Un petit rappel ... pour comprendre la collusion des américains avec les pétromonarques mais aussi avec leurs protégés les islamistes !
R.B
R.B
Jusqu’à
l’effondrement du mur de Berlin et l’éclatement de l’empire soviétique, la
géopolitique de la républicaine américaine s’articulait, pour l’essentiel,
autour de l’endiguement du communisme. Le terme est dû à l’historien,
politologue et diplomate américain George F. Kennan qui publia en 1947 un
article dans Foreign Affairs soutenant que «le principal élément de toute
politique des Etats-Unis vis-à-vis de l’URSS doit être un endiguement des
tendances expansives de la Russie, à long terme, avec patience, mais fermeté et
vigilance ». L’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan au début des années
quatre-vingt changea la donne. A l’endiguement, les USA ajoutèrent le
harcèlement et la diatribe: guerre des étoiles et discours messianique sur
l’empire du mal. Le but de la guerre des étoiles était d’entraîner l’URSS dans
une course poursuite technologique et économique que l’on savait incapable de
soutenir afin de précipiter son implosion de l’intérieur. Parallèlement, le
discours américain est devenu sectaire et manichéen, le bien étant les USA et
le monde libre, le mal l’URSS et ses satellites. C’est en raison de cette
vision que les néo-conservateurs américains, Georges W. Bush en tête, ont
considéré que le mal n’a pas disparu avec l’effondrement du bloc soviétique.
Pour eux, le mal réside dans tout « ennemi » des USA et de la démocratie dans
le monde. Or les USA comptaient alors plusieurs dictatures de droite
parmi leurs amis et protégés. Les néo-conservateurs firent alors valoir avec
une extraordinaire mauvaise foi que les dictatures de droite, contrairement à
celle de gauche, sont capables de s’auto réformer au point de se muer en
démocraties libérales.
Hasard
de l’histoire ou non, l’effondrement du communisme, du moins en Europe,
coïncida avec la montée de l’islamisme. Contrairement à certaines idées reçues,
les USA se sont bel et bien préoccupés du phénomène avant le 11 Septembre 2011.
En effet, le vivrier classique dans lequel la politique étrangère américaine
puise ses conceptions de base, c'est-à-dire le milieu universitaire, avait
balisé le terrain bien avant le 11 Septembre.
Par
tradition, la politique étrangère américaine fait l’objet de débats académiques
poussés entre universitaires et chercheurs (les très influents conseillers pour
la sécurité nationale et Secrétaires d’Etat Henry Kissinger, Zbigniew
Brzezinski, Condoleezza Rice par exemple appartenaient à ce sérail). La
question islamiste n’échappa pas à la règle. Deux écoles s’affrontèrent. La
première dite des « confrontationalist » considéra que les USA n’ont
d’autre choix que la confrontation directe avec les islamistes puisque ceux-ci
constituent, de leur point de vue, un facteur de déstabilisation et une source
de danger pour les intérêts américains. L’école considéra que la distinction
entre islamistes radicaux et modérés est factice dans la mesure où les deux
poursuivent un même objectif : l’établissement d’un Etat théocratique. La
seconde école de pensée dite des « accomodationists » établit, au contraire,
une distinction entre islamistes modérés et islamistes radicaux. Pour elle,
l’islamisme constitue une force politique avec laquelle les USA doivent
compter. Il faut donc discuter avec les plus modérés d’entre eux, d’autant que
ceux-ci ne manifestent aucune hostilité à l’égard des USA. C’est cette école de
pensée qui semble inspirer davantage la politique étrangère américaine à
l’heure actuelle.
Pour
les USA, il y a néanmoins islamisme et islamisme. Le chiisme fût considéré tout
de suite comme l’ennemi mortel. Hormis les attentats commis au Liban, on ne
connaît pourtant pas d’attentats attribués à la mouvance chiite sur le sol
américain ou ailleurs. Il faut donc croire que c’est la position ferme des
chiites vis-à-vis d’Israël qui constitue l’explication de leur défiance. De
fait, la politique américaine vis-à-vis de l’islamisme a été construite sur
l’idée que le sunnisme est un moindre mal et que dans la mesure où l’arrivée au
pouvoir des islamistes modérés dans plusieurs pays était pour ainsi dire
inscrite dans l’ordre naturel des choses (ce qui reste à démontrer), les USA
avaient intérêt à établir les bases d’un dialogue avec eux. Dans cette
concordance, il y a évidemment le dit et le non dit, le clair et l’obscure.
Les
concordances et les ambiguïtés
A
l’instar de tous les partis politiques d’essence religieuse, les partis
islamistes sont des libéraux au sens économique du mot. Quand on connaît
l’aversion maladive des américains à l’égard de l’étatisme et du socialisme, le
fait que les islamistes soient des libéraux de stricte observance, économiquement
parlant, constitue pour eux un réel motif d’entente. Le second point de
concordance est corollaire du premier. Le communautarisme, consubstantiel de
l’organisation sociale et politique américaine dès l’origine, constitue une
valeur partagée entre les USA et les islamistes. Les uns et les autres
consacrent la primauté de la communauté sur la Nation. Les uns et les autres
entendent réduire le rôle de l’Etat à ses fonctions exclusivement régaliennes
et lui dénient tout interventionnisme et toute fonction de régulation.
Voyons
maintenant l’étendue des ambiguïtés. L'un des axes majeurs de la politique des
Etats-Unis au Proche-Orient est l'alliance stratégique avec Israël. Il est
évidemment absurde d’expliquer la solidité de cette alliance par la seule
influence de la communauté juive américaine et du lobby pro israélien à
Washington. Quel que soit le dynamisme de ces groupes de pression, cela
n’aurait pas pesé lourd devant les intérêts vitaux de la république américaine.
Les choses étant ce qu’elles sont, l’Etat hébreux est apparu aux yeux des USA
comme un allié fiable et relativement docile. Après tout, Israël est un Etat
isolé au Moyen-Orient. Il a donc besoin lui-même d’un allié surpuissant et
protecteur. Les Etats-Unis se sont offerts de jouer ce rôle à charge pour
Israël de jouer le rôle du gendarme régional en leur faveur. Or aucun islamisme
sunnite non jihadiste, hormis le Hamas et pour cause, ne remet plus
ouvertement en cause l’existence de l’Etat hébreux. Ce n’est évidemment pas le
cas de l’islamisme chiite.
Le
second point concerne évidemment le pétrole. Pour les USA, qui tient le pétrole
tient l’économie mondiale. Premier consommateur et premier importateur de
pétrole dans le monde, les Etats-Unis ont toujours exercé le premier rôle dans
le développement et l'orientation de l'industrie pétrolière. Cela vaut pour le
Moyen-Orient en général, l’Arabie Saoudite et les pays du Golfe plus
particulièrement. Or, depuis 1986, les réserves pétrolières des Etats-Unis ont
commencé à chuter, de sorte que la part des importations en pétrole dans la
consommation intérieure américaine a dépassé la part de la production
nationale. Dans la mesure où les Etats-Unis entendent préserver leurs propres
réserves en pétrole, il leur fallait « pomper » plus et le moins cher possible
ailleurs. Cette stratégie devait conduire les USA à exercer un contrôle encore
plus strict sur les zones de production, les chemins maritimes et terrestres
d’acheminement et les prix. Pour cela, la diplomatie ne suffit plus. La présence
militaire s’imposait.
Le Moyen-Orient occupe le centre de la géopolitique américaine
du pétrole. Conscients que le nationalisme arabe n’est plus en mesure de les
contrecarrer comme par le passé, se rendant compte que seul l’islamisme est
capable de leur nuire, les USA ont jugé qu’il leur fallait se montrer plus
accommodant avec une idéologie somme toute dominée, alimentée et soutenue par
l’argent du pétrole. Très curieusement, mais est-ce véritablement le cas,
l'islamisme présente la particularité d'avoir été favorisé par la politique
américaine au Proche-Orient tout en bénéficiant de son soutien actif ou
discret. Or remarquera, là aussi, que hormis quelques groupuscules, l’immense
majorité des islamistes sunnites s’accommode d’une présence militaire
américaine qui n’a pour but que la protection des gisements du pétrole et la
pérennisation de ses rentiers de l’Arabie et du Golfe.
Les bras séculiers de
l’islamisme sunnite et la géopolitique américaine
Le
Royaume Saoudien et le Qatar sont à l’heure actuelle les propagandistes les
plus zélés de l’islamisme, les plus généreux aussi. A bien y réfléchir, cela
constitue une anomalie au regard de leur poids démographique et de leur
rayonnement culturel et intellectuel.. L’explication de leur islamisme militant
se trouve donc ailleurs.
Les
Etats-Unis d’Amérique ont été le premier pays à avoir reconnu le pouvoir de
Cheikh Hamad Al Thani, actuel émir du Qatar, et à cautionner sa
révolution de palais. Peut importe les déclamations du Qatar quant à son
indépendance politique et diplomatique, ce qui ne supporte pas de contestation
est le fait qu’un accord mutuel de défense lie les deux pays et que le Qatar
abrite à l’heure actuelle le plus grand dépôt d’armes américaines hors du sol
des USA. Au dehors, la politique extérieure du Qatar ne semble pas
systématiquement alignée sur la politique américaine. Le Qatar entretient, par
exemple, d’excellentes relations avec « le diable » iranien pour des raisons
qui tiennent à l’exploitation de la poche de gaz du North Dome, une poche
souterraine qui s’étend justement jusqu’à la frontière iranienne. Mais
au-dedans, le Qatar épouse parfaitement les positions américaines en ce qui
concerne le processus de paix au Moyen-Orient et la géopolitique américaine du
pétrole notamment. Reste la question d’Al-Jazira TV et le sens caché de ses
messages subliminaux.
Hormis
le téléspectateur arabe, mal informé et ignorant des arcanes et des subtilités
de la politique étrangère mondiale, plus personne de sérieux ne se méprend sur
l’orientation réelle d’Al Jazira ou sur son instrumentation par le Qatar. Cela
ne remet évidemment pas en cause l’indépendance ou le professionnalisme de ses
journalistes. Il se trouve tout simplement que les Al Thani nourrissent une
ambition politique et diplomatique que d’aucuns estiment mégalomaniaque. Pour
ce faire, l’argent et la protection américaine ne suffisent pas. La création
d’un bras armé médiatique s’imposait. Al-Jazira est ce bras. Certes, la station
a grandement servi la cause de la démocratie dans le monde arabe et a permis
une ouverture d’esprit des arabes vers l’extérieur, mais sa fonction première
est de servir de podium et de vitrine médiatique au Qatar. Or le Qatar est
coincé entre deux puissances régionales antagonistes à tous les points de vue,
l’Arabie Saoudite et l’Iran. Il lui faut donc se ménager les bonnes grâces de
Washington tout en se montrant « indépendant » pour recueillir les bonnes
grâces du téléspectateur arabe. L’intelligence et la subtilité des Al Thani ont
fait le reste. C’est ce que les américains ont fini par comprendre et
cautionner. En somme, le Qatar représente pour les américains le chaînon
manquant.
Les
relations américano-saoudiennes sont d’une toute autre nature. Le Royaume
Saoudite est pour ainsi dire né dans le giron des américains et des sociétés
pétrolières américaines. Onze ans seulement après l’édification du royaume dans
ses frontières actuelles, le Roi Abdelaziz ben Abderrahmane Al Saoud se
réunissait avec le Président américain Roosevelt à bord du croiseur Quincy,
d’où le pacte du même nom (14 Février 1945). Ce pacte spécifie que la stabilité
et la protection de l’Arabie saoudite font partie des “intérêts vitaux” des
Etats-Unis, à charge pour le Royaume de garantir l’accès des américains à ses
champs pétrolifères. Le pacte pétrole contre protection tint en dépit de
quelques ratés : la création de l’Etat d’Israël, la crise pétrolière de 1973, la
politique panarabe du Roi Fayçal auquel on ne rendra jamais assez l’hommage
qu’il mérite.
La
seconde guerre américaine contre l’Irak ébrécha l’édifice. A cette occasion,
l’Arabie Saoudite refusa de servir de base terrestre à l’invasion de l’Irak, ce
qui contraignit les Etats-Unis à s’installer au Qatar. Mais l’édifice ne se
fissura très sérieusement que le 11 Septembre 2001. L’implication de certains
ressortissants saoudiens dans les attentats installa de la méfiance et conduit
certains dirigeants américains à présenter l’Arabie Saoudite comme un ennemi et
non plus comme un allié (Rapport de L. Murawiec, expert de la Rand, devant le
Pentagone, préconisant un tel changement de stratégie et Rapport devant le
congrès sur la faillite des systèmes de renseignement américains).
En
fait, les USA prirent conscience que l’islamisme propagé et encouragé par les
Saoudiens pourrait, à la longue, être dangereux pour les intérêts américains.
En effet, l’Arabie Saoudite mène une action politique, culturelle, diplomatique
et caritative en faveur du “wahhabisme”, ce qui revient à encourager les
courants salafistes. Or le salafisme recouvre deux réalités. Il y a d’une part
un salafisme jihadiste comme Al Qaïda, d’autre part un salafisme « soft », à la
saoudienne, un salafisme qui accepte la royauté à défaut du khalifat et qui ne remet pas en cause la
position américaine au Moyen-Orient, du moins pas ouvertement. Les deux se
rejoignent cependant pour réclamer l’application stricte de la charia et pour
honnir le régime républicain. Les deux ne diffèrent donc pas sur l’objectif à
atteindre, seulement sur les moyens pour y parvenir.
Conclusion
A
défaut de s’entendre avec l’islamisme salafite non jihadiste, les Etats-Unis
laissent l’Arabie Saoudite le financer pour mieux le contrôler. Après tout, ni
la mainmise américaine sur le pétrole arabe, ni l’existence et la sécurité
d’Israël ne sont frontalement mis en cause par l’islamisme sunnite non
jihadiste. Sur ce point, il existe une concordance tacite entre la république
américaine et des pays comme le Qatar et l’Arabie Saoudite. En fermant les yeux
sur le non respect des droits de l’homme dans les pays où le salafisme non
jihadiste domine et en se montrant bienveillant à l’égard de l’arrivée au
pouvoir d’un islamise soft dans certains pays, les USA veulent en fait se
prémunir contre toute tentation terroriste contre leur territoire. Dans un cas
comme dans l’autre, l’objectif des Etats-Unis est de confiner l’islamisme à
l’intérieur de ses frontières « naturelles » afin que les dégâts collatéraux ne
puissent plus atteindre le sol américain.
Ici,
le mot confinement est choisi à dessein. En effet, le confinement décrit mieux
la politique étrangère américaine vis-à-vis de l’islamisme que l’endiguement.
Le confinement signifie tout aussi bien l’isolement d’un prisonnier ou d’un
homme convaincu de désordre dans une forteresse. Mais il signifie aussi
l’interdiction d’un malade de quitter la chambre ou le maintien d’un animal
dans un espace restreint et clos. C’est très exactement la doctrine américaine
vis-à-vis de l’islamisme. Pour les USA, même les plus modérés d’entre les
islamistes doivent être considérés comme des malades contagieux, des fouteurs
de désordre et en tout cas comme des entités à fréquenter de loin et avec moult
précautions. Pour les USA, les islamistes doivent donc être isolés dans leur
propre espace afin qu’ils ne transmettent plus la maladie à autrui, entendez le
terrorisme ou le prosélytisme. Le calcul des américains est simple :
laissez-les entre-tuer entre eux afin qu’ils n’aient plus la tentation, la
justification ou les moyens de commettre d’actes terroristes aux USA. Il sera
temps d’aviser plus tard.
Il
reste qu’en dépit des efforts que font les USA et leurs amis islamistes pour
cacher les véritables motifs de leur collusion, le jeu des Etats-Unis au
Moyen-Orient et dans le monde arabe reste viscéralement hostile à la nation
arabe. De ce point de vue, le rapprochement entre islamistes modérés et
nationalistes arabes constitue une hérésie et un non sens historique. Jamal
Abdennasser et Michel Aflak s’en retourneraient dans leur tombe. Tant que
Washington n'aura pour buts affichés dans le monde arabe que sa mainmise sur le
pétrole arabe et son alliance stratégique avec Israël, le pro américanisme de
certains islamistes est à condamner avec la plus grande rigueur. Aucun des
objectifs majeurs américains dans la région ne correspond aux intérêts
stratégiques des Arabes. En cherchant à s’entendre coûte que coûte avec
Washington sur le dos des intérêts vitaux arabes, les islamistes « accommodants
» commettent « un crime, pire une faute ».
COMPRENDRE LE DRAME SYRIEN :
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