Inès Oueslati
17
décembre, Tunisie, trois ans après.
Pas la
peine de planter le décor. Tout ici a planté !
Dans les
rues, la pauvreté est de plus en plus visible. L’ambiance est morose malgré un
soleil qui semble narguer, en chaque saison, ceux qui du feu ont puisé leur
métamorphose, ont quitté leur coquille, mais se sont vite brûlé les ailes. Par
le feu, Bouazizi s’est immolé, il y a trois ans. Un feu prométhéen pour
conquérir la belle, un feu qui s’est éteint dans la moiteur des lendemains et
une belle qui s’est révélée moins belle qu’elle ne semblait être.
Je ne
parlerai pas de ce jour où l’avenir de mon pays s’est dessiné, plus envoûtant
que jamais, aussi imprécis que peut l’être l’Histoire qui s’écrit et que les
slogans que l’on scande.
De ce
feu qui a échauffé les esprits, je ne parlerai point. De cette émotion qui nous
a bousculés un certain soir de décembre, il n’est nul intérêt de parler.
L’héroïsme
est aujourd’hui bien loin et les héros sont désormais d’un autre monde. Ne
demeurent que les anti-héros. De nouveaux anti-héros suppléant les anciens
gommés de l’Histoire à coup de Dégage et ne les dépassant qu’en médiocrité.
Sur les
écrans défile leur bêtise : réunions, conseil, tables rondes, hémicycle,
députés, langues déliées et langues fourchues, gueule de bois et esprits de
plomb.
Les
comparses envahissent la scène. Les répliques se dupliquent et l’on n’y perçoit
plus que le vide qui a empli la scène politique.
Je ne
parlerai pas du miroir qui, depuis trois ans, nous renvoie une nouvelle image
de nous-mêmes. Nous étions habitués à nous voir lâches face à la dictature,
dépourvus face à la torture, silencieux face aux abus, satisfaits avec les
petites occupations, y mordillant, comme dans un os tendu, l’illusion d’une
satisfaction divertissante.
Après
avoir subrepticement aperçu le mirage d’une nouvelle image de nous-mêmes, plus
héroïque, moins docile et plus consciente, nous revoilà confrontés à notre
petitesse. Le miroir nous déforme-t-il ou avons-nous été dé-formés ? Le
scénario a-t-il été revu, nous prenant de court ou tel il était, dès le départ,
tout court ?
Le nœud
était-il ainsi prévu ou avons-nous contribué à compliquer l’intrigue par notre
mauvais jeu d’acteurs passifs, actifs virtuellement. Le virtuel a-t-il consumé
notre énergie ? A-t-il éteint notre enthousiasme ? A-t-il fait de nous ce que
nous ne sommes pas et nous a-t-il fait croire en un héroïsme dont nous sommes,
en réalité, dépourvus ?
17
décembre, un jeune de Sidi Bouzid, démuni comme le sont beaucoup de jeunes de
son âge, dans un acte d’héroïsme tragique a pris sa vie en main et y a mis le
feu. Son corps s’est embrasé, le pays s’est embrasé avec.
Depuis,
une conscience s’est éveillée, d’un réveil furtif. Mais depuis, les abus ont
repris, des manifestations ont été réprimées, des jeunes ont été emprisonnés,
des artistes ont été violentés, des libertés ont été brimées, des corps ont été
atteints, des assassinats ont été perpétrés et le feu a de nouveau
repris.
De ses
flammes, ne s’est propagée qu’une froide étincelle qui nous rend insensibles au
mal que l’on voit de nouveau. Insensibles aux signes de pauvreté qui emplissent
les rues, aux ramasseurs de bouteilles en plastique qui errent à la recherche
du piètre Graal, aux fouilleurs de poubelles, aux mains tendues quêteuses de
pièces… Imperturbables face aux soubresauts d’une classe politique qui nous
chevauche d’une manière régulière. Inquiets certes, mais d’une inquiétude
molle.
En
attendant, la gauche devient si maladroite, que même le plus adroit des
citoyens y perd le nord.
En
attendant, les nouveaux cabotins se barricadent dans leurs loges : gouvernant
derrière les barbelés d’une Kasbah complètement dénaturée et célébrant, dans
les cours du palais de Carthage, la révolution d’un peuple qui les
maudit.
En
attendant, la scène plonge de nouveau dans le flou. Une machinerie précise et
experte tire les ficelles, les têtes changent, de nouveaux chemins se
dessinent, feuille de route, vote, choix, consensus, Bouazizi, Ghannouchi,
Essebsi, Jebali, Laârayedh, Jomâa. Rencontres, réunions, UE, ambassades,
méchoui.
De la
révolution, on fera un festival et du pays, on fera un cirque.
17
décembre, révolution de feu, de flou, de fous.
17
décembre et le show continue !
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