Par Nizar BAHLOUL
Voilà maintenant deux
ans que la révolution a eu lieu. Avant, au début, on l’appelait la révolution
du jasmin. Puis la révolution qui a ouvert la voie au printemps arabe. Et puis,
par on ne sait quelle magie, on n’utilise plus les termes jasmin et printemps.
Les mots ont un sens et il va falloir faire attention aux moindres détails,
quand on parle de cet anniversaire de la révolution tunisienne. Faut-il écrire
on « fête » le 14 Janvier ou on « commémore » le 14 Janvier ?
A regarder de près la
scène politique et sociale tunisienne, et à quelques exceptions près (et on
sait lesquelles), on ne voit vraiment pas d’esprits prêts à faire la fête.
Qu’ils soient du côté du pouvoir ou de l’opposition, des révoltés ou des
simples citoyens, les Tunisiens sont en train de compter plutôt les échecs que
les succès de cet anniversaire.
Les Islamistes au
pouvoir
Certains d’entre eux
ont payé le lourd tribut de leurs actes terroristes du passé. D’autres ont pu
s’enfuir à l’étranger et passer entre les mailles du filet. Ils ont tous
bénéficié de l’amnistie pour se trouver, du jour au lendemain, au pouvoir. Ils
n’ont jamais milité pour la démocratie et les Droits de l’Homme, encore moins
pour le développement du pays. Ils avaient un idéal et ont tout fait pour
l’atteindre.
Maintenant qu’ils sont
aux commandes de l’Etat, ils se rendent compte que l’islamisation du pays et le
califat sont impossibles à obtenir. Du moins dans l’immédiat.
Ils ont été lâchés par
leurs « amis » saoudiens et qataris, ils doivent faire face à l’opposition
farouche de l’intelligentsia (qui a entre les mains l’économie et les médias)
et sont obligés de se soumettre aux règles que leur imposent les partenaires
occidentaux (sans qui rien ne peut se faire).
Aujourd’hui, les
islamistes au pouvoir sont dans l’obligation de faire le constat suivant : ils
ont beau avoir réussi aux élections, ils ont échoué dans tout le reste. Cet
anniversaire aura mis à nu, devant la planète entière et leurs concitoyens,
leur inexpérience, leur amateurisme et leur cupidité. L’échec est cuisant.
Les sympathisants
islamistes
Pendant des décennies,
ils croyaient que des gouvernants pieux pouvaient garantir une bonne marche du
pays et du développement. Ils ont longtemps cru qu’avec des gouvernants
islamistes, on allait en finir avec la débauche, les malversations et la
corruption.
Après un an, les
sympathisants islamistes sont désabusés. Les scandales se suivent et se
ressemblent. Des gouvernants qui font des affaires, qui lancent des télés, qui
se paient des nuits d’hôtel sur le dos du contribuable, qui font dans
l’adultère, qui font preuve d’injustices, qui s’accordent des royalties et
s’augmentent les salaires, qui ne savent pas gouverner. En somme, les
Islamistes au pouvoir sont comme les autres, la compétence en moins. « Au
moins, sous Ben Ali, on ne s’insultait pas entre Tunisiens et on avait de quoi
subvenir bon an mal an, à nos besoins et même nos conforts tels la voiture
populaire et l’accès à la propriété », témoigne un ancien sympathisant
d’Ennahdha. Pour eux, et jusqu’à preuve du contraire, la révolution est un
échec.
Les Salafistes
Ils rêvent d’anéantir
l’Etat, de supprimer la
Tunisie et son drapeau et d’unir la nation islamique. Pour
eux, le 14-Janvier était le jour où l’islam politique allait trouver sa
splendeur du Moyen-âge. Que la
Chariâa allait devenir « la » loi. Qu’on n’allait plus parler
de démocratie. Qu’on allait en finir avec le diktat occidental. Qu’on allait en
finir avec tous ces mécréants, ces athées, ces laïcs. Qu’on allait égorger et
pendre sur les places publiques.
Le rêve s’est
poursuivi avec le succès électoral du partenaire islamiste.
Deux ans après, le
constat est là. La Tunisie
de « la débauche » continuait à résister. Les « kouffars » sont encore là, les
Occidentaux continuent à dicter leurs lois. Les bars et les bordels continuent
d’exercer. La Tunisie
n’est pas encore islamisée, les gouvernants continuent à les harceler et les
torturer et, pire, leurs pairs salafistes meurent en prison, exactement comme
c’était le cas sous Ben Ali.
Pour eux, rien n’a
changé, tout reste encore à faire. La révolution est un échec.
Les révoltés du CPR,
LPR et Wafa
Ils voulaient
installer des potences à l’avenue Habib Bourguiba. Ils voulaient du sang. Ils
voulaient mettre en prison tous ceux qui ont collaboré avec Ben Ali. Ils
voulaient mettre en dehors du circuit tous ceux qui ont aidé d’une manière
directe ou indirecte Ben Ali à instaurer son despotisme.
Pour eux, les juges,
la police, les médias, les hommes d’affaires sont à exclure de la vie
politique, économique et sociale de la Tunisie révolutionnaire. Sans autre forme de
procès. On exécute d’abord, on discute après.
Pour tous ces
révoltés, la révolution n’a pas atteint « ses » objectifs. Dans leur tête, ce
sont eux qui fixent les objectifs de la révolution, ce sont eux les Tunisiens
patriotes, ce sont eux qui doivent être aux commandes. La révolution est un
échec pour eux, elle n’est pas encore achevée, tant que ces hommes d’affaires,
ces juges, ces tortionnaires et ces médias sont actifs. L’idéal est de dresser
les potences.
Les Républicains, les
démocrates, la gauche, les laïcs
Dans ce camp, vous
n'en trouverez pas un qui vous dira que le 14-Janvier n’est pas un jour de
deuil. Après avoir superbement raté les élections, ils font face à tous les
autres camps qui précèdent. Ils se croient plus intelligents et plus cultivés
que tous les autres. Ils se croient plus aptes à gouverner. Dans les faits, ils
sont incapables de s’opposer d’une manière efficace et productive.
Si l’opposition de
gauche était capable de bien diriger le pays, elle aurait su trouver le moyen
d’éjecter du pouvoir les « incompétents » qui le gouvernent. Pire, dans ce
camp, on continue à s’entretuer et à mener la guerre interne d’égos, plutôt que
d’affronter, unis, l’adversaire commun.
Dans ce camp, le
14-Janvier est pire qu’un échec global, c’est une somme d’échecs individuels.
Le commun des
citoyens, le « petit » peuple…
La moitié des
Tunisiens ne s’est pas déplacée aux urnes. On ne fait pas encore confiance aux
hommes politiques, quels qu’ils soient. Pour le commun des citoyens, un bon
gouvernant est un gouvernant qui ramène l’investissement et le développement,
qui tue le chômage. Qu’il ne soit pas injuste et ne met pas en prison des
innocents. Un bon gouvernant est celui qui pense à l’avenir du pays avant son
avenir personnel. Qui pense à améliorer le niveau de vie des citoyens, avant
d’augmenter son propre salaire, qui soit honnête et réalise ses promesses. On
n’en est pas là.
Qu’ils soient au
pouvoir ou dans l’opposition, les hommes politiques ne pensent qu’à leurs
propres carrières et non à la
Tunisie et ses citoyens. Qu’ils soient RCDistes ou
Islamistes, c’est kif-kif. Tous pareils ! Tous pourris. Pour les citoyens
ordinaires, ceux qui travaillent en silence tôt le matin jusqu’à tard le soir,
la révolution est un échec, c’était mieux avant !
Malgré tout cela, nos
gouvernants vont avoir demain le culot de nous souhaiter une joyeuse fête, de
nous dire que la Tunisie
a le meilleur gouvernement de l’Histoire, de nier les évidences. Ils auront le
culot de nous dire qu’ils sont optimistes pour l’avenir du pays et que l’on
doit leur faire confiance et patienter. Patience alors ! De toute façon, ça ne
peut plus durer…
N.B : Pensée à Sami Fehri, Nabil Chettaoui, les salafistes
et beaucoup d’autres, sous les verrous depuis des mois, en attente de leurs
procès.
Je trouve cette analyse saisissante de réalisme. C'est, en effet, tout ce que pensent les tunisiens en ce jour anniversaire. Mais je pense que si l'analyse est juste le projet est critiquable et il faut donner au peuple des raisons de croire . L’opposition est certes mauvaise mais il faut la soutenir, la pousser à l'union car c'est la seule voie de salut.
RépondreSupprimerLA TUNISIE, PAYS DÉMOCRATIQUE ?
RépondreSupprimerHammadi Redissi : " Non, tant que les libertés individuelles ne seront pas respectées " !
http://www.letemps.com.tn/article/99612/%C2%AB-la-r%C3%A9volution-est-termin%C3%A9e-la-d%C3%A9mocratie-peine-%C3%A0-triompher%C2%BB
14 JANVIER 2011 - 14 JANVIER 2020 : triste anniversaire !
RépondreSupprimerVoilà 9 ans que les tunisiens ont dégagé Ben Ali et ses 40 voleurs, pour installer une nouvelle dictature, islamiste cette fois-ci et donner le pouvoir à Ghannouchi et ses milliers de voleurs !
"La révolution du Jasmin" démarrait en Tunisie, initiant "Le Printemps Arabe", qui va toucher l’Égypte, le Yémen, la Syrie, la Libye ... et comme par hasard ce sont des Républiques, épargnant les pétromonarchies !
Pour quels résultats ? La liste serait longue pour énumérer tous les échecs, toutes les régressions, le dinar qui plonge et n'en voit pas la fin ...
En guise de démocratie, c'est la corruption qui s'est généralisée et démocratisée.
Le seul acquis : la liberté d'expression !
Hayet Letaief :
On fête quoi, au fait ?
Ghannouchi qui accorde à son neveu le titre de ministre avec tous les avantages de la fonction ?
Les milliards accordés par la France pour la lutte pour les droits de l'homme et dont la moitié a été versé sur le compte d'une association présidée par la fille de Ghannouchi ?
L'argent/don chinois que Bouchlaka, gendre de Ghannouchi, a volé, confondant son compte bancaire personnel avec celui du ministère des Affaires Étrangères ?
El jihaz a'sserri / Services secrets parallèles d'Ennahdha ?
De quelle démocratie parle-t-on ?
De quelle révolution ?
Est-on sur la bonne voir ? J'en doute fort !