vendredi 22 janvier 2016

Les musulmans sont les exécutants inconscients de leur autodestruction

Les musulmans ne progresseront pas tant qu'ils n'auront pas rouvert l'ijtihad, exégèse de leurs textes religieux et remise en question de leur religion pour l'adapter à leur époque. Ils ne pourront échapper à la réforme de leur religion et faire l'économie de cette remise en question.
R.B  
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intellectuel algérien, disciple de Malek Bennabi, estime que l'idéologie islamiste est le véritable ennemi des musulmans, et explique pourquoi toutes les tentatives de réformes de l'islam se sont soldées par des échecs. 

Vous êtes très critique sur l’islamisme. Estimez-vous que le véritable ennemi de l’islam et des musulmans est l’idéologie islamiste?

Très souvent un « isme » accolé à un mot en fait immédiatement un prisme déformant et assassin : marxisme, nazisme, islamisme… L’islamisme est la tentation d’isoler l’islam des autres peuples et cultures, de le couper du sens du monde, de l’exclure du mouvement de l’Histoire pour le réduire à la chose exclusive des musulmans, à un culte du passé, à une conception du monde invariable, immuable et indiscutable chevillée aux prédécesseurs (salaf) et aux oulamas qui n’ont pas rénové leur savoir depuis mille ans au moins.

L’islamisme n’est pas une vision nouvelle de l’islam, une adaptation à l’environnement mondial actuel, mais un corsetage des musulmans dans des conceptions obsolètes, dépassées, opposées au progrès et à la coexistence pacifique entre les nations, les religions et les cultures. Ce n’est pas un mouvement de pensée mais un populisme, un nihilisme, un despotisme culturel et cultuel. Il est indéniable qu’il est devenu le principal ennemi de l’islam et des musulmans. Là où il est apparu au cours du dernier demi-siècle (Afghanistan, Egypte, Algérie, Somalie…), il a entraîné dévastation et guerres fratricides.
C’est partout la guerre, les attentats, la haine, l’horreur… Regardez l’actualité mondiale : il n’y a plus de guerres conventionnelles, asymétriques ou de terrorisme endémique qu’en terre islamique. L’opinion internationale est de plus en plus défavorable à la présence de musulmans hors de leurs pays d’origine et l’islamophobie se développe partout. 
Où croyez-vous que tout cela va mener sinon à un isolement des musulmans et de l’islam, à leur exclusion de la vie internationale, à leur confinement chez eux, comme des pestiférés ?

- Vous affirmez que « Les musulmans sont, en ce début de troisième millénaire, les exécutants inconscients de leur autodestruction ». Quels sont les exemples concrets qui étayent votre analyse ?

Les exemples d’affrontements entre musulmans sont légion. Le monde musulman tout entier est en train de se laisser aspirer petit à petit dans une guerre mondiale intra-islamique qui l’affaiblira durablement et le condamnera à la misère économique et à l’arriération culturelle. Que fait l’Arabie saoudite sinon chercher à former un axe destiné à combattre l’axe chiite mené par l’Iran jusqu’à la fin des temps ? Que fait l’Iran en Irak, au Liban, en Syrie, au Yémen, sinon chercher à imposer l’hégémonie chiite sur les sunnites ?

La cohabitation entre ces deux courants religieux et idéologiques apparus au temps de Moawiya est en train de devenir impossible en Irak, au Liban, à Bahreïn, en Arabie saoudite, au Pakistan, en Indonésie… Les clergés des deux communautés poussent à l’affrontement et attisent les vieilles haines, en vue d’une bataille du type Armageddon. 

Y a-t-il deux islams, deux Corans, pour en arriver là ? L’islam est-il racial ? Ne s’agit-il pas d’une entreprise d’autodestruction sous couvert de religion ?

- Vous avez toujours appelé à une réforme de l’islam qui n’est pas, selon vous, un enjeu philosophique, mais stratégique. Pouvez-vous nous faire part de votre réflexion à ce sujet ?

Il est impossible de ne pas faire le lien entre les enseignements de ce que j’appelle « al-ilm al-qadim » et la fanatisation d’une frange importante des nouvelles générations. Tous les arguments de Daesh et de la mouvance politique islamiste à travers le monde sont puisés dans la culture islamique, telle qu’elle est enseignée à al-Azhar, Zitouna et Qarawiyine, dans les instituts islamiques et les centaines de milliers de mosquées existant de par le monde. 


L’islamisme n’a pas ajouté un seul mot, une seule idée, un seul argument à ce qu’il a trouvé dans le berceau. Son seul tort, si l’on veut, c’est d’avoir pris cette culture à la lettre quand les autres se contentent d’enseigner l’Etat islamique, le jihad, le statut d’apostat des autres, la primauté de l’au-delà sur la vie terrestre, sans réclamer leur mise en application par la terreur et séance tenante.

Ce corpus d’ « idées mortes », comme l’appelle Bennabi, est issu d’une interprétation du Coran faite il y a longtemps et dépassée dans de larges proportions. Cette cosmogonie anachronique est devenue nuisible à l’évolution et aux intérêts des musulmans, et appelle à une réforme urgente pour permettre à ces derniers de vivre parmi les autres nations et religions en paix et dans le respect mutuel. C’est en ce sens que je dis que l’enjeu n’est pas philosophique, théologique, esthétique, mais stratégique, historique, concret, réel et quotidien.

- Il y a eu des tentatives de réformes au 19ème siècle, notamment sous l’impulsion de Mohamed Abdou et Jamāl Al-Dīn Al-Afghani, qui ont toutes échoué. Comment expliquez-vous cet échec et que faut-il réformer en priorité? 

En effet, depuis le XIXe siècle des courants d’idées réformateurs sont apparus dans le Moyen-Orient et la péninsule indienne. A l’époque, on pensait que l’homme musulman accusait du retard par rapport à l’Occident, mais sur le plan matériel, économique, technique et militaire seulement. En termes de « valeurs », on pensait être très largement pourvus et même supérieurs au reste du monde. On croyait qu’en revenant au passé prestigieux de l’islam, on redeviendrait les premiers de la classe. Là loge l’erreur, là s’est réfugié le diable depuis le Moyen-âge : ce n’est pas le musulman qu’il fallait réformer, comme l’ont cru al-Afghani, Abdou et les autres, mais le « ilm al-qadim » qui charrie dans son enseignement le microbe, le virus, le poison qui a conduit à la décadence de jadis et à l’islamisme d’aujourd’hui.


On n’obtient pas un homme nouveau avec des formules anciennes qui ont déjà à leur actif une décadence universelle. L’idée morte devient mortelle par la force des choses, elle est nocive car périmée, inadaptée, décalée, dépassée… C’est toute l’interprétation du Coran, des valeurs de l’islam, de l’ancienne théologie et du « fiqh » qu’il faut revoir de fond en comble, qu’il faut passer au scanner pour détecter le mal. Une fois fait, il faut commencer à élaguer, à réparer, à corriger, à rénover. 

On trouve des fondements à cette approche que j’ai préconisée l’an dernier dans une série de douze articles,  aussi bien dans le Coran que dans le hadith, surtout celui, bien connu, où le Prophète prédisait qu’au début de chaque siècle apparaîtrait une réforme du « din », de la religion islamique, précisait-il.

Faute d’un tel effort d’adaptation (une fois par siècle au moins), la vie des musulmans ne peut pas s’actualiser, demeurer vivante et vivace, elle ne pourrait que stagner et péricliter comme c’est le cas effectivement depuis huit siècles. Les réformateurs annoncés par le Prophète ne sont pas venus ou ont été empêchés, ou alors ils se sont trompés sur le sens de la réforme comme c’est le cas des « Nahdaouis » qui, après s’être escrimés pendant des décennies, ont fini par déposer les armes de la rhétorique et abandonné la « réforme de grammairiens » qu’ils menaient inconsciemment, comme disait Bennabi. Devant cet échec, la rue, le « fiqh de la rue » a pris la relève avec les fusils mitrailleurs, le sabre et les attentats-suicides.

- Une dernière question : quel regard portez-vous sur les musulmans qui résident en Occident et particulièrement en France ? Peuvent-ils jouer un rôle dans la réforme de l’islam ?

Vous me donnez là l’occasion d’examiner un fait concret qui démontre l’immense déficit entre la pensée islamique, traditionnelle et littéraliste, et le réel, entre les « maqacid » (les buts recherchés) et les résultats pratiques d’attitudes rivées à une conception du monde révolue. Il fut une époque où le « ilm al-qadim » considérait qu’il était péché, « haram » (illicite) , pour un musulman de vivre en terre non-islamique. Aujourd’hui, aucun « alem » (théologien) ne le soutiendrait publiquement tant les musulmans ont essaimé dans le monde pour mille et une raisons.
Mais le raisonnement est toujours valable car déduit d’une vieille jurisprudence. C’est à cette « norme » du droit islamique que s’est référé il y a quelques années un grand « alem » pour demander aux Palestiniens de quitter leur pays, au motif qu’il est régi par la loi judaïque, même si cette loi est laïque. Cet exemple illustre l’anachronisme de l’ancien « ilm » (théologie) et éclaire le reste. On ne cherche pas à orienter les musulmans vers l’avenir, à les préparer à s’adapter au nouveau, à faire face à l’inconnu, à élaborer de nouvelles normes juridiques issues de la réouverture des portes de l'ijtihad, (l’exégèse) pour mettre en application un principe coranique cardinal (hukm ad-daroura, adaptation aux cas de force majeure), mais à les ramener au passé, à leur faire revivre le passé irrémédiablement dépassé.

Les musulmans d’Occident souffrent dans leur vie des incidences de l’islamisme et de son contrecoup, l’islamophobie, et ça ira crescendo jusqu’à leur rendre la vie impossible. Chaque attentat commis, ici où là, en fera des victimes collatérales, les blessant ou les tuant dans leur for intérieur. Le « ilm » en vigueur ne s’est pas réellement mobilisé pour dénoncer l’islamisme et son corollaire le terrorisme, pour les condamner et s’en distinguer, c’est à peine s’il fait la moue devant les outrances de l’islamisme ; il laisse flotter l’amalgame, les équivoques et les accointances, parce qu’en fait il ne peut pas se dresser contre l’islamisme, ils sont frères siamois.

On n’arrivera à les séparer qu’au terme d’une profonde réforme, d’une révolution intellectuelle et mentale pour laquelle les oulémas ne sont pas outillés, car ils ont été formatés pour enfoncer le clou du fanatisme, non pour l’enlever. 

Dans mes écrits où je prône une réforme de l’islam, de sa conception de l’univers, de Dieu, de la raison d’être de l’homme sur terre, de notre vision des autres, j’ai suggéré une méthode et un cadre pour mener cette réforme. Ce ne doit pas être l’œuvre d’individualités, quels que soient leurs titres ou leur réputation, mais d’acteurs souverains, je veux dire les Etats-membres de l’Organisation de la coopération islamique (OCI), deuxième organisation en importance après l’ONU. 

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