présidentielle, en leader de l’opposition sur les débris d’Ennahdha espère-t-il. Dès lors, son slogan à première vue surréaliste « On gagne ou on gagne » prend tout son sens. En se plaçant à droite du parti islamiste, mûri par l’exercice du pouvoir et le monde qui a changé autour de lui, il représente une menace réelle pour son ancien protecteur qui l’a fait roi. En chassant sur les terres de l’islamisme, il abandonne les frêles habits de la «gauche laïque et modérée» qu’il dit représenter et parie, de fait, sur la carte de l’islamisme politique encore soutenu par la Turquie et le Qatar.
Le discrédit qui a frappé M. Marzougui auprès de l’électorat démocratique et moderniste semble l’acculer à radicaliser son discours et souffler sur les braises de la discorde sociale et de la frustration du «peuple islamiste». Il ne paraît pas en mesure de s’ouvrir à d’autres franges de l’électorat autres que celles qui l’ont soutenu au premier tour de crainte de ne pas être audible des premières tout en perdant les faveurs des secondes.
C’est pour tout cela et parce que le pays a besoin d’une démocratie apaisée, de cohésion, de solidarité et d’un État remembré que le vote Béji Caïd Essebsi s’impose plus que jamais.

1 commentaire:

  1. L'autre nom de la neutralité.
    17 décembre 2014, 19:52
    Il était une fois un petit pays habité par un grand peuple .
    Le petit pays vécut dans la léthargie durant des décennies .Car il était d'abord gouverné par un "despote éclairé" puis par un vrai dictateur.
    Et un jour -le 17 décembre ,au juste -le grand peuple se réveilla .
    Il jeta par terre la muselière et avec elle, la peur qui le paralysait .
    Partout , Il clamait : LIBERTE . JUSTICE . DIGNITE .
    Et depuis ce jour , jusqu'à plus jamais , ce grand peuple essaie avec confiance mais non sans larmes sanglantes -hélas, mais c'est la rançon de la LIBERTE !- de se frayer un bout de chemin dans la voie ardue de la démocratie .
    Aujourd'hui -quatre années , jour pour jour -après ta libération du joug de la dictature, Peuple tant aimé , tu te prépares à élire celui qui devra être le Président de notre tant aimée TUNISIE.
    Le moment est crucial pour ne pas dire historique .
    Car, cher Peuple , nous nous trouvons à la croisée des chemins .
    Et dilemme,il y a !!!Et pas des plus faciles !
    Et pour cause , les deux candidats à la présidence ne sont pas sans tache : à l'un comme à l'autre ,on peut faire un tas de griefs .
    Mais là n'est pas l'urgence . Ce qui compte aujourd'hui c'est de " sauver le soldat Rayan"pour emprunter le titre d'un film. En effet , force est de voir qu'au delà de la personnalité des deux candidats , il y a en fait deux projets de sociétés :
    -d'un côté , un projet réactionnaire rejetant la République et ses fondements, refusant la modernité et prônant un Etat théocratique . C'est le projet d' Ennahdha que défend encore plus farouchement le sieur MMM.
    -de l'autre côté , un projet qui s'inscrit dans la continuité de l'Etat qu'a fondé BOURGUIBA : républicain , laîque , moderne et tourné vers le futur . BCE en est le représentant .
    Ainsi voter pour l'un ou pour l'autre n'est pas tant voter pour une personne que décider de l'avenir d'un pays . Et par voie de conséquence il est primordial de se prononcer . J'en appelle ici à ceux-là qui se targuent de vouloir rester neutres . Mais la neutralité existe-t-elle vraiment ? N'est-elle pas la face cachée du manque de courage, pour ne pas dire autre chose? Et quand bien même elle existerait , un citoyen qui se respecte a-t-il le droit de ne pas s'exprimer en pareilles circonstances ?
    N 'oublions pas que l'enjeu est de taille et que refuser de voter pour BCE -des milliers vont le faire à contre coeur -est sans l'ombre d'un doute , un consentement et une participation à la lente mais certaine déliquescence de l'ETAT DE DROIT , DE LA REPUBLIQUE et de leurs fondements .
    Ne pas voter pour le projet BCE est un cautionnement de la médiocrité et de la violence que vit au quotidien cette pauvre TUNISIE, qui a pourtant ébahi plus d'un, un certain 17 décembre 2010.
    Ne pas voter pour le projet BCE - sous prétexte que c'est une ancienne figure du "tajamou3" et qu'il y a risque de "taghawel"et de retour à la dictature est ni plus ni moins un désistement et un refus d'assumer une responsabilité ,"historique "pour certains .
    Ne pas voter pour le projet BCE est une déloyauté envers la patrie , une trahison de nos valeureux jeunes soldats morts sauvagement au Kef , à Jendouba , à Ben Aoun , à Menzel Bourguiba , à Twiref , au Chaambi , à Neber .
    Ne pas voter pour le projet BCE , c'est commettre une scélératesse envers Ch.BELAID et M.BRAHMI assassinés pour leur amour de la liberté .
    Ne pas voter pour le projet BCE c'est consciemment hypothéquer l'avenir de nos enfants.
    Et l'HISTOIRE ne nous le pardonnera pas .
    H.MARZOUKI , Jendouba le 17-12-2014.

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