Pr Alaya
Allani
historien, professeur à l'université de Tunis
spécialiste des questions islamiques.
Selon lui,
ce qui se déroule en Égypte aura, à des degrès différents, des répercussions
sur la Tunisie.
INTERVIEW -
LE
FIGARO.
La
Tunisie peut-elle être influencée, voire contaminée, par ce qui se passe en Égypte?
Alaya
ALLANI.
En Tunisie, nous sommes entrés dans la deuxième
phase de la révolution, que je qualifie de révolution corrective. L'Égypte est le premier pays à engager
cette phase. Comme la Tunisie, d'où est parti le printemps arabe, a influencé l'Égypte, ce
qui se déroule en Égypte aura des répercussions, à des
degrés différents, sur la Tunisie. Au XIXe siècle, ces deux pays ont été
les premiers dans le monde arabe à avoir adopté une Constitution. À cette même
époque, dans ces deux pays, s'est affirmé un mouvement réformiste qui a touché
l'islam et la politique. La Libye va être obligée de suivre et de se
transformer graduellement. À terme, c'est toute l'Afrique du Nord qui est
concernée par cette révolution en mouvement.
LE
FIGARO.
Est-ce à
dire que les islamistes d'Ennahda vont prochainement perdre le pouvoir en
Tunisie?
Alaya
ALLANI.
Ce qui se passe en Égypte annonce sans doute le début de la fin de l'islam politique dans les
pays du printemps arabe. Le mouvement islamiste a démontré son incapacité à
instaurer la sécurité ainsi qu'un développement économique et social. La
sanction pour Ennahda viendra sans doute plus des
urnes que de la rue. Mais des violences ne sont pas à exclure. Ennahda va être
obligée de faire de nouvelles concessions, sans céder sur l'essentiel à ses
yeux, la référence islamique. Les Frères musulmans confondent toujours la
sécularité et la laïcité.
LE
FIGARO.
Les
islamistes d'Ennahda sont-ils si proches des Frères musulmans égyptiens?
Alaya
ALLANI.
Rached
Ghannouchi, le fondateur d'Ennahda, est le représentant tunisien à
l'Internationale des Frères musulmans. Ennahda et tous les Frères
musulmans ont les mêmes principes idéologiques. À l'origine, ces mouvements
avaient le même mode organisationnel dans tous les pays du monde arabe. Les
Frères musulmans croient à l'État islamique fondé sur la charia, mais chaque
mouvement adopte son propre agenda, en fonction de la nature des différentes
sociétés. Ennahda n'a pas renoncé à la charia, il a simplement reporté son
instauration.
LE
FIGARO.
Ghannouchi
fait valoir qu'Ennahda s'est alliée à des partis démocratiques «modernistes» et
que cette stratégie permet d'éviter l'affrontement?
Alaya
ALLANI.
C'était plus une alliance de forme que de fond. Ennahda
reste la pièce maîtresse dans la troïka. Tous les postes clés du premier
gouvernement étaient confiés à des nahdaouis et 80 % des nominations dans
la haute administration ont favorisé des islamistes. Dans le nouveau
gouvernement, les ministères régaliens ont été cédés à des «indépendants», mais
Ennahda a d'autres moyens de contrôle et s'est bien gardée de céder le
ministère des Affaires religieuses.
LE
FIGARO.
Le poids
et la nature de l'armée, en Égypte et Tunisie, sont toutefois une différence
essentielle entre ces deux pays?
Alaya
ALLANI.
Assurément. L'armée n'est jamais intervenue dans les
affaires intérieures tunisiennes depuis un demi-siècle, sauf deux fois, très
ponctuellement, et à la demande du pouvoir politique. L'armée égyptienne n'est
pas seulement une institution, c'est une force économique, qui peut prêter au
gouvernement. Sa richesse est évaluée à 20 % du PIB. Ajoutons deux autres
différences: la situation socio-économique est beaucoup plus
détériorée en Égypte, même si la Tunisie a connu des mouvements de révolte
dans les régions défavorisées qui avaient déclenché la révolution. La fragilité
sécuritaire en Égypte est aussi beaucoup plus grande qu'en Tunisie.
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