Avocat en
droit des affaires internationales
ISLAM -
Il y a à peine deux ans, les politiques, les intellectuels et les journalistes
faisaient très attentivement la différence entre islam et islamisme, entre être
musulman et être islamiste. On disait bien que les islamistes ne représentaient
pas les musulmans, aussi bien dans leurs pays d'origine que dans le cas de
l'islam de France.
A juste
titre, chacun assénait "pas d'amalgame", et tout le monde répétait
studieusement que les islamistes sont une minorité extrémiste qui ne doit
jamais être confondue avec la majorité des musulmans paisibles et tolérants...
Tel ne
semble plus être le cas depuis deux ans. Plus particulièrement depuis les
révoltes arabes qui ont chassé les dictatures et consacré les islamistes.
Que le
"printemps arabe" rende les islamistes fréquentables et même
honorables, cela peut se comprendre d'un point de vue utilitariste et selon la
logique bien machiavélienne des fins par rapport aux moyens. Mais que les
concepts subissent à leur tour une si rapide altération, cela dénote un cynisme
bien dommageable au regard de la raison.
De tels
réajustements conceptuels sont non seulement désobligeants à l'égard des
sociétés arabo-islamiques qui aspiraient à la liberté et à la démocratie, et
non guère à l'islamisme, mais ils sont intrinsèquement porteurs de subversions
qui peuvent affecter l'islam de France.
La
terminologie, plus exactement son contenu, ne doit pas évoluer au grès des
caprices de l'histoire, ni s'adapter aux exigences de la realpolitik.
Un scorpion s'appellera toujours un scorpion même lorsque toute cette espèce
des arachnides sera apprivoisée au point de partager notre lit. Idem du 1+1 qui
feront toujours deux, même après un cataclysme universel.
Il est
vrai que, bien avant le "printemps arabe", on parlait déjà
d'islamisme modéré, et pas seulement au sujet de l'AKP qui
est au pouvoir en Turquie. Quelques mois avant son départ, Madeleine
Albright disait vouloir discuter avec les "talibans
modérés", ce que fait d'ailleurs actuellement l'administration
américaine pour se dégager de ce bourbier.
D'où
aujourd'hui la métastase interminable des "istes": l'islamiste n'est
pas l'intégriste, lequel n'est pas le fondamentaliste, qui n'est pas salafiste,
qui n'est pas forcément le djihadiste, lequel n'est pas toujours un terroriste
... Même si elle traduit une vague réalité, cette division cellulaire entraîne
la confusion totale dans l'esprit de l'observé comme dans celui de
l'observateur, ce qui rend la restitution des sens premiers une tâche urgente
et salutaire.
L'islam,
d'où moins dans sa version sunnite ultra majoritaire, nous savons tous ce qu'il
est. Une forme de monothéisme rigoriste, qui n'instaure aucun corps ecclésial
entre Dieu et l'homme et dont la croyance est basée sur l'unicité absolue de
Dieu, la sacralité indiscutable du Coran et l'authenticité de la prophétie
mohammadienne.
Etre
musulman, c'est tout simplement reconnaître qu'"Il n'y a de Dieu qu'Allah
et que Mohamed est son prophète". Etre musulman pratiquant, c'est ajouter
à cette profession de foi, la pratique de ces quatre obligations : la prière,
le jeûne, l'aumône et le pèlerinage à la Mecque.
L'islamisme,
nous savons aussi ce qu'il est doctrinalement et indépendamment des formes
extrêmes ou minimales qu'il peut prendre, selon le contexte historique,
sociologique, politique et culturel où il s'implante.
Le
fondement de la doctrine islamiste, c'est le lien indissociable et irrémédiable
du religieux et du politique en vue de réaliser ici-bas la "cité
idéale" dont le paradigme reste Médine au temps du prophète. Aux cinq
préceptes religieux déjà mentionnés, l'islamiste ajoute un sixième que
Dieu aurait oublié : le combat des infidèles, qu'ils soient musulmans ou pas,
pour instaurer la souveraineté de Dieu sur terre. C'est d'ailleurs au nom de ce
sixième précepte, appelé "l'obligation absente", que les Frères
musulmans ont assassiné Sadate.
L'islamisme
est donc par essence une utopie messianiste, universaliste, théocratique et
totalitaire. Ce n'est pas la religion, mais une "religion séculière"
dans le sens que Raymond Aron assignait à ce terme. L'islamiste n'est pas le
citoyen d'un pays mais le fidèle à une communauté. Pour lui, la loi de Dieu
transcende et ordonne les lois humaines. Entre foi et loi, son choix est vite
fait.
Voilà
pourquoi il existe une opposition irréductible et un antagonisme radical entre
la laïcité et l'islamisme. En revanche, on peut tout à fait être musulman et
laïc. A moins de considérer que la sécularisation est impossible en terre
d'islam et que les musulmans sont condamnés à la réclusion identitaire à
perpétuité, on devrait soutenir ce principe auquel croient beaucoup de
musulmans traversés par le "printemps arabe".
A plus
forte raison en Europe, et plus particulièrement en France !
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