D’Alger à
Constantine en passant par Oran, «Libération» a rencontré partisans
du pouvoir, membres de l’opposition, jeunes et représentants
de la société civile, dans une Algérie divisée à quelques jours
d’une élection présidentielle qui ne peut que reconduire Abdelaziz
Bouteflika.
Alger, train de 8 heures
pour Oran et c’est parti pour quatre heures dans une cité roulante. Dans le
wagon de première, un homme s’assoit, la petite quarantaine. Veste de bonne
coupe, il se met à maugréer en sortant un mouchoir en papier pour nettoyer un fauteuil
en skaï couleur caca d’oie : «C’est toujours la même histoire dans ce
pays, il n’y a personne qui veut faire le ménage, même au sommet de l’Etat !
Tout le monde veut faire du business. Mais nettoyer un train c’est aussi
faire du business, non ?»
Une
dame, à côté de lui, foulard sur la tête, la petite soixantaine, lit un polar
d’Exbrayat, parle en arabe à ses petits enfants qui se chamaillent pour une
histoire de crayons de couleur, lève la tête et dit en français : «Je ne sais pas
ce qui se passe en Algérie mais plus les gens s’enrichissent plus ce pays est
sale.» Ce toubib
emprunte cette ligne une fois par semaine pour assurer ses consultations en
gériatrie. Il a fait sa médecine en France puis est revenu s’installer à Alger.
Il lit El Watan,qu’il
referme en chuchotant : «Je ne comprends pas mon pays : un homme qui n’a pas son libre
arbitre se représente et des hommes qu’il a mis sur la touche et humiliés
reviennent faire campagne pour la reconduction de cet impotent qui ne pourra
pas voter sans être soutenu jusqu’à l’urne.»
Un homme de service pousse un chariot et
propose du café et du thé. Echange en arabe. Le toubib : «Vous avez du
café ?» Le type : «Oui, mais je n’en ai plus.» Le toubib : «Du thé, alors
?» Le type : «Non, je n’ai
plus de thé non plus.» Le
toubib : «Mais pourquoi
vous proposez des boissons alors que vous n’en avez plus ?» Le serveur se redresse : «Je fais mon
travail.» Le toubib
roule les yeux : «Vous vendez ce que vous n’avez pas, c’est ça ?» Le type repart en poussant son chariot
et reprend : «Thé, café…» Le
médecin secoue la tête avec un demi-sourire et dit à voix basse : «Pays de
dingues.»
«MASCARADE»
Le toubib ne sait pas s’il ira voter : «Et pour qui d’ailleurs ? On attend tout du
changement qui jamais ne vient. L’Algérie est une immense salle d’attente. On
attend tous quelque chose : un boulot, un logement, un coup de pouce, des soins
décents.» Et le voilà
lancé, sur des rails lui aussi, atteignant sa vitesse de croisière dans les
contreforts de Chlef : «Pays riche qui nage dans le pognon et qui ne produit rien.
L’industrie pharmaceutique locale met sur le marché des médicaments
inefficaces, si bien que je dois dire à la famille de mes patients de se les
faire prescrire en France ou en Angleterre. On ne produit plus rien : même nos
tapis de prière sont faits en Chine et nos oranges viennent d’Alicante.» Il dépoussière sa veste d’un geste. Le
train arrive en gare d’Oran : «Elections ou
pas élections, le pays a perdu toute espérance. Le pire c’est que ce pays
possède tous les outils mais ne veut pas, ou ne sait pas s’en servir.»
En arrivant via le train, Oran est cerclé par
les bidonvilles. Pourtant, cette ville qui tombe dans la mer allume chez le
visiteur une pure flamme de beauté. Des constructions récentes, comme à
La Défense, barrent le front de mer : «C’est pour la nomenklatura qui vient faire la bamboche le jeudi
soir dans des penthouse avec filles, alcool et joints», dit un vieux confrère qui ne tient pas
à être cité. Ce dernier a été prof d’anglais «dans une autre vie». C’est
un homme qui se croyait «revenu de tout» mais
qui ne se résoud pas et enrage devant ce qu’il appelle «cette
mascarade». «Bouteflika - enfin, son image, son hologramme - se représente.
Mais cet homme et son clan ont bousillé le système scolaire algérien. C’est un
crime impardonnable de foutre en l’air l’avenir. J’en viens à me dire que, au
fond, voler n’est rien en comparaison. C’est dire si nos propres valeurs ont
été modifiées ces quinze dernières années…»
Marché aux
fleurs, centre d’Oran, remarquable architecture des années 50 mais
l’armature des balcons est à nu. Trois restaurants qui servent de l’alcool
viennent d’ouvrir. Le cabaret le Mélomane, en ville, est dans son jus depuis
soixante ans. Les fonctionnaires des impôts, maroquin sous le bras,
viennent s’y rincer l’œil et le gosier avant de rentrer mettre les patins.
Pendant ce temps, à Alger, on ferme les bistrots.
Une
grande affiche du candidat Bouteflika sur le mur d’un bâtiment dans le
cœur d’Oran. Un homme s’arrête, cartable à la main gauche, cigarette glissée
entre le pouce et l’index, fixe l’affiche et se retourne : «Il va
repasser. C’est le garant de la paix et de la stabilité. Sans lui, le pays sera
livré aux mains de l’étranger. Ici on vote Boutef.» Avant de reprendre son chemin, il
lâche : «Oran est une
ville magnifique. Et demain, avec la réélection de Bouteflika, elle sera encore
plus belle.»
«TRADITION
POPULISTE»
Oran et surtout Tlemcen, d’où Bouteflika est
originaire, ont souvent apporté son soutien «au pouvoir qu’il représente, car beaucoup de ministres sont ou ont
été originaires de l’ouest du pays», assure Hassan Remaoun,
67 ans, chercheur au Crasc à Oran (Centre national de recherche en
anthropologie sociale et culturelle). C’est un homme intellectuellement charpenté
et lucide. Certains de ses contradicteurs à Oran le qualifient de prosystème.
C’est certes un homme d’ordre, mais en rien un homme qui serait bénéficiaire de
la rente par le truchement de quelconque marché public, à l’instar de quelques
chefs d’entreprise en ville qui ne font pas mystère de leur attachement «au système.» Voilà ce que dit l’universitaire :«Oui, nous sommes dans un système imparfait, mais beaucoup de gens
vont voter pour un système qui va leur assurer un retour sur investissement de
la rente. Je crois que l’alliance sera maintenue entre les couches populaires
et le pouvoir.» Et de
poursuivre : «On vote pour une stabilité économique en fait, et cela pose
d’évidence le problème de la compréhension de la démocratie. C’est d’ailleurs
tout le problème lié à la corruption. Elle existe, mais le revenu de la rente
est distribué et entretient cette tradition populiste. C’est la caractéristique
majeure du régime en place.» Hassan
Remaoun refuse de se jeter dans le camp du pouvoir, qu’il regarde avec un
sang-froid scientifique : «C’est d’évidence un système autoritaire mais, à côté de celui de
Ben Ali, comment le qualifier ? Ce qui pose problème, c’est que le système de
reproduction des élites a été gelé depuis la fin des années 50.
Evidemment, on pourra parler à l’infini de Bouteflika, des élections truquées
ou pas, mais le problème fondamental reste la paralysie des transmissions des
savoirs et de tous les pouvoirs. C’est le nœud du blocage de notre société.»
Kaddour Chouicha,
vice-président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH),
professeur de génie civil à la fac d’Oran, ramasse le régime d’une phrase : «Avant
on mourrait de parler ; aujourd’hui on parle jusqu’à en mourir.» Certes
la campagne électorale a ouvert un large estuaire de liberté de parole. «Mais,
une fois la campagne achevée, le filet des libertés va se refermer et on va
siffler la fin de la récréation», pronostique-t-il, pipe de Maigret au bec. Pour ce militant
des droits de l’homme, le pouvoir déroule sa propagande sécuritaire :«Voyez les événements de Ghardaïa [aux portes du Sahara, à 600 km
d’Alger, la ville est le théâtre d’affrontements depuis décembre entre les
communautés mozabites (Berbères musulmans) et arabes, ndlr], c’est cela que
vous voulez ? Une situation sécuritaire instable ? Un pays qui va se morceler
comme en Libye. Le spectre syrien ? Non. Eh bien votez pour la paix et la
stabilité, votez Bouteflika»,ironise
cet ex-militant communiste qui dit se tenir à l’écart «de
tous les appareils politiques d’opposition qui ont intégré que les élections
ont toujours été truquées et s’arrangent de cette situation car la campagne est
leur seul moment de prise de parole».
Chouicha,
qui a connu les filatures, les intimidations, les arrestations, raconte un pays
caduc, épuisé, dont les pouvoirs successifs ont gommé les espérances : «Ceci, on peut
le résumer à "donne-moi ta liberté et je donnerai en échange un peu de ma
sécurité".» Chouicha
roule dans sa C3 Picasso vers Mascara pour rendre visite aux grévistes
d’une cimenterie. «Les candidats, ça ne les intéresse pas. Pas un n’est venu voir ce
qui se passe et pourquoi on fait grève. C’est comme si on n’existait pas», dit ce gréviste. Chouicha se
démène pour médiatiser ce mouvement social qui bénéficie d’un suivi régulier et
factuel dans l’édition oranaise d’El Watan : «Quand je vois
cette campagne, j’ai l’impression que tout est faux. C’est diabolique, ce jeu
subtil de faire croire que tout est réel.» Et Bouteflika ? «Si les choses
devaient se gâter pour son cercle, qui l’utilise, il sera jeté immédiatement
aux lions comme le seul responsable de tout ce qui a été entrepris.»
«BIENVENU
DANS UN PAYS EN PANNE»
Retour Oran-Alger. Mais grève «sans préavis» de la Société nationale des transports
ferroviaires (SNTF). L’essaim de voyageurs prend d’assaut les guichets. Aucune
explication n’est donnée et on apprendra le lendemain que les cheminots
n’auraient pas été payés depuis… trente-six mois. 400 km en taxi clandestin
et néanmoins collectif. A peine le taxi a-t-il démarré qu’il se fait rançonner
par deux motards de la police. Le chauffeur connaît la chanson et leur glisse
10 000 dinars (90 euros). C’est un type hâbleur, dans les
35 ans, qui ne cesse de reluquer dans son rétro une de ses passagères :
22-23 ans, en cuir, bottée comme Jane Fonda dansBarbarella et maquillée comme une voiture
volée. La fille rechausse ses lunettes noires Gucci et dira deux phrases en
quatre heures. La première, impérative :«Regarde devant
toi.»
Sur l’autoroute, le taxi explique qu’il
préfère «la sécurité à
l’injustice et votera Bouteflika» en
reprenant sa digression sur la vie et la mort de Lounès Matoub, l’artiste
kabyle honni du pouvoir et haï par les islamistes, assassiné en 1998, son «chanteur
préféré». Mais
le chauffeur se trompe de sortie, s’abîme les yeux sur les panneaux
autoroutiers grands comme un parquet de basket, pile soudain au milieu des
voies et des injures, se perd dans les bretelles et finit par reprendre…
l’autoroute d’Oran. Seconde phrase de la fille en cuir : «Ce chauffeur
ne sait ni lire en arabe ni en Français. Peut-être qu’il n’est même pas
chauffeur ? Bienvenue en Algérie, pays en panne qui vote pour un homme à
demi-mort.» Comme si
elle parlait à un meuble.
Dans cette campagne caractérisée par
l’absence du candidat Bouteflika cloué dans son palais par les séquelles d’un
AVC et les meetings dans lesquels se réunissent ses militants pour mieux
écouter celui qui ne parle pas, le candidat Ali Benflis, ex-Premier ministre de
Bouteflika, s’est lancé dans un interminable marathon électoral à travers les
48 wilayas préfectures. Ali Benflis, joint par Libération mercredi
évoque, lui aussi, «un pays en panne» et
l’immense «fatigue» qu’il découvre ou feint de découvrir
chaque soir dans des salles surchauffées : «C’est un pays épuisé mais qui, avec moi, va retrouver un allant
car je suis porteur d’un renouveau. Il nous faut un autre pouvoir, garant des
libertés publiques et syndicales, et stopper cette privatisation de l’exécutif»,
tonne-t-il.
Ali
Benflis, selon des recoupements sur place, évoque effectivement «une
mobilisation sans précédent» en
sa faveur et explique que, s’il est resté dix ans en retrait, c’est pour
mieux travailler au redressement du pays : «Je suis resté silencieux mais pas inactif pendant tout ce temps,
croyez-moi, et le 17 avril je m’attends à un résultat favorable.» Et si ce n’était pas le cas ? «Alors
l’Algérie continuera à vivre à côté de l’histoire, mais je ne me tairai pas.»
Les jeudis à Alger, sur les coups de
11 heures, le collectif Barakat («ça suffit») se regroupe sur la rue
Didouche-Mourad, qu’on appelle encore rue Michelet, face à la fac d’Alger. Le
rituel est toujours le même : une cinquantaine d’activistes, aux cris de «Boutef dégage
! Y en a marre de ce pouvoir !» et «FLN au musée
!» se chauffent la
voix. Arrivent cinquante flics qui les compressent. Un flic par manifestant,
sans compter les quatre fourgons Mercedes avec les renforts. Un type se marre : «Ces cons de
flics ne savent pas lire et ils ne comprennent pas le français, on pourrait
presque les traiter de tous les noms.» Poitrine contre poitrine, les flics
étouffent la manif et finissent par la souffler comme une chandelle. Du grand
art. Un manifestant manchot s’en extrait, serre tour à tour la main des flics
qui, il y a trois semaines, l’ont embarqué comme ils avaient embarqué un de
leur collègue en civil qui gueulait comme un putois en leur disant qu’il était
de la maison. Sur le trottoir, deux télés filment. Une autre équipe remballe
son matériel : «On est venus interroger les passants sur les kidnappings des
enfants à Alger. Un micro-trottoir en fait», dit la journaliste. Mais la
manif ? «Non, nous,
c’est les enlèvements d’enfants, pas la manif.»
«ATOME
D'INTELLIGENCE»
«Mosquée ou
café». Barakat
? Pour les pro-Bouteflika, il s’agit tantôt d’un parti«fasciste» tantôt «d’anarchistes» et, visiblement, le choix n’a pas été
encore arrêté. Qui sont ces activistes de Barakat ? Des employés, des
étudiants, des post-ados qui mangent du chocolat, des professeurs, des filles,
beaucoup de filles. Ça parle tantôt en arabe, tantôt en français. C’est un
mouvement foutraque, gai, alerte, culotté qui refuse la candidature de
Bouteflika et celles des six partis d’opposition qui «ne sont que
des partis de disposition», comme l’exprime Amira Bouraoui, une
porte-parole du mouvement et gynécologue à l’hôpital public.
Un type dans la rue, du menton, lance : «Ils ne
représentent rien.» Amira
Bouraoui :«On représente un petit atome d’intelligence qui gravite autour de
l’ignorance crasse. On refuse cette secte qui nous gouverne depuis
soixante-cinq ans et pense que l’Algérie est une propriété privée.
Barakat, c’est le refus de la terreur qui nous gouverne.» La définition la plus juste de ce
mouvement, qui a de petites antennes dans le pays, est donnée par cette médecin
et aussi fille de médecin militaire : «C’est un collectif de chats de gouttière qui dit non à cette
société déculturée où la jeunesse, invisible statistiquement car pas inscrite
sur les listes, a le choix entre la mosquée et le café.» Amira est une femme lucide sur ce qui
l’attend, ainsi que sur le sort du collectif algérois après
le 17 avril : «On nous fera payer cette insolence. Ça commence déjà par des
pressions sournoises et inquisitoriales. Vous êtes en règle ? On va vous
envoyer le fisc, etc.» Mais,
reprend-t-elle, «combien de temps va-t-on encore acheter le silence de ce peuple
lobotomisé ? Si ce pouvoir
reste en place, alors le risque de révolution se fera dans le sang.»
A Alger il existe un homme qui mérite sa
place dans les manuels de civilité. Pourtant, c’est un ancien officier de la
Direction du renseignement et de la sécurité (DRS), et rien que de prononcer
cet acronyme évite de tenir salon. Pourtant Mohamed Chafik Mesbah, 65 ans,
versé dans l’analyse politique depuis sa démission il y a dix-huit ans des
services secrets, occupe les pages débats des journaux, notamment celles du
quotidien Liberté. Et le moins qu’on puisse dire c’est
qu’il ne pratique pas le baisemain envers le clan Bouteflika. Les propos sont
nets, la logique tenue et les constats sans appel. MCM parle «de processus de mort lente de l’appareil
d’Etat, d’un pays exsangue malgré les richesses en hydrocarbures, un tissu
social abîmé» et,
pis, «d’une armée
fragilisée». Et de citer Gramsci : «L’ancien monde
se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour et dans le clair-obscur
surgissent les monstres.» MCM
a un jour qualifié son pays de«dictature
molle». A
l’écouter, on ne peut s’empêcher de penser que cet homme si subtil, si au fait
des rouages de l’Etat et de ses coups tordus, est en train de dresser
l’inventaire cinglant d’un régime pathétique et grotesque, et ceci presque
contre lui-même, tout en pressant ce système de se réformer avant la prochaine
lune ou avant que l’inévitable catastrophe ne l’emporte.
Constantine,
altitude 700 m. A une heure d’avion d’Alger. La ville est bouclée par le
GTAC, le Grand Tour d’Algérie cycliste, avec arrivée en côte sous un crachin
glacial. Trois affiches de Bouteflika, Benflis et Touati, sur un panneau
électoral, battent sous la pluie. Partout des publicités pour le sponsor du
GTAC : «Profitez des
remises explosives sur la nouvelle Fiat.» A 200 m de la ligne d’arrivée, l’une
des permanences du candidat Benflis. Deux quinquagénaires tiennent le
pas-de-porte.«On accueille énormément de jeunes qui se renseignent sur le
programme», affirme
l’un des militants. Le rocher de Constantine est défiguré et dégouline
d’ordures. Les librairies ne vendent plus de livres mais des savonnettes, des
serviettes hygiéniques et des compléments alimentaires pour bodybuilders. C’est
aussi la ville des boutiques de téléphones portables, à n’en plus finir. Les
trottoirs sont dépavés ou éventrés et le panorama démoli par une copie du
viaduc de Millau construit en centre-ville par une boîte de BTP brésilienne qui
achève de poser le tablier. En contrebas de ce qui fut cette fleur
architecturale, la gare routière ankylosée par un embouteillage monstre et
toutes ces femmes épuisées par leur journée qui regardent, les yeux vides, la
pluie dégouliner sur les vitres. La pluie redouble. Les cyclistes marocains
rentrent crottés et transis à leur hôtel qui passe du Joe Dassin et du Michel
Fugain dans la ville de Cheikh Raymond, le prince de la musique
arabo-andalouse.
«L’Algérie est une fiction. Le
peuple est livré à la société de consommation et à l’islamisme. Ici on ne pose
pas de questions. La preuve, l’opposition ne demande jamais de comptes. C’est
une opposition de harem», explique Zineb Azouz, prof de maths à la fac
de Constantine. Cette femme, d’une incroyable témérité, aussi fidèle à ses
ennemis qu’à ses amis, est qualifiée «d’anarchiste», voire «d’insoumise», et
passons sur «les
qualificatifs peu glorieux dont on m’affuble», dit-elle. Elle possède un cran
inouï et ce sens de la formule qui claque comme un fouet : «Gendarmes
partout, Etat nulle part.» Ses
étudiants ? «Ils ont
intégré le fait ne pas s’opposer sinon c’est le bâton. Si vous appelez cela une
dictature molle, vous… Sans éducation il n’y a pas de révolte. Ce qui achève
l’Algérie, c’est qu’il n’y a plus de transmission du savoir et pas la volonté
d’accueillir les meilleurs cerveaux formés à l’étranger C’est à croire que le
pouvoir a peur d’eux. Et toujours pas une école d’agriculture dans le grenier
de Rome…»
Un immense téléphérique au-dessus de l’oued
Rhummel strie le ciel de la ville avec arrêt au CHU Ben-Badis. Le terminus
s’appelle Emir-Abdelkader mais c’est Abdelaziz Bouteflika, sur 5 m de haut et
tout en toile, qui salue la ville, tel César. Une dame et sa fille dans une
cabine 8 places. La fille : «Tu iras voter, maman ?» La dame : «Oui, mais pas pour Bouteflika, il n’est pas respectueux de son âge.
Il faut qu’il se repose maintenant.»
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