mercredi 18 décembre 2013

Ce jour où mon pays a pris feu


Ines Oueslati
Inès Oueslati

17 décembre, Tunisie, trois ans après.
Pas la peine de planter le décor. Tout ici a planté !

Dans les rues, la pauvreté est de plus en plus visible. L’ambiance est morose malgré un soleil qui semble narguer, en chaque saison, ceux qui du feu ont puisé leur métamorphose, ont quitté leur coquille, mais se sont vite brûlé les ailes. Par le feu, Bouazizi s’est immolé, il y a trois ans. Un feu prométhéen pour conquérir la belle, un feu qui s’est éteint dans la moiteur des lendemains et une belle qui s’est révélée moins belle qu’elle ne semblait être. 

Je ne parlerai pas de ce jour où l’avenir de mon pays s’est dessiné, plus envoûtant que jamais, aussi imprécis que peut l’être l’Histoire qui s’écrit et que les slogans que l’on scande.

De ce feu qui a échauffé les esprits, je ne parlerai point. De cette émotion qui nous a bousculés un certain soir de décembre, il n’est nul intérêt de parler. 

L’héroïsme est aujourd’hui bien loin et les héros sont désormais d’un autre monde. Ne demeurent que les anti-héros. De nouveaux anti-héros suppléant les anciens gommés de l’Histoire à coup de Dégage et ne les dépassant qu’en médiocrité.

Sur les écrans défile leur bêtise : réunions, conseil, tables rondes, hémicycle, députés, langues déliées et langues fourchues, gueule de bois et esprits de plomb.

Les comparses envahissent la scène. Les répliques se dupliquent et l’on n’y perçoit plus que le vide qui a empli la scène politique.

Je ne parlerai pas du miroir qui, depuis trois ans, nous renvoie une nouvelle image de nous-mêmes. Nous étions habitués à nous voir lâches face à la dictature, dépourvus face à la torture, silencieux face aux abus, satisfaits avec les petites occupations, y mordillant, comme dans un os tendu, l’illusion d’une satisfaction divertissante. 

Après avoir subrepticement aperçu le mirage d’une nouvelle image de nous-mêmes, plus héroïque, moins docile et plus consciente, nous revoilà confrontés à notre petitesse. Le miroir nous déforme-t-il ou avons-nous été dé-formés ? Le scénario a-t-il été revu, nous prenant de court ou tel il était, dès le départ, tout court ? 

Le nœud était-il ainsi prévu ou avons-nous contribué à compliquer l’intrigue par notre mauvais jeu d’acteurs passifs, actifs virtuellement. Le virtuel a-t-il consumé notre énergie ? A-t-il éteint notre enthousiasme ? A-t-il fait de nous ce que nous ne sommes pas et nous a-t-il fait croire en un héroïsme dont nous sommes, en réalité, dépourvus ? 

17 décembre, un jeune de Sidi Bouzid, démuni comme le sont beaucoup de jeunes de son âge, dans un acte d’héroïsme tragique a pris sa vie en main et y a mis le feu. Son corps s’est embrasé, le pays s’est embrasé avec.

Depuis, une conscience s’est éveillée, d’un réveil furtif. Mais depuis, les abus ont repris, des manifestations ont été réprimées, des jeunes ont été emprisonnés, des artistes ont été violentés, des libertés ont été brimées, des corps ont été atteints, des assassinats ont été perpétrés et le feu a de nouveau repris. 

De ses flammes, ne s’est propagée qu’une froide étincelle qui nous rend insensibles au mal que l’on voit de nouveau. Insensibles aux signes de pauvreté qui emplissent les rues, aux ramasseurs de bouteilles en plastique qui errent à la recherche du piètre Graal, aux fouilleurs de poubelles, aux mains tendues quêteuses de pièces… Imperturbables face aux soubresauts d’une classe politique qui nous chevauche d’une manière régulière. Inquiets certes, mais d’une inquiétude molle. 

En attendant, la gauche devient si maladroite, que même le plus adroit des citoyens y perd le nord.

En attendant, les nouveaux cabotins se barricadent dans leurs loges : gouvernant derrière les barbelés d’une Kasbah complètement dénaturée et célébrant, dans les cours du palais de Carthage, la révolution d’un peuple qui les maudit. 

En attendant, la scène plonge de nouveau dans le flou. Une machinerie précise et experte tire les ficelles, les têtes changent, de nouveaux chemins se dessinent, feuille de route, vote, choix, consensus, Bouazizi, Ghannouchi, Essebsi, Jebali, Laârayedh, Jomâa. Rencontres, réunions, UE, ambassades, méchoui.

De la révolution, on fera un festival et du pays, on fera un cirque. 

17 décembre, révolution de feu, de flou, de fous. 

17 décembre et le show continue !

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