Si
Safwan Masri a fait le bon constat quant à la tunisianité des tunisiens qui les
distingue du reste du monde "arabo-musulman", il se trompe lourdement
quant aux Frères musulmans qu’ils aient changé en devenant démocrates ! Pour changer encore faut-il changer de doctrine : or ils n'en ont pas d'autre; et la chariaa qui fonde leur programme, est vieille de 14 siècles ! Ils ne peuvent la remanier ni la renier au risque de perdre leur raison d'être en tant que parti politique qui instrumentalise la religion.
S’il
admet que la Tunisie est devenue un pays démocratique, il oublie de préciser
que les Frères musulmans plombent la démocratie et le pays ; devenant un
boulet pour la société civile qui par sa vigilance, reste la seule à lutter âprement
contre les dérives rétrogrades et totalitaires des Frères musulmans ; puisque la classe
politique dans sa grande majorité s’est avérée décevante, démissionnaire par
lâcheté, si elle n'était corrompue par les Frères musulmans dont elle devient complice, pour faire la pluie et le beau temps en
Tunisie !
R.B
R.B
La
Tunisie n’est pas un modèle pour le monde arabe
Alors que la
Tunisie célèbre dans une certaine morosité le septième anniversaire du
déclenchement de sa révolution, le 17 décembre 2010 à Sidi-Bouzid,
l’universitaire américano-jordanien Safwan Masri affiche son optimisme sur
l’avenir de la transition démocratique du pays. Mais il met en garde, dans son
ouvrage « Tunisia, an arab anomaly » (Columbia University
Press, New York 2017), contre toute tentation d’en faire un
« modèle » transposable dans le reste du monde arabe. Sa thèse
est que la révolution tunisienne est avant tout le produit d’une
histoire singulière et spécifique n’ayant pas de rapport univoque avec
l’identité arabe. La transition démocratique tunisienne s’explique selon lui,
par des facteurs endogènes difficilement reproductibles.
A l’heure où les Tunisiens se distinguent par leur transition démocratique, votre thèse est que la Tunisie n’est pas un modèle pour le monde arabe. Vous prenez à contre-pied une idée assez convenue. Pourquoi ?
A l’heure où les Tunisiens se distinguent par leur transition démocratique, votre thèse est que la Tunisie n’est pas un modèle pour le monde arabe. Vous prenez à contre-pied une idée assez convenue. Pourquoi ?
Il est difficile, voire impossible, pour un pays de servir de modèle. Chaque pays a ses spécificités propres. Je me souviens de l’époque où l’on présentait la Turquie comme un « modèle » pour le monde arabe en raison de ses succès économiques, de sa laïcité et de sa démocratie.
Ce qu’il faut commencer à questionner, et on le fait de plus en plus, c’est l’identité arabe.
Qu’est-ce que cela signifie ? Bien sûr, il y a des points communs à
travers le monde arabe : une histoire partagée, la langue, la religion,
etc. Mais il y a aussi de vastes différences entre l’Afrique du nord et les pays du Golfe, ou entre ces derniers et
le Levant. Dans ce contexte, la Tunisie a une identité spécifique et aussi plus ancienne
à l’exception de l’Egypte, du Maroc et d’Oman, dont les
frontières n’ont pas beaucoup bougé à travers l’histoire. Dans le reste du
monde arabe, l’Etat-nation a été créé durant la période post-coloniale. La
plupart des pays n’avaient pas d’identité avant la période coloniale.
Et même
l’identité arabe est une invention moderne associée au colonialisme dans les
derniers jours de l’Empire ottoman et ensuite à l’ère post-coloniale. Le
panarabisme est une réponse au colonialisme et à ce qui a suivi. Et à Israël.
Qu’est-ce qui fait, à vos yeux, la spécificité de la Tunisie ?
Pour commencer, la Tunisie est le
produit d’une longue histoire et de plusieurs civilisations. Son histoire
civilisationnelle a souffert de peu d’interruptions avec, par exemple, la même
dynastie des Husseinites qui a régné à partir du début du
XVIIIe siècle [jusqu’à l’abolition du beylicat en 1957] sur
la Tunisie, alors province semi-autonome de l’empire ottoman. Cette dynastie locale
a supervisé une période de réforme significative qui a inspiré les précurseurs
du mouvement nationaliste.
A bien des égards, Habib Bourguiba et ses compagnons
étaient le produit à la fois de ce mouvement réformiste et du pouvoir colonial
français, en tout cas de son système éducatif.
La
« tunisianité », produit de civilisations amalgamées
Il y a donc une continuité, une
progression naturelle, une longue histoire qui définit ce qu’est la Tunisie
d’aujourd’hui. On ne peut pas en dire autant de
la Jordanie, de l’Algérie ou
de la Libye.
La « tunisianité », c’est
ce produit de civilisations amalgamées, la conscience de cet héritage berbère,
carthaginois, arabe. Et, j’insiste, c’est le réformisme qui, influencé au
départ par les puissances étrangères, s’est ensuite développé au tournant des
XIXe et XXe siècle. Ce mouvement a inspiré après l’indépendance de 1956
l’adoption du Code du statut personnel [qui promeut les droits des
femmes] et la mise en place d’un système d’éducation progressiste.
La
« tunisianité », c’est cette identité d’abord et avant tout ancrée en
Tunisie. Elle fait partie de l’Orient mais aussi du Maghreb, de l’Afrique, et
elle est souvent plus proche de l’Europe que des autres pays arabes.
C’est un pays arabe et musulman mais qui a été dirigé par des non-Arabes et des
non-musulmans plus longtemps qu’elle l’a été par des Arabes et des musulmans.
La Tunisie est un mélange qui a produit
quelque chose de très spécifique. C’est pour cela que j’affirme qu’il est
simpliste et réducteur de présenter la
transition démocratique en Tunisie comme un modèle pour le reste du monde
arabe. Comme si les facteurs qui ont permis cette transition pouvaient être reproduits ailleurs.
Alors pourquoi précisément la
Tunisie ? Pourquoi a-t-elle été le théâtre d’une évolution qu’on ne
retrouve pas ailleurs ?
Cette « anomalie » tunisienne
s’explique d’abord par ce que j’appelle des facteurs environnementaux.
Cet environnement, c’est que la Tunisie s’est
détachée du reste du monde arabe en raison de sa distance géographique, de son
association avec le Maghreb mais aussi d’une politique étrangère
propre. Celle-ci ne s’est pas trouvée embrouillée après l’indépendance dans les
grands conflits du monde arabe.
En outre, la Tunisie est un petit pays,
dépourvu de ressources, non-important dans la compétition entre grandes
puissances. Elle n’a donc pas été un enjeu durant la guerre froide comme
l’Egypte ou l’Arabie Saoudite, ou même
l’Iran,
ou d’autres pays riches en pétrole.
Se sont ajoutés à cela des facteurs plus
intrinsèques, propres à la société tunisienne. L’élément-clé a été la société
civile. Il y a eu en particulier le rôle joué par le syndicat Union générale
du travail tunisien (UGTT), né dans les
années 1920 et dont la contribution au mouvement d’indépendance a été
significative.
Même sous les régimes de Bourguiba et de Ben Ali, l’UGTT était
présent dans la vie quotidienne des Tunisiens à travers toutes ses branches
locales. Pour le régime, le syndicat était considéré comme une soupape de
sécurité permettant aux Tunisiens d’exprimer leurs doléances sans menacer le pouvoir.
II y avait donc en Tunisie cette tradition très riche d’une société civile
formée au militantisme.
Enfin, il faut mentionner le
rôle joué par les femmes. La condition des femmes à énormément aidé aux succès
de la révolution et de la démocratie en Tunisie. Il y a derrière une histoire
de la modération. Dès la fin du XIXe siècle, de nombreux réformateurs en
Tunisie étaient issus de l’université islamique de la Zitouna et certains
d’entre eux ont plaidé la cause de l’émancipation des femmes. Et cette
attention portée aux droits des femmes, consacrée en 1956 par le Code du statut
personnel, est allée de pair avec le souci d’une éducation sécularisée,
bilingue, différente de ce qui s’est passé dans les autres pays arabes.
Dès le lendemain de la révolution, la
relation entre l’islam et l’Etat a dominé les débats au
point de structurer le
champ politique. Que pensez-vous de la mutation
des islamistes d’Ennahdha ? Ils affirment s’être convertis à la démocratie.
Nombre de leurs adversaires sont sceptiques. D’autres leur accordent le
bénéfice du doute.
J’évoquais tout à l’heure les facteurs
environnementaux de la Tunisie. Il faudrait ajouter l’homogénéité
confessionnelle d’une population à 98 % sunnite. La
Tunisie ignore donc les fractures sectaires que connaissent la Syrie,
le Liban ou
l’Irak. C’est un premier point. Ensuite, Ennahdha
n’a pas la longue histoire militante qu’ont les Frères musulmans d’Egypte.
Les
islamistes tunisiens étaient à peine apparus sur la scène publique quand la
répression les a frappés dans les années 1980. Ils n’ont pas vraiment eu le
temps de se développer,
contrairement aux Frères égyptiens. Du coup, quand la révolution tunisienne
s’est produite en 2011, l’islam politique n’était pas vraiment installé en
Tunisie de manière significative.
Bien sûr, les choses ont ensuite changé
après le retour d’exil de leur leader Rached Ghanouchi et les élections
législatives de 2011. Et il y a eu l’expérience du pouvoir - la
« troïka » dominée par Ennahdha - et la géopolitique régionale, notamment les
soubresauts en Egypte.
En 2016, Ennahdha réuni en Congrès à Hammamet
annonce qu’il se « spécialise » sur la seule activité politique et se
détache des actions de prédication. Et qu’il se définit désormais comme
un parti démocratique musulman.
Ennahdha s’est adapté, ajusté. Ghanouchi m’a confié que la plus grande leçon
qu’il ait apprise est venue d’Egypte en 2013 quand Mohamed Morsi, le chef
des Frères musulmans, a été renversé.
L’évolution d’Ennahdha est-elle sincère ? Elle peut l’être ou ne
pas l’être. Mais l’important est que ce parti fait les choses qui doivent être
faites. Sa transformation est
bonne pour le pays. Les choses changeraient-elles s’il revenait au
pouvoir ? A cela, les dirigeants d’Ennahdha répondent : nous étions
en position de pouvoir de 2012 à 2014 mais nous avons perdu à cause de l’usage
que nous avons fait de ce pouvoir. Ils pensent désormais qu’ils seraient plus
efficaces en cessant d’être au centre du pouvoir. Ils préfèrent travailler à
l’intérieur de l’establishment. Cela durera-t-il ? Je ne sais pas. Il est
difficile de prédire. Mais pour l’instant, je pense qu’il est important de
relever qu’ils ont évolué et qu’ils se sont démocratisés. Et cela
peut-être un modèle intéressant pour d’autres pays.
Quelles sont à vos yeux les principales
menaces qui pèsent aujourd’hui sur la transition démocratique tunisienne ?
Toute menace qui pèse sur la Tunisie met
en jeu sa transition démocratique. La première est économique. Le marché du
travail est inondé de jeunes gens qui sont diplômés mais n’ont pas
nécessairement les compétences requises pour trouver du
travail. La seconde est sécuritaire, à la fois locale et régionale, avec
notamment le voisin libyen. Et puis il y a la menace de l’instabilité politique
intérieure mais je ne m’en inquiète pas trop. Les Tunisiens ont donné
suffisamment de preuves depuis six ans de leur capacité à se retrouver autour
d’une table, à débattre et
à trouver des compromis.
De nombreux Tunisiens s’inquiètent de
plus en plus d’un enlisement de la transition démocratique, voire d’un retour à
des pratiques de l’ancien régime. Le gouvernement compte un grand nombre
d’anciens ministres ou de cadres de Ben Ali. Le président Béji Caïd Essebsi a
représidentialisé, dans la pratique, la Constitution de 2014. Vous n’y voyez
pas une menace ?
J’admets que de telles inquiétudes sont
fondées. La Constitution est en effet sous tension. Les relations entre la
population et le pouvoir sont sous tension. Mais je n’oublie pas, dans le même
temps, les acquis de la révolution : une plus grande liberté d’expression,
une plus grande liberté personnelle par rapport à ce qui existait sous Ben Ali.
Les Tunisiens oublient parfois que la transition prend du temps. Certains
d’entre eux deviennent un peu trop rapidement négatifs et oublient trop
hâtivement les résultats positifs de la transition.
Sur la présence d’ex-ministres de Ben
Ali au gouvernement, je pense qu’il faut faire la différence entre le fait
d’avoir été associé à Ben Ali et les mérites et l’état d’esprit de ces
personnes dans le contexte actuel. Il ne me semble pas qu’avoir travaillé sous
Ben Ali suffise à stigmatiser quelqu’un, à le considérer comme inapte à exercer aujourd’hui
des responsabilités. Il faut regarder de
plus près : étudier les
mérites de ces responsables et voir comment
ils peuvent s’accorder avec le processus démocratique en cours.
Alors que va-t-il se passer maintenant ?
J’essaie de ne pas faire de prévisions. Ce qui m’intéresse, et c’est ce qui a
motivé l’écriture de ce livre, c’est de comprendre pourquoi la Tunisie a été capable
d’accomplir ce que les autres pays arabes n’ont pas été en mesure de réaliser.
Propos recueillis par Frédéric Bobin
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