mercredi 8 juillet 2015

Les Ibn Saoud, les apprentis sorciers du jihadisme

La France "amie" des bédouins d'Arabie, est-elle encore crédible dans sa guerre contre le terrorisme quand elle laisse faire les pétromonarques qui soutiennent les islamistes et leur terrorisme ?
R.B

Philippe Mischkowsky

Arabie saoudite, notre allié jihadiste

La France partage un certain nombre d'analyses régionales avec Riyad, ce qui vaut à Hollande d'être courtisé dans le Golfe. Mais la politique étrangère saoudienne comporte des bombes à retardement.



Face aux milices chiites pro-iraniennes, l'Arabie saoudite doit “transformer son opération militaire au Yémen Tempête décisive en un projet stratégique total”, écrit l'éditorialiste saoudien Jamal Khashoggi. “Les Iraniens prétendent mener un jihad [par l'intermédiaire de milices chiites en Irak, en Syrie et au Yémen] Mais le vrai jihad, c'est celui de la Tempête décisive saoudienne”, tranche l'éditorialiste.

Et de poursuivre : “Dans les années quatre-vingt, l'Afghanistan a été le théâtre d'une des plus belles émanations du concept du véritable jihad, contre l'envahisseur soviétique.”

Ecrit par un des éditorialistes les plus en vue d'Arabie saoudite, dans le principal quotidien du pays, diffusé à l'international et qui passe pour être la vitrine présentable du pays, cet article n'a pourtant guère suscité de réactions. Certes, l'auteur écrit qu'il y a une différence entre d'un côté les moujahidines, qui ont mené en Afghanistan le “vrai“ jihad, et de l'autre côté les jihadistes égarés dans un extrémisme de bidaa (innovation blâmable, non conforme à l'orthodoxie musulmane). Certes, il dit que, par le "vrai jihad", les Saoudiens combattront aussi bien l'Iran que Daech (Etat islamique, EI).

Il n'en reste pas moins que cette réhabilitation du jihad afghan est quelque peu inquiétante. Car c'était bien l'ancêtre d'Al-Qaïda que les Saoudiens finançaient, avec l'appui et l'aide active des Américains. Il semblait admis, y compris dans les milieux des libéraux modernisateurs saoudiens auxquels appartient Khashoggi, que cette politique afghane avait certes réussi à chasser les Soviétiques de l'Afghanistan, mais qu'elle avait aussi créé des forces qui se sont ensuite retournées contre eux-mêmes, sans parler des pays occidentaux.

Bien que cela relève de l'anecdote, on peut noter que le site saoudien Sabq avait ressorti une vieille photo de Khashoggi en Afghanistan, barbu et avec kalashnikov, photo à propos de laquelle le principal intéressé a expliqué : “J'étais journaliste, et non pas moujahid, mais j'admets que j'ai été enthousiaste du jihad afghan.”

Au-delà du cas Khashoggi, c'est l'intervention militaire au Yémen et toute la politique régionale saoudienne qui alimente, nolens volens, la machine jihadiste. De la manière la plus évidente par le fait qu'en combattant les milices houthistes au Yémen, l'Arabie saoudite combat ceux qui de facto constituaient le rempart le plus immédiatement efficace contre Al-Qaida dans la péninsule Arabique (AQPA). On peut considérer que les houthistes sont une menace réelle pour la stabilité régionale et doivent être combattus. Il n'en reste pas moins que depuis le début de la Tempête décisive, Al-Qaïda a considérablement étendu son influence dans le Hadramaout, et notamment dans la ville portuaire de Moukalla, cinquième ville du pays, qui serait désormais sous son contrôle.

Plus insidieusement, cette intervention apporte de l'eau au moulin des forces politiques du Golfe qui considèrent que le principal problème des pétromonarchies réside dans le “complot perse”, voire dans les menées de la“cinquième colonne chiite”.

C'est jusque dans les grands journaux saoudiens qu'on trouve des dessins tels que celui-ci, paru dans Asharq Al-Awsat, qui véhiculent des stéréotypes anti-chiites qui semblent tout droit sortis de la propagande antisémite tsariste des Protocoles des sages de Sion.

Pas étonnant dès lors que des opposants islamistes au régime saoudien se montrent soudainement plein d'indulgence pour le nouveau roi Salman, loué pour sa fermeté face aux ”séfévides” - nom dépréciatif par lequel les milieux islamistes sunnites du Golfe désignent indistinctement les Iraniens et les communautés chiites de leurs propres pays.

Et comme en politique, tout a du sens, on peut noter également que le nouveau vice-prince-héritier et ministre de la Défense Mohamed Ben Salman, le propre fils du roi qui fait l'objet d'un véritable culte de la personnalité depuis la guerre, a délaissé son élégante barbe de trois jours pour se laisser pousser une barbe de plus en plus “pieuse”.

Finalement, cette guerre, lourde de ressorts anti-chiites, qui joue sur une sorte de “nationalisme sunnite“ et qui tend à réhabiliter l'envoi de jihadistes sur des théâtres de guerre, a aussi pour particularité de capter et de détourner une soif de politique qui s'était exprimée lors du Printemps arabe. L'Arabie saoudite s'est employée à y étouffer tout ce qui portait les germes d'un libéralisme politique pour aujourd'hui détourner les opinions dans une mobilisation guerrière (voir à ce propos l'article de l'intellectuel syrien Michel Kilo, traduit par Courrier international en date du 13 mai sous le titre Une Guerre en guise de Printemps arabe).

L'intellectuel koweïtien Chafiq Al-Ghabra va dans le même sens quand il estime que Riyad paie le prix de sa politique anti-révolutionnaireArabie saoudite devrait se réconcilier avec le “printemps arabe”, avec les principes de liberté et ceux des droits de l'homme, afin de construire des Etats modernes”, explique-t-il sur la chaîne qatarie Al-Jazira.

Or loin de se réconcilier avec les droits de l'homme, l'Arabie saoudite a connu une hausse spectaculaire des exécutions par décapitation sur la place publique (85 décapitations depuis le début de l'année). Au point que le gouvernement a annoncé qu'il cherchait à recruter huit “fonctionnaires religieux” dont le métier consisterait à couper au sabre les têtes des condamnés à mort. Là encore, c'est une manière de montrer que Daech n'a pas le monopole des peines "conformes à la charia".

Stéphane Lacroix, spécialiste de l'Egypte et de l'Arabie saoudite, a expliqué dans une récente émission d'Affaires étrangères sur France Culture, que l'Arabie saoudite comptait couper l'herbe sous le pied de Daech en démontrant que c'était le roi Salman qui pouvait le plus efficacement défendre le camp sunnite. C'est certainement vrai. Reste à savoir si les Saoudiens, en ce faisant, ne libèrent pas à nouveau un djinn qu'il sera difficile de ramener dans sa bouteille.

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