Article paru dans : Kapitalis
« Sans la liberté de blâmer il n’est pas
d’éloge flatteur ». Cette phrase de Beaumarchais est d’actualité dans la Tunisie d’aujourd’hui. Il
est regrettable de constater que le pouvoir actuel, comme le pouvoir précédent,
a des velléités de limiter la liberté d’expression.
Les Tunisiens doivent
savoir qu’il y a là un risque majeur de dérive vers une dictature. Ils doivent
être intransigeants pour faire respecter la liberté d’expression et la liberté
de la presse. Car toute atteinte à la liberté de la presse est le prélude
certain à des atteintes à d’autres libertés.
Les tunisiens qui savourent
la liberté d’expression acquise de haute lutte doivent rester vigilants pour
que plus personne ne vienne leur retirer cette liberté.
Tous les pouvoirs ont
une tendance à vouloir éviter les critiques. Ils n’aiment que les journalistes
qui disent du bien d’eux et de leur politique. On sait jusqu’à quel degré était
parvenu le pouvoir de Ben Ali pour empêcher toute critique. La presse quelle
soit écrite ou télévisée ou radiophonique faisait honte par sa servilité, son
absence totale de sens critique et, de fait, comme le disait Beaumarchais les
éloges dont cette presse n’était pas avare, ne trompaient personne et faisaient
rire les tunisiens au fond d’eux-mêmes.
Il est peu probable que
le pouvoir actuel parvienne à un tel recul après ce qui s’est passé et que l’on
se retrouve dans la situation antérieure. Les journalistes, les hommes de culture,
l’ensemble des tunisiens qui apprécient les débats et les informations qui
leurs sont données aujourd’hui, ne le permettraient pas. Mais il faut être
vigilant et lutter contre toutes formes de censure que l’on voit poindre, plus
insidieuses, plus perverses qui n’auront en fait qu’un intérêt limité pour le
pouvoir mais qui dénote un état d’esprit contraire aux libertés.
Pour mémoire, la
tentative du premier Ministre Jebali de mettre ses pions à la tête des médias,
les attaques physiques de journalistes par les salafistes, les
déclarations ici où là pour soutenir que la presse était « hostile »
et entravait le travail du gouvernement….. sont des signes avant coureur d’une
nouvelle dictature !
Des événements récents
démontrent que cette liberté de s’exprimer, si chèrement acquise, est encore
menacée et que les tunisiens doivent se manifester pour faire cesser ces
attaques :
- D’abord un petit
incident sans doute mineur, s’il n’était révélateur d’un état d’esprit. Le
Ministre dit « des droits de l’homme », donc normalement
défenseur de la liberté de la presse, n’a pas hésité à exclure des journalistes
d’une réunion, provoquant le départ de certains participants qui n’ont pas
apprécié la façon dont le ministre traitait la presse. Est-ce inexpérience ?
Volonté de cacher les choses ? Énervement contre une presse qui n’est pas
à sa dévotion ? Sans doute tout cela à la fois.
- Dans le même temps, le
parquet dont on sait qu’il est aux ordres du Ministre de la Justice a fait emprisonner (oui, vous lisez bien emprisonner) le dirigeant d’un organe de presse pour une photo
publiée à la une, prétendument choquante ! Et avec quelle célérité !!
Alors que rien n’a été
engagé par le pouvoir contre un prêcheur, venu d’un autre pays
et d’un autre temps, aux propos encore plus choquants quand il appelle à la
haine des femmes, à l’excision des fillettes…. Actes beaucoup plus grave qu’une
simple photo d’une femme dénudée !
Là, sans doute le
ministre nous invoquera la liberté d’expression !
Deux poids, deux mesures
qui montrent bien le côté complètement rétrograde de ce pouvoir.
- L’arrestation du
directeur d’Attounsia commence à faire le tour du monde et c’est fortement
regrettable pour l’image de la
Tunisie premier pays à avoir fait sa révolution pour les
libertés. New York Times,
Washington Post, Le Figaro et de multiples autres journaux internationaux de
renom ont publié l’information de l’arrestation de leur confrère Nasreddine Ben
Saïda. Ils ont raison de s'inquiéter pour l’avenir des libertés en Tunisie puisque ce
gouvernement commence par vouloir mettre au pas la première d’entre
elles : la liberté de la presse ! Aussi choquante que puisse être la
photo incriminée, les juges avaient toutes une panoplie de lois pour
réprimander l’inconscient directeur…mais sûrement pas de le mettre en
prison !
- Puisque ni Moncef
Marzouki ni Mustapha Ben Jaafar n’ont « bougé », bien que l’un et l’autre
nous avaient assuré qu’ils veillaient et
qu’ils seraient des remparts contre toute atteinte aux libertés ; et que
Hammadi Jebali semble s’en désintéresser, le
CNIIC en appelle à l'Assemblée Constituante pour défendre la liberté d’expression. Mais là non plus pas
de réponse.
- Ce qui est grave c’est que
selon les quotidiens Attounissia et le
Maghreb, qui citent une intervention deM. Trifi sur Shems FM, l’arrestation du
directeur du journal Attounissia était préprogrammée et la décision a été prise
à l’avance. En effet, si tel est le cas, c’est très grave :
cela veut dire que le gouvernement veut pérenniser le système de Ben Ali que
nous pensions fini avec lui !
Le cauchemar que les
tunisiens ont cru fini avec Ben Ali vont-ils accepter de le revivre ?
- Des lois ont été conçues sous la forme des décrets-lois n°115 et n°116. Elles ont été publiées
au Journal officiel de la République Tunisienne. Mais elles attendent une
application effective de la part des pouvoirs publics.
- Le double langage du
gouvernement concernant le secteur de l’information n’augure rien de bon. Les
tunisiens s’en méfient, ils ne l’ont que trop expérimenté avec Ennahdha et ce
depuis la légalisation de ce parti ;
- Dans l’affaire de la radio Ezzitouna, le président de l’INRIC
ne mâche pas ses mots :
« C’est une soumission totale à des
interventions illégales menées par des parties étrangères à ce média public. Ce
qui constitue un précédent grave et inacceptable, surtout que la justice s’est
déjà prononcée sur cette affaire en ordonnant à M. Mohamed Mechfar, proche
collaborateur du fondateur de cette radio, Sakhr El Matri, de remettre tous les
documents en sa possession à Mme Iqbal Gharbi, nommée le 12 septembre 2011 en
qualité d’administrateur judiciaire de cet établissement qui a été empêché
d’exercer ses fonctions par les membres de l’Association religieuse de « l’incitation
au bien et de prévention du mal ».
Bien que Mme Gharbi ait gagné son procès
contre ce groupe devant les tribunaux, le jour du verdict elle a été limogée de
son poste et remplacée et rien n’est fait pour appliquer une décision de
justice.
Concernant les nominations des directeurs et rédacteurs en chef de médias publics,
le président de l’INRIC constate que «la méthode de désignation ne diffère guère
de celle d’avant le 14 janvier ».
- Enfin je peux
attester, pour en avoir souffert moi-même à trois reprises, que sévit actuellement
une pratique qui consiste à censurer sur le net, et notamment en piratant des
pages Facebook, les rendant inaccessibles. Comme par hasard, il s’agit de pages
appartenant à des soutiens du progrès et des libertés. Ceux qui n’ont aucun
argument valable à faire valoir, fuient tout débat honnête et documenté, allant
jusqu’à empêcher les idées de circuler en les bloquant ou pire en les
détruisant en effaçant les comtes qu’ils piratent. Bel exemple
d’ouverture !
Il faudrait que des
journalistes s’emparent de cette question et investiguent. Certes, c’est une
question technique mais elle est primordiale pour que le débat puisse continuer
d’exister entre les tunisiens, qui découvrent la libéralisation de la parole et
aident là où ils sont chacun à son niveau et selon ses moyens à reconstruire un
pays que nous aimons tous.
On sait que dans des
pays comme l’Iran par exemple, l’internet est contrôlé et depuis peu
« coupé », comme cela était aussi le cas dans la Tunisie de Ben Ali. Mais
prenons garde que, par des procédés comme celui dont je fais état , nos
libertés se réduisent.
Voulons-nous que la Tunisie prenne exemple sur
l'Iran ?
Je n’accuse pas
ici le pouvoir dans ses institutions officielles, encore que tous les
instruments de censure de l’internet qui existaient sous ben Ali n’ont pas, semble-t-il,
été détruits ni les agences qui les organisent dissoutes; mais je l’accuse,
à tout le moins, de laisser faire ses partisans et le résultat est le
même : empêcher les gens de s’exprimer librement.
Cela commence doucement,
insidieusement. Cette orientation étant prise par le pouvoir, on peut
légitimement se demander où cela s’arrêtera et s’il ne s’oriente pas vers une
dictature.
Il est choquant que la
jeunesse tunisienne par sa bravoure ait redonné la parole à tous les tunisiens
et notamment à ceux que l’ancien régime bâillonnait et que depuis qu’ils ont
recouvré la parole et pris le pouvoir, à leur tour ils tentent de bâillonner
ceux qui ne partagent pas leurs idées ni
leurs idéaux !
Cela, je le dis haut et
fort, les tunisiens ne l’accepteront pas.
Rachid Barnat
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