Article paru dans : Kapitalis
Le salafisme est un mouvement sunnite politique revendiquant un retour à l'islam des origines, fondé sur le Coran et la Sunna. Aujourd'hui, le terme désigne un mouvement composite fondamentaliste, constitué en
particulier d'une mouvance traditionaliste et d'une mouvance jihadiste. Toutes ces mouvances affirment constituer la continuation sans
changement de l'islam des premiers siècles.
Étymologiquement,
« salafisme » (en arabe : السلفية as-salafiyya)
provient du mot « salaf »,
« prédécesseur » ou « ancêtre », qui désigne les compagnons
du prophète de l'islam Mohamed et
les deux générations qui leur succèdent, c'est-à-dire les 4 premiers califes.
Le salafisme a
constitué, pendant longtemps, la seule opposition politique possible au pouvoir
central en place. Il a souvent contribué à la chute des dynasties régnantes
aussi bien en Orient qu’en Occident, comme en Espagne, en soutenant que le
dirigeant s’écartait de la vraie foi ; et qu’il fallait le chasser au
besoin par les armes. Utilisant pour cela la religion en l’interprétant, à leur
manière, toujours dans un but politique.
Les salafistes se revendiquent du premier d’entre
eux, le « salaf » Omar Ibn El Khattab,
qui était compagnon et beau père du prophète par sa fille Hafsa. Il a pris
le pouvoir en s’imposant par le sabre. C’est ainsi qu’il est devenu le deuxième
Calife des musulmans, instaurant par la même, le régime théocratique en
s’accaparant à la fois le pouvoir temporel mais aussi le pouvoir spirituel.
Charge qu’il décrétera héréditaire, alors que strictement rien dans le Coran ne
permet cette interprétation.
Ainsi, depuis, les salafistes prônent la violence
comme moyen d'accéder au pouvoir.
Le salafisme prendra la forme que nous lui
connaissons de nos jours, au milieu du 18ème siècle sous la houlette
de Mohamed Abdel Wahhab qui reprenant les thèses d’Ibn
Taymiyya, donnera naissance au
salafisme wahhabite. Même son père et son frère, eux mêmes jurisconsultes,
rejetteront ses idées les jugeant extrémistes et dangereuses.
Après
la mort de son père, dans un livre intitulé « Ettawhid » (l’unicité
d’Allah), il lancera son mouvement dont l’objectif était de réformer les
pratiques religieuses de la société de Nejd, autour d’un concept
simplificateur : « l’unicité de dieu » parce qu’il était
« scandalisé » que les hommes de Nejd pratiquent le culte des morts
au point d’en faire des intercesseurs entre eux et dieu, et de s’en remettre à
eux pour toutes décisions importantes ne comptant plus sur eux-mêmes. Ce qui
était à ses yeux une hérésie à combattre.
Le
wahhabisme est né dans une société tribale d’Arabie, dans un milieu naturelle
et hostile, parmi des hommes endurcis, en lutte perpétuelle pour la survie.
Société qui n’était pas colonisée ni soumise à aucun pouvoir central.
Cet
imam expliquait le déclin de la civilisation arabo musulmane par l’éloignement
des musulmans de leur religion parce qu’ils se sont endormis sur leurs
lauriers. Et pour retrouver la prospérité des temps premiers de l’islam
conquérant, il fallait revenir, selon lui, à des pratiques plus rigoureuses des
préceptes de l’islam du début. Pour cela, il prônait le renouveau du jihad
et le retour aux sources.
Ainsi
il va refaire une lecture littéraliste du coran et reprendre textuellement la
chariâa née de l’exégèse des compagnons du prophète et des 4 premiers
califes « arrachidoun » (les sages). S’adressant à des hommes
rustres et frustes, il va écarter tout « ijtihad » (effort
intellectuel) et toute dialectique ; prohibant même la philosophie trop
compliquée pour eux, et je suppose pour lui aussi ; et cela contrairement
aux injonctions du Coran lui-même qui incite le musulman à la lecture et au
savoir, puisque la première sourate commence par l’injonction : «
Lis » !
Le
seul jihad qu’il prônera réellement c’est la lutte armée contre les mécréants.
Il a permis la violence et l’utilisation de l’épée contre ceux qu’il qualifie
de « kouffar » (mécréants), tous ceux qui ne pratiquent pas
leurs obligations religieuses : les 5 prières, la « zakat »
(l’aumône) … leurs biens pouvant leur être confisqués … Il décrétera « halal »
(licite) leur sang, tant qu’ils ne se seront pas « repentis » et
revenus à la pratique qu’il préconise, c'est à dire le wahhabisme.
Ce
qui est inadmissible dans le sunnisme où malgré les querelles d'écoles qui
peuvent se condamner les unes les autres, les imams ne vont pas jusqu’à
s'excommunier, car dénoncer un homme comme infidèle « kafir »,
est un acte si grave qu'il rend licite sa mise à mort.
Ce
dont usent et abusent pourtant les salafistes wahhabites.
Cette
doctrine est manifestement contraire au Coran qui dispose clairement :
"Lâ ikrâha fî d-dîn" (Pas de contrainte dans la religion). Sourate 2, « La Vache » ; verset 256.
Il trouvera dans la tribu guerrière des Ibn SAOUD, connue par
ses farouches guerriers, un allié pour propager sa nouvelle doctrine : le
wahhabisme. Il y aura même un deal entre les deux tribus : celle d’Abdel
Wahhab reconnaît aux Ibn SAOUD le pouvoir temporel sur les tribus d’Arabie, et
celle des Ibn SAOUD reconnaissant à l’Imam Abdel Wahhab le pouvoir
spirituel ; charge aux Ibn SAOUD de diffuser le wahhabisme. Le drapeau de
la monarchie Saoudienne n’est-il pas l’emblème de ce
« mariage » : la couleur verte et le texte renvoient à l’imam et
le sabre renvoie à la tribu du roi Ibn SAOUD.
Très
vite le wahhabisme s’est répandu dans toute l’Arabie jusque dans les pays du
Golfe. Puis, il s’est arrêté à ces contrées. Il a été combattu du vivant de son
fondateur et longtemps après, par les oulémas maghrébins, de Damas … par les
ottomans, le bey de Tunis … tous y voyant un danger pour les musulmans.
Faut-il rappeler que le Bey de Tunis répondit à Mohamed Abdel Wahhab,
qu’il n’a rien à apprendre aux tunisiens, après que les oulémas de la plus
grande université théologique d’Afrique, la Zitouna, l’avaient mis en garde contre l’obscurantisme et
la dangerosité de sa doctrine.
Il
faut attendre les deux guerres mondiales et la découverte de l’or noir pour
voir les Ibn SAOUD reprendre à nouveau le leadership dans la région. Puisque le
chef de la tribu Ibn SAOUD chassera le roi du Hijez et prendra sa place avec
l’aide des anglais ; et les américains conscients du potentiel de l’Arabie
en hydrocarbure, feront un accord avec ce roi : sécurité contre pétrole.
Accord toujours en vigueur, les américains assurant la sécurité du nouveau
royaume contre un pétrole à volonté et à un prix « ami ».
Cette
monarchie va asseoir son pouvoir grâce au wahhabisme. Comment ?
Des
associations vont se créer à travers le royaume pour policer la société. Ainsi
des gardiens de la morale vont se déployer à travers tout le pays. Le nom de
ces milices est évocateur « Al amr bel maârouf, wa ennahy alil monkar »
(ordonner le bien et interdire le mal) fondement simpliste de la doctrine
d’Abdel Wahhab.
Ayant
clôt « l’ijtihad intellectuel» (l’exégèse), les adeptes du wahhabisme
vont développer un programme « clef en main », à l’usage d’un peuple
inculte où tout est minutieusement annoté pour régenter la pratique de la foi « du
bon musulman » au quotidien, de sa naissance jusqu'à sa mort. Des opuscules
mêmes sont édités et distribués gratuitement ou à un prix modique, pour y
trouver les consignes d’observance stricte des pratiques « halal »
(licites) et des pratiques « haram » (illicites), auxquelles
ils ont réduit l’islam !
Ce
système a pu prospérer dans ces régions (L'Arabie et son Golfe arabique) parce
que leurs sociétés fonctionnent toujours sur un mode tribal où les hommes sont
encore primitifs et incultes dans leur immense majorité. Ce qui permet à une
minorité de s’arroger le droit d’en être les tuteurs et de veiller tel un
berger sur un troupeau où l’individu n’existe pas et doit s’effacer devant le
groupe et se soumettre au chef.
Ces
associations renient la nation, la république, ses lois civiles et
ses règles telle que la démocratie ! Ils veulent un retour aux
pratiques ancestrales traditionnelles d’avant l’apparition de ces concepts.
Le
wahhabisme saoudien s’est basé sur des pratiques simplistes : ses adeptes
occupent avec le « halal » (licite) et le « haram »
(l’illicite) l’esprit des hommes pour les empêcher de toutes réflexions ou
toute activité intellectuelle qui les détourneraient de dieu ... au profit du
roi mais, aussi (le savent-ils ?), au profit de l’étranger. C’est ainsi
que les américains profitent de l’ignorance et de la soumission de ces peuples
assis sur un tas d’or noir.
Ils
s’auto-proclament oulémas de l’Oumma au dessus des lois de l’état.
Traitant la masse comme un troupeau qu'ils se doivent de diriger. Les trois domaines de prédilection où
ils interviennent régulièrement, sont :
- le vin,
- la femme, source de tous les maux pour une
société, et
- le chant (et par extension tous les arts).
Bref, tout ce qui peut distraire le croyant et
l’éloigner de dieu, pensent-ils.
Or
un vrai « alem » (singulier de Ouléma), est un savant
qui touche à tous les savoirs de son époque et apprécie tous les arts
aussi : chant, poésie, danse ... Ce qui n’est malheureusement pas le cas
de ces nouveaux oulémas starisés par les chaînes qataries, saoudiennes … incultes
souvent, au cursus « scolaire » douteux, mais autoproclamés « alem »
et guide spirituel, parce qu’ils se sont distingués par leur verve ; et se
prennent pour des théologiens pour avoir lu le coran et la chariâa, leur unique
« culture ».
Ce
qui est le cas du prédicateur le plus en vogue actuellement, l’autoproclamé cheikh Youssef
al-Qaradhaoui, qui prétend face au journaliste
qui anime avec lui l’émission en vogue « La chariâa et la vie », que
le savant est au-dessus des lois et des rois; puisqu’il est le dernier recours
pour dire et expliquer comment être un bon musulman !
N'est-il pas au
fait de la chariâa ?
Étonné, le
journaliste lui précise qu’un imam ne peut être au dessus du roi; puisque c’est
lui qui le rétribue. Imperturbable et sûr de lui, notre cheikh affirme qu’il ne
doit rien au roi … puisqu’il est payé par l’institution qui fait appel à ses
services, en l’occurrence la chaîne Al Jazeera ! Belle supercherie et belle
hypocrisie quand on sait que ce médias est propriété personnelle de l'émir du
Qatar, qui lui sert de porte-voix à sa politique.
Sous
couvert d’association culturelle, se cache au fait des associations gardiennes
de la morale comme il en existe dans les pays du Golfe et d’Arabie ; que
ceux-ci ont développé en Somalie, en Afghanistan, au Pakistan … Pays où
l’Arabie et son rival le Qatar tentent d’étendre leur hégémonie.
Dans
les pays du printemps arabe, de telles associations sont financées par les pays
du Qatar (en Egypte et en Tunisie) mais aussi en Algérie … l'une d'elles, vient
d'être légalisée en Tunisie par le gouvernement GHANNOUCHI.
Ces
associations, par une lecture sommaire du coran et des hadiths, ignorent à
dessein, toutes les sourates qui annulent leur idéologie ou ne les soutiennent
pas : ainsi ils interdisent l’accès au savoir pour les femmes, ce qui est
arrivé à la directrice de la radio « Zitouna » qui a été
accusée de mécréance et chassée de son poste sous l’insulte des barbus ... et
qui ne peut récupérer son poste malgré un jugement en sa faveur mais que le pouvoir en
place ne fait rien pour le faire respecter !
Or
que fait le gouvernement dominé par Ennahdha ? Il livre la Tunisie à
toutes sortes de prédicateurs souvent obscurantistes, au nom de la liberté
d’expression ... à moins que ce ne soit la volonté de leurs amis qataris et
saoudiens contre laquelle GHANNOUCHI et ses hommes ne peuvent pas grande chose.
Ainsi les tunisiens
vont recevoir le 3 mai le prédicateur vedette d’Al Jazeera, Youssef al-Qaradhaoui, connu pour ses diatribes contre les femmes et que
de nombreux pays ont chassé de chez eux ou lui ont interdit de venir corrompre leur peuple par son obscurantisme.
Surprise
! Dans l’émission « Ta ammoulat fiddin wa siasa » (Observations
en religion et en politique), sur la chaîne « Al Hiwar TV »,
consacrée à Mohamed Abdel Wahhab, GHANNOUCHI semble se démarquer de celui-ci et
de son mouvement. Alors il faut qu’il cesse lui et ses hommes d’entretenir
une ambiguïté dangereuse pour la Tunisie et d'avoir toujours un double langage !
Peut-on
le croire lorsque l’on voit les salafistes envahir de nombreuses mosquées et
commettre de nombreuses agressions sans que le pouvoir ne réagisse
vraiment ? Peut-on le croire alors que dans le même temps sont
invités en Tunisie des prêcheurs dont nul n’ignore qu’ils sont salafistes
wahhabites ? Alors que récemment il rendait un hommage vibrant à Abdallah
Ibn Baz ancien mufti wahhabite
des Ibn SAOUD ?
Va-t-il
laisser prospérer le wahhabisme aussi bien dans nos mosquées que dans les
écoles coraniques ainsi que dans les associations pour submerger le
traditionnel malékisme des tunisiens, alors qu’il sait ce qu’en pensent le père
de Mohamed Abdelwahhab, ainsi que son frère et tous les oulémas de son époque,
de sa sulfureuse doctrine ? Et que lui-même semble désapprouver ? Alors
qu’il est très clair que ce mouvement est contraire à de nombreuses dispositions
du Coran et n’est en réalité qu’un mouvement politique violent et agressif.
Or
on sait que tous les mouvements salafistes au cours de l’histoire ont été
toujours repris et refondés selon les interprétations de leur chef de file. Les
chefs ayant une lecture différente du coran et de la sunna, rejettent toujours
celles de leurs prédécesseurs que souvent ils qualifient de mécréants ou
d’apostats … et les excommunient pour avoir fait une autre lecture que la
leur ... façon habile pour les chasser du pouvoir et prendre leur place !
Où
cela va-t-il s’arrêter ?
Ne serait-il pas temps de laisser ces débats
intellectuels aux intellectuels et de laisser les sociétés s’organiser atour de
règles claires qu’elles se donnent pour vivre ensemble sans s’entre-déchirer
pour des questions religieuses ... pour pouvoir s’occuper des vrais problèmes
du moment ?
Le
seul moyen de prémunir la Tunisie de ces dérives, est de maintenir l’article 8 de
la constitution de 1959 en
complément de l’article premier maintenu par les constituants sous la pression
de la société civile et du peuple.
Rachid Barnat
Lire : Les salafistes : pires ennemis de l'islam
"Al-halal Wa Al-haram" (Le licite et l’illicite), livre écrit dans sa jeunesse par le cheikh Youssef Qaradhawi
"Al-halal Wa Al-haram" (Le licite et l’illicite), livre écrit dans sa jeunesse par le cheikh Youssef Qaradhawi
Le danger pour la Tunisie vient du salafisme que Ghannouchi et ses hommes veulent installer dans la société tunisienne pour rassurer leurs amis saoudien et qatari que notre révolution inquiète !
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