mercredi 13 novembre 2013

Edgar Morin : un suicide philosophique !

QUAND L'ARGENT FAIT PERDRE LE SENS DE LA DIGNITÉ ET DE L'HONNEUR !
Où sont passés les principes d'E. Morin ?

Dommage qu'il cautionne le cirque qatari !


Le 29 octobre, Edgar Morin s'est rendu à Doha, au Qatar. 

La raison ? Il participait au sommet "Wise 2013" consacré à l'éducation innovante. 

Un geste fatal pour le philosophe, estime Jacques-Marie Bourget, co-auteur de "Le Vilain petit Qatar : cet ami qui nous veut du mal" (Fayard 2013).

 

Jacques-Marie Bourget


C’est étonnant… Pourtant il est très connu, et aimé, et "émérite" même ; et personne n’a publié la nouvelle : le 29 octobre 2013, le philosophe, sociologue et historien Edgar Morin s’est suicidé. En public dans la salle du "Centre de la Charia et de la vertu islamique" à Doha….

Présent auprès de lui le révérend père Tariq Ramadan, plutôt que de le dissuader de son geste fatal, lui a tendu la cigüe. Que ceux qui aimaient, ou aiment encore Edgar Morin se rassurent, sauvé  in extremis le philosophe, sociologue et historien respire encore. Au bout du compte – celui qui s’égraine jusqu’à dix et marque le K.O. – le magicien Ramadan a su  invoquer un être suprême qui, bien luné, a laissé la vie au néo-suicidé. En fait l’homme exemplaire n’a fait que flinguer sa bonne réputation.
Tariq Ramadan piège Edgar Morin et le Qatar en récolte les bénéfices

Il ne faut plus former des profs, mais des "mondiologues"

Vous ne rêvez pas, Edgar Morin, l’ami de la liberté s’est rendu au Qatar pour y cautionner un barnum baptisé "Wise 2013", qui est à l’éducation, disent ses promoteurs, ce que Davos est à la finance. Notons le parallèle : Davos le cercle de ceux qui dirigent le monde et le tuent, l’affament…

Ainsi, assis dans un angle de vision balisé par les longs cils de la cheikha Moza, nous avons pu voir Morin et Ramadan, ce dernier heureux et discret comme un chat qui sait qu’il mangera la souris. Morin a glosé sur la nécessité de ne plus former des profs ou des instits, mais des "mondiologues". Allons bon. Contre le prix de son billet d’avion et de son séjour, il fallait bien que le maître globalisé (philosophe, sociologue, historien), inventât un concept.

Face au frère Tariq qui riait donc dans sa barbe intérieure, le label Morin de la "complexité" a accouché :

"Plus largement, l'école doit faire réfléchir aux vertus et aux carences de la civilisation occidentale dominée par un individualisme forcené, qui envahit le monde. Sans cette formation, nous sommes désarmés"... "Si on n’est pas capable de comprendre les problèmes sociaux, on ne peut pas élaborer une pensée qui puisse lutter contre les risques de ce monde", prophétise-t-il. 

Remerciez moi d’abréger la citation tant le propos tient de la recette de barbe à papa, gris à l’extérieur avec du vent au dedans. Le vieil oracle, qui ignore visiblement qu’à Doha il est au cœur du cerveau de la "civilisation occidentale", a aussi délivré des bons points. Au Maroc par exemple, qui "est unique dans sa réaction au printemps arabe", "où l’activisme civil réformiste est à son apogée et il n’a eu d’égal que l’interaction positive et rapide de l’État avec ses revendications, ce qui a fini par faire éclore un modèle marocain unique en son genre dans le monde arabe".

Personne n'a osé dire à Morin qu'il était dans une dictature

Cet épisode de la vie de la pensée, qui masque si mal le visage de la dictature qatarie, cet engagement de Morin – qu’on a connu, du combat contre les nazis à son soutien au sort de Palestiniens, courageux et lucide –  ne peut rester sans explications.

La première, Ramadan étant face à lui, on a fait croire à Edgar, si distrait, qu’il était en Suisse… Ou encore à Oxford où Ramadan enseigne la charia dans une chaire financée par le Qatar. À savoir aussi qu'Edgar, trop coquet, hésite à porter ses lunettes. Cela peut expliquer sa fausse route. Si vous vous souvenez ce magnifique film allemand, "Good Bye Lénine", vous comprendrez : personne n’a osé dire à Morin qu’il se trouvait assis dans les sofas d’une dictature.

Cher et bien aimé Edgar, savez vous qu’à quatre kilomètres du "Centre de la Sharia et de la vertu islamique" – condamné à vie (peine ramenée à 15 ans) – dort en prison le poète Mohamed Al-Ajami ? Savez vous que sous vos fenêtres, près de deux millions de travailleurs immigrés sont traités en esclaveset que, si le rythme des morts au travail continue, on atteindra 4000 cadavres pour l’ouverture du Mondial de foot en 2022 ?

Doha, dans ce doux paradis de fer

Savez-vous que l’enseignement au Qatar – même celui des universités américaines implantées ici pour éviter que les USA n’aient à accueillir trop d’étudiants bronzés sur leur territoire –, que l’enseignement est filtré à l’étalon de le règle islamique ?

Savez-vous que, contre leur gré, des hommes et des femmes, sans raison sauf celle du prince, sont retenus depuis des années ? Savez-vous que ce pays ne connaît ni le droit ni la comptabilité publique ? Savez-vous que le Qatar, en Afrique et ailleurs, après avoir étranglé les révoltes égyptienne et tunisienne et pillé la Libye, finance des djihadistes fort peu soucieux du droit humain ?

Savez-vous qu’en Afrique encore, le Qatar que vous cautionnez, achète des milliers d’hectares de terre, transformant ainsi les paysans pauvres, exploitants coutumiers de ces surfaces, en paysans sans terre ? Avant de prendre l’avion on vous a sûrement informé que le Qatar, au classement des démocraties dans le monde, évolue à la 138e place au coude à coude avec la Biélorussie ?

Merci donc, cher Edgar Morin, puisque chez vous l’engagement et l’acte ne font qu’un, d’avoir montré où pouvait s’exercer harmonieusement  le pouvoir des "mondiologues" : à Doha dans  ce doux paradis de fer. Mais, attention, si demain un autre prêcheur parvient à vous convaincre de participer à un autre "Wise" – cette fois à Pyonyang – réfléchissez, cette charmante ville n’est pas en Belgique mais en Corée du Nord.

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