Par Jean Soler
Heureux les chercheurs
qui étudient les dieux grecs ou les dieux égyptiens ! Ils ne risquent pas
trop que leurs croyances religieuses infléchissent leur jugement ou que leurs
analyses critiques heurtent la foi de leurs lecteurs, car personne, depuis bien
longtemps, ne croit plus en Zeus ou en Osiris. Mais il en va autrement pour le
dieu que nous appelons « Dieu », qui, lui, a encore trois milliards
de fidèles dans le monde. Il semble néanmoins indispensable, dans l’approche
scientifique des religions, de ne faire aucune différence entre ces divinités.
Les dieux sont des personnages historiques qui apparaissent un jour, qui vivent
plus ou moins longtemps – aussi longtemps qu’il existe des hommes qui en sont
persuadés – et qui finissent par disparaître ou par se fondre dans d’autres
dieux.
La question qui m’a retenu[1] est
celle de comprendre depuis quand et pourquoi les Juifs de l’Antiquité ont admis
comme un dogme qu’il n’existe et ne peut exister qu’un dieu, alors que jusque
là, dans toutes les sociétés connues de nous, le monde divin se caractérisait
par la pluralité et la diversité des êtres surnaturels.
Poser la question en ces termes suscite des résistances – même dans le milieu
universitaire, j’en ai fait l’expérience – parce qu’il est évident aux yeux des
croyants que Dieu, ce dieu-là, l’Unique, le seul « vrai Dieu »,
existe de toute éternité, et que les hommes l’ont toujours su, plus ou moins
obscurément. Les adeptes des trois religions monothéistes jugent donc tout à
fait normal que Dieu, pour des raisons qui lui appartiennent, se soit révélé à
l’un des peuples, celui des Hébreux, et plus précisément à tel ou tel de ses
membres, à Abraham d’abord, à Moïse ensuite, comme la Bible en témoigne, pour
aider l’humanité à acquérir une connaissance plus claire de son existence et de
ses volontés.
Cette position, qui paraît inattaquable si l’on se place dans l’optique des
croyants, n’est plus tenable aujourd’hui, en raison des acquis de la recherche
scientifique. Non seulement, en effet, l’existence d’Abraham et de Moïse est
remise en cause (les archéologues n’ont trouvé, par exemple, aucune trace du
séjour de tout un peuple dans le désert du Sinaï[2])
mais la divinité qui s’est adressée à Abraham et à Moïse n’est pas, d’après le
texte hébreu de la Bible
lu sans idée préconçue, le Dieu Unique. Il s’agit d’un dieu parmi d’autres
nommé « Iahvé » (peu importe comment se prononçait son nom et comment
il est transcrit dans nos langues). Ce fait, car c’est un fait, est masqué par
l’illusion rétrospective qui projette sur ce passé lointain et largement
mythique les convictions qui sont les nôtres sur le Dieu Un, illusion
entretenue par le tour de passe-passe qui consiste à escamoter, dans les
traductions de la Bible,
le mot « Iahvé », pour mettre à sa place les mots « Dieu »,
« le Seigneur » ou « l’Éternel »,
termes qui désignent aujourd’hui, sans équivoque, le Dieu de la croyance
monothéiste[3].
Comment s’exprime le récit biblique où ce dieu s’adresse à Abraham, qui
s’appelle encore Abram, pour la première fois ? « Iahvé dit à
Abram : Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père pour le pays
que je t’indiquerai. Je ferai de toi un grand peuple et je te bénirai »,
Genèse 12, 1-2. D’emblée Abraham est présenté comme l’ancêtre d’un peuple
promis à un grand destin : nous l’appelons le « peuple élu ». Et
la bénédiction du dieu – qui ne dit à aucun moment qu’il est le seul Dieu
véritable – se traduira par l’octroi à des tribus nomades d’un
« pays » où ils pourront se sédentariser : la « Terre
promise ». C’est la première mention dans la Bible d’un contrat passé
entre l’un des dieux et l’un des peuples, d’une « alliance » aux
termes de laquelle, si le peuple reste fidèle à ce dieu, le dieu le favorisera
par-dessus tous les autres peuples. Ce contrat a été renouvelé, affirme la Bible, quelques siècles plus
tard, avec Moïse. Que dit le dieu au prophète quand il s’adresse à lui pour la
première fois, du fond d’un buisson qui brûle sans se consumer : « Je
suis le dieu de tes ancêtres, le dieu d’Abraham, le dieu d’Isaac, le dieu de
Jacob », Exode 3, 6. Il est toujours question d’un dieu ethnique, qui
révèle à Moïse, comme une marque insigne de faveur, son vrai nom :
« Iahvé », et qui se soucie avant tout de sauver son peuple de
l’esclavage où il est réduit en Égypte.
Ni dans cet épisode ni plus tard, au cours des entretiens que Moïse aura avec
Iahvé sur le mont Sinaï, le dieu ne se présente comme l’unique dieu qui existe,
un dieu universel qui serait celui de tous les peuples et se préoccuperait du
sort de l’humanité. J’ai montré dans La Loi de Moïse que les
prescriptions que donne le dieu au prophète, à commencer par les Dix
Commandements, ne sont pas les impératifs d’une morale universelle mais des
règles de conduite destinées à assurer l’unité et la cohésion du peuple hébreu
en vue de sa survie.
Ce type de religion n’est pas spécifique des Israélites (les descendants de
Jacob, surnommé Israël). On le rencontre dans tout le Proche-Orient ancien,
bien avant que les Hébreux entrent dans l’Histoire, comme l’attestent les
nombreuses inscriptions mises au jour en Mésopotamie. Vers l’an 2025, par
exemple – près de huit siècles avant Moïse, si celui-ci a existé et s’il a
vécu, comme on l’assure, au milieu du XIIIe siècle
- des textes font état d’un peuple jusque là inconnu qui dit vénérer un dieu
tout aussi inconnu que lui, « Assur ». Le dieu et le peuple ont
conclu une alliance à ce point étroite que le peuple se définit par
l’appellation d’« Assyriens » : les fidèles du dieu Assur, et
qu’il a donné le nom de son dieu à sa capitale : « Assur ». Un
peu plus tard, dans la même région, les Babyloniens adoptent pour dieu
protecteur « Marduk ». Or, aussi bien les inscriptions que les
vestiges de sanctuaires prouvent que ces deux peuples vénéraient en même temps
d’autres divinités. Nous avons affaire à une forme de polythéisme que nous
nommons aujourd’hui, d’un terme qui n’est pas encore dans les dictionnaires, la
« monolâtrie ». La monolâtrie est le culte rendu à un dieu de
préférence aux autres, sans nier pour autant l’existence des autres dieux, dont
certains ont un rapport privilégié, eux aussi, avec d’autres peuples. Les Juifs
de l’Antiquité n’ont fait qu’imiter ce qu’ils voyaient pratiquer autour d’eux
en liant leur sort à un dieu aussi obscur que Marduk ou Assur mais dont ils
attendaient la même protection : on espère qu’un dieu inconnu ou marginal
pourra se consacrer entièrement à vous, alors qu’un dieu célèbre, sollicité par
beaucoup de peuples, risquerait de vous négliger ou de donner sa préférence à d’autres.
Un prophète biblique, Michée, qui a vécu à Jérusalem au VIIIe siècle avant
notre ère, est très conscient de cette situation : « Tous les peuples
marchent chacun au nom de son dieu, et nous, nous marchons au nom de Iahvé,
notre dieu, pour toujours et à jamais », Michée, 4, 5. Il n’empêche que
les Israélites, à l’exemple des Assyriens et des Babyloniens, avaient d’autres
dieux, notamment Baal, et même une déesse, compagne de Iahvé, Ashéra, comme en
témoigne la Bible,
si on la lit sans verres déformants, et comme le confirment des inscriptions
découvertes récemment en Israël, qui parlent de « Iahvé et son
Ashéra »[4].
Quel que soit le rôle joué par les autres dieux, chaque peuple attribue ses
succès, surtout ses succès militaires, au dieu avec lequel il a fait alliance,
et il a tendance à penser que son dieu est le plus grand des dieux. On le voit
dans les inscriptions mésopotamiennes. On le constate également dans la Bible. Après le
passage de la mer Rouge, qui est présenté comme une victoire remportée par les
Hébreux sur les Égyptiens
grâce à l’intervention miraculeuse de leur dieu, Moïse et le peuple entonnent
un cantique de remerciements où ils disent : « Qui est comme toi
parmi les dieux [elim, pluriel d’el, « dieu »],
Iahvé ? », Exode 15, 11. Cette formulation appartient, sans nul
doute, à l’univers polythéiste – pour peu qu’on ne trahisse pas le texte en
traduisant : « Qui est comme toi parmi les forts, Éternel ? » (Bible du
rabbinat français). Ce passage et bien d’autres prouvent que « Moïse ne
croyait pas en Dieu », comme je l’ai écrit, avec un brin de provocation,
dans L’Invention du Monothéisme, pour faire comprendre que les
textes attribués par la tradition à Moïse – les cinq premiers livres de la Bible que les Juifs
appellent la Tora
et les chrétiens le Pentateuque – ne sont pas, dans leur presque totalité,
monothéistes.
Dans ces conditions, comment se fait-il que le peuple juif soit à l’origine de
la croyance en un Dieu unique ? Si cette dernière ne remonte pas à Moïse,
quand est-elle apparue et dans quel environnement ? Pour tâcher de
répondre à cette question, nous ne pouvons nous appuyer que sur la Bible, car aucun autre
peuple n’a adopté cette religion avant le peuple juif. Le cas du pharaon
Akhenaton, qui a régné un siècle avant l’époque où Moïse est supposé avoir
vécu, ne constitue pas une exception. D’après les égyptologues d’aujourd’hui,
Akhenaton était un roi caractériel qui a voulu imposer un dieu personnel, Aton,
dont il serait le seul représentant et le seul interprète, ce qui revenait à
écarter le clergé jusqu’alors tout-puissant, surtout celui du dieu Amon à
Thèbes. Mais Aton n’est autre qu’Amon, Rê etc., le même dieu suprême du
panthéon égyptien, représenté par le Soleil et adoré sous des noms différents
selon les lieux, les époques et la course de l’astre pendant le jour et la
nuit. Qui plus est, les hymnes à Aton attribués à Akhenaton décalquent de très
près des hymnes à Amon ou à Rê nettement antérieurs, y compris dans l’emploi de
l’adjectif « unique » servant à qualifier le dieu, pour mettre
l’accent sur son caractère exceptionnel, hors du commun, et non pas pour dire
qu’il était le seul dieu à exister[5].
Quoi qu’il en soit, le culte institué par Akhenaton n’a pas survécu à la mort
du roi. Un siècle après, son souvenir était aboli et ses temples détruits.
Moïse n’aurait pas pu entendre parler de lui ni surtout s’inspirer de sa
réforme, puisque le prophète hébreu n’était pas monothéiste ! Le monothéisme
véritable a été sécrété bien plus tard, au sein du peuple juif, sans aucune
influence directe venue d’un autre peuple, et c’est la Bible seule qui peut nous
mettre sur la voie de ses raisons d’être.
Ici, je ferai état d’un autre apport de la recherche contemporaine. La Bible que nous lisons est un
écrit presque aussi tardif que le monothéisme, nettement postérieur à ce que
laissait croire la tradition et même à ce que pensaient la plupart des
spécialistes il y a encore trente ans. L’archéologie israélienne est arrivée à
la conclusion que les Hébreux n’ont pas écrit leur langue avant le IXe ou même le VIIIe siècle. Si Iahvé
avait écrit de sa main, en hébreu, les Dix Commandements sur deux tables de
pierre, les Israélites n’auraient pas pu déchiffrer ce texte avant plusieurs
siècles. Quant à Moïse, le scribe de la
Tora, non seulement il ne croyait pas en Dieu mais il ne
savait pas écrire ! Il est largement admis aujourd’hui que le premier
noyau de la Bible,
la version initiale du Deutéronome, le cinquième livre du Pentateuque actuel,
date du roi Josias qui a régné à Jérusalem dans la deuxième moitié du VIIe siècle, peu avant
la prise de la ville par Nabuchodonosor et la déportation des notables en
Babylonie. Le travail d’écriture a repris pendant le demi-siècle qu’a duré
l’Exil et il s’est poursuivi sur plusieurs générations après le Retour à
Jérusalem. Tous les textes rédigés jusqu’alors – jusqu’au Ve siècle y compris, le
siècle de Périclès chez les Grecs – parlent de Iahvé comme du dieu national des
Israélites et font toujours mention d’une alliance exclusive conclue entre ce
dieu et ce peuple. Il faut en déduire qu’au début du IVe siècle encore les Juifs
n’étaient pas devenus monothéistes. Alors, que s’est-il passé ?
La thèse que je soutiens est que la croyance monothéiste est apparue quand
l’échec de l’alliance s’est révélé patent et qu’il a fallu trouver une
explication crédible à cet échec.
Les Israélites ont été assurés, en effet, de la supériorité de leur dieu aussi
longtemps que Iahvé leur a apporté d’éclatants succès : la sortie d’Égypte malgré l’armée du pharaon lancée
à leurs trousses, la conquête de Canaan, la constitution d’un puissant royaume
régi par deux grands rois, David puis son fils Salomon. Tels étaient du moins
les récits qui avaient été transmis, disait-on, par les ancêtres. En réalité,
je l’ai dit plus haut, il n’y a aucune preuve archéologique de la sortie d’Égypte et de l’errance du peuple hébreu
pendant quarante ans dans le désert du Sinaï (il n’y a pas non plus de preuve
certaine de la guerre de Troie qui aurait eu lieu à la même époque : les
Grecs aussi bien que les Juifs ont reconstruit leur passé lointain sur des
mythes). Bien plus, les archéologues n’ont pas découvert de traces de la guerre
éclair racontée par la Bible
pour la conquête de Canaan : l’occupation a été progressive et plutôt
pacifique, d’autant plus qu’une partie au moins des Israélites étaient des
autochtones. Plus surprenant encore, car nous entrons désormais dans
l’Histoire, aucun vestige archéologique, aucun document épigraphique datant à
coup sûr du royaume de David et de Salomon n’a été découvert[6].
Certains spécialistes en viennent à douter de l’existence de Salomon et non
plus seulement d’Abraham ou de Moïse. En tout état de cause, si Salomon a
existé, il faut l’imaginer en chef de village plutôt qu’en souverain d’un
important royaume – d’autant plus que les annales des pays voisins ignorent
cet État et jusqu’au nom de
Salomon. Il n’en reste pas moins que ce personnage a pris une stature
emblématique dans la mémoire collective des Hébreux. Or, à lire la Bible – et ce qu’elle dit
peut être recoupé, à partir du IXe siècle,
par d’autres sources – après le règne de Salomon les Israélites ont connu
malheurs sur malheurs. Dès la mort du roi, la plupart des tribus qui s’étaient
fédérées – dix sur douze selon la
Bible – ne reconnaissent pas son successeur et font sécession
en créant un nouvel État,
dans le nord du pays, et en se dotant d’une nouvelle capitale, Samarie, pour
concurrencer Jérusalem. Sont ainsi face à face deux royaumes rivaux, qui à
certains moments se feront la guerre. Pour les auteurs de la Bible, c’est là la première
« catastrophe » (shoah en hébreu) subie par le peuple
élu. Le plus nombreux, le plus puissant et le plus riche des deux royaumes
tombe bientôt sous la coupe des Assyriens qui, vers la fin du VIIIe siècle,
s’emparent de Samarie, déportent une partie de la population et annexent
le pays à leur Empire. Ce fut la deuxième catastrophe dans l’histoire des Juifs.
Il y en aura une troisième quand les Babyloniens, au début du VIe siècle, mettent fin
au royaume du Sud en détruisant Jérusalem et en déportant toute l’élite du
pays. Les Israélites ont alors perdu la totalité de la Terre que leur dieu,
pensaient-ils, avaient offerte à leurs ancêtres. Ils ont pu espérer, vers la
fin du VIe siècle,
avec la victoire des Perses sur les Babyloniens, la libération des exilés et le
retour d’une partie d’entre eux à Jérusalem, qu’ils allaient pouvoir
reconstituer le vaste royaume de Salomon. Les œuvres bibliques datant de l’Exil
– en particulier les prophéties de Jérémie, qui est resté à Jérusalem
avant de fuir en Égypte, et
celles d’Ézéchiel, déporté à
Babylone – témoignent de ce rêve. Mais le rêve ne s’est pas réalisé. Pendant
les deux siècles qu’a duré l’Empire perse, les habitants de la Judée n’ont fait que
végéter, sans roi, sans armée, sans indépendance, dans un minuscule canton de
l’Empire achéménide qui allait de l’Indus au Nil et du golfe Persique à la mer
Noire, en englobant une partie du monde grec, avec les cités de Milet ou d’Éphèse. Les inscriptions perses qui
énumèrent les différents peuples entrés dans l’Empire mentionnent les
Assyriens, les Babyloniens, les Égyptiens
et même les Arabes, mais jamais les Juifs. L’historien-ethnologue grec Hérodote
qui a séjourné, auVe siècle,
en Perse, en Égypte et
jusqu’en Phénicie, dans l’actuel Liban, aux portes d’Israël, n’a jamais entendu
parler des Juifs, de leur religion ni du temple qu’ils avaient reconstruit à
Jérusalem après leur retour de Babylone. C’est pourtant dans cette période,
sous la domination des Perses, que les Juifs ont conçu une religion tout à fait
nouvelle, le monothéisme.
Comment le comprendre ? En renonçant d’abord aux notions de Révélation et
de Livres sacrés, même si l’on croit en « Dieu ». Les fidèles du Dieu
unique ont bien dû admettre, auXVIe siècle,
que la terre tourne autour du soleil, et, trois siècles plus tard, que l’homme
n’est pas né d’un coup, tel qu’il est aujourd’hui, mais qu’il est issu d’une
très longue évolution des espèces, malgré ce qu’assure la Bible. Ils devront
s’accommoder aussi, désormais, du fait qu’aucun texte biblique n’affirme que
Dieu – l’Unique – s’est fait connaître d’un Israélite, à quelque moment que ce
soit, en lui disant : Il n’existe qu’un Dieu, voilà la Vérité en matière de
religion. Je te confie la mission de mettre par écrit cette Vérité, d’en
convaincre ton peuple et de la diffuser dans le reste de l’humanité. Les
quelques versets qui sont habituellement cités pour accréditer cette lecture
sont isolés de leur contexte et interprétés à contresens. Il n’y est question,
encore et toujours, que d’un dieu particulier qui se préoccupe exclusivement de
son peuple, l’ethnie des Israélites. Et c’est – j’en suis convaincu – l’échec
répété de cette ethnie, malgré son alliance avec un dieu présenté comme le plus
grand des dieux, qui est à l’origine de la révolution monothéiste. Mais
revenons en arrière.
La
première « catastrophe » dans l’histoire nationale – la scission du
royaume de Salomon en deux États
rivaux – a été expliquée après-coup par les rédacteurs de la Bible comme la conséquence
de l’infidélité du souverain qui aurait toléré, à Jérusalem même, à la fin de
sa vie, le culte d’autres divinités (Premier livre des Rois, 11). La deuxième
« catastrophe » – la disparition du royaume de Samarie, le plus important
des deux États – a été
justifiée également par l’infidélité de ses rois qui auraient introduit le
culte de dieux étrangers, notamment de Baal, pour concurrencer le dieu des
ancêtres. Ainsi, plutôt que de mettre en doute la puissance de Iahvé, on a
incriminé son peuple. Cette réaction n’est pas propre aux Hébreux. Nous
connaissons, en Mésopotamie, des textes plus anciens où des cités rendent
compte des revers qu’elles ont subis par une punition de leur dieu. Personne
n’est prompt, peuple ou individu, à mettre son dieu en cause et à l’abandonner.
Pour continuer à croire en lui, on préfère lui attribuer les défaites aussi
bien que les victoires. Si le « peuple de Iahvé » connaît des
malheurs, pensent les auteurs de la
Bible, ces malheurs sont l’œuvre de Iahvé. On cherche alors à
comprendre quelle faute les anciens ont commise, pour éviter de la commettre à
nouveau. C’est sous le règne de Josias, semble-t-il, autour de 620, que l’idée
a prévalu, dans l’espoir d’empêcher Jérusalem de subir le sort de Samarie, que
Iahvé était un dieu « jaloux » : qui ne tolérait pas de rivaux
dans la vénération qu’il exigeait des Israélites – ce qui prouve d’ailleurs que
le culte de Iahvé avait cohabité jusqu’alors avec celui d’autres dieux, comme
c’était courant, je l’ai signalé, dans la monolâtrie des dieux nationaux au
Proche-Orient. La monolâtrie n’est que l’une des modalités de la croyance
polythéiste et la réforme de Josias, qui exigeait que le peuple adore le seul
Iahvé, en un seul lieu de surcroît, le temple de Jérusalem, n’est qu’une
variante apportée à la forme antérieure de monolâtrie. Dater de cette époque la
naissance du monothéisme, comme le font certains[7],
est une erreur. Ils confondent la monolâtrie et le monothéisme, lequel seul
énonce qu’il ne peut exister qu’un dieu.
À la lumière des vues nouvelles apparues au temps de
Josias, on a soutenu que Iahvé avait utilisé d’autres peuples – les plus cruels
d’entre eux – pour punir les Israélites de leur infidélité. Cette idée
présentait le double avantage de maintenir la toute-puissance présumée de Iahvé
et de ne pas attribuer les succès des peuples ennemis au pouvoir de leurs
dieux. Pour que personne, ni chez les ennemis ni chez les Israélites, ne puisse
se tromper en imputant les échecs de ces derniers à d’autres dieux que Iahvé,
on a affirmé – Jérémie, par exemple, chapitre 51 – qu’après avoir servi
d’instruments entre les mains de Iahvé, ces ennemis seraient châtiés à leur
tour pour avoir fait couler le sang de son peuple. Et l’Histoire a paru
corroborer cette conviction. En effet, après avoir détruit le royaume de
Samarie, les Assyriens ont été écrasés par les Babyloniens. Quant aux
Babyloniens, après avoir détruit le royaume de Jérusalem (la Judée), ils ont été défaits
et anéantis par le roi des Perses, Cyrus. Mais avec les Perses, tout va
changer. Les Perses, sans le vouloir et sans le savoir, vont mettre en défaut
l’idéologie biblique.
Loin de punir les Israélites pour obéir au dessein de Iahvé, les Perses les ont
en effet libérés de leur exil à Babylone, en 539. Ils leur ont permis de
retourner à Jérusalem et d’y rebâtir leur temple. Mieux même, ils ont financé
ces travaux et ils ont exempté d’impôts le clergé. Mieux encore, quelques
décennies plus tard, des rois perses ont confié des missions à des Judéens
demeurés en exil et proches de la cour pour qu’ils aillent à Jérusalem prêter
assistance à la communauté du Retour qui en avait bien besoin, tellement elle
était désorganisée et dans la misère. Le propre échanson du roi, Néhémie, a
fait deux missions au milieu du Ve siècle.
Esdras, un prêtre-scribe, est arrivé probablement au début du IVe siècle. Ce dernier
a joué un grand rôle pour fixer par écrit les lois attribuées à Moïse et
reconnues par le pouvoir perse pour les affaires concernant les Juifs (ainsi
appelle-t-on désormais les Judéens et, plus généralement, les membres de
l’ethnie israélite). En un mot, les Perses se sont montrés irréprochables à
l’égard des Juifs, au point que Cyrus est appelé dans la Bible le Messie,
c’est-à-dire « l’oint de Iahvé »[8],
et que les Juifs ont pu croire pendant un certain temps que les Perses se
rendraient compte qu’ils devaient leur réussite au dieu des Juifs et qu’ils se
rallieraient à lui. Mais rien de tel ne s’est produit. Les Perses se
comportaient avec les Juifs comme avec les autres peuples de l’Empire, ni plus
ni moins. Ils respectaient la religion ainsi que les coutumes des peuples
assujettis. Dans une inscription découverte en 1879 à Babylone sur un cylindre
d’argile, il est dit que Marduk lui-même, le dieu national du pays, a chargé
Cyrus, un étranger, de punir le roi des Babyloniens de son infidélité en
s’emparant de sa capitale. Dans la suite du texte, Cyrus assure vénérer Marduk,
qu’il appelle son « Seigneur », et dit qu’il a libéré les populations
étrangères qui avaient été déportées – sans faire mention des Juifs[9].
Cette attitude des Perses correspond de près à celle qu’ils ont eue envers les
Judéens, au témoignage de la
Bible, et à la politique qu’ils ont appliquée à l’égard de l’Égypte, après avoir conquis le pays.
Une statue de Darius découverte dans sa capitale iranienne, à Suse, en 1972,
porte une inscription en hiéroglyphes où le roi des Perses se présente, à
l’image des pharaons, comme le fils de Rê, le dieu suprême des Égyptiens. Mais d’autres inscriptions
gravées sur la statue en perse, en élamite et en akkadien, rendent hommage à
Ahura-Mazda, « le grand dieu qui a créé cette terre ici, qui a créé ce
ciel là-bas, qui a créé l’homme, qui a créé le bonheur pour l’homme, qui a fait
Darius roi ». Et Darius déclare plus loin : « Qu’Ahura-Mazda me
protège, ainsi que ce que j’ai fait »[10].
Il est clair que les Perses rendaient hommage au dieu principal de chacun des
peuples entrés dans l’Empire, pour obtenir son concours ou du moins sa
neutralité, mais c’est à leur dieu national, Ahura-Mazda, qu’ils attribuaient
leurs succès. À ce
dieu, ils prêtaient les mêmes pouvoirs – en particulier celui de Créateur – que
les Juifs à Iahvé. Mais entre les deux divinités, il y avait une différence
considérable. La puissance d’Ahura-Mazda était crédible : on pouvait
penser qu’elle avait permis à son peuple de conquérir un immense territoire ;
celle de Iahvé était sérieusement sujette à caution : son peuple ne
faisait que se morfondre, en obscur vassal, dans un étroit recoin de l’Empire
perse.
Pouvait-on espérer que la domination des Perses ne serait que passagère, comme
l’avait été celle des Assyriens et des Babyloniens, et qu’ensuite Iahvé
réduirait les Perses à néant pour redonner aux Juifs un grand royaume ?
Même cette espérance était fragile. Iahvé avait puni les Assyriens et les
Babyloniens, après s’être servi d’eux, parce qu’ils avaient opprimé les Juifs.
Mais de quoi Iahvé devrait-il punir les Perses ? Il n’y avait rien à leur
reprocher ! Fallait-il alors en conclure que le plus grand des dieux
n’était pas Iahvé mais Ahura-Mazda ? L’admettre a pu être une tentation
éprouvée par certains. La Bible
fait état, dans d’autres circonstances, du ralliement d’Israélites aux dieux
des vainqueurs. Un roi de Jérusalem, vers la fin du VIIIe siècle, après
avoir été battu par les Araméens, s’est dit : « Puisque les dieux des
rois d’Aram les secourent, je leur sacrifierai et ils me secourront », 2
Chroniques 28, 23. Beaucoup de peuples dans le monde – et d’abord dans cette
région – ont disparu avec leur religion pour s’être soumis à d’autres peuples
et avoir adopté leurs croyances et leurs coutumes. Mais chez les Juifs, alors,
religion et identité nationale étaient devenues tellement imbriquées
qu’abandonner Iahvé aurait été l’équivalent d’un suicide collectif. Toute leur
histoire mythique mise désormais par écrit et toutes les paroles de leurs
prophètes ne cessaient de leur répéter qu’ils n’étaient pas comme les autres,
qu’ils devaient se tenir à l’écart des nations étrangères (les goyim),
parce qu’ils étaient promis par leur dieu à un grand destin. « C’est un
peuple qui demeure à part et qui n’est pas compté parmi les
nations » : ainsi se décrivent-ils dans la Bible (Nombres, 23, 9).
Leurs lois contribuaient elles aussi, et tout particulièrement les interdits
alimentaires, à maintenir cette séparation : « C’est moi, Iahvé,
votre dieu, qui vous ai séparés des peuples, et ainsi, vous séparerez la bête
pure de l’impure, l’oiseau impur du pur, et vous ne vous rendrez pas
abominables par la bête, par l’oiseau, par tout ce dont fourmille le sol, bref,
par ce que j’ai séparé de vous comme impur », Lévitique 20, 24-25[11].
Renoncer à cette idéologie qui leur avait permis de supporter beaucoup de
revers et plusieurs catastrophes aurait été renoncer à être eux-mêmes.
Reconnaître qu’ils s’étaient trompés les aurait condamnés à disparaître.
Pour ne pas en venir là, les guides du peuple avaient cherché depuis longtemps
à amender la religion initiale. Ils avaient décrété, sous Josias, que le dieu
national ne supportait aucun rival, et on avait chassé les dieux étrangers. Après
le retour de Babylone, Esdras avait pensé qu’il fallait épurer l’ethnie pour la
rendre digne d’être à nouveau le « peuple de Iahvé » et on avait
chassé les femmes étrangères avec leurs enfants, en interdisant strictement
désormais les mariages mixtes (Esdras 10 et Néhémie 13). Dans le temple
reconstruit, on multipliait les sacrifices expiatoires et les rites de
purification pour respecter les innombrables commandements que Iahvé avait
prescrits, disait-on, à Moïse et que le prophète avait notés : on
disposait maintenant de rouleaux pour enseigner ces lois à tous les Juifs. Que
pouvait-on faire d’autre en vue d’obtenir le pardon des fautes commises par les
ancêtres, de retrouver grâce auprès de Iahvé et de redevenir le grand peuple à
qui Moïse avait dit : « Tu annexeras des nations nombreuses et toi,
tu ne seras pas annexé. Iahvé te mettra à la tête et non à la queue ; tu
seras uniquement en haut, tu ne seras jamais en bas », Deutéronome 28,
12-13 ? Il fallait bien constater que toutes ces réformes et tous ces
efforts étaient restés sans résultats. Rien n’était venu modifier la condition
subalterne et insignifiante dans laquelle le peuple vivotait. Les Juifs
s’étaient-ils trompés en misant tout sur le seul Iahvé ? Le doute, étalé
sur plusieurs générations, a dû être véritable et profond. Un psaume remanié à
l’époque perse peut donner une idée de cet état d’esprit : « Tu nous
a rejetés et couverts de honte (…) Tu fais de nous la fable des nations (…)
Tout cela est arrivé sans que nous t’ayons oublié, sans que nous ayons trahi
ton alliance (…) Réveille-toi ! Pourquoi dors-tu, Seigneur ? »,
Psaume 44, 10-24. L’explication par la culpabilité du peuple a épuisé ses
effets, des voix osent s’élever maintenant pour mettre en cause Iahvé lui-même.
Les interrogations sur le pouvoir réel du dieu étaient d’autant plus
inévitables qu’on voyait, au même moment, les Perses triompher sans commettre
aucun méfait qui aurait pu attirer sur eux le courroux de Iahvé. Bien plus, le
peuple a dû finir par savoir, comme ne l’ignorait pas Néhémie, qui vivait à la
cour de Suse, que les Perses attribuaient leurs succès à leur dieu,
Ahura-Mazda, avec de bonnes raisons de le faire. Cette situation qui a perduré
pendant les deux siècles de l’Empire achéménide a mis en porte-à-faux
l’idéologie qui avait permis aux Juifs de l’Antiquité d’expliquer leurs
malheurs sans remettre en cause la puissance de leur dieu ni l’alliance qui
avait fondé leur identité. Il faut supposer que durant cette période sur
laquelle nous n’avons pratiquement aucun document – elle rappelle les
« siècles obscurs » qui ont précédé la renaissance, au VIIIe siècle, de la
civilisation grecque – une crise intellectuelle a dû se développer et
s’accentuer. Pour la surmonter, il n’y avait que deux voies : abandonner
la doctrine traditionnelle et sacrifier le passé, ou trouver une idée
radicalement neuve capable de sauver, à la fois, le peuple et son dieu. Cette
idée a été le monothéisme.
Il est impossible de savoir quand et par qui cette idée a été formulée pour la
première fois. Il en va de même, souvent, dans l’histoire des sciences, quand
il s’agit d’identifier le ou les auteurs d’une théorie venue dénouer la crise
dans laquelle la recherche s’était enlisée : j’ai avancé ce parallèle en
m’aidant des analyses de Thomas S. Kuhn sur les révolutions scientifiques[12].
Il a fallu du temps pour que la théorie monothéiste se fraie un chemin, du
temps pour qu’elle gagne des adeptes, du temps pour qu’elle s’impose finalement
à tout un peuple, dans la deuxième moitié du IVe siècle, semble-t-il, sinon au début
du IIIe, quand
les Grecs sont venus supplanter les Perses sans que la situation des Juifs
change en quoi que ce soit.
L’adoption du monothéisme par les Juifs a modifié du tout au tout leur vision
du monde. Il n’y avait plus lieu d’interpréter l’Histoire en termes de
rivalités entre dieux protégeant et aidant chacun son peuple. Comparer, en
particulier, le dieu des Juifs et le dieu des Perses n’avait plus de
sens : c’était le même dieu[13],
le Dieu Unique, qui favorisait, selon des desseins connus de lui seul, tantôt
un peuple et tantôt un autre. Cette évidence nouvelle, véritablement
révolutionnaire, perçue par les Juifs et eux seuls, donnait à ces derniers une
clef pour expliquer leurs malheurs passés et présents tout en gardant l’espoir
de retrouver un jour la faveur de la divinité qui les avait fait sortir d’Égypte et les avait dotés d’un grand
pays où ils avaient édifié un puissant royaume. Ce dieu, on cessera peu à peu
de l’appeler « Iahvé », comme on faisait du temps où il fallait,
grâce à un nom propre, le distinguer des autres dieux. On l’appellera désormais
« Dieu » (elohim) ou « Seigneur » (adonaï).
Quand la Tora
est traduite en grec par des Juifs d’Alexandrie, au IIIe siècle avant notre
ère, à l’intention des Juifs d’Égypte
qui ne connaissaient plus l’hébreu, la mutation monothéiste est achevée :
dans la Septante,
« Iahvé » a complètement disparu au profit de théos (« Dieu »)
et de kurios (« Seigneur »)[14].
C’est ainsi que les Juifs ont changé de religion, sans attribuer nulle part
cette innovation à une inspiration divine. Ils ont cru (ou laissé croire), pour
raccorder le présent au passé, que cette vue nouvelle tenue pour la Vérité remontait au Sinaï.
Et ils ont apporté dans ce sens quelques corrections à la Bible : ils ont
réécrit, par exemple, le premier chapitre de la Genèse[15].
Néanmoins, ils ont respecté pour l’essentiel un texte déjà fixé et considéré
comme sacré parce que dicté par Dieu à Moïse. De ce fait, la Bible hébraïque que nous
lisons aujourd’hui est presque entièrement antérieure à l’époque où la croyance
en un Dieu unique est devenue un dogme dans la religion des Juifs – un
millénaire environ après Moïse, si ce prophète a une réalité historique – dogme
qu’ils ont inventé dans le but de tirer Iahvé, et de se tirer eux-mêmes avec
lui, du gouffre où ils étaient descendus ensemble.
Mon hypothèse permet de comprendre que, par la suite, le Dieu unique n’a jamais
cessé d’être considéré par les Juifs comme le Dieu des Juifs avant tout et non
pas comme celui de tous les peuples. La preuve en est qu’au début de notre ère
encore, le temple de Jérusalem, seul lieu où pouvait se célébrer, affirmait-on,
le culte du Dieu Un, était réservé aux seuls Juifs. Les archéologues ont mis au
jour deux panneaux où il est écrit, en grec et en latin : « Qu’aucun
étranger ne pénètre à l’intérieur de la balustrade et de l’enceinte qui
entourent le sanctuaire. Celui qui serait pris ne devrait accuser que lui-même
de la mort qui serait son châtiment[16].
Ce sont les premiers chrétiens qui ont coupé les racines ethniques de Dieu.
Paul surtout, né Juif, a dit et redit dans ses lettres pastorales :
puisqu’il n’existe qu’un Dieu, il est nécessairement le Dieu de tous les
peuples et de tous les individus ; et il n’y a dès lors aucune raison de
faire des distinctions entre les Juifs et les non-Juifs[17].
Cependant, à partir du moment, au début du IVe siècle de notre ère, où un empereur
romain, Constantin, s’est converti au christianisme, le dieu « Dieu »
est devenu progressivement le dieu des Romains, puis des Européens et des
peuples qu’ils ont soumis. Il a de nouveau été la marque identitaire, non plus
d’une ethnie particulière, comme c’est toujours le cas dans le judaïsme, mais
d’un ensemble de nations unies dans le culte du Fils de Dieu. Et l’islam,
au VIIe siècle,
tout en affirmant très fort son attachement au Dieu unique emprunté aux Juifs
et aux chrétiens, a triomphé en fédérant, autour de l’enseignement de Mahomet,
des tribus arabes jusqu’alors rivales, et en les entraînant à la conquête d’un
vaste empire.
Le fait que le monothéisme ne puisse se passer, quoi qu’en disent les théologiens,
d’un enracinement national explique qu’aujourd’hui encore, des peuples qui
affirment vénérer le même Dieu se livrent à des luttes impitoyables pour faire
prévaloir leur propre conception du Dieu Un.