dimanche 25 janvier 2015

Quand les américains se veulent les gendarmes du monde

Et dire que l'Europe et plus particulièrement la France les suit tête baissée qu'elle soit dirigée par la Droite ou par la Gauche !
R.B 
Yves Bonnet
Préfet honoraire, ancien directeur de la DST

Islamophobie, judéophobie et christianophobie

Les phobies, dont certains d'entre nous meublent le paysage immuable de leurs certitudes, ne doivent rien au hasard. Nées de l'ignorance et de la crainte de l'autre, elles prospèrent "comme des cornichons dans des bocaux à l'abri des courants d'air", ainsi que s'en indignait Georges Bernanos, fustigeant le clan des bigots dans ses "grands cimetières sous la lune". Le gouvernement des hommes, passé dans des mains irresponsables, a fait qu'au cours du demi-siècle écoulé se sont empilées tant d'erreurs dévastatrices que l'on s'en pâmerait d'épouvante s'il nous restait un peu de mémoire.

La première de ces erreurs puise ses racines dans ce fonds indestructible du "maccarthysme", développé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et indéracinable depuis. Il s'est installé dans la conscience d'une large partie de la classe politique aux Etats-Unis cette idée simpliste que le marxisme était le premier ennemi de la démocratie en Amérique et même de la démocratie tout court. Sincèrement ressentie, cette antienne a prospéré tout au long de la Guerre froide et il fallait s'appeler Charles de Gaulle pour ne pas y succomber. Aussi, quand l'Armée rouge envahit l'Afghanistan en décembre 1979, afin d'imposer une "République populaire" anti-islamique et accessoirement soutenir la revendication afghane d'un accès à l'Océan indien, cette intrusion par la force se heurte à une double opposition, suscitée par le Pakistan du général Zia et l'Iran de l'ayatollah Khomeiny. La CIA entre alors en scène et organise à partir du territoire pakistanais, précisément dans la région de Peshawar, la formation de combattants fanatisés par une idéologie résolument islamiste, appelant à la guerre sainte, le djihad, mais qui porte en elle le germe d'un anti-occidentalisme que ses initiateurs américains n'avaient pas imaginé. Sur le terrain, la formation paramilitaire dispensée par des instructeurs américains et probablement britanniques inclut des formes d'action de combat clandestin qui ne se distinguent des camps d'instruction du désert libyen ou de la plaine de la Bekaa que par les références doctrinales, anti-israéliennes pour les premières, anti-soviétiques pour les secondes. C'est dans ce contexte qu'émergent des figures de chefs de guerre dont une des plus emblématiques est celle d'Oussama Ben Laden, sujet saoudien.

Les Soviétiques chassés d'Afghanistan, les libérateurs se convertissent naturellement en djihadistes et s'engagent dans deux autres guerres contre deux autres régimes réputés "marxistes", la Serbie et l'Algérie. Longtemps nié, l'engagement des volontaires de retour d'Afghanistan en Bosnie et dans le maquis algérien ne peut plus être contesté de nos jours. En Algérie, on les appelle d'ailleurs les "Afghans" et en Bosnie, ils installent, avec la bénédiction et les fonds de l'Arabie saoudite et de l'Iran, des camps d'entraînement, où déjà de jeunes Français viennent s'exercer au métier de terroriste. Belgrade et Alger qui, au passage, conjuguent leurs forces, deviennent infréquentables et, dans les chancelleries, on se frotte les mains de leurs déconvenues. Une large partie de la presse emboîte le pas des "philosophes" qui réprouvent la barbarie serbe et dénoncent le "qui tue qui?" en Algérie. Ce sont les années 90 qui voient se conforter en Europe et au Maghreb un parti ouvertement islamiste avec la création de deux Etats musulmans dans les Balkans, la Bosnie et le Kosovo, et s'affirmer à travers San Egidio, l'image de respectabilité du Front islamique du salut.

Entre-temps, les islamistes prennent le pouvoir en Iran, avec la complicité américaine -le shah étant proprement lâché par ses grands amis d'hier- et, par la force, écartent le parti démocratique iranien qui, puisqu'il n'est pas religieux et défend l'image d'un Iran laïc, se voit derechef qualifié de "marxiste". C'est le premier grand pays musulman à rejoindre la mouvance intégriste et si cette image est quelque peu atténuée par l'obédience chiite de la "République islamique", Téhéran devient la première capitale du terrorisme religieux.

Comme si cela ne suffisait pas, les Etats-Unis vont s'appliquer à déblayer le terrain devant cette caricature de démocratie qui aide à déstabiliser l'Algérie et le Liban, qui contribue à la création de la Bosnie, et qui souffle sur les braises de l'activisme palestinien dans la bande de Gaza et en Palestine. Les maladresses américaines atteignent leur summum avec l'Irangate et le soutien inespéré à une armée iranienne au bord de la rupture. Puis commence l'enchaînement des attaques contre les régimes arabo-musulmans laïcs, c'est-à-dire amis ou anciens féaux de la Russie. Le premier à payer est le plus farouche adversaire de l'Iran, l'Irak de Saddam Hussein. Tombé dans le piège d'une provocation parfaitement démontée en son temps par le général Pierre-Marie Gallois, le leader du Baas envahit le Koweït et encourt les représailles de la plus vaste coalition militaire qui ne se soit jamais vue, avec cette conséquence inouïe d'un pays sur la voie du modernisme et du développement renvoyé à des temps reculés, conformément à la promesse du secrétaire d'Etat américain. Telle est la mission civilisatrice de la première puissance mondiale.

Malheureusement, comme une guerre bactériologique mal conçue, l'Amérique se retrouve confrontée aux démons qu'elle a engendrés. L'islamisme radical se retourne contre son géniteur et entreprend de délivrer le monde d'un modèle détestable à ses yeux, celui d'une éthique fondée sur les droits de l'Homme et l'égalité entre les sexes. Les attentats du 11-septembre agissent comme un révélateur sur une opinion qui se croyait à l'abri de toute forme d'agression, mais par un manque de lucidité consternant, le gouvernement américain ne pointe pas du doigt les vrais coupables, pourtant aisément identifiables, et désigne au contraire ceux qui sont devenus ses alliés objectifs, les chefs des Etats arabes laïcs. Quand on dit qu'il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, il faudrait ajouter qu'il n'est pas plus aveugle que celui qui ne veut pas voir.

Ainsi, ce sont des citoyens saoudiens qui, très majoritairement, pilotent les avions qui sont précipités sur les tours de Mahattan. On punit l'Afghanistan dont aucun ressortissant n'est en cause. Ce sont les Iraniens qui construisent la bombe atomique et les missiles intercontinentaux qui la rendent opérationnelle. On envahit de nouveau l'Irak qui ne dispose d'aucune arme de destruction massive. C'est Kadhafi qui renonce à l'arme nucléaire. On le fait renverser par une révolution "téléguidée". Le tout à l'avenant.

Mieux encore, quand George W. Bush s'en va en guerre, il pactise avec Téhéran et bombarde les camps de l'Armée de libération iranienne (les moudjahidines du peuple) pour débarrasser de son opposition le régime qui le gratifie du sobriquet de "Grand Satan". La France ne fait pas mieux et se met aux ordres de l'ayatollah Khamenei pour procéder à une grande rafle jamais vue dans les rangs d'une opposition, de quelque nature qu'elle soit. Il faut punir et on punit les "dictateurs", laissant prospérer les fourriers du djihadisme. On se retient de contrôler les mouvements de fonds, on oublie les financiers de ce terrorisme messianique, on s'acharne sur ceux qui le combattent. On plaint les gentils Tchétchènes, on oublie les enfants de Beslan. On s'indigne des attentats dans le métro de Londres ou ceux de Madrid, pas de ceux du métro de Moscou. Autant de contre-sens qui rendent inextricable une situation pourtant claire. Faute de hiérarchiser les priorités, faute de considérer que le terrorisme peut frapper partout et pas nécessairement notre population et nos intérêts, on perd des repères et on complique la tâche de services qui travaillent bien. Faute de prendre en compte la désespérance de populations encore soumises à l'arbitraire, on fait la litière des idéologies les plus détestables.

L'Irak, la Libye "libérés" connaissent des situations bien pires que du temps des dictateurs, simplement parce que nos gouvernants se sont érigés en redresseurs de torts et émettent la prétention de dire quels gouvernements sont légitimes, qui doit débarrasser le plancher. L'ONU ne respecte plus ses propres principes, comme celui de l'intégrité de ses Etats membres, l'OTAN, alliance défensive centrée sur l'Atlantique Nord, est devenue le gendarme de la planète entière. La porte est ainsi ouverte au "grand n'importe quoi", quand les provocateurs se font censeurs et les agitateurs professeurs de vertu. C'est ainsi que lorsque l'Iran se range parmi les Etats qui affectent de réprouver le terrorisme islamiste, on ne peut que s'en indigner comme le fait la présidente du CNRI, Maryam Radjavi, organisation qui fait, depuis plus de trente ans, l'objet d'attaques homicides hors d'Iran et, dans le pays même, d'une persécution impitoyable. Comme beaucoup d'autres mais avec l'expérience de l'épreuve, elle dénonce la perversion d'une attitude qui cherche dans une interprétation falsifiée de l'islam la justification de sa politique.


Qu'on le veuille ou non, la troisième religion du Livre -par ordre chronologique- se trouve menacée dans son expression même par des outrances voire des crimes qu'elle ne mérite pas. Ce n'est pas acceptable. La religion de Mahomet mérite le même respect que le judaïsme et le christianisme et c'est aux chrétiens, les premiers, de l'affirmer. Comme il appartient à nos gouvernements de renoncer à exercer un magistère sur les autres pays, quels que soient les dirigeants qu'ils se sont donnés. Si la démocratie, à supposer qu'elle soit le modèle universel et plurivalent qu'on nous présente, doit gouverner le monde, il nous est interdit, par raison et simple bon sens, de l'imposer.

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