Les journalistes occidentaux trop optimistes ...
Heureusement qu'il y a des spécialistes pour tempérer leur enthousiasme (suspect) !
R.B
Pierre Vermeren,
Heureusement qu'il y a des spécialistes pour tempérer leur enthousiasme (suspect) !
R.B
Pierre Vermeren,
Professeur à l'Université Paris 1 et spécialiste du Maghreb.
Que faut-il retenir de la
Constitution tunisienne?
On a souvent comparé la révolution tunisienne à d'autres. Il n'existe pas de
règle en Histoire, mais, comme lors de la Révolution française, il a fallu à peu près trois ans pour aboutir au vote d'une Constitution.
Ce processus, qui a été beaucoup critiqué, est parvenu à son terme: le texte
constitutionnel a été signé, adopté puis célébré dans la joie par la classe
politique tout entière. C'est d'abord un grand événement historique.
En deuxième lieu, ce texte est
le fruit d'un compromis entre des forces politiques
antagonistes, avec, d'un côté, un camp libéral et laïc qui s'est renforcé, et
de l'autre, un camp islamiste qui n'envisageait pas la politique comme un
espace de négociation. Ces rivaux ont été obligés de s'entendre, par crainte
et refus de la guerre civile. La société tunisienne n'a pas voulu
sombrer dans la violence, comme naguère en Algérie ou aujourd'hui en Syrie.
Même les islamistes, qui, dans un premier temps, avaient tenté de terroriser le
camp d'en face, ont fini par combattre de l'intérieur leurs éléments les plus
violents. La fierté nationaliste l'a finalement emporté.
Après le vote de la
Constitution et l'installation du nouveau gouvernement, composé de
technocrates, le processus de transition démocratique est-il achevé ? Enfin,
cette Constitution va plus loin que celle, déjà progressiste, de Habib Bourguiba,
en 1959. Elle contient, certes, des ambiguïtés, mais elle est la première, dans
le monde arabe, à proclamer la liberté de conscience. De même que l'égalité
homme-femme en matière de droits civiques. Elle instaure un régime bicéphale,
donc équilibré, dans lequel les pouvoirs sont partagés entre le gouvernement et
le président de la République. Si l'on ajoute l'indépendance de la justice et
la liberté de la presse, la Tunisie dispose désormais des instruments pour
édifier un Etat de droit. C'est sans précédent !
Certainement pas. La rédaction
de la Constitution est une chose, son application en est une autre. Les
islamistes et les laïcs vont continuer à s'affronter sur son interprétation. La
Tunisie est un Etat civil, mais sa religion est l'islam. Il peut y avoir des
jurisprudences très divergentes. Avec 146 articles, ce long texte comporte de
nombreuses niches où des ambiguïtés peuvent se loger. Le conflit peut surgir à
tout moment.
La crise politique, ouverte
après les assassinats des députés d'opposition Chokri Belaïd et Mohamed Brami,
est-elle terminée?
Pas encore. Certes, la Tunisie a désormais un gouvernement de technocrates, mais
il risque d'être rapidement contesté par une population qui subit de plein
fouet la crise économique, sociale et sécuritaire. Les convulsions vont se
poursuivre et se succéder, car la situation politique n'est pas stabilisée. Les
leaders de chaque camp sont âgés. Les islamistes sont, pour l'instant, tenus
par la personnalité de Rached Ghannouchi, mais sa succession risque de poser des
problèmes internes. Même s'il est discrédité, le président Moncef Marzouki,
de son côté, n'a pas rendu les armes. Quant à la gauche, beaucoup de ses
représentants préfèrent rester dans l'opposition. Les élections à venir
permettront de faire émerger peu à peu une nouvelle élite politique.
Le parti Ennahda a fait
beaucoup de concessions et le Premier ministre, issu de ses rangs, a fini par
démissionner. Les islamistes sont-ils pour autant affaiblis?
Non. Car les islamistes
raisonnent à long terme. Rappelons d'où ils viennent: leur accession au
pouvoir, après les élections de 2011, était inespérée. A l'époque, ils
sortaient tout juste des geôles de Ben Ali.
Ce qui s'est passé en Egypte, où l'armée a repris le pouvoir par la force et
jeté en prison des milliers de Frères musulmans, a fait peur aux leaders
d'Ennahda, qui craignaient d'être renvoyés derrière les barreaux.
Aujourd'hui, le plus important
pour eux est de conserver un pied dans l'appareil d'Etat pour mener à bien
leur projet de réislamisation de la société. La signature, par le Premier
ministre, Ali Larayedh, du texte constitutionnel a permis de donner au
parti une dimension historique à son action, malgré un bilan gouvernemental très contesté.
Les islamistes restent le
premier groupe politique au Parlement jusqu'aux nouvelles élections et, donc,
des acteurs incontournables de la transition. Leur modération sur la fin de
leur mandat porte ses fruits: Ennahda est repassé en tête des intentions de
vote dans les sondages. Même s'ils arrivent en tête lors du prochain scrutin,
ils n'auront pas la majorité absolue et seront obligés de composer. Cet
équilibre des forces devrait sauver la Tunisie.
Propos recueillis par Romain Rosso,
Pour l'express
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