TARTOUR, OU LE FAIRE VALOIR INTERNATIONAL DU "MENSONGE ISLAMISTE" !
Ou quand le tartour marche à côté de ses pompes !
Je n’aurais pas souhaité être à la place des séculiers qui ont misé sur les islamistes et se sont alliés à eux. Quelle erreur historique qui ruine ceux qui l’ont commise. Je pense surtout au président Moncef Marzouki et à l’état mal aisé dans lequel il doit se trouver aujourd’hui. Décrédibilisé, déconsidéré par son peuple, il vient de subir l’affront d’un « Dégage ! » de la part des forces de sécurité avec les deux autres têtes de l’exécutif tricéphale incarnant la troïka au pouvoir. Quelle ruse de l’histoire a-t-elle pris dans ses rets M. Marzouki ! Le même homme compte parmi ceux qui ont été à l’origine de l’inaugural « Dégage ! » ayant abouti à la chute et à la fuite du dictateur au petit pied, à la petite main. Le voilà subissant un second « Dégage ! » qui annonce sa sortie de l’histoire par une porte dérobée et avec des habits usés.
Admirable mot qui restera dans les mémoires, comme l’a signalé, Claude Bartolone, le président de l’Assemblée Nationale Française dans le discours de bienvenue par lequel il a accueilli le président Marzouki le 18 juillet 2012. Bartolone a situé l’usage tunisien de l’impératif « Dégage ! » dans les annales universelles, le plaçant à la même hauteur de la phrase sortie de la bouche de Mirabeau et qui symbolise l’esprit de rébellion ayant animé la Révolution française : « Nous sommes ici par la volonté du peuple, et on ne nous en arrachera que par la puissance des baïonnettes», (selon la version de Michelet).
J’étais dans les tribunes et j’étais fier de recevoir ce qui vient d’être émis du haut du perchoir. Je l’étais moins lorsque j’ai entendu, par la suite, la réponse du président Marzouki, jouant avec conviction et talent le faire-valoir islamiste, annonçant la mutation des islamistes avec qui il s’est allié, les instituant musulmans démocrates, équivalents des chrétiens démocrates en Europe. Il est même allé jusqu’à dire qu’il sait que beaucoup d’amis européens craignent que la Tunisie tombe dans l’escarcelle de l’islamisme ; il a tenu à les rassurer en affirmant que la Tunisie est désormais dans l’escarcelle de la démocratie.
Ce n’est pas le doute qui s’est alors emparé de moi, mais j’étais dans la certitude que Marzouki procédait à une manipulation liée à une erreur de jugement. La manipulation est d’avoir situé dans la logique des événements révolutionnaires l’avènement de l’islamisme au pouvoir. Or, cet avènement n’est pas dû à l’énergie laïque qui a été à l’origine de notre « Dégage ! » Les islamistes au pouvoir ne sont pas en mesure d’honorer la demande révolutionnaire (liberté, égalité, dignité). Mais, depuis qu’ils y sont, ils ont tenté de ravir la révolution, de la détourner pour la réorienter en priorité vers le sacré et vers une identité arabo-islamique exclusive, horizon qu’aucun soleil n’est venu éclairer pendant les événements révolutionnaires qui ont abattu le régime antérieur.
Quant à l’erreur de jugement, elle se trouve dans la confiance accordée à la mue de l’islamisme en démocratie. Pour tout être clairvoyant, l’affirmation démocratique demeure chez les islamistes une option tactique pour une visée stratégique dont l’enjeu est la "hakamiyya" (gouvernance) théorisée par Sayyid Qotb et Abul ‘Alâ Mawdûdî. Les islamistes pensent pouvoir user de la démocratie (qui est affaire humaine) comme instrument pour instaurer une souveraineté fondée sur une loi, supposées l’une et l’autre commandées par Dieu.
M. Marzouki persiste dans son erreur lors de son discours à Strasbourg, le 26 février 2013, dans l’hémicycle du parlement européen, où, avec un dosage éprouvé entre raison et émotion, il a su convaincre en confirmant la mutation de l’islamisme en démocratie islamique. Il s’est fait ainsi le garant d’une chimère en usant avec adresse des moyens rhétoriques dont le but est de persuader le sceptique.
En plus, c’est l’histoire même de Marzouki qui ajoute crédit à sa parole. C’est bien lui, qui, tel Don Quichotte, s’était entêté à combattre, les mains nues, la dictature. C’est lui qui avait appelé le peuple à se défaire de sa peur. Il suffit de s’autoriser, clamait-il dans le désert, en neutralisant la peur pour que le dictateur et sa citadelle s’effondrent, le premier tel un colosse au pied d’argile, le second tel un château de cartes. Et, une fois la peur dégelée dans les cœurs, le 14 janvier 2011, cela s’est passé exactement comme Marzouki l’avait prédit bien des années auparavant.
Pendant la double décennie d’opposition au dictateur, dans le pays comme en exil, Marzouki s’est allié avec les islamistes, lesquels, à l’orée du nouveau siècle, ont garanti verbalement leur adhésion à la non-violence et au jeu politique qui accepte la polyphonie. Leur profession de foi démocratique a été tellement franche, sans la moindre ambiguïté, que les ténors séculiers de l’opposition démocratique ont sinon scellé alliance, du moins décidé d’œuvrer de conserve avec eux. Les premiers seront récompensés, à l’exemple de Ben Ja’far et de Marzouki qui obtiendront deux des trois postes de l’exécutif au sein de la troïka qui dirige provisoirement le pays depuis le 23 octobre 2011.
Parmi les seconds, je citerai Kamel Jendoubi qui dirigea courant 2011 l’instance ayant organisé les premières élections libres du pays, lesquelles ont donné la victoire aux islamistes. Mais ceux-ci ne veulent plus de lui pour les prochaines élections simplement parce qu’il ne les a pas confirmé dans leur mirage démocratique. Non dupe, il a dénoncé leur duplicité. Ainsi a-t-il pris le chemin inverse de Marzouki, ne corroborant pas leur dérive théocratique, manifeste à travers leur assassinat des libertés.
Ce sont ces errements qui se sont révélés les plus mortels dans l’exercice du pouvoir par les islamistes. C’est qu’ils ont tenu, dès avant leur accès au pouvoir, à cantonner, dans les limites du respect du sacré, la liberté de créer, de juger, d’être. Or, cette notion de sacré est extensible à l’infini au point que ses frontières peuvent aliéner toute velléité d’expression et transformer le monde en cellule de prison, réifiant l’air que l’on respire.
Pendant leur exercice du pouvoir, outre leur incompétence avérée dans tous les domaines techniques, s’est dévoilé leur deuxième défaut, visible en leur façon délibérée de négliger la sécurité du citoyen en jouant le jeu le plus ambigu avec la mouvance salafiste, reconnue jusque dans sa frange terroriste. Ainsi les islamistes, absous par le président Marzouki, laissaient-ils agir au grand jour les salafistes. Ils les encourageaient même à créer des associations, à fonder des écoles, à broder leurs slogans funestes sur le métier social, à inviter les prédicateurs orientaux les plus belliqueux, les plus littéralistes, les plus obscurantistes. Ainsi pensent-ils procéder au rééquilibrage d’une société par trop marquée par le sécularisme que lui a imprimé la politique bourguibienne.
En jouant aux apprentis sorciers, les islamistes sont responsables de l’actualité terroriste qui ensanglante le pays, des maquis en insurrection à la campagne aux bombes humaines et attentats suicides en ville. Le peuple tunisien ne supporte pas cette situation. Il soutient la révolte du corps de sécurité que le pouvoir islamiste ne lui a pas donné les moyens d’affronter le péril qui menace l’intégrité du pays, qui met l’Etat au bord de l’effondrement (comme le démontre Ali Mezghani). Mais il semble que l’effondrement de l’Etat est désiré par les islamistes. Ainsi, à partir d’une telle table-rase, leur serait-il aisé de refonder un Etat selon les principes de la hakamiyya théorisée par leurs idéologues fétiches, l’Egyptien Sayyid Qutb et le Pakistanais Abul ‘Alâ Mawdûdî, lesquels sont les phares qui continuent d’éclairer leur espace mental.
Le président Marzouki n’a rien vu de tout cela. Là réside une cécité coupable. Il paie cher aujourd’hui son alliance mal négociée avec les islamistes. De concert et en chœur avec les forces de sécurité soutenues par la conscience citoyenne, le peuple lui lance en pleine face : « Dégage ! » Car il a été le faire-valoir international du « mensonge islamiste » (l’expression est de Hamadi Redissi), celui qu’ils ont proféré lorsqu’ils ont déclaré urbi et orbi leur mue démocratique, démentie par les faits qu’ils ont produit comme acteurs de la scène politique.
Et je ne cesse de me demander pourquoi le président Marzouki persiste dans son erreur. S’est-il trompé à la hauteur du concept au point de demeurer convaincu de l’analyse qui l’a conduit à l’alliance islamiste ? Ou s’est-il laissé leurrer, berner même, emporté qu’il fût par la griserie du pouvoir et l’éblouissement que procurent les ors de la République ?
Dans l’un comme dans l’autre cas, après une belle entrée dans l’histoire, le président Marzouki sera amené à en sortir par la porte de service après avoir usé ses habits pour si peu de gloire.
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