Plutôt que de s’avouer vaincu, l’émirat joue la paralysie.
Daoud Boughezala,
rédacteur en chef adjoint,
du Causeur
La
diplomatie du carnet de chèques, ça eût payé !
Au congrès international des Frères Musulmans, les dirigeants islamistes se sont récemment inquiété de l’avenir de
la confrérie parrainée par le Qatar : écartés du pouvoir et violemment
réprimés en Égypte, marginalisés au sein de l’opposition syrienne, contestés en
Tunisie et à Gaza, les protégés de l’émirat voient rouge. Au point qu’ils
mettent toute leur énergie à conserver leur bastion tunisien conquis à l’issue
du « printemps arabe ».
Depuis l’élection de la Constituante tunisienne en octobre 2011, nanti de 37% des voix, le parti Ennahda de Rached Ghannouchi a repris les rênes du pouvoir laissé vacant par Ben Ali. Avec la bénédiction de l’émir du Qatar, les hommes du parti à la colombe1 ont constitué un gouvernement d’union nationale au sein duquel ils contrôlent les postes-clés. Pendant que l’Assemblée constituante dissertait sur l’égalité hommes/femmes, la place de la religion dans la société et l’organisation des prochaines élections, Ennahda plaçait ses hommes au sommet du pouvoir, de la Banque centrale au ministère des Affaires étrangères, un temps occupé par le propre gendre de Ghannouchi. Plus que son islamisme, le népotisme d’Ennahda et son impéritie lui ont aliéné une bonne partie de la population tunisienne.
Sous les présidences successives de
Zine-al-Abidine Ben Ali (1987-2011), le manque de libertés publiques se voyait
compensé par une (relative) prospérité économique, tandis que le maintien d’un
haut niveau sécurité garantissait le pacte social. Bref, le général Ben
Ali, c’était les flics plus l’électricité – avec une petite commission pour la
belle-famille Trabelsi au passage2.
Mais depuis la fuite précipitée du dictateur le 14 janvier 2011, sous la pression des émeutes populaires, les forces de sécurité ont le plus grand mal à rétablir l’ordre. Le joug autoritaire ayant sauté, des milliers de salafistes sortent sabre au clair pour harceler les jeunes femmes non voilées, ainsi que les figures de l’opposition laïque. Les assassinats politiques de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, deux députés d’opposition nationalistes de gauche, farouchement opposés à Ennahda et aux salafistes, auront semé la panique dans les rangs de l’opposition laïque. L’enquête piétinant, on ne sait pas très bien qui des salafistes ou de la frange dure d’Ennahda avait intérêt à éliminer ces deux personnalités politiques marginales. Certains ennahdistes misent peut-être sur la stratégie de la tension, qui a fait ses preuves dans l’Italie des années 1970, pour pourrir la situation sécuritaire et préserver le statu quo politique en faveur des islamistes. D’un autre côté, le choix de cibles politiques symboliques mais politiquement marginales, confinées à la gauche de la gauche, semble disculper Ennahda. À l’image du politologue Vincent Geissser, d’aucuns accusent les barbouzes benalistes de semer le chaos pour entretenir la nostalgie de l’ordre ancien. Mystère…
L’incurie de la justice et de la police aura en tout cas eu raison du cabinet Jebali, remplacé le pied levé par son ministre de l’Intérieur Ali Larayedh en février dernier. Acculé par le mécontentement croissant, ce dernier islamiste avait dans un premier temps accepté de s’effacer au profit d’un gouvernement de purs technocrates. Mais le coup d’Etat égyptien est passé par là. Les images du président déchu Mohamed Morsi comparaissant face à ses juges tournent sur tous les écrans radars islamistes. Là est la hantise d’Ennahda : finir évincée du pouvoir par le Sissi tunisien, le chef d’état-major Rachid Ammar, qui tire prestige et popularité de son comportement exemplaire durant la transition de 2011. Pour éviter tout scénario à l’égyptienne, Larayedh et Ghannouchi ont donc changé de braquet et exigent de conserver la mainmise sur les ministères régaliens (Intérieur, Justice, Défense). Ajoutant un soupçon de guignolade à la farce politique tunisienne, Ennahda soutient la nomination d’un certain Ahmed Mestiri à la tête du gouvernement tunisien. Si cette personnalité n’est pas suspecte de sympathies islamistes, son grand âge – 88 ans au compteur ! – et son pedigree politique en font un éventuel premier ministre inoffensif, pour ne pas dire fantoche. Déterrer un opposant (très) modéré fondateur d’un petit parti – le Mouvement des démocrates sociaux (MDS) – toléré par Bourguiba puis Ben Ali, il fallait oser. Ennahda l’a fait !
En ce 7 novembre, date anniversaire du coup d’Etat de Ben Ali, la paralysie demeure. Depuis plusieurs jours, les pourparlers entre pouvoir et opposition n’avancent pas d’un pouce, tant en raison de l’intransigeance de l’un que des divisions profondes de l’autre. Réconcilier Frères Musulmans (fussent-ils « modérés » !), anciens bourguibistes regroupés autour de l’ancien premier ministre intérimaire Beji Caïd Essebsi (87 ans !), socialistes et autres syndicalistes de l’UGTT tiendrait de la gageure. Au-delà de leurs querelles byzantines, les différentes tendances de l’arc politique tunisien dépendent d’un agenda qui leur échappe.
Depuis l’élection de la Constituante tunisienne en octobre 2011, nanti de 37% des voix, le parti Ennahda de Rached Ghannouchi a repris les rênes du pouvoir laissé vacant par Ben Ali. Avec la bénédiction de l’émir du Qatar, les hommes du parti à la colombe1 ont constitué un gouvernement d’union nationale au sein duquel ils contrôlent les postes-clés. Pendant que l’Assemblée constituante dissertait sur l’égalité hommes/femmes, la place de la religion dans la société et l’organisation des prochaines élections, Ennahda plaçait ses hommes au sommet du pouvoir, de la Banque centrale au ministère des Affaires étrangères, un temps occupé par le propre gendre de Ghannouchi. Plus que son islamisme, le népotisme d’Ennahda et son impéritie lui ont aliéné une bonne partie de la population tunisienne.
Mais depuis la fuite précipitée du dictateur le 14 janvier 2011, sous la pression des émeutes populaires, les forces de sécurité ont le plus grand mal à rétablir l’ordre. Le joug autoritaire ayant sauté, des milliers de salafistes sortent sabre au clair pour harceler les jeunes femmes non voilées, ainsi que les figures de l’opposition laïque. Les assassinats politiques de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, deux députés d’opposition nationalistes de gauche, farouchement opposés à Ennahda et aux salafistes, auront semé la panique dans les rangs de l’opposition laïque. L’enquête piétinant, on ne sait pas très bien qui des salafistes ou de la frange dure d’Ennahda avait intérêt à éliminer ces deux personnalités politiques marginales. Certains ennahdistes misent peut-être sur la stratégie de la tension, qui a fait ses preuves dans l’Italie des années 1970, pour pourrir la situation sécuritaire et préserver le statu quo politique en faveur des islamistes. D’un autre côté, le choix de cibles politiques symboliques mais politiquement marginales, confinées à la gauche de la gauche, semble disculper Ennahda. À l’image du politologue Vincent Geissser, d’aucuns accusent les barbouzes benalistes de semer le chaos pour entretenir la nostalgie de l’ordre ancien. Mystère…
L’incurie de la justice et de la police aura en tout cas eu raison du cabinet Jebali, remplacé le pied levé par son ministre de l’Intérieur Ali Larayedh en février dernier. Acculé par le mécontentement croissant, ce dernier islamiste avait dans un premier temps accepté de s’effacer au profit d’un gouvernement de purs technocrates. Mais le coup d’Etat égyptien est passé par là. Les images du président déchu Mohamed Morsi comparaissant face à ses juges tournent sur tous les écrans radars islamistes. Là est la hantise d’Ennahda : finir évincée du pouvoir par le Sissi tunisien, le chef d’état-major Rachid Ammar, qui tire prestige et popularité de son comportement exemplaire durant la transition de 2011. Pour éviter tout scénario à l’égyptienne, Larayedh et Ghannouchi ont donc changé de braquet et exigent de conserver la mainmise sur les ministères régaliens (Intérieur, Justice, Défense). Ajoutant un soupçon de guignolade à la farce politique tunisienne, Ennahda soutient la nomination d’un certain Ahmed Mestiri à la tête du gouvernement tunisien. Si cette personnalité n’est pas suspecte de sympathies islamistes, son grand âge – 88 ans au compteur ! – et son pedigree politique en font un éventuel premier ministre inoffensif, pour ne pas dire fantoche. Déterrer un opposant (très) modéré fondateur d’un petit parti – le Mouvement des démocrates sociaux (MDS) – toléré par Bourguiba puis Ben Ali, il fallait oser. Ennahda l’a fait !
En ce 7 novembre, date anniversaire du coup d’Etat de Ben Ali, la paralysie demeure. Depuis plusieurs jours, les pourparlers entre pouvoir et opposition n’avancent pas d’un pouce, tant en raison de l’intransigeance de l’un que des divisions profondes de l’autre. Réconcilier Frères Musulmans (fussent-ils « modérés » !), anciens bourguibistes regroupés autour de l’ancien premier ministre intérimaire Beji Caïd Essebsi (87 ans !), socialistes et autres syndicalistes de l’UGTT tiendrait de la gageure. Au-delà de leurs querelles byzantines, les différentes tendances de l’arc politique tunisien dépendent d’un agenda qui leur échappe.
Ce n’est pas être complotiste que de comprendre que l’avenir de
la Tunisie se joue en partie au Qatar, grand pourvoyeur de fonds d’Ennahda,
ébranlé par les convulsions géopolitiques de l’été dernier.
Comme l’explique
Gilles Kepel, à
trop vouloir jouer les fiers à bras, l’émirat a perdu sur tous les fronts
arabes : « le Qatar
finance les Frères musulmans (…) dans toute la région quand, de son côté,
l’intime opposant, l’Arabie Saoudite, soutient les rivaux salafistes. En Syrie,
l’indéfectible soutien du Qatar aux groupes islamistes du djihad lui vaut
désormais de s’être aliéné l’Iran, avec lequel il partage un gigantesque champ
gazier et dont il a besoin pour se protéger de l’Arabie Saoudite ».
Bref, « de zéro ennemi, le pays est passé à zéro
ami ». Signe de
ces revers en série, il y a quelques mois, le très médiatique émir Hamad a
laissé la place à son trentenaire de fils, qui se soucie bien plus des
performances du PSG en Ligue des champions que des résultats électoraux de ses
obligés islamistes.
Il s’agit désormais de sauver les meubles, pour ne pas voir le pays d’Al-Jazira voir son influence stratégique fondre comme neige au soleil du désert. Aussi Doha n’a-t-il pas encore renoncé à son OPA idéologique sur les révoltes arabes. Ce qui lui reste de puissance se joue peut-être sur les côtes tunisiennes, où deux kamikazes se sont récemment fait sauter sans faire de victimes, à quelques encablures de la tombe du président Bourguiba. Ce genre de péripéties ne joue bien évidemment pas en faveur du tourisme local, qui reste l’une des principales sources de devises3.
Il s’agit désormais de sauver les meubles, pour ne pas voir le pays d’Al-Jazira voir son influence stratégique fondre comme neige au soleil du désert. Aussi Doha n’a-t-il pas encore renoncé à son OPA idéologique sur les révoltes arabes. Ce qui lui reste de puissance se joue peut-être sur les côtes tunisiennes, où deux kamikazes se sont récemment fait sauter sans faire de victimes, à quelques encablures de la tombe du président Bourguiba. Ce genre de péripéties ne joue bien évidemment pas en faveur du tourisme local, qui reste l’une des principales sources de devises3.
Toujours privée de gouvernement, la
verte Tunisie se console en regardant les autres pays du printemps arabe,
Libye, Égypte, Syrie, Yémen, tous à feu et à sang.
Comme Ben Ali en son temps, les ennahdistes se posent aujourd’hui en ultime recours contre la chienlit.
Comme Ben Ali en son temps, les ennahdistes se posent aujourd’hui en ultime recours contre la chienlit.
Du fin fond de
son exil saoudien, le despote déchu aux cheveux teints doit décidément bien
rigoler…
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