Les Frères musulmans : Leur histoire et leur lien avec le nazisme mais aussi avec Khomeyni !
R.B
Michael Prazan,
C'est une enquête inédite, une plongée dans
l'histoire et dans les réseaux d'une confrérie qui, il y a quelques mois
encore, dirigeait l'Egypte. Michaël Prazan, documentariste et journaliste,
auteur notamment d'Einsatzgruppen,
les commandos de la mort nazis (Seuil, 2010) et d'Une histoire du
terrorisme (1945-2011) (Flammarion, 2012), a sillonné le monde
arabe, l'Europe et les Etats-Unis durant deux ans, afin de comprendre qui
étaient vraiment les Frères
musulmans.
Islamistes modérés, comme ils aiment à se
présenter, bienfaiteurs du peuple, des pauvres et des nécessiteux, ou
théocrates intransigeants, tenants d'une vision radicale de la religion et
partisans de l'instauration d'un califat mondial ?
En reconstituant minutieusement l'histoire du
mouvement, en rencontrant ses membres et ses responsables les plus éminents, en
interviewant des spécialistes, il met en évidence leurs liens avec une
multitude de mouvements, d'Al-Qaida au Hamas palestinien en passant par le Front
islamique du salut algérien et Ennahda, en Tunisie.
Créée en 1928 par Hassan al-Banna, la confrérie a
repris le chemin de la clandestinité. Emprisonnés, traqués, les Frères
musulmans s'avouent-ils pour autant vaincus depuis leur destitution à la suite
du coup d'Etat militaire du 3 juillet 2013 ? L'auteur, dont l'enquête s'achève
le 15 août 2013, revient aussi pour Marianne sur les liens historiques entre
la confrérie et le nazisme, sur les alliances entre sunnites égyptiens et
chiites iraniens et sur son rôle dans la propagation d'une idéologie antisémite
dans le monde musulman.
Marianne : Où en sont les Frères musulmans
aujourd'hui, et quel est leur état d'esprit ?
Michaël Prazan : Ils ne s'attendaient pas à ce qui leur est
arrivé. Ils étaient dans une situation où le pouvoir était acquis, où il y
avait une sorte de fatalité en leur faveur. Désormais, ils sont poursuivis,
emprisonnés, leurs partisans, exécutés. Leur chute a provoqué une onde de choc
dans la région. En Tunisie, Ennahda a lâché prise, ils ne sont plus au pouvoir
et ont peu à peu transigé sur des points sur lesquels ils ne le faisaient pas,
notamment le partenariat avec les salafistes.
Il y a des lois démocratiques qui sont en train
de voir le jour, en particulier sur la liberté d'expression. Certains de leurs
partenaires, comme le Hamas, la branche palestinienne des Frères musulmans, se
retrouvent désormais très isolés. En Egypte, on assiste à la réédition des
dispositions légales prises par Nasser en 1954 : l'interdiction de la
confrérie, la saisie et le gel de ses biens et de ses avoirs, l'interdiction
des émanations associatives, de tout ce qu'elle gère de près ou de loin.
Mais ce dernier point ne pose-t-il pas problème
justement ? Les Frères ont acquis une assise dans la société égyptienne en
palliant les manques de gouvernements corrompus et en créant des écoles, des
hôpitaux, des hospices...
M.P. : C'est le cœur d'un vrai problème, effectivement,
car cette disposition n'est pas tenable dans l'Egypte d'aujourd'hui. Les Frères
sont prudents, ils ont pris leurs dispositions, car beaucoup de ces réseaux ne
leur sont pas reliés officiellement. Mais ils font office de sécurité sociale
et il est très difficile de s'en passer, dans un pays très pauvre où plus d'un
quart de la population est analphabète. Même s'il y avait une volonté
d'éradiquer totalement cette influence, ce me semble matériellement très
difficile.
Quelle serait la solution ?
M.P. : Il faudrait injecter énormément d'argent dans le
social. Mais cet argent n'existe pas. Et ce n'est pas les monarchies du Golfe
(à l'exception de l'Arabie saoudite, qui soutient le nouveau pouvoir en Egypte)
qui vont le faire puisqu'elles sponsorisent le réseau associatif des Frères !
Justement, le nouveau gouvernement égyptien
n'est-il pas un peu isolé dans la région ?
M.P. : Je ne le crois pas, dans la mesure où la donne a
changé. Quand les Frères sont arrivés, un certain nombre de puissances leur ont
fait des appels du pied, la Turquie, le Qatar, l'Iran. Mais l'échec des Frères
les a fait échouer à gagner de l'influence. La Turquie est rentrée dans le
rang, l'Iran fait des efforts, même s'il est très isolé dans un environnement
majoritairement sunnite.
D'après vous, cette distinction entre sunnites et
chiites, d'un point de vue régional, n'a pas lieu d'être...
M.P. : Il y a des distinctions et des conflits, de vives
oppositions d'un point de vue théologique et religieux. Mais il faut être
conscient que, d'un point de vue idéologique, il y a très peu de différences
entre la révolution islamique iranienne, qu'il s'agit ici de distinguer du
clergé chiite, et la confrérie. L'influence de la révolution islamique dans la
région est très importante : sans elle, il n'y aurait jamais eu l'assassinat
d'Anouar al-Sadate. Khomeyni citait Sayyid Qutb très souvent dans ses discours,
qui était la principale figure intellectuelle des Frères musulmans, tout en
étant le principal théoricien du jihad moderne et le père spirituel d'Al-Qaida.
De ce point de vue, l'Iran est un exemple, un
modèle. Dans les années 50, il y a eu une fusion avec les Fedayin de l'islam
iraniens, créés par Navvab Safavi. Ce leader terroriste iranien, dont la pensée
est très proche de celle des Frères, a été invité par eux à la conférence
islamique de Jérusalem en 1953, puis au Caire en 1954. C'est lui qui a fait découvrir
Qutb à Khomeyni et qui l'a converti à la pensée des Frères. Ce qui les a, en
retour, influencés, dans la révolution islamique, c'est le retour à un islam
pur et dur et cette pulsion révolutionnaire ; le fait que l'islamisme a pu
renverser un régime honni, allié des Américains. Ces deux pays, l'Iran et
l'Egypte, ont la même histoire récente. Ils ont subi un joug colonial très fort
et ont produit des organisations terroristes soutenues par une même idéologie.
Vous expliquez ici également comment s'est
infiltré et répandu l'antisémitisme dans leurs discours...
M.P. : Oui, par une propagande nazie très importante,
dont les vecteurs étaient multiples, mais au premier rang desquels on trouve
les écoles techniques allemandes, très bien implantées entre la fin des années
20 et la chute du nazisme. C'est de là que vient la diffusion de
l'antisémitisme chez les Frères ; même si on le retrouve dans le Coran, j'ai
tendance à vouloir le relativiser. Autrefois, les relations entre juifs et
musulmans étaient bonnes dans le monde arabe, meilleures qu'en Occident, même
si ce confort relatif était dû au statut de dhimmi, par lequel les juifs
bénéficiaient d'une protection en échange du paiement d'une taxe.
Ce sont la décolonisation, l'expulsion des juifs
des pays arabes et la création de l'Etat d'Israël qui vont permettre à
l'antisémitisme de se développer. L'absence des juifs va favoriser leur
diabolisation et l'idée d'un grand complot judéo-occidental ourdi contre eux,
contre l'islam au sens large. Il ne faut pas oublier que nombre de responsables
des Frères citent encore régulièrement le
Protocole des sages de Sion, qui est une pure invention antisémite, certes
créé par la Russie tsariste, mais utilisé par les nazis comme un outil de
propagande et largement diffusé dans le monde arabo-musulman.
D'autre part, l'organisation du mouvement, sa
structure, est calquée sur celle des mouvements fascistes et nazis. Quant à son
appareil secret, il était directement financé par le parti nazi, ce que les
Frères d'aujourd'hui ignorent sans doute, mais c'est la réalité.
Comment avez-vous procédé dans votre enquête
? Était-il difficile de faire parler vos interlocuteurs ?
M.P. : J'en avais déjà vu certains pour mon Histoire du
terrorisme, avant leur prise de pouvoir, notamment Mohammed Mehdi Akef, leur
«guide suprême» jusqu'en 2010. C'est un historique, le plus proche de Qutb,
chef de l'appareil secret, il a également œuvré au développement de la mosquée
de Munich dans les années 70, le centre à partir duquel s'est déployé le réseau
européen. Avec lui, il n'y avait pas de langue de bois. Mais, quand je suis
retourné en Egypte, alors qu'ils étaient aux portes du pouvoir, les choses
avaient changé. Ils avaient gagné les législatives, on était à l'approche de la
présidentielle, il fallait rassurer l'Occident et sécuriser la manne
américaine. Ma stratégie a été aussi simple qu'efficace : je les ai fait parler
de leur histoire. Pour eux, c'est une telle fierté et un tel patrimoine qu'ils
ne peuvent pas éviter ce sujet, ni botter en touche.
Après, il suffit de se glisser dans les
interstices, et on peut parler de sujets comme le califat, régional et mondial.
Cette question les énerve beaucoup quand elle vient d'un Occidental, et la
réponse est la suivante : «Vous, les Occidentaux, vous avez considéré que
vos deux idéologies, le communisme et le capitalisme, devaient s'appliquer à l'ensemble
du monde. Pourquoi en serait-il autrement pour nous qui pensons que notre
idéologie est la meilleure pour l'ensemble de l'humanité ?»
C'est d'autant plus vrai que l'unité fait partie
des cinq piliers de l'islam. Cette idéologie universaliste peut se mettre en
place de deux manières :
- Soit par la révolution, le combat, le jihad,
c'est la méthode Qutb - Al-Qaida.
- Soit par la stratégie des Frères, en prenant le
pouvoir là où c'est possible, petit à petit, après avoir construit dans les
pays où ils sont implantés une authentique base populaire. C'est une stratégie
à très long terme.
Considèrent-ils qu'ils ont, en quelque sorte,
perdu la guerre ?
M.P. : Absolument pas, ils ne diront jamais une chose
pareille. C'est certes un coup très rude. Il y a eu un précédent, en 1954, et
ils s'en sont relevés. Ils ne s'avouent pas vaincus, et ils ont raison. Les
Frères musulmans, c'est avant tout une idée, et une idée ne meurt pas comme
cela.
Ont-ils été surpris de ne pas être plus soutenus
par la population ?
M.P. : Oui, car ils avaient oublié une chose : les Égyptiens sont
pieux (d'ailleurs, la charia est conservée dans la Constitution), mais ce sont
aussi des nationalistes et des patriotes. Ça, c'est une idée qui est étrangère
aux Frères. Le pays s'est effondré sous leur gouvernement, les denrées de
première nécessité comme le pain venaient à manquer, il y avait pénurie
d'essence et des coupures d'électricité à répétition. Ils étaient dans un déni
de la réalité et dans la théorie du complot, qui fait écran avec elle : complot
judéo-occidental, de l'armée, copte, etc.
La présence des Frères est-elle importante en
Europe ?
M.P. : Elle est considérable ! Cela a commencé dans les
années 50 avec la création de la mosquée de Munich, en partie due à d'anciens
nazis convertis à l'islam. Et, à cette époque, les Américains jouaient la carte
des Frères au nom de la lutte anticommuniste : ils ont envoyé Saïd Ramadan, le
père de Tariq, pour diriger la mosquée et bâtir leur réseau associatif en
Occident. On les trouve partout, en Angleterre, en Belgique, en France,
notamment à l'Union des organisations islamiques de France (UOIF) qui est, entre
autres, chargée de la formation des imams.
Pensez-vous que cela peut avoir un rapport avec
la diffusion de l'antisémitisme dans certaines franges de la population
musulmane française ?
M.P. : Cela peut y avoir contribué, même si les facteurs
de ce phénomène sont multiples. Pour autant, il faut préciser que Dieudonné
n'est pas l'ami des Frères. N'oubliez pas qu'il est financé par l'Iran et que
la guerre en Syrie a rebattu les cartes [en réactivant l'opposition entre les
chiites, soutien du pouvoir alaouite, et les jihadistes sunnites]. Les
autorités sunnites en France se sont positionnées contre Dieudonné. l'UOIF fait également très attention depuis que deux de
ses invités, Safwat Hijazi et Youssef al-Qardaoui, ont été interdits de séjour
en France à la suite de déclarations violemment antisémites, alors même qu'ils
devaient intervenir lors du rassemblement annuel de l'UOIF au Bourget.
Par Vladimir DE GMELINE
Frères musulmans, enquête sur la dernière idéologie
totalitaire, de Michaël Prazan, Grasset
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