Le droit a empêché le chaos postrévolutionnaire !
Voilà un texte très long et qui paraîtra technique même s’il se lit très bien.
Il retrace bien ce qui s’est passé pendant ces quatre ans et on en tire le sentiment
que la Révolution a été sauvée du désordre par le droit. En lisant cette
analyse on ne peut qu’être fier des Tunisiens qui ont donné une leçon au monde
pour une transition démocratique pacifique et civilisée.
Yadh Ben
Achour :
*Pour ne pas aggraver la violence générée par la période postrévolutionnaire,
violence qui aurait pu aboutir au chaos, des sages ont eu recours à des
procédures informelles :
- Déclaration sur le processus
transitoire du 15 septembre 2011,
- Organisation du Dialogue national,
- Feuille de route élaborée par le
quartet,
- Institutions de la Commission des
consensus au sein de l’Assemblée nationale constituante.
*Dans tous ces cas, la force de la loi persiste, puisque le dernier
mot lui revient et que le retour aux procédures juridiques froides et
procédurales s’impose en fin de parcours. Mais les procédures chaudes de
contacts, de débats et de négociations sont mieux à même de résoudre les crises
et d’aller de l’avant.
*Ces processus informels ont réussi non seulement à apaiser les
tensions, mais au surplus, à débloquer et accélérer le processus constituant et
permettre l’alternance au pouvoir.
Un bravo tout particulier pour le
Professeur Yadh Ben Achour, auteur de ce texte et qui a contribué à cette
évolution en veillant avec d’autres qu’elle demeure dans la légalité.
R.B.
La force du droit ou la
naissance d’une constitution en temps de révolution
Introduction
Une Révolution est un phénomène
historique et sociologique d’une immense portée. Trois conditions cumulatives
doivent être vérifiées pour juger qu’un événement constitue bien une
révolution : une protestation publique massive qui, par sa portée, dépasse
les manifestations ordinaires de protestations collectives, telles que les
manifestations, les grèves générales, les insurrections ou les révoltes ;
deuxièmement, la victoire de cette protestation, ce qui veut dire la chute d’un
pouvoir politique avec ses hommes, se symboles et sa constitution. Cela
n’implique pas forcément le contrôle du pouvoir par les acteurs de la révolution.
La prise immédiate du pouvoir n’est pas systématiquement l’enjeu d’une
révolution, contrairement à ce que pense Charles Tilly (1). Les institutions
anciennes, le gouvernement, l’armée, la police, peuvent demeurer en place. Ce
fut le cas en Tunisie. Enfin, une révolution est un appel, en fait un rappel de
presque les mêmes principes universels de dignité, de justice et liberté. Cette
troisième condition révèle la portée incontestablement éthique de toute
révolution (2).
Au plus profond de leur nature et de leur
identité, révolution et constituante semblent être deux phénomènes
contradictoires. Une révolution, en elle-même, constitue une négation du droit,
du moins d’une négation du droit existant. Qu’elle se dresse contre le
titulaire physique d’un pouvoir, contre un régime politique donné, contre une
constitution déterminée, ou des lois constitutionnelles écrites ou coutumières,
une révolution constitue dans tous les cas de figure la violation d’une
légalité donnée, et plus spécifiquement d’un ordre constitutionnel. Dans son
rapport au droit, une révolution vise en tout premier lieu, à modifier,
réformer ou casser la constitution, le plus haut degré de la masse considérable
et foisonnante des lois qui gouvernent un peuple, son territoire et ses modalités
d’existence régulées par le droit. A partir de cette perspective initiale, elle
peut également viser à faire tomber les éléments les plus symboliques et les
plus marquants d’un système juridique lié à l’ancien régime politique, comme
certaines institutions ou lois politiques ou sociales, économiques, familiales
ou fiscales (3). Par conséquent, d’une manière ou d’une autre, une révolution
constitue fondamentalement une violation de la légalité et, en cas de victoire,
s’installe forcément sur les décombres d’une constitution.
Mais on ne peut s’arrêter là. Négation du
droit, une révolution constitue cependant un message, un appel éthique
impliquant l’édification d’un nouveau système de droit plus juste et plus
équitable, à commencer par sa constitution. Quand une révolution élève un appel
pour la liberté ou la justice sociale, elle ne se préoccupe pas de savoir
quelles seront demain les lois concrètes constitutionnelles, organiques ou
ordinaires, les décrets et arrêtés qui gouverneront la liberté de conscience de
pensée et de religion, le droit de réunion, la liberté de la presse et de
l’édition, l’impôt sur le revenu des personnes physiques, les droits
d’enregistrement, les droits de douane ou de succession, la TVA et les
redevances de toutes sortes. Elle donne un ordre moral, trace des objectifs
politiques aux futurs gouvernants qui mettront l’art des juristes et hommes de
loi au service de ce rappel éthique. Une révolution, en définitive, démolit les
éléments supérieurs et symboliquement marquants d’un système de droit, mais
porte en son sein les éléments éthiques fondamentaux et les objectifs qui
serviront à la construction du nouveau système de droit. Ainsi, Raymond Carré
de Malberg (1861-1935) a-t-il démontré que les principes de la Révolution
française constituent les fondations de l’Etat moderne (4).
Quel est le récit de la Révolution
tunisienne sur cette question ? Quels enseignements peut-on en
tirer ? Quels sont les rapports entre le moment révolutionnaire et le
moment constitutionnel (5) ? Ce sont les questions auxquelles nous allons
tenter de répondre dans ce qui suit.
Première partie : Une
révolution en quête d’une Constitution
La question constitutionnelle s’est posée
dès le départ soudain et imprévu de l’ancien dictateur le 14 janvier 2011. L’expérience
qu’a vécue la Tunisie au cours de la période transitoire qui a suivi la
Révolution est instructive à plus d’un titre. A travers les quatre périodes de
la transition du 14 janvier 2011 au 23 mas 2011 (6), du 23 mars 2011 au 23
octobre 2011 (7), du 23 octobre 2011 au 16 décembre 2011 (8), du 16 décembre
2011 au 24 janvier 2014 (9), cette expérience nous révèle que la chaîne du
droit, malgré une discontinuité fondamentale, due à l’effet de Révolution, a pu
résister à toutes les attaques provoquées par les crises sociales, politiques
et sécuritaires. Elle a en réalité servi de trame au déroulement des évènements
politiques (10).
La Constitution au secours de
la Révolution
L’élément le plus important à noter est
que la constitution a servi doublement les desseins de la révolution. En
premier lieu, elle a assuré, par le jeu de l’article 57 (11), de l’article 39
(12), et de l’article 28, le transfert du pouvoir au nouveau Président de la
République, ce qui nous a donné la situation paradoxale dans laquelle un homme
de l’ancien régime prend la direction de l’Etat, pour servir la Révolution et
éviter l’établissement d’un gouvernement de fait. Cet homme deviendra le
législateur de la première période transitoire. Ce paradoxe comme nous
l’expliquerons a été le secret de la réussite de cette période transitoire. Par
ailleurs, très rapidement, l’idée d’une nouvelle constitution est devenue
l’objectif principal du peuple, de la Révolution et de ses acteurs principaux.
La Révolution devait, « Si Veut le Peuple », acha’b Yourîd, déboucher
sur l’élection d’une Assemblée nationale constituante et l’élaboration d’une
constitution (13). Mais, comme le prouve l’expérience tunisienne, ce cheminement
entre la Révolution et la Constitution se fera lui-même par des
« dispositions constitutionnelles provisoires » (14), se manifestant
par le texte positif de la loi ou par des actes constituants (15). La
transition constitutionnelle est devenue effectivement le levier et le garant
de la transition démocratique (16). Il s’agit, comme l’a fait remarquer Paul
Amselek (17), d’un « processus de décision juridique ». Entre la
révolution et la constitution, se situe par conséquent une « période
transitoire », provisoire et préparatoire à la fois, qui consiste à mettre
en place des mécanismes provisoires d’organisation des pouvoirs publics, en
attendant l’adoption de la constitution permanente et définitive. Au cours de
cette période de transition, nous sommes en situation d’attente et de
préparation d’un événement inaugural : la future constitution (18).
L’adoption de cette constitution, par sa promulgation et sa publication, achève
cette période de transition (19).
Au cours de cette période de transition,
la classe politique a toujours été hantée par le vide juridique, alors même que
le vide juridique peut paraître comme un effet ordinaire de l’idée même de
révolution. L’originalité de la Révolution tunisienne se manifeste précisément
à la fois par le légalisme et le juridisme. Le légalisme qu’on observe dans le
souci constant des titulaires des pouvoirs civil, militaire et sécuritaire de
maintenir, contre vents et marées, la continuité de l’Etat, à travers la chaîne
continue de ses lois publiques constitutionnelles ou ordinaires (20). Le
juridisme qui se manifeste par le développement d’une culture
constitutionnaliste étonnement populaire et médiatisée et la consécration de
« l’expert en droit constitutionnel », sans souci de ses diplômes,
qualifications et statut universitaire, par le simple jeu de la presse, des
médias et de l’opinion. La caractéristique spécifique de la Révolution
tunisienne réside véritablement dans « le souci du droit et de la
loi ».
C’est par ce biais que la Révolution
tunisienne a résolu le problème de la cohabitation difficile, pour ne pas dire
paradoxale ou même contradictoire, entre la logique révolutionnaire et la
logique institutionnelle (21). La question centrale était de savoir comment
assumer la Révolution, en sauvegardant à la fois la continuité de l’Etat, aussi
bien sur le plan du texte positif que sur le plan des institutions. Autrement
dit, il fallait, autant que faire se peut, « éviter les gouvernements de
fait », c’est à dire des gouvernements qui n’ont pas de support juridique,
alors même que, par définition, la révolution est un « fait » un
phénomène anti juridique par nature puisqu’elle viole, en toute légitimité, la
constitution d’un pays.
Le processus de transfert du
pouvoir
Le suicide par le feu de Mohamed Bouazizi
le 17 décembre 2010, puis sa mort le 4 janvier 2011 ont été à l’origine du
processus révolutionnaire. Cet événement a déclenché une série de
manifestations à Sidi Bouzid, rapidement étendue à tout le territoire tunisien,
en particulier à Tunis, à la fin du mois de décembre. Malgré la visite du grand
brûlé par le Président de la République, la répression sanglante qui a abouti à
des centaines de morts et de blessé, malgré les discours mélangent condamnation
de l’insurrection et de la répression policière, menaces et apaisements, le
Président de la République quitta le pays le 14 janvier, en vue, semble-t-il,
d’apaiser la tension et préparer son retour. Dans un premier temps, le Premier
ministre annonça la mise en application de l’article 56 de la constitution sur
la délégation provisoire du pouvoir présidentiel au Premier ministre, puis,
dans les 24 heures, se ravisa pour annoncer la vacance définitive de la
présidence de la République et la mise en application de l’article 57 de la
Constitution (22). La vacance définitive fut entérinée le 15 janvier 2011 par
une décision du Conseil constitutionnel, qui assimila ce départ à un
« empêchement absolu » du Président de la République d’exercer ses
fonctions au sens de l’article 57 de la constitution tunisienne du 1er
juin 1959. En conséquence, le Conseil constitutionnel affirma que les
conditions étaient réunies pour que le Président de la Chambre des députés
puisse immédiatement exercer les fonctions de Président de la République de
manière provisoire, comme prévu par l’article 57 de la Constitution (23).
Ainsi, c’est par le jeu des règles
constitutionnelles elles-mêmes que fut résolu le problème de la vacance du
pouvoir présidentiel. Il restait à régler le problème de l’exercice du pouvoir
législatif, dans la mesure où la Chambre des députés, comme la Chambre des
conseillers, totalement discréditées par leur participation directe à la
dictature, n’étaient plus politiquement aptes à exercer le pouvoir législatif.
Ce problème fut résolu par un recours, quelque peu acrobatique il est vrai
(24), mais cependant justifié par les circonstances, à l’article 28 de la
Constitution qui prévoyait la délégation du pouvoir législatif au Président de
la République par la technique du décret-loi (25). Le 3 février 2011, par le
biais de la saisine obligatoire, le Conseil constitutionnel fut saisi d’urgence
par le Président provisoire de la République, en vue de statuer sur le projet
de loi de délégation, permettant au président, d’agir par décret-loi
provisoirement et jusqu’à la fin de la période intérimaire (60 jours). Cette
délégation portait en réalité sur l’ensemble des matières réservées au pouvoir
législatif. Constatant que la période de la délégation se trouvait ainsi
limitée, que les objectifs et les matières objet de la délégation, malgré leur
variété et leur étendue, se trouvaient également déterminés, prenant en
considération également les spécificités de la période transitoire, le Conseil
constitutionnel affirma que rien dans la Constitution n’empêchait une telle
délégation et que le projet de loi qui lui était soumis et qui devrait
normalement être ratifié par le Parlement, était conforme à la Constitution.
Tel fut l’hommage que le Conseil constitutionnel, rouage de l’ancien régime
déchu, rendit au cours de cette séance d’adieu, à la Révolution. Par-là même,
le Conseil constitutionnel inaugura l’application de ce droit constitutionnel
d’exception qui caractérisera cette première période transitoire.
Le projet de loi fut voté par la Chambre
des députés le 7 février 2011 et par la Chambre des conseillers le 9 février
2011 et devint ainsi la loi n° 5 du 9 février 2011, habilitant le ¨Président de
la République par intérim à prendre des décrets-lois en vertu de l’article 28
de la Constitution. Ce fut la dernière loi votée par les chambres de la défunte République. C’est sur la base de cette délégation que furent pris 13
décrets-lois dont celui relatif à l’amnistie et le décret-loi n° 6 du 18
février 2011 relatif à la Haute instance de réalisation des objectifs de la
Révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique qui allait
jouer un rôle fondamental dans la mise sur pied des institutions de la période
transitoire.
Nous voyons donc qu’au cours de cette
première période transitoire nous avons cousu un habit neuf avec des oripeaux.
En effet, « la transition, étant un état intermédiaire, une dialectique,
une union des contraires, combine dans une proportion, à déterminer dans chaque
cas, des survivances de l’ancien régime avec des éléments annonciateurs du
nouveau régime » (26).
Le rôle de la Haute instance de
la Révolution
Au cours de la deuxième quinzaine de
janvier 2011 et de la première quinzaine du mois de février, la perspective
dominante consistait à organiser en priorité des élections présidentielles,
conformément aux dispositions de la Constitution de 1959, de réformer la
Constitution pour la débarrasser des amendements qui y ont été ajoutés par la
dictature en vue de pérenniser son pouvoir et enfin de réformer les grandes
lois qui encadrent la vie politique, c'est-à-dire le code électoral, la loi sur
les associations, sur la liberté de réunion et de manifestations, la loi
réglementant les partis politiques et les lois sur la presse écrite et les
médias. Tel fut le travail qu’entreprit sans tarder la « Commission de réforme
politique » dont la création fut annoncé par le Premier ministre le 17
janvier 2011. Dans cette perspective, la Commission, sitôt constituée, organisa
des réunions de consultation avec un certain nombre de partis politiques, de
syndicats, de représentants de la société civile et de personnalités
nationales. Mais ce travail fut formellement interrompu par la mise sur pied de
la « Haute instance de réalisation des objectifs de la Révolution, de la
réforme politique et de la transition démocratique » (HIROR), instituée
par le décret-loi n° 6 du 18 février 2011 et dont la première séance est lieu
le 17 mars 2011, au siège du Conseil économique et social et en présence du
Président provisoire de la République.
La Haute instance fut le résultat d’une
intense négociation par le Premier ministre Mohamed Ghannouchi avec les
représentants les plus importants du « Conseil national de protection de
la Révolution » créé le 11 février 2011 entre 28 partis et associations
(27), en vue de protéger la Révolution contre le retour de l’ancien régime et
de consolider ses acquis (28). Le Premier ministre prit l’initiative de
proposer aux membres du Conseil national de protection de la révolution de
s’associer avec la Commission de réforme politique, en vue de former une Haute
instance. Par ce geste, le Premier ministre rendit un service éminent à la
Révolution, en lui offrant un processus para gouvernemental et sociétal,
acceptable et consensuel, de représentation et de décision (29).
Au cours du mois de février, la pression
de la rue et du sit-in de Casbah 2, ainsi que des principaux protagonistes de
la Révolution, en particulier l’UGTT et le Front du 14 janvier (30), s’exerça
dans le sans d’une perspective totalement nouvelle, tendant à l’élaboration
d’une nouvelle constitution par une assemblée nationale constituante élue au
suffrage universel (31). Au niveau gouvernemental, cette nouvelle perspective
fut entérinée au cours d’une réunion tenue au palais de Carthage dans
l’après-midi du lundi 21 février 2011 sous l’égide du Président provisoire de
la République, Foued Mebazza et en présence du Premier ministre, Mohamed
Ghannouchi, du ministre de la Défense nationale, Abdelkrim Zbidi, du général
Ammar et du Président de la Haute instance de la Révolution. Au cours de cette réunion,
il fut décidé que le Président provisoire de la République annoncerait au début
du mois de mars, qu’en réponse à la volonté du peuple, une assemblée nationale
constituante allait être élue le 24 juillet 2011 et que la Constitution de 1959
devrait être suspendue (32).
Les perspectives politiques ayant
fondamentalement changé, la priorité de la Haute instance de la Révolution
consista alors à préparer et faire adopter par le Gouvernement et le Président
provisoire de la République, devenu le législateur de la première période
transitoire, la loi électorale pour l’élection d’une Assemblée nationale
constituante et le texte relatif à l’instance supérieure indépendante pour les
élections, ISIE. Cette dernière instance qui organisa et supervisa les élections
du 23 octobre 2011 fut élue, ainsi que son président Kemal Jendoubi, par les
membres du Conseil de la Haute Instance de la Révolution le 9 mai 2011.
En réalité, le programme juridique établi
au sein de la Commission de réforme politique, devint celui de la Haute
Instance et cette dernière prit l’initiative, sur impulsion de son Comité
d’experts, des projets de décret-loi qui constitueront « les six lois de
la libération », c'est-à-dire :
- le décret-loi n° 27 du 10 avril 2011,
instituant l’Instance Supérieure Indépendante Électorale ISIE,
- le décret-loi n° 35 du 10 mai 2011
organisant les élections de l’Assemblée nationale constituante,
- le décret-loi n° 87 du 24 septembre
2011 réglementant le régime juridique des partis politiques, puis
- le décret-loi n° 88 de la même date sur
le régime juridique des associations, enfin
- les décrets-lois n° 115 et 116 du 2
novembre 2011, organisant la liberté de la presse et des médias.
Un débat houleux et chaotique eut lieu à
propos du Pacte républicain qui fut adopté par la Haute instance, mais qui
n’eut pas de suite concrète (33). Des séances « d’appellation »
furent organisées entre la Haute instance et certains membres du gouvernement
ou le Premier ministre. Les mêmes séances eurent lieu avec les deux autres
commissions présidées respectivement par le Pr Abdelfattah Amor et Maître
Taoufik Bouderbala. D’autres organismes ou entités furent écoutés par la Haute
instance (34), dans le cadre de son activité de politique générale. La
commission chargée de la mise en application de l’article 15 du décret-loi n°
35, présidée par le Pr Mustapha Tlili.
Sur chaque événement notable, la Haut
instance publia des communiqués et tint des conférences de presse. En réalité,
la Haute instance de la Révolution joua quasiment le rôle d’un parlement. Ce
dernier point fut précisément la cible de la plupart des attaques qui lui
firent dirigées. Certains grands esprits allèrent même jusqu’à demander sa
dissolution (35), après l’avoir pourchassée pendant des mois sur les colonnes
dominicales du journal « La Presse ». Rien n’y fit. Cette activité
quasi parlementaire fut également l’un des motifs principaux du retrait de
certains politiques de la Haute instance qui comprirent que par ses textes
libérateurs, elle risquait de ligoter la souveraineté de l’assemblée
constituante. Ils n’eurent pas tort. Les tentatives de modifier les
décrets-lois adoptés par la Haute instance, notamment les décrets-lois n° 115
et 116, devenus gênants pour le gouvernement de la troïka, furent voués à
l’échec, pour la simple raison que ces décrets-lois furent soutenus pas des
partis de l’opposition et la majeure partie des composantes de la société
civile, notamment les journalistes.
Cette nouvelle perspective rendait la
situation politique et juridique extrêmement difficile, dans la mesure où
l’exigence d’une nouvelle constitution rendait impossible aussi bien l’élection
du Président de la République que du Parlement, et que, par ailleurs, les
Chambres avaient été dissoutes de fait et les indemnités parlementaires des députés
et conseillers arrêtées par une décision de justice (36). L’ensemble de ces
circonstances aboutissaient en réalité à une suspension de la Constitution
elle-même.
La question fondamentale qui se posera
alors était la suivante : qu’allait-on faire au cours de la période se
situant entre la désuétude de l’ancienne constitution et l’élaboration, puis
l’entrée en vigueur de la nouvelle constitution ? Comment éviter le vide
juridique et l’installation d’un gouvernement de fait ?
Rupture : le décret-loi
constituant n° 14 du 23 mars 2011
La réponse à cette question fut la
suivante : il fallait un « acte de base », un socle qui
pourrait valablement servir de fondement à la législation future de la période
transitoire. Mais cet acte ne pouvait pas lui-même être assis sur un fondement
constitutionnel. Il fallait par conséquent que ce soit un acte
« initial », un acte fondateur ou encore un acte constituant. Ne
pouvant reposer sur une légalité précédente, cet acte par conséquent ne pouvait
trouver sa source que dans la légitimité révolutionnaire. C’est ce qu’annonça
le Président de la République, dans son discours du 3 mars 2011.
Dans ce discours solennel, le Président
provisoire de la République affirma : « …la réforme politique nous impose
de trouver un fondement constitutionnel nouveau qui reflète la volonté du
peuple et qui bénéficie de la légitimité populaire ». dans ce même
discours, il rappela que « la Constitution actuelle ne répond plus aux
ambitions du peuple après la Révolution et se trouve dépassée par les
circonstances, sans compter les vicissitudes qui l’ont touchée à cause des
nombreux amendements qui lui ont été apportées et qui empêchent une vie
démocratique véritable et constituant un obstacle sur la voie de l’organisation
d’élections transparentes et de la mise sur pied d’un climat politique dans
lequel chaque individu et chaque groupement puisse bénéficier de la liberté et
de l’égalité ». En attendant, le Président annonça un plan de mise en
œuvre de ce programme qui devait aboutir à une nouvelle constitution. Ce plan
englobe l’organisation provisoire « du pouvoir public », puis la
préparation d’élections générales libres pluralistes et transparentes. Et enfin
l’organisation de ces élections, le dimanche 24 juillet 2011.
Telle fut l’origine du décret-loi n° 14
du 23 mars 2011. Cette première « Petite constitution » (37)
de la période transitoire fut appelée « décret-loi » et porta le n°
14, prenant ainsi la file des 13 décrets-lois antérieurs, par l’effet de
l’esprit bureaucratique peu inventif du service juridique dépendant du Premier
ministre qui n’a pas saisi le caractère tout à fait spécifique de cet acte
constituant à qui il fallait donner une nouvelle dénomination qu’on aurait pu
extraire du patrimoine juridique historique arabe pour marquer son caractère
fondationnel. Des dénominations comme tawqi’ ou dhahîr ou mistarah
ou qarar ta’sisi furent proposées, mais cela dépassait la frilosité
des fonctionnaires.
La légitimité révolutionnaire du
décret-loi n° 14 se trouve évoquée d’emblée dans ses motifs :
« Considérant que le Peuple tunisien
est le titulaire de la souveraineté qu’il exerce par l’intermédiaire de ses
représentants élus par une élection directe, libre et sincère,
Considérant que le Peuple a exprimé au
cours de a Révolution du 14 janvier 2011 sa volonté d’exercer sa souveraineté
entière dans le cadre d’une nouvelle constitution,
Considérant que la situation actuelle de
l’Etat, suite à la vacance définitive de la présidence de la République le 14
janvier 2011, comme l’a proclamé le Conseil constitutionnel dans sa déclaration
publiée au journal officiel de la République tunisienne du 15 janvier 2011, ne
permet plus le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, et qu’il devient
impossible d’appliquer entièrement les dispositions de la Constitution,
Considérant que le Président de la
République est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité de son
territoire, du respect de la loi et de l’exécution des conventions
internationales, et qu’il est chargé de veiller au fonctionnement normal des
pouvoirs publics et de garantir la continuité de l’Etat,
Article premier : jusqu’à ce qu’une
Assemblée nationale constituante élue au suffrage universel, libre, direct et
secret, conformément aux dispositions d’une loi électorale prise à cet effet,
exerce ses attributions, les pouvoirs publics de la république tunisienne
seront organisés de manière provisoire conformément aux dispositions du présent
décret-loi.
Rien dans ce décret-loi ne pouvait le
ravaler au rang des décrets-lois qui l’avaient précédé. Son caractère
constituant est incontestable. Non seulement il ne reposait sur aucune
délégation du pouvoir législatif, mais, au surplus, sur la base de la
légitimité révolutionnaire, il venait dissoudre les principales institutions
constitutionnelles, mises en place par la Constitution de 1959.
En effet, l’article 2 du décret-loi
portait dissolution de la Chambre des députés, de la Chambre des conseillers,
du Conseil économique et social et du Conseil constitutionnel. Le décret-loi
prit soin d’indiquer que le Tribunal administratif, la Cour des Comptes (art.3)
et les tribunaux judiciaires (art.17) continuaient à exercer normalement leurs
fonctions dans le cadre des lois qui les réglementent. Par ailleurs, le
décret-loi soulignait son caractère provisoire, en attendant l’exercice de
ses attributions par une assemblée nationale constituante élue au suffrage
universel, libre, direct et secret (art. 1er).
De ce fait, le décret-loi devient le
premier acte juridique institutif de l’Assemblée nationale constituante. Le
décret-loi n° 35 du 10 mai 2011, sur l’élection de l’Assemblée nationale
constituante n’en sera que la mise en exécution (38). Enfin, le décret-loi n°
14 prévoyait une organisation provisoire des pouvoirs publics formée par le
Président provisoire de la République, disposant du pouvoir législatif qu’il
exerce par voie de décret-loi délibéré en Conseil des ministres (39). Le
Président provisoire est également le chef de l’exécutif. Il exerce le pouvoir
réglementaire général par voie de décret. Il est assisté dans l’exercice de la
fonction exécutive par un gouvernement provisoire dirigé par un Premier
ministre. Ce décret-loi absolument exceptionnel nous révèle ainsi un Président
de la République au pouvoir absolu, puisque s’arrogeant le pouvoir constituant
par l’édiction du décret-loi lui-même, il lui était reconnu également le
pouvoir législatif et l’entièreté du pouvoir exécutif. L’institution de cette
dictature légale était cependant sans risque. Les tunisiens savaient en effet
que le titulaire du pouvoir présidentiel, par la grâce de la constitution de
1959, appartenait à l’ancien régime. Dans le milieu ambiant de l’année 2011,
cette appartenance lui dictait impérativement une attitude de réserve et de
modestie. Politiquement, il se trouvait dans une position de soumission et
devait gagner sa crédibilité en se montrant fidèle à la Révolution. Ce qu’il
fit d’excellente manière et ce fut là le secret de la réussite de la première
période transitoire. Ainsi, le Président provisoire observa-t-il une attitude
amicale et compréhensive à l’égard de la Haute instance de la Révolution dont
il présida la première séance, le 17 mars 2011, et la cérémonie finale, le 13
octobre 2011. La Haute instance qui était composée des femmes, des hommes et
des forces de l’opposition à l’ancien régime, représentait l’esprit nouveau de
la Révolution. L’ensemble des textes législatifs ou réglementaires adoptés par
la Haute instance furent signés promulgués et publiés par le Président et
devinrent des textes de valeur législative, à l’instar du décret-loi n° 35 sur
l’élection de l’Assemblée nationale constituante (40), ou de simples décrets à
caractère réglementaire.
L’effet du décret-loi n° 14 sur
la Constitution de 1959
Nulle part il n’est dit que la
Constitution est abrogée, ni sur le plan des institutions, ni des règles
substantielles. Le décret-loi n° 14 affirmait simplement qu’il devenait
impossible d’appliquer les dispositions de la Constitution de 1959 « dans
leur intégralité », ce qui laisse supposer que la Constitution restait
partiellement en vigueur. En effet, sur le plan des institutions, la seule
certitude, c’est que les institutions expressément visées par l’article 2 du
décret-loi disparaissent. Mais il est fait exception des ordres juridictionnels
établis par la Constitution de 1959. Sur le plan des règles substantielles,
nous pouvons nous rallier à l’arrêt de la Cour d’appel de Tunis, rendu le 5
février 2013, se référant à la liberté de circulation prévue par l’art. 10 de
la Constitution du 1er juin 1959. Dans cet arrêt, la Cour affirme
que cette dernière demeurait en vigueur dans ses dispositions garantissant les
droits et libertés fondamentales, ajoutant cependant que ces droits et
libertés, par leur nature même, aussi bien que par l’effet de l’article 12 du
Pacte international sur les droits civils et politiques auquel la Tunisie avait
adhéré le 29 novembre 1968 ; n’étaient pas susceptibles d’être abrogés.
La réflexion sur le décret-loi n° 14 est
extrêmement instructive sur le plan des rapports entre Constitution et
Révolution. Elle nous révèle en effet, au niveau du droit public, la
cohabitation de deux logiques : d’un côté, la logique révolutionnaire,
avec ses idées sur la souveraineté du peuple, sur la Révolution comme expression
de la volonté du peuple, sur la nouvelle Constitution comme objectif de la
Révolution ; et d’un autre côté, la logique institutionnelle, constamment
présente, avec le passage de l’ancien au nouveau régime, par l’effet même des
dispositions de l’ancienne Constitution ne soit pas totalement, mais
partiellement abrogée. Le sentiment dominant cette période de l’histoire
consistait, presque obsessionnellement, à éviter que la vie politique se
déroulât sur une base purement factuelle. Le plus remarquable, c’est que cette
logique révolutionnaire elle-même a été contrainte de suivre la voie du droit,
par l’intermédiaire d’un texte juridique, bien qu’elle ait pu largement s’en
passer.
Hormis le décret-loi n° 14, et au cours
de toute la première période transitoire, la chaîne du droit ne connut pas de
discontinuité. A partir de la chute de l’ancien régime le 14 janvier 2011, nous
passons de texte à texte, sans interruption, comme si la vie du droit écrit
avait ses propres ressorts. L’application de l’art. 57 de la Constitution de
1959, puis de l’art. 28, permit de mettre en place la présidence provisoire qui
joua un rôle stabilisateur si important dans cette période mouvementée. Sur la
base de l’art. 28 fut pris le décret-loi n° 6 du 18 février 2011 créant la
Haute instance de la Révolution qui joua, sans le dire, le rôle d’un parlement
au sein duquel furent délibérés les textes juridiques les plus importants pour
le futur, notamment les projets de décret-loi sur l’instance supérieure
indépendante pour les élections, (ISIE), sur l’élection de l’Assemblée
nationale constituante, sur les partis politiques, sur les associations, sur la
presse écrite et sur les médias, sans compter les décrets d’application de ces
textes.
Sur la base du décret-loi n° 35 furent
organisées les élections du 23 octobre 2011 pour la désignation d’une Assemblée
nationale constituante n° 6 du 16 décembre 2011, seconde « Petite
constitution » portant organisation provisoire des pouvoirs publics et
abrogeant définitivement la Constitution de 1959. L’Assemblée constituante vota
la nouvelle Constitution le 26 janvier 2014 et cette dernière fut promulguée au
cours d’une séance solennelle le 27 janvier 2014. A cette date, l’objectif de
la révolution est réalisé. La Révolution a accouché de sa Constitution. La
période transitoire est terminée.
A partir de la Constitution du 27 janvier
2014, nous entrons dans une nouvelle phase transitoire, mais au sens
constitutionnel et proprement juridiques du terme, et dans les conditions
fixées par le chapitre 10 sur les dispositions transitoires. Il s’agit ici
d’une phase transitoire constitutionnelle, au sens des conflits de loi dans le
temps, qui ne doit nullement être confondue avec les phases transitoires
précédentes (41).
Poursuivons à présent le récit, en
regardant le spectacle, car c’en fut un en vérité, des travaux de la
constituante et des crises qu’elle eut à affronter.
Deuxième partie : Une
Constitution, malgré la Constituante ?
Au cours de l’été 2011, avant les
élections de la future assemblée, deux questions fondamentales ont été
soulevées par la presse et par certain nombre de partis politiques
importants ;
Le premier concernait la durée du mandat
de l’Assemblée et de second, la délimitation de ses compétences.
L’Assemblée, avant même sa formation, ne baignait
pas dans la confiance.
A.
Les problèmes relatifs au mandat et aux compétences de
l’Assemblée nationale constituante
Un certain nombre d’indice plaidaient
pour un mandat ne dépassant pas une année et pour une compétence strictement
limitée à la fonction constituante.
Le discours présidentiel du 3 mars 2011,
le décret-loi n° 14, le décret-loi n° 35 relatif à l’élection d’une Assemblée
nationale constituante, allaient clairement dans le sens d’une assemblée
strictement constituante. Nulle part, il n’était indiqué que l’assemblée
dépasserait cette fonction.
L’assemblée devait être instituée en vue
d’établir une constitution.
Par ailleurs, les deux décrets (42)
relatifs à la convocation du corps électoral pour l’élection de l’assemblée
indiquaient expressément que l’assemblée était chargée d’établir une
constitution « dans un délai maximum d’une année ». Cependant, ces
indices n’étaient pas tranchants (43).
Tout d’abord, et sur le plan des
principes, l’Assemblée nationale constituante représente un pouvoir constituant
originaire issu d’une révolution qu’il était difficile de limiter par des
textes, quel que soit leur rang, dans la mesure où cette assemblée, disposant
de ce pouvoir, se trouvait habilitée à abroger tous les textes antérieurs, y
compris les textes de valeur constitutionnelle. En cela, le processus
constituant tunisien différait fondamentalement de celui de l’Afrique du Sud
dont la constitution intérimaire imposait des restrictions à l’Assemblée
constituante, sous le contrôle de la Cour constitutionnelle (44). Par ailleurs,
l’affirmation expresse d’une fonction constituante par les décrets-lois sus
visés n’excluait pas ipso facto la fonction législative.
Conscients de ces lacunes, une
cinquantaine de partis politiques avait exigé, dès le début de l’été 2011,
l’organisation d’un référendum en vue de délimiter le mandat et les compétences
de l’assemblée. Le Premier ministre, Béji Caïd Essebsi, et le Président de la
République, Foued Mebazza, n’étaient pas loin d’adopter ce point de vue car,
pensaient-ils, une assemblée disposant d’un pouvoir absolu ouvrait les voies de
l’inconnu.
Or, quand on se rappelle la crise grave
déjà provoquée par le report des élections du 24 juillet au 23 octobre 2011, on
pouvait craindre le pire dans l’hypothèse où les élections auraient été
accompagnées d’un référendum ou pire, encore reportées. Pour résoudre cette
crise, on eut recours à une procédure transactionnelle entre les parties
politiques représentés à la Haute instance. Un droit constitutionnel naissant a
besoin d’adjuvant pour pouvoir s’accomplir.
La Déclaration sur le processus
transitoire du 15 septembre 2011
Pour sauver la situation et éviter le
référendum, le Président de l’HIROR initia avec les partis membres de la Haute instance,
y compris les partis qui l’avaient quittée, un cycle de négociations qui
s’échelonna du 4 août au 12 septembre et qui aboutit à la signature de la
fameuse « Déclaration du processus transitoire » par onze
partis membres de la Haute instance sur les douze ayant participé aux négociations.
Dans ce moment, « pris sur initiative » d’une personne nommément
désignée (45), les partis confirmèrent leur attachement absolu au rendez-vous
électoral du 23 octobre 2011, s’engagèrent à respecter le délai maximum d’une
année, établir une feuille de route prévoyant les différentes étapes de
transfert du pouvoir des autorités provisoires actuelles à l’Assemblée
nationale constituante, qui sera à son tour chargée d’établir une nouvelle
organisation provisoire des pouvoirs publics, jusqu’à l’adoption de la nouvelle
constitution.
L’effet de cette déclaration fut
remarquable sur le plan politique. Tout d’abord la campagne autour du
référendum cessa immédiatement, ce qui consolida définitivement le processus
électoral. Le Président de la République, le Premier ministre et le président
de l’HIROR, furent convaincus, à la lecture de la Déclaration, que la fixation
d’un délai d’une seule année pour les travaux de l’Assemblée constituante
emportait, par voie de conséquence, la limitation de ses compétences. Mais il
faut avouer que cette question demeurait dans la pénombre.
Il faut également remarquer que la
Déclaration du 15 septembre constitué le premier modèle de « feuille de
route », qui deviendra familier par la suite, dans le cadre du
dialogue national, et qu’enfin la Déclaration fixa la voie que devait suivre
l’Assemblée nationale constituante dans la mise sur pied d’une nouvelle
organisation provisoire des pouvoirs publics. La loi constituante n° 6 du 16
décembre 2011 donna corps au contenu de cette Déclaration.
Nous évoquons l’affaire du mandat pour
souligner qu’elle fut le véritable critère de la légitimité de l’Assemblée. En
effet, un éventuel dépassement de ce délai constituerait immanquablement une
source d’attaque frontale contre la légitimité de l’assemblée et sa
crédibilité, en dépit du fait qu’elle représentait véritablement la volonté du
peuple exprimée par les premières élections libres de notre pays. C’est, hélas,
ce qui se passa dans la réalité. Les lenteurs des travaux de l’Assemblée
nationale constituante, en particulier le temps qu’elle consacra à
l’élaboration d’un règlement intérieur complexe qui ressemblait fort à celui
d’un parlement plutôt qu’à celui d’une assemblée constituante, éveilla
rapidement les craintes.
Ainsi, dans la déclaration du 26 janvier
2012, l’ancien Premier ministre Béji Caïd Essebsi fit part de ses
appréhensions, en soulignant la perte de temps provoquée par la constitution du
gouvernement, l’adoption de l’Organisation provisoire des pouvoirs publics et
du Règlement intérieur de l’Assemblée qui faisait de cette dernière une
assemblée plutôt parlementaire que constituante. Se référant à la Déclaration
du 15 septembre 2011, l’ancien Premier ministre fit part de sa crainte de voir
l’Assemblée constituante et le gouvernement dépasser à la fois leur compétence
et leur mandat. Il réclama la réactivation de l’ISIE (Instance Supérieure
Indépendante pour les Elections) et appela à une union des forces politiques
pour lutter contre la violence et le radicalisme et pour consolider le processus
consensuel.
A partir de là, la date butoir du 23
octobre 2012 devint le critère principal d’évaluation de l’Assemblée
constituante. L’argument de certains partis signataires, selon lequel la
déclaration du 15 septembre n’était qu’un accord politique et moral, sans
caractère juridique, ne fit que discréditer davantage la coalition majoritaire,
dominée par le parti Ennahdha et Béji Caïd Essebsi ne se priva pas de
l’utiliser.
Les idées principales de la déclaration
du 26 janvier 2012 furent reprises dans « l’Appel de la
Tunisie » ; Nida Tounes, du 20 avril 2012 qui fut à l’origine
de la constitution du parti Nida Tounes (46) en juin 2012.
B.
Les sorties de crise : de la légitimité électorale à
la légitimité consensuelle, char’ia tawafuqiyya.
A partir d’octobre 2012, et dans le
sillage du dépassement du délai fixé par la Déclaration du 15 septembre 2011,
le socle sur lequel reposait la légitimité politique et juridique de
l’Assemblée constituante fut par conséquent remis en cause. Pour les
protagonistes de cette thèse (47), l’idée était fort simple : en ne
respectant pas la limite temporelle de son mandat, l’Assemblée se mettait en
quelque sorte elle-même hors la loi.
La thèse du constituant souverain
exprimée par la formule « l’assemblée maîtresse d’elle-même », al
majlissu saïdu nafsihi, avancée par certains députés, fut mise en évidence
et devint objet de moqueries et de caricatures.
Le consensus : Tawâfuk
Du coup, l’Assemblée ne pouvait plus se
prévaloir du principe majoritaire, fondement de sa légitimité, et l’accord par
consensus des acteurs, tawâfuk, devint le seul mode de décision et de
gouvernement acceptable. Il s’agissait, essentiellement en vue d’éviter
l’exclusion, de renoncer aux procédures majoritaires de vote, au profit d’un
processus politique informel par tacite acceptation.
L’idée du tawâfuk est apparue
après la Révolution dans l’article 4 du décret-loi n° 6 du 18 février 2011
relatif à la Haute instance de la révolution. Puis, il a fait son chemin au
sein même de l’Assemblée nationale constituante, pour éviter la règle du vote
de la constitution à la majorité des deux tiers et un éventuel recours très
risqué au référendum pour adopter la Constitution.
Par la suite, la revendication de
l’action politique par consensus est devenue le leitmotiv de l’opposition et
des partis non représentés à l’Assemblée. Après d’âpres polémiques entre la
troïka, coalition majoritaire, et les partis de l’opposition, en particulier Nida
Tounes, le principe du consensus finit par l’emporter. Pour Nida Tounes,
il n’était question ni de mettre en danger la continuité de l’Etat, ni même
de contester la légitimité de l’Assemblée, mais simplement de réaménager les
modes de prise de décision fondés sur la légitimité électorale et le principe
majoritaire pour les asseoir sur la légitimité consensuelle (48).
Le principe du consensus devint par la
suite le mode fondamental de prise de décision, aussi bien à l’intérieur de
l’Assemblée nationale constituante qui forma pour cela une commission spéciale
dénommée « la Commission des consensus » lajnat attawâfuqât,
que pour les sorties de crise, dans le cadre des processus de « Dialogue
national ».
Le dialogue national
Le « Congrès du dialogue
national » qui fut initié par l’UGTT le 16 octobre 2012, connut en réalité
plusieurs étapes et diverses péripéties. Destiné à résoudre les crises et les
tensions, par la participation des partis politiques et des acteurs de la
société civile, il se prolongea entre les partis représentés à l’Assemblée
constituante (49) le 15 avril 2013, sous l’égide du Président de la République,
puis le 16 mai 2013, de nouveau sur initiative de l’UGTT. Mais il prit une
ampleur particulière après la crise politique majeure de l’été 2013.
Les crises politiques graves vécues par
le pays en février et juillet 2013, suite aux assassinats de Chokri Belaïd, le
6 février 2013, et Mohamed Brahmi, le 25 juillet 2013, radicalisèrent les
positions exclusivement consensualistes et Béji Caïd Essebsi alla jusqu’à
demander la dissolution de l’Assemblée constituante, dès le 6 février 2013
(50).
Dans l’après-midi de la journée au cours
de laquelle fut assassiné le leader nationaliste arabe nassérien, membre du
parti du Front populaire, le pan arabiste Mohamed Brahmi, Hamma Hamami,
porte-parole et leader du Front populaire appela toutes les régions du pays à
la désobéissance civile, jusqu’à la chute définitive du régime dominée par le
parti Ennahdha, avec toutes ses composantes : Assemblée, Présidence de la
République et Gouvernement.
Le même jour, le « front du salut
national » fut créé (51). Des manifestations sans précédent eurent lieu
les 6, 13 et 27 août et tout l’été fut émaillé de troubles et de
manifestations.
Cette crise profonde déstabilisa les
institutions de l’Etat. Le 26 juillet 2011, 42 députés de l’Assemblée
constituante annoncèrent leur retrait de l’Assemblée, l’organisation d’un
sit-in ouvert, allèrent jusqu’à revendiquer la dissolution de l’Assemblée. Le
chef de l’Etat condamna la prise du pouvoir par l’armée en Egypte qui avait eu,
en parallèle avec le mouvement « Révolte », tamarrud, un impact
certain sur la dévalorisation des islamistes en Tunisie. Les moqueries et
propos insultants à l’égard des trois présidents fusèrent dans les rangs des
manifestants d’août 2013. Le Chef du gouvernement se crispa dans une position
défensive maladroite et perdit toute initiative. Le Président de l’Assemblée
nationale constituante décida de suspendre les travaux de l’Assemblée, le 6 août
2013 et les travaux de cette dernière furent ainsi paralysés pendant plus d’un
mois, ce qui constitua une sorte d’électrochoc.
Devant l’ampleur de la crise de
légitimité des partis composant la troïka et de l’Assemblée, du Gouvernement et
du Président de la République, tous tenus pour directement responsables du
climat de violence et des assassinats, l’UGTT adopta le 29 juillet 2013 une
déclaration dans laquelle elle dénonça l’échec patent de la troïka dans la
gestion de la question sécuritaire, le dépassement du mandat, l’échec de
l’Assemblée constituante et la perte de son crédit, le recours excessif au
principe majoritaire, à la place du consensus, la logique partisane dans la
conduite des travaux de l’Assemblée constituante, l’emprise du parti majoritaire
sur les institutions et l’administration de l’Etat, le silence du gouvernement
devant l’apparition et le développement des organisations et groupements
terroristes, la crise sociale et économique.
Dans la même déclaration, elle
demanda :
- la démission du gouvernement et la
constitution d’un gouvernement « de compétences », kafâ’ât,
- la dissolution des « ligues de
protection de la Révolution »,
- la neutralisation de l’administration,
des institutions éducatives, universitaires et culturelles et les lieux de
culte,
- la révision de l’ensemble des
nominations,
- la constitution d’une commission
d’enquête sur les assassinats et la violence,
- l’adoption d’une loi sur la lutte
contre le terrorisme,
- la constitution d’un comité d’experts
pour revoir, dans les 15 jours, la dernière version de la Constitution, en vue
de l’épurer des dispositions qui portent atteinte au caractère civil de l’Etat
et au caractère républicain et démocratique du régime.
- la préparation du projet de loi
électorale.
L’UGTT demanda également l’adoption, dans
les 15 jours à compter de la soumission du projet de constitution établi par le
comité d’experts :
-d’une loi constitutionnelle, en vue de
limiter les attributions de l’Assemblée au vote du projet de constitution
adopté par le comité d’experts,
- l’adoption de la loi électorale et
enfin
- la mise sur pied de l’instance
électorale indépendante.
A défaut, l’Assemblée serait réputée
avoir achevé ses travaux.
Le style et les revendications de cette
déclaration constituent un témoignage essentiel de la gravité de la crise qu’a
vécue la Tunisie au cours de l’été 2013.
La feuille de route
Par la suite, en septembre 2013, fut
lancé le « Congrès national pour le dialogue ». Ce dernier fut placé
sous l’égide du « quartet » composé de l’UGTT, de la Ligue tunisienne
pour la défense des droits de l’homme, de l’Ordre national des avocats et de
l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat.
Le 17 septembre 2013 le quartet rendit
publique son initiative. Il y insista sur « la méthode du processus
consensuel » en vue de préparer des élections et proposa une feuille
de route qui deviendra le programme de sortie de crise. Cette feuille de route
comportait les éléments essentiels suivants :
- La constitution d’un gouvernement « de
compétences » présidé par une personnalité nationale indépendante et dont
les membres s’engageraient à ne pas se présenter aux futures élections. Ce
gouvernement, couramment appelé de « technocrates », viendrait
remplacer le gouvernement actuel qui s’engagerait à présenter sa démission.
Aucune motion de censure ne peut être adoptée contre le nouveau gouvernement
que sur initiative de la majorité absolue et suite à un vote des deux tiers des
membres de l’Assemblée (52).
- La poursuite des réunions de l’Assemblé
nationale constituante, la détermination de ses attributions et la fin de ses
travaux.
- L’engagement de négociations en vue de
choisir la personnalité nationale indépendante qui sera chargée de la
constitution du gouvernement.
- L’accord sur une feuille de route
relative à l’achèvement du processus transitoire et la fixation d’un calendrier
pour les élections présidentielles et législatives. L’ensemble fera l’objet
d’une loi adoptée par l’Assemblée nationale constituante au cours d’une séance
spéciale qui modifiera et complétera l’Organisation provisoire des pouvoirs
publics.
- L’Assemblée disposera d’un délai de
quatre semaines maximum pour achever la constitution de l’instance supérieure
indépendante pour les élections et la nomination de ses membres, l’adoption de
la loi électorale, la fixation de la date des élections, l’adoption de la
constitution avec l’assistance d’un comité d’experts.
La feuille de route fut, après de
nombreuses difficultés et tergiversations, signée par 21 partis politiques dont
deux partis de la coalition majoritaire sur les trois. En signant la feuille de
route le parti Ennahdha acceptait la démission du Gouvernement et la
constitution d’un gouvernement non partisan.
L’apogée de la crise fut atteinte lorsque
42 députés de l’Assemblée constituante annoncèrent le 26 juillet 2013 leur
retrait des travaux de l’Assemblée, l’organisation d’un sit-in ouvert sur la
place du Bardo, face au siège de l’Assemblée nationale constituante, et
allèrent même jusqu’à demander la dissolution de l’Assemblée. Leur nombre
augmenta pour approcher la soixantaine.
Les erreurs politiques parfois grossières
de la coalition majoritaire, en particulier le parti islamique, les tentatives
avortées d’islamisation de l’Etat et de la société dès les premières réunions
de l’Assemblée nationale constituante, la politique extrêmement ambiguë du
gouvernement et du parti islamiste à l’égard des tendances radicales
salafistes, takfiristes et jihadistes (53) et face à la montée de la violence
politique et des assassinats dont la troïka fut tenue pour responsable, les
nominations fondées sur l’allégeance partisane au sein de l’administration
publique, créèrent une bipolarisation de la vie politique en unissant les
forces de la gauche anciennement communiste, les nationalistes arabes, les
sociaux-démocrates, les laïcistes, les démocrates de tous bords, contre la
troïka qui, par simplification, devenait ainsi l’expression de l’islamisme
politique.
La bipolarisation entre
démocrates et « théocrates »
Encore par ce type de simplification dont
l’opinion est friande, la bipolarisation aboutit à une division entre
théocrates et démocrates (54). Cette bipolarisation allait devenir le noyau
autour duquel se cristallisera la vie politique en Tunisie, jusqu’aux élections
législatives et présidentielles de la fin de l’année 2014. Ces dernières les
révéleront au grand jour aussi bien lors de la campagne électorale que par les
résultats du scrutin.
Cette bipolarisation de la vie politique
pour ne pas aggraver la violence générée par la période post révolutionnaire,
violence qui aurait pu aboutir au chaos, explique le recours aux procédures
informelles que nous avons passées en revue : Déclaration sur le processus
transitoire du 15 septembre 2011 ; organisation du Dialogue national ;
feuille de route élaborée par le quartet ; institutions de la Commission
des consensus au sein de l’Assemblée nationale constituante. Dans tous ces cas,
la force de la loi persiste, puisque le dernier mot lui revient et que le
retour aux procédures juridiques froides et procédurales s’impose en fin de
parcours. Mais les procédures chaudes de contacts, de débats et de négociations
sont mieux à même de résoudre les crises et d’aller de l’lavant.
Ces processus informels ont réussi non
seulement à apaiser les tensions, mais au surplus, à débloquer et accélérer le
processus constituant et permettre l’alternance au pouvoir.
C.
La constitution et les choix fondamentaux de régime et de
société
Bien plus que par son caractère technique
et ses options autour du régime politique, de la responsabilité des
gouvernants, des procédures de contrôle et de mise en jeu de la responsabilité,
le débat constitutionnel s’est essentiellement articulé autour des choix
fondamentaux de société et notamment des rapports entre la Constitution et la
religion.
Dans ce cadre, la présence du droit se
révèle non seulement par le fait qu’il exprime les choix clairs et consensuels
de société, en l’occurrence l’équilibre des pouvoirs ainsi que la protection
des libertés et des droits découlant du message de la Révolution, mais
également les contradictions de ses choix, découlant des divisions éthiques,
intellectuelles et idéologiques de la société elle-même.
1. Les lignes de continuité
- Le régime
politique, les droits et libertés de la Révolution à la Constitution
« Rompre avec le régime présidentiel
dans sa version dévoyée, le régime présidentialiste, consacré par la
Constitution de 1959 et aggravé par les multiples révisions de cette
dernière » (55), tel fut bien en effet l’objectif du constituant qui
institua dans la Constitution du 27 janvier 2014, un régime certes complexe,
mais caractérisé par une quasi-impossibilité d’abuser du pouvoir.
Le régime politique institué par la
Constitution de 2014, ne correspond ni au modèle du régime parlementaire, ni à
celui du régime présidentiel, ni au régime d’assemblée. Il n’est rien de tout
cela, mais tout cela à la fois.
Notre propos ne consiste pas à décrire
les mécanismes de ce régime politique très particulier, mais simplement
affirmer que le constituant tunisien a été constamment animé par le désir
d’éviter un retour à la dictature, ce qui correspond bien à un objectif
essentiel de la Révolution.
Ce souci se manifeste en particulier par
une division du pouvoir au sein même du pouvoir exécutif, par des mécanismes de
garantie de l’indépendance du pouvoir judiciaire, par des procédures complexes
de mise en jeu de la responsabilité gouvernementale et présidentielle, par des
mécanismes de contre-pouvoir substantiels ou d’autoprotection accordés au
Président de la République et au gouvernement dans leurs relations avec le
Parlement et enfin par la mise sur pied d’un mécanisme de contrôle de la
constitutionnalité des lois.
Nous pouvons affirmer que le constituant
tunisien est allé fort loin dans l’application du précepte de
Montesquieu : « Pour qu’on ne
puisse pas abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le
pouvoir arrête le pouvoir ».
Il est à craindre que, en allant trop
loin dans ce sens, le constituant risque d’ouvrir la voie à de futures crises
politiques ou à des blocages des rouages principaux de l’Etat. Le pouvoir ne
doit pas excessivement arrêter le pouvoir.
Bien que caractérisée par quelques
références identitaires, la Constitution a su tirer les leçons de la Révolution
en accordant une place centrale à la question des droits de l’Homme et des
libertés (56). En effet, cette constitution, adhérant globalement aux principes
des Pactes, consacre l’ensemble des droits et libertés fondamentaux
conformément aux standards internationaux (57). Dans ce domaine, en même temps
qu’il consolidait les acquis en matière de droits de l’homme en en faisant une
matière non susceptible de révision constitutionnelle, le constituant a pris
soin de limiter les pouvoirs du législateur lui-même avec l’article 49 de la
Constitution, directement inspiré des dispositions du Pacte international sur
les droits civils et politiques (58).
La « Commission des consensus »
a joué un rôle important sur cette question.
Ainsi, sur les deux plans de l’équilibre
des pouvoirs et de la consécration des droits et libertés, la Constitution
s’inscrit dans une parfaite ligne de continuité avec la Révolution. En
revanche, sur d’autres lieux, plutôt que d’exprimer des options claires, la
Constitution révèle les antagonismes et contradictions.
- L’égalité homme femme
La longue tradition réformiste en Tunisie
a fini par enfanter une réforme fondamentale du droit de la famille
s’inscrivant dans un programme de désislamisation des institutions et des
mœurs. Bourguiba, alors Premier ministre, a fit promulguer par le Bey le
« Code de statut personnel » le 13 août 1956. Ce code abolit et
sanctionne la polygamie, consacre la liberté du consentement au mariage,
réforme le droit de l’héritage. Une loi intervenue par la suite institue en
Tunisie le régime de l’adoption des enfants, qui d’après l’interprétation
historique des fuqaha (théologiens), est un régime interdit par le
Coran.
La prise du pouvoir par le parti Ennahdha
a aussitôt déclenché des débats passionnés autour de la famille, des droits de
la femme et des questions de la polygamie, de l’adoption et des mères
célibataires.
Le parti islamiste, s’est toujours targué
d’être partisan des droits de la femme. C’est ainsi qu’il a soutenu le principe
de la parité hommes femmes adopté par la Haute instance de la Révolution, lors
du vote du projet de décret loi sur les élections de l’Assemblée nationale
constituante.
Cependant, dans le projet de brouillon de
Constitution d’août, un article 28 du chapitre 2 sur les droits et libertés a
provoqué un vaste mouvement de protestation. Cet article est ainsi
rédigé : « l’Etat garantit la protection des droits de la femme et la
consolidation de ses acquis en considérant qu’elle constitue un partenaire
authentique, avec l’homme, dans la construction de la patrie et par leurs rôles
complémentaires à l’intérieur de la famille ».
Ni l’idée de partenariat, ni l’idée de
complémentarité ne pouvaient avoir la faveur des associations de femmes ou des
partis de gauche. Ce texte déclencha des réactions hostiles et des manifestations
importantes le 13 août 2012, à l’occasion de la « journée de la
femme ». Après de multiples tractations, et de retouche en retouche,
notamment au sein de la « Commission des consensus », le texte fut
métamorphosé pour devenir l’article 46 de la Constitution :
« Article
46 :
L’Etat s’engage à protéger les droits acquis de la femme et veille
à les consolider et les promouvoir.
L’Etat garantit l’égalité des chances entre l’homme et la femme
pour l’accès aux diverses responsabilités et dans tous les domaines.
L’Etat s’emploi à consacrer la parité entre la femme et l’homme
dans les assemblées élues.
L’Etat prend les mesures nécessaires en vue d’éliminer la violence
contre la femme ».
Comme pour marquer cette continuité au
sujet des acquis de la femme depuis l’indépendance, l’article 34 accentua le
principe de représentativité en matière d’élection.
« Article
34 :
Les droits d’élire, de voter et de se porte candidat sont garantie,
conformément à ce qui est prévu par la loi.
L’Etat veille à garantir la représentativité de la femme dans les
assemblées élues ».
L’option est donc sans aucune ambiguïté,
mais elle a abouti après des heurts entre des tendances adverses.
Ici, les moutons sont apaisés, mais le
loup demeure caché dans la bergerie. Sait-on ?
2. Les lignes de fracture
- Etat
civil, dawla madaniyya contre Etat religieux, dawla dîniyya
La prise du pouvoir par le parti islamiste majoritaire s’est
caractérisée par une extrême imprudence qu’on pourrait expliquer par leur
inexpérience du pouvoir. Sans doute grisé par leur succès électoral, les
nouveaux gouvernants ont à la fois surestimé leur force réelle et leur
enracinement social, mais surtout sous-estimé, dans cette société tunisienne
pourtant majoritairement croyante, les tendances profondes et les traditions
sécularisées des élites intellectuelles académiques et artistiques, de l’administration,
du milieu particulier des juristes universitaires ou praticiens qui ne se sont
pas privés de juguler les tentatives d’islamisation politique et de les faire
échouer, des étudiants de la gauche, majoritaires à l’université, des
mouvements féministes, des forces syndicales principales, de la classe des
entrepreneurs et hommes d’affaires, mais également d’une large frange des
croyants refusant que la religion soit exploitée à des fins politiques ou que
la politique se mette au service de programmes d’islamisation de la société et
de l’Etat.
Dès les premières réunions de l’Assemblée nationale constituante,
certaines prises de position des députés ou des membres du parti, ont contribué
à liguer l’ensemble des forces hostiles à l’islamisme politique en un front uni
contre l’éventualité d’une dictature théocratique. Cet élément fondamental
explique tout le processus qui va suivre les élections du 23 octobre 2011.
Certains députés ont réclamé, au sein de la « Commission du
préambule et des principes généraux », que le préambule de la Constitution
indique que la charia soit la source principale du droit. Le 23 janvier 2012,
le député Sadok Chourou, militant, grand prisonnier politique, ancien président
d’Ennahdha, devant la montée des mouvements protestataires violents, installant
des barrages sur les axes routiers ou les chemins de fer ou incendiant les
équipements de service public, avait affirmé avec un simplisme déconcertant que
ces forces de « l’abjuration » étaient justiciables du verset 33 de
la sourate de la Table prévoyant pour eux une panoplie de peines corporelles
parmi les plus cruelles, telles que le massacre, la crucifixion, ou
l’amputation des mains et des jambes en diagonale ou le bannissement.
Vers les mois de février et mars 2012, un projet de constitution du
parti Ennahdha a commencé à circuler. Il comportait un article 10 disposant
« La charia islamique est une source principale (parmi les sources) de la
législation ». Ce projet prévoyait également une disposition créant un « Haut
conseil chara’ique » « majliss a’lâ lil ‘iftâ’ » chargé
de contrôler la conformité des lois aux normes de la charia.
Tout cela était accompagné d’événements comme l’affaire de
l’atteinte au drapeau tunisien à l’université de la Manouba, le 7 mars 2012, ou
d’informations sur la création d’écoles coraniques ou de crèches islamiques et
de polémiques sur la polygamie, l’adoption et les droits de la femme.
Des manifestations pour défendre la chariaa eurent lieu (59) aux
cris de « Le peuple veut l’application de la chariaa », « Ni
loi, ni constitution, l’islam est la solution », « Le peuple veut de
nouveau le Khalifa », « achaab yourid Khilafa min jadis ».
« La Tunisie est musulmane, non à la laïcité », « Tounis
tounis islamiyya la la lil’ilmaniyya ».
En réaction à ce que les démocrates considèrent comme des menaces
contre le caractère civil de l’Etat, la démocratie et le droits de l’homme, une
manifestation bien plus importante de plusieurs milliers de personnes eut lieu
à Tunis contre toutes ces expressions de l’islamisme politique.
La foule scandait : « Non à la chariaa », « La
Tunisie est un Etat de droit non de fatwas », « La Tunisie n’est pas
l’Afghanistan » ou encore « Le peuple veut en Etat civil »,
« achaab yourid dawlah madaniyya ».
Devant l’ampleur de la réaction, le 25 mars 2012, après une réunion
de la direction de son parti, Rached Ghannouchi annonça le retrait du projet
relatif à la charia en précisant que l’article premier de l’ancienne
Constitution de 1959 était suffisant pour affirmer la présence de l’islam dans
la Constitution (60).
Le consensus se fit autour de cet article premier et la querelle
autour de la charia sembla terminée. Bien plus, un article 2 soulignant le
caractère civil de l’Etat fut ajouté à la Constitution. Cet article n’était pas
inclus dans le projet de brouillon d’août 2013, mais fut ajouté par la suite au
niveau de la « Commission du Préambule et des principes généraux » et
inclus dans le projet du 1er juin 2013.
« Article
2 :
La Tunisie est un Etat civil, fondé sur
la citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du droit.
Le présent article ne peut faire l’objet
de révision ».
Il est évident, que la confrontation des articles 1 et 2 de la
Constitution posera des problèmes complexes d’interprétation :
- Les partisans de la religion politique interpréteront les
dispositions de l’article 1er, comme signifiant que l’islam est la
religion de l’Etat.
- D’autres, considéreront que cet article 1er prenant
tout simplement acte de la religion majoritaire de la Tunisie est descriptif et
non prescriptif et que, en tout état de cause, l’article 2 tranche
l’interprétation en faveur du caractère civil de l’Etat.
Quoi qu’il en soit, la présence de ces deux articles révèle un
conflit de normes prenant ses racines dans le fond social lui-même.
- Le respect
du sacré « Hurmat al Muqaddassat » et les tentatives de
criminalisation de l’atteinte au sacré
Vers la mi-juin 2011, un film réalisé par Nadia el Fani,
intitulé : « Ni Allah, ni maître » fut projeté à Tunis. En
octobre 2011, la chaîne de télévision Nessma diffusa un dessin animé
« Persépolis », réalisé par Marjane Saprati. A la mi-juin 2012 fut
organisée l’exposition antistatique du palais « ‘ibdiliyya ».
Toutes ces activités culturelles considérées comme blasphématoires
par les islamistes provoquèrent troubles et manifestations. Les agressions
physiques contre des intellectuels, des artistes, des universitaires, se
multiplièrent pour « atteinte aux choses sacrées » « ‘i’tida
‘ala al muqaddassat ».
Après l’affaire de la ibdiliyya, un projet de loi fut déposé
le 1er août 2012 auprés de l’Assemblée constituante par le parti Ennahdha,
en vue de criminaliser l’atteinte au sacré (61).
Le projet de brouillon de la Constitution d’août 2012 reprend la
question dans l’article 4 du chapitre 1er consacré aux « Principes
généraux ». Cet article dispose : « L’Etat protège la religion,
garantit la liberté de croyance et l’exercice des cultes religieux. Il protège
les choses sacrées muqaddassat et garantit la neutralité des lieux de
culte contre la propagande partisane ». Un autre article existe dans le
chapitre 2 sur les « Droits et libertés » : « l’Etat
garantit la liberté de croyance ainsi que l’exercice des cultes religieux et
punit toute atteinte aux valeurs sacrées de la religion ». Ces articles
déclenchèrent des réactions fermes dénonçant le gouvernement théocratique et la
fin de la liberté d’expression et appelant à inscrire la liberté de conscience
dans la Constitution (62).
Certaines ONG internationales comme Human Rights watch firent
parvenir leurs craintes à l’ANC (63).
- La
religion de l’Etat
Cette question s’est posée à l’occasion des dispositions non
révisables de la Constitution. Le projet de brouillon de la Constitution d’août
2012 contenait au titre des dispositions finales (chapitre 9) un projet d’article
d’après lequel :
« Aucune révision constitutionnelle ne peut porter
atteinte :
-
à l’islam en tant
que religion de l’Etat
-
à la langue arabe en
tant que religion officielle
-
au caractère
républicain du régime
-
au caractère civil
de l’Etat
-
aux acquis des
droits de l’homme et de ses libertés consacrés par la présente Constitution
-
au nombre et à la
durée des mandats présidentiels par augmentation ».
Cette proposition, reprise dans le projet
de décembre 2012 (64), deviendra l’article 141 du chapitre 8 du projet du 1er
juin 2013.
Dans le rapport du 24 juin 2013 sur le
projet du 1er juin élaboré par un comité d’experts saisi par le
Président de la République le 10 juin 2013, les problèmes et soucis découlant
de l’article 141 ont été soulevés (65).
Ce rapport a mis en lumière deux
contradictions de cet article. La première, entre l’article 141 et l’article 2
relatif au caractère civil de l’Etat. La deuxième est une contradiction interne
de l’article 141 lui-même qui consacre à la fois l’islam comme religion d’Etat
et le caractère civil de l’Etat. Le danger de cette disposition est que le
concept de « religion d’Etat », peut être compris dans un sens
conservateur qui serait de nature à ouvrir la voie à une interprétation
fondamentaliste et théocratique contraire au caractère civil et démocratique de
l’Etat proclamé par la Révolution.
Partant, le législateur pourrait adopter
des règles empruntées à la charia islamique, telle que comprise par les
tendances wahabites ou les doctrines fondamentalistes qui refusent la modernisation
de l’islam et se conciliation avec les doctrines constitutionnelles
démocratiques. Sur la base de ce concept de « religion d’Etat »,
poursuit le rapport, il serait possible à une majorité appartenant à cette
tendance d’abroger par exemple le code du statu personnel qui constitue la
constitution véritable du peuple tunisien ou d’instituer la peine de mort pour
apostasie ou d’imposer les peines coraniques de lapidation, crucifixion,
flagellation ou amputation, comme l’a proposé un honorable député à l’Assemblée
nationale constituante.
Autrement dit, c’était une manière
déguisée de réintroduire le principe de la charia, source de la législation. Le
rapport ajoute que, toujours sur la base de cette théorie de la religion
d’Etat, il serait également possible de revenir au régime du système juridique
confessionnel qui abolirait l’unité du système juridique tunisien et porterait
atteinte au principe de la citoyenneté.
Le rapport propose de remplacer le
premier tiret de l’article 141 de la manière suivante :
« Aucune révision constitutionnelle
ne peut porter atteinte :
-
à l’article premier
et à l’article 2 de la Constitution ».
Encore une fois, d’interminables débats
et polémiques s’engagèrent autour de l’article 141, au niveau de la presse, des
médias et au sein de l’Assemblée nationale constituante et même des ONG
internationales, comme le Centre Carter (66).
Commentant la substance de cet article,
Abdelwahab Meddeb écrivait qu’il procédait « ...d’un glissement de sens
qui transforme le descriptif en prescriptif. Par cette précision, la référence
à l’islam dans l’article premier ne peut plus être lue comme un constat
à propos d’une société dont la majorité des membres professe l’islam. S’il
dispose d’une identité religieuse déterminée, exclusive, comment l’Etat peut-il être « civil, fondé sur la citoyenneté, la volonté populaire, la
transcendance du droit », comme l’affirme l’article 2 ? Comment
peut-il être « protecteur de la religion, chargé de la liberté
de croyance, de la pratique des cultes… » ? (67).
Devant la montée des critiques, en même
temps que le projet du 1er juin 2013 était discuté, l’article 141
changeait de numérotation, pour enfin disparaître du texte de la Constitution.
Le rôle joué par la « Commission des consensus » fut déterminant pour
aboutir au résultat final.
La Tunisie devient ainsi le seul pays
arabe à ne pas proclamer que l’islam est la religion de l’Etat.
- « La liberté absente » et les tribulations de
l’article 6 de la Constitution
L’article 4 déjà évoqué contenait une
lacune important dans la mesure où il ne faisait référence ni à la liberté de
penser, ni à la liberté de conscience. Ces deux libertés constituent en vérité
la colonne vertébrale d’un régime démocratique. Dans ce genre de régime que la
Révolution a choisi et réclamé, la liberté de penser veut dire l’acceptation
des idées différentes de celles qui sont admises et reconnues, et sur
lesquelles il existe un accord général. La liberté de penser est celle de
pouvoir rompre avec la pensée courante. Dans cet esprit, la liberté de pensée
protège l’individu, les minorités et les personnes dissidentes, contre la
pression des idées sociales dominantes. Sans cela, nous vidons totalement le
terme démocratie de son contenu ; bien plus, nous aurons privé la
Révolution de son apport historique, car cette révolution nous a libérés de la
philosophie ancestrale des « gens du droit chemin prophétique et de la
communauté du peuple des croyants » ahl asunnah wal jama’a et nous
a projetés dans le climat de la philosophie moderne qui permet à l’individu de
décider de son destin et de se libérer des idées admises et préconçues.
Dans le même ordre d’idées, une autre
question se pose : celle de « la liberté de conscience », qui
garantit la liberté philosophique et métaphysique. Plus profonde que la liberté
de penser, elle touche la croyance religieuse et les convictions
philosophiques. Elle implique en particulier la possibilité, selon sa
conscience, de choisir une religion, de changer ou de modifier sa religion ou
de ne pas avoir de religion. Dans cette perspective, ce qui était considéré
dans le passé comme crime d’apostasie, irtidâd, d’innovation blâmable, bid’a,
de mécréance, zandaqa, de dissidence, khourouj, deviennent
les expressions de la créativité et de la puissance des potentialités intellectuelles
de l’homme.
Ce refus de la liberté de conscience dans
le projet de brouillon Constitutionnel, va dans le même sens que le refus de
l’ANC d’évoquer l’universalité des droits et libertés et de faire référence à
la Déclaration universelle des droits de l’Homme qui reconnait clairement, dans
ses deux articles 18 et 19, la liberté de conscience et celle de refuser la
religion de son milieu social et familial (68).
Abdelwahab Meddeb, dénonçant la
perversité des dispositions relatives à l’Islam, écrivait sur cet article
relatif à la liberté de religion « …On comprend pourquoi cet article
évoque ²la liberté de croyance² : il le fait pour éluder la liberté de
conscience, telle qu’elle est définie dans l’article 18 de la Déclaration
universelle des droits de l’Homme votée à l’ONU en 1948. Cet article implique
la liberté d’embrasser n’importe quelle religion, de changer de religion, de
sortit d’une religion et d’entrer dans une autre, et même de ne pas en avoir…
Bref, face à ce refus manifeste de la liberté de conscience, le législateur se
réserve le droit de recourir au commandement de la charia qui condamne
l’apostat à la peine capitale. Cette ambiguïté est destinée à ouvrir la voie à
la charia dans un texte qui ne la mentionne point.
En vérité, nous retrouvons dans ce texte
la stratégie à laquelle nous a habitués le parti islamiste Ennahdha. Face aux
protestations démocratiques, il fait semblant de reculer sans finalement rien
céder. Ce qu’une main rature, une autre main le récrit sous une autre forme,
travestie, déguisée. C’est ainsi que les
islamistes jouent la tactique démocratique pour parvenir à instaurer l’Etat
théocratique » (69).
Devant la montée des critiques et des
contestations (70), cet article fut revu au cours du dialogue national de Dar
adhiafa à Carthage tenu à partir du 15 avril 2013 entre les partis
représentés à l’Assemblée nationale constituante (71), sur initiative du
Président de la République, pour devenir, avec l’inclusion de la liberté de
conscience, l’article 6 du projet de constitution du 1er juin 2013.
Lors du débat et du vote final de la
Constitution, un incident survenu le 5 janvier 2014 entre un député de
l’extrême gauche, Mongi Rahoui, et un député islamiste ultraconservateur, Habib
Ellouze, qui avait accusé son adversaire d’être un ennemi de l’islam, fut à
l’origine de la condamnation du takfîr (accusation d’apostasie) dans
l’article 6 de la constitution.
Le takfîr qui consiste à accuser
une personne musulmane de renier l’islam constitue en réalité un appel au
meurtre, puisque l’islam, tel qu’il est interprété par la majorité des légistes
musulmans, au cours de l’histoire, sanctionne par la mort le renégat, murtadd.
L’incident provoqua l’ire d’un bon nombre
de députés qui exigèrent l’insertion dans l’article 6 d’une condamnation du takfîr.
En fin de parcours, et après révision,
l’article 6 fut adopté dans une version « fin de combat » qui en fit
un véritable pot-pourri constitutionnel consacrant la chose et son
contraire :
« L’Etat protège la religion,
garantit la liberté de croyance, de conscience et de l’exercice des cultes. Il
assure la neutralité des mosquées et des lieux de culte de l’exploitation
partisane.
L’Etat s’engage à diffuser les valeurs de
modération et de tolérance, protéger le sacré et empêcher d’y porter atteinte.
Il s’engage également à prohiber et
empêcher les accusations d’apostasie (takfîr), ainsi que l’incitation à
la haine et à la violence et à les juguler ».
Il est clair que dans cet article, il y a
du pain pour toutes les planches.
- Les questions relatives à l’identité et à
« l’ouverture »
L’opinion publique ayant peu le souci des
nuances, son tissu étant formé de simplifications, de couleurs fortes et de
contraste, les islamistes au pouvoir, cela devait forcément provoquer une
division binaire de points de vue s’exprimant par des équations simples de
qualification : théocrates contre démocrates, culturalistes contre
modernistes, religieux fondamentalistes contre laïcistes, etc.…
Avant les élections d’octobre 2011, et
même avant la Révolution, la direction du parti Ennahdha avait bien affirmé son
adhésion aux axes fondamentaux de la modernité politique et en particulier aux
droits de la femme, au pluralisme politique à l’alternance, au principe des
élections libres sincères et transparentes, à la souveraineté du peuple, à la
suprématie de la Constitution et de la loi, etc.…
Cette adaptation aux temps modernes ne
convainc cependant pas toutes les franges de l’opinion publique, pour plusieurs
raisons :
-
La première, c’est
que les positions officielles du parti ne manquent pas d’ambiguïtés et
mélangent clarté et pénombre.
-
La deuxième, c’est
qu’il existe un double décalage entre les positions de la direction et celle
des militants de base et ensuite, globalement, au sein de l’ensemble du parti,
entre l’aile conservatrice et l’aile progressiste du parti.
-
La troisième raison,
me semble-t-il la plus importante, c’est que, quoi qu’il fasse, le parti islamiste
est jugé à travers ses fondamentaux considérés comme des invariables à forte
portée politique et sociale.
Le fait qu’il adhère universellement au
principe d’une cité terrestre soumise à la loi morale, politique et juridique
immuable de Dieu, à la conquête de l’esprit du monde par la religion vraie, par
la parole ou la violence, à la défense de la communauté et de l’Etat de
l’islam, à l’unité intrinsèque de la société de l’Etat et de la religion, tout
cela explique la défiance permanente d’une large partie de l’opinion vis-à-vis
des thèses islamistes modernistes.
Ces dernières sont toujours considérées
comme expression du double langage et de l’hypocrisie, destinées exclusivement
à anesthésier l’opinion, se mettre en position d’attente, avec la seule perspective
d’aboutir à une emprise graduelle sur la société et sur l’Etat en vue de leur
islamisation totale.
L’expérience du gouvernement de la
troïka, sa gestion désastreuse du phénomène terroriste, n’a fait que consolider
ce sentiment de défiance et explique la majorité confortable obtenue par le
parti Nida tounes aux élections législatives, puis aux présidentielles
d’octobre et novembre 2014. Cela explique également que tous les détails de
rédaction du texte constitutionnel, de si près ou de loin qu’ils touchent aux
questions se rapportant à la religion ou à l’identité, furent regardés à la
loupe, de crainte qu’ils ne puissent véhiculer les intentions théocratiques du
parti majoritaire.
Certaines formules ont subi, de main
ferme, un polissage destiné à les rendre démocratiquement acceptables. Ainsi,
le 3ème paragraphe du préambule du projet de brouillon du 10 août
2012, qui a utilisé la formule : « Sur le fondement des pérennités de
l’islam et de des finalités caractérisées par l’ouverture et le juste milieu… »,
« Ta’sîsan ‘alâ thawâbit al islâm wa maqâsidihi al muttassime bi
tafattuhi wal i’tidâl » a provoqué des contestations relatives à
l’obscurité de l’expression « pérennités de l’islam ».
Cela a eu pour effet de transformer la
rédaction de ce paragraphe dans le projet du 1er juin, comme
suit : « Sur le fondement des enseignements de l’islam et de ses
finalités caractérisées par l’ouverture et le juste milieu… » « Ta’sîsan
‘alâ ta’âlim al islam… ».
Mais, comme l’a fait observer le rapport
précité du comité d’experts du 24 juin 2014, cette rédaction semble donner aux
enseignements de l’islam une valeur supra-constitutionnelle, ce qui contrôle le
principe d’après lequel la Constitution est le fondement premier et exclusif du
système juridique.
Prenant en compte ces considérations, et
après l’examen par la « Commission des conciliations », la rédaction
suivante a été retenue : « Exprimant l’attachement de notre peuple
aux enseignements de l’islam et à ses finalités caractérisées par l’ouverture
et le juste milieu… ».
La dernière bataille fut livrée à propos
de l’article 38 du projet de Constitution sur le droit à l’instruction qui
deviendra l’article 39 dans le texte final. Notons tout d’abord que, dans le
projet du 14 décembre 2012, un article 29 consacrait ce droit en termes
parfaitement neutres :
« L’Etat garantit à tous le droit à
un enseignement gratuit dans tous ces cycles.
L’enseignement est obligatoire jusqu’à
l’âge de 16 ans au moins ».
Dans le projet de Constitution du 1er
juin 2013, cet article 29 devenant l’article 38, prit une coloration quelque
peu culturaliste :
« L’instruction est obligatoire,
jusqu’à l’âge de seize ans.
L’Etat garantit le droit à l’enseignement
public et gratuit à tous ses niveaux. Il veille à mettre les moyens nécessaires
au service d’une éducation, d’un enseignement et d’une formation de qualité,
ainsi que la consolidation et le soutien de la langue arabe ».
Le 7 janvier 2014, au moment de la
discussion et du vote de cet article 38 par l’assemblée plénière, un amendement
fut proposé en dernière minute par un député appartenant au Front démocratique
pour le travail et les libertés, FDTL, ancien ministre de l’éducation :
« … L’Etat veille également à
l’enracinement des jeunes générations dans leur identité arabe et islamique. Il
veille à la consolidation de la langue arabe, sa promotion et sa
généralisation ».
Le plus étonnant, c’est que l’article tel
qu’amendé fut voté le 7 janvier par 141 voix pour : 9 contre et 4
abstentions.
Devant les critiques médiatiques (72) et
manifestations publiques contre cet article, certains députés, notamment du
FTDL, prirent conscience de la gravité de leur vote et demandèrent la révision
de cet article en imputant l’amendement du 7 janvier à une initiative
personnelle du député Abdelatif Abid.
L’article fut révisé, conformément à
l’article 93 du Règlement intérieur de l’Assemblée et un nouvel amendement
consensuel fut proposé au cours de la séance du 23 janvier 2014, 3 jours avant
la promulgation de la Constitution.
Sans revenir sur le premier amendement,
devenu politiquement inébranlable, les députés rééquilibrèrent le culturalisme
de l’article 38 par un nouvel amendement qui y introduisit l’allégeance
nationale, l’ouverture sur les langues étrangères, les civilisations et la
culture des droits de l’Homme. Le nouvel article fut voté par 165 voix pour, 2
contres et 11 abstentions, en ces termes :
« L’instruction est obligatoire
jusqu’à l’âge de seize ans.
L’Etat garantit le droit à l’enseignement
public et gratuit à tous ses niveaux.
Il veille à mettre les moyens nécessaires
au service d’une éducation, d’un enseignement et d’une formation de qualité.
L’Etat veille également à l’enracinement
des jeunes générations dans leur identité arabe et islamique et leur
appartenance nationale.
Il veille à la consolidation de la langue
arabe, sa promotion et sa généralisation.
Il encourage l’ouverture sur les langues
étrangères et les civilisations. Il veille à la diffusion de la culture des
droits de l’Homme.
Ainsi rédigé, l’article 38 rejoignait, en
partie, la composante principale de l’article 41 (qui deviendra 42 dans le
texte final) sur le droit à la culture :
« La liberté de création est
garantie.
L’Etat encourage la créativité culturelle
et soutient la culture nationale dans son enracinement, sa diversité et son
renouvellement, en vue de consacrer les valeurs de tolérance, de rejet de la
violence, d’ouverture sur les différentes culturelles et de dialogue entre les
civilisations ».
A travers les débats autour du préambule,
de l’article 6, de l’article 38, la Constitution révèle en réalité les
tiraillements de la société elle-même.
Conclusion. Le peuple,
interprète de la Constitution
Ces tiraillements de la société
tunisienne sur les choix fondamentaux de régime et de société constituent, à
notre sens, les éléments les plus durables de la vie politique et
constitutionnelle de la Tunisie post révolutionnaire.
Il s’agit en réalité d’une bipolarisation
des points de vue, d’un antagonisme fondamental entre deux conceptions opposées
de la société, sur les deux plans civil et politique :
- Pour les uns, la société doit présenter
ses propres lois, selon ses propres intérêts.
- Pour les autres, une société livrée à
elle-même, sans investissement du divin, constitue une aberration métaphysique.
La Constitution tunisienne de 2014, avec
l’esprit de compromis qui l’anime fondamentalement, n’en est que le reflet. En
réalité, la recherche du compromis systématique a pour résultat de transformer
notre texte constitutionnel en un tissu d’ambiguïtés, de faux-semblants et de
contradictions.
Face à cette bifurcation, laquelle des
deux voies choisir ? La résolution du problème ne peut échapper à l’une des
trois hypothèses suivantes : le chaos, la guerre civile ou les choix
démocratiques, par l’intermédiaire d’élection disputée et de débats ouverts.
La Tunisie semble avoir choisi la voie de
la sagesse : celle des élections démocratiques.
Ces dernières, organisées au cours des
mois d’octobre et décembre 2014, confirment l’existence de cette fracture entre
deux choix originels de société. Aussi bien pour les élections législatives du
26 octobre 2014, que pour les élections présidentielles, en particulier le
deuxième tour du 21 décembre 2014, bien plus que pour des personnes, des
programmes de gestion, des partis politiques, les Tunisiens ont majoritairement
choisi une route.
En fait, en votant pour le Nida tounes,
ils ont voté pour le slogan familier à leur chef : « un Etat
civil, pour un peuple musulman », c’est-à-dire exactement la synthèse
et l’harmonisation des articles premier et 2 de la Constitution :
- Un « peuple musulman »
constitue une description de culte, de mœurs, de culture et de civilisation
pour la majorité.
- Un « Etat civil » constitue
une prescription de Constitution, de droit et de loi pour la nation. Le peuple
est le premier interprète de la Constitution, le pédagogue de ses lois.
23 janvier 2015
[1]Qui
met l’accent sur le contrôle des forces armées Charles Tilly, Europeens
revolutions, 1492-1992, Blackwell publishers, 1993, p.10.
[2] Pour
une définition de la «révolution constitutionnelle», voir Georges Vedel,
Cours de droit constitutionnel d’institutions politiques, Les cours
de droit, Paris, 1968 – 1969, page 99.
[3] Lotfy
Chedly, « La transition démocratique et les choix fondamentaux en matière de
statut personnel de la Tunisie moderne », in La transition
démocratique à la lumière des expériences comparées,, Colloque international
tenu les 5, 6 et 7 mai 2011, dir. Hatem Mrad et Fadhel Moussa, oct. 2012,
Tunis, page 257 et s.
[4] Éric
Maulin ; « Carré de Malberg et le droit constitutionnel de la
Révolution française », Annales historiques de la Révolution
française, 328, avril juin 2002, p.5 à 25.
[5] Jean-Philippe Bras, « Le
peuple est-il soluble dans la constitution ? Leçons
tunisiennes », L’Année du Maghreb [En ligne],
VIII | 2012, mis en ligne le 09 octobre 2012, consulté le 17 janvier
2015. URL : http://anneemaghreb.revues.org/1423 ;; DOI :
10.4000/anneemaghreb.1423
[6] Date
du décret- loi constituant n° 14 du 23 mars 2011 qui, rétroagit au 15
mars, régularisant ainsi le dépassement de 60 jours d’intérim présidentiel
prévu par l’art.57 de la Constitution de 1959.
[9] Date
de la promulgation de la Constitution. Il est erroné d’y ajouter la période qui
va du 27 janvier 2014 au 30 décembre 2014, date de la prestation de serment du
nouveau Président de la République devant l’Assemblée des représentants du
peuple élue en octobre 2014. Cette période n’est ni transitoire, ni provisoire,
au sens de la transition politique. Il s’agit d’une mise en application de la
Constitution, plus précisément de ses dispositions transitoires, qui
n’a rien à voir avec les transitions antérieures.
[10] Pour une analyse
critique du concept de « transition démocratique », voir François
Constantin, « Les transitions démocratiques. Sur les pratiques est
africaine d’un mythe occidental. Libres propos. » Mélanges en l’honneur de
Franck Moderne, Mouvement du droit public, Dalloz, 2004, p.1059.
[11] M.
S. Ben Aïssa, « De l’article 57 de la Constitution du 1er juin
1959 à l’Assemblée constituante : quelle transition ? »,
in La transition démocratique à la lumière des expériences comparées,,
Colloque international tenu les 5, 6 et 7 mai 2011, dir. Hatem Mrad et Fadhel
Moussa, oct. 2012, Tunis, page 245.
[12] L’article
39 qui permet la prorogation le mandat du Président en cas de guerre ou de
péril imminent empêchant la tenue des élections.
[14] Isabelle
Thumerel, « Les dispositions constitutionnelles provisoires », in « Le
provisoire en droit public », sous la direction
d’Ariane Vidal-Naquet, Dalloz, 2009, p. 21.
[15] Pour
être plus exact, comme le propose Isabelle Thumerel, des « actes
pré-constituants », loc.cit., p.23, le véritable acte constituant étant la
Constitution à venir.
[16] Rachida
Ennaïfar, « la transition constitutionnelle, garante de la transition
démocratique en Tunisie ? », in la transition démocratique à la lumière
des expériences comparées, op. cit. ,page 235 et S.
[17] Paul
Amselek, « Enquête sur la notion de « provisoire », in « Le
provisoire en droit public », sous la direction
d’Ariane Vidal-Naquet, Dalloz, 2009, p.8.
[18] Paul
Amselek (ibidem) écrit à ce propos : « Cette notion correspond toujours à
l’idée d’un processus de décision juridique au cours duquel des mesures
temporaires d’attente sont adoptées avant que la décision à prendre soit
arrêtée définitivement, des mesures qui interviennent donc dans une phase
préliminaire encore indécise et qui, par définition, ne lieront pas la décision
définitive en instance ,dont elle pourra ne pas tenir compte, qu’elle pourra
modifier ou réduire à néant.»,
[19] La
mise en application progressive de cette nouvelle constitution, d’après ce
qu’on appelle juridiquement « dispositions transitoires », constitue un tout
autre problème qui n’a rien à voir avec la période transitoire qui se situe
avant l’adoption de la constitution. Il faut par conséquent distinguer les
dispositions constitutionnelles provisoires et les dispositions
constitutionnelles transitoires. En ce sens, Gweltaz Eveillard, Les
dispositions transitoires en droit public français, Dalloz, collection «
Nouvelle bibliothèque de thèses » 2007. L’auteur souligne (p. 147 et 148) à
juste titre que, contrairement aux dispositions constitutionnelles provisoires,
les dispositions constitutionnelles transitoires doivent porter sur le même
objet que la constitution qu’ils viennent mettre progressivement en
application.
[20] Sur
le rapport de la Constitution avec la législation, au cours de la période
transitoire, Asma Ghachem, « L’interaction entre les systèmes constitutionnels
et législatifs au cours de l’expérience de la transition démocratique en
Tunisie », à paraître dans les Mélanges Rafaa Ben Achour.
[21] Rafaa
et Sana Ben Achoyr, « La transition démocratique en Tunisie : entre
légalité constitutionnelle et légitimité révolutionnaire », Revue française de
droit constitutionnel, n° 92, 2012, p.715.
[23] Evaluant
la décision du Conseil constitutionnel le doyen Hédi Ben Mrad
écrit : « Qu’il ait, ou non, agi sous pression, le Conseil
constitutionnel a joué un rôle libérateur et salvateur inattendu.
L’interprétation qu’il a faite de l’article 57 de la Constitution, est
politiquement audacieuse et salutaire. Il s’agit d’un déblocage
constitutionnel qui à facilité le passage « pacifique » vers la destitution de
l’ancien président. Probablement, le conseil constitutionnel n’avait pas d’autres
alternatives». Hédi Ben Mrad, « La problématique
constitutionnelle de la transition», in, La transition démocratique en
Tunisie. État des lieux. Les thématiques, direction H. Redissi, A. Nouira, A.
Zghal, Diwan édition, 2012, page 12.
[24] Salsabil
Klibi a raison de parler de « bricolage constitutionnel », « De
la révolution à la constituante, dynamiques et blocages»,
in La transition démocratique à la lumière des expériences
comparées,, Colloque international tenu les 5, 6 et 7 mai 2011, dir. Hatem Mrad
et Fadhel Moussa, oct. 2012, Tunis, page 221. Voir également Walid Larbi, « A
propos de la loi du 9 février 2011 habilitant le Président de la République par
intérim à prendre des décrets lois », Revue tunisienne de droit, 2009, p.
411, qui soulève les problèmes relatifs à la validité de la loi
d’habilitation au niveau du délégataire, de l’objet de la délégation, et du
délai de la délégation.
[25] Le
paragraphe 5 de l’article 28 de la constitution dispose : « La Chambre des
députés et la Chambre des conseillers peuvent habiliter le Président de la
République, pour un délai limité et en vue d’un objectif déterminé,
à prendre des décrets lois qu’il soumettra, selon le cas, à l’approbation de la
Chambre des députés ou des deux chambres, à l’expiration de ce délai.
[26] Slim
Laghmani, « La transition démocratique : une théorie ou une
pratique ? », in La transition démocratique à la lumière des
expériences comparées, op. cit., p.37.
[27]La
déclaration du 11 février été signé par les parties suivantes :L’ordre
national des avocats, l’UGTT, le FDTL ettakatul, le POCT, le mouvement
bassiste, le parti Ennahda, le mouvement du peuple, mouvement des patriotes
démocrates, le parti Baath, l’association internationale de soutien aux
prisonniers politiques, la ligue de la gauche ouvrière, le mouvement unioniste
progressiste, le parti du travail national démocratique, l’association des
magistrats tunisiens, l’union des diplômés en situation de chômage,
l’organisation liberté et équité, le parti de la Tunisie verte, le syndicat
national des journalistes, la mutuelle nationale des anciens muqâwimine
(combattants), le mouvement réforme et développement, l’union générale des
étudiants tunisiens, le parti populaire pour la liberté et le progrès, les
indépendants de gauche, le centre tunisien pour l’indépendance de la justice et
du barreau, les nationalistes démocrates, watad, la ligue des écrivains libres,
l’association tunisienne de lutte contre la torture..
الهيئة الوطنية للمحامين : عبد الرزاق
الكيلاني، الإتحاد العام التونسي للشغل، حسين العباسي – التكتل من أجل العمل
والحريات مصطفى بن جعفر – حزب العمال الشيوعي، حمة الهمامي – التيار البعثي، خير
الدين الصوابني. حزب حركة النهضة، نور الدين البحيري – حركة الشعب، عمر الشاهد –
حركة الوطنيون الديمقراطيون، شكري بلعيد – حركة البعث، خميس الماجري – الجمعية
الدولية لمساندة المساجين السياسيين، سمير ديلو –رابطة اليسار العمالي، نزار عمامو
– الحركة الوحدوية التقدمية، زهير نصري – حزب العمل الوطني الديمقراطي، عبد الرزاق
الهمامي – جمعية القضاة التونسيين، أحمد الرحموني – اتحاد أصحاب الشهائد المعطلين
عن العمل، سالم العياري – منظمة حرية وإنصاف، محمد النوري- حزب تونس الخضراء، فوزي
الهذباوي – النقابة الوطنية للصحفيين التونسيين، منجي الخضراوي – الودادية الوطنية
لقدماء المقاومين ، علي بن سالم – تيار الإصلاح والتنمية، محمد القوماني – الإتحاد
العام لطلبة تونس، عز الدين زعتور – الحزب الشعبي للحرية والتقدّم، منير كشوخ –
اليساريون المستقلون، طارق شامخ –مركز تونس لاستقلال القضاء والمحاماة، المختار
اليحياوي –الوطنيون الديمقراطيون (الوطد)، جمال الأزهر- رابطة الكتاب
الأحرار، جلول عزونة – الجمعية التونسية لمقاومة التعذيب ، راضية النصراوي.
[28] Le
programme de ce conseil repose sur les éléments suivants : 1.
Disposer d’un pouvoir décisionnel et veiller à l’élaboration des
législations relatives à la période transitoire. 2. Contrôler
l’activité du gouvernement provisoire et les nominations des hauts
fonctionnaires. 3. Revoir la composition et les
prérogatives des 3 commissions, afin qu’elles fassent l’objet d’un consensus,
et qu’elles soumettent leurs projets au Conseil pour approbation. 4.
Prendre les dispositions qu’impose la situation transitoire, en
particulier dans le domaine de la justice et de l’information. 5. Ce
conseil se compose des représentants des différents partis politiques, des
associations et des organisations précitées et de représentants des différentes
régions, selon le principe du consensus. 6. Ce Conseil
devra être institué par un décret-loi du Président provisoire de la République.
[29] J’ai
été personnellement témoin de l’effort considérable de persuasion, de
résistance physique et morale, qu’a déployé le Premier ministre Mohamed
Ghannouchi, au cours du mois de février 2011, pour faire aboutir ces
négociations extrêmement difficiles et contraignantes, à l’origine de la
création de la Haute instance. Le décret-loi numéro 6 du 18 février 2011 est en
réalité le résultat d’un mélange entre les deux projets
préparés, pour leur propre compte, par le Conseil national de la
Révolution et la Commission de réforme politique.
[30] Composé
de : la Ligue de la gauche travailliste, le Mouvement des
Unionistes Nassériens, le Mouvement des Nationalistes Démocrates (Al-Watad), le
Courant Baasiste, la Gauche Indépendanteet le PCOT (Parti Communiste des
Ouvriers de Tunisie), PTPD (Parti du Travail Patriotique et démocratique)
[31] Le
programme du Front est le suivant d’après la proclamation du 20 janvier
2011 : 1 – Faire tomber le gouvernement actuel de Ghannouchi ou tout
gouvernement qui comprendrait des symboles de l’ancien régime, qui a appliqué
une politique antinationale et antipopulaire et a servi les intérêts du
président déchu. 2 – La dissolution du RCD et la confiscation de son siège, de
ses biens, avoirs et fonds financiers étant donné qu’ils appartiennent au
peuple. 3 – La formation d’un gouvernement intérimaire qui jouisse de la
confiance du peuple et des forces progressistes militantes politiques,
associatives, syndicales et de la jeunesse. 4 – La dissolution de la Chambre
des Représentants et de la Chambre des conseillers et de tous les
organes fictifs actuels et du Conseil supérieur de la magistrature et le
démantèlement de la structure politique de l’ancien régime et la préparation
des élections à une Assemblée constituante dans un délai maximum d’un an afin
de formuler une nouvelle constitution démocratique et fonder un nouveau système
juridique pour encadrer la vie publique qui garantit les droits politiques,
économiques et culturels du peuple. 5 – La dissolution de la police
politique et l’adoption d’une nouvelle politique de sécurité fondée sur le respect
des droits de l’homme et la supériorité de la loi. 6 – Le jugement de tous ceux
qui sont coupables de vol des deniers du peuple, de ceux qui ont commis des
crimes à son encontre comme la répression, l’emprisonnement, la torture et
l’humiliation – de la prise de décision à l’exécution – et enfin de tous ceux
qui sont convaincus de corruption et de détournement de biens publics. 7 –
L’expropriation de l’ancienne famille régnante et de leurs proches et associés
et de tous les fonctionnaires qui ont utilisé leur position pour s’enrichir aux
dépens du peuple. 8 – La création d’emplois pour les chômeurs et des mesures
urgentes pour accorder une indemnisation de chômage, une plus grande couverture
sociale et l’amélioration du pouvoir d’achat pour les salariés. 9 - la construction
d’une économie nationale au service du peuple où les secteurs vitaux et
stratégiques sont sous la supervision de l’État et la re-nationalisation des
institutions qui ont été privatisées et la formulation d’une politique
économique et sociale qui rompt avec l’approche libérale capitaliste. 10 – La
garantie des libertés publiques et individuelles, en particulier la liberté de
manifester et de s’organiser, la liberté d’expression, de la presse, de
l’information et de pensée ; la libération des détenus et la promulgation
d’une loi d’amnistie. 11 – Le Front salue le soutien des masses populaires et
des forces progressistes dans le monde arabe et dans le monde entier à la
révolution en Tunisie, et les invite à poursuivre leur appui par tous les
moyens possibles. 12 – La résistance à la normalisation avec l’entité sioniste
et sa pénalisation et le soutien aux mouvements de libération nationale dans le
monde arabe et dans le monde entier. 13 – Le Front appelle toutes les masses
populaires et les forces nationalistes et progressistes à poursuivre la
mobilisation et la lutte sous toutes les formes de protestation légitime, en
particulier dans la rue jusqu’à l’obtention des objectifs proposés. 14 – Le Front
salue tous les comités, les associations et les formes d’auto-organisation
populaire et les invite à élargir leur cercle d’intervention à tout ce qui
concerne la conduite des affaires publiques et les divers aspects de la vie
quotidienne.
Gloire aux martyrs de
l’Intifada et Victoire aux masses révolutionnaires de notre peuple.
Tunisie, le 20 Janvier
2011
[32] Il est donc
erroné de penser que c’est le gouvernement Essebsi qui a accepté « le
principe de l’organisation d’une élection tendant à élire une nouvelle
constitution chargée d’élaborer une nouvelle constitution pour la Tunisie
révolutionnaire». En fait, le gouvernement Essebsi s’est trouvé devant le fait
accompli, la décision d’organiser des élections pour l’assemblée nationale
constituante ayant été prise définitivement le 21 février 2011 dans les
conditions indiqués ci-dessus, avant la démission du gouvernement Moh.
Ghnnouchi. Voir Hatem Mrad, Tunisie : de la révolution à la
constitution, éditions Nirvana, 2014, p.8.
[33] Lotfy
Chedly, « La transition démocratique et les choix fondamentaux… », loc. cit.,
page 261 et s.
[34] Les
procès-verbaux en arabe de la Haute instance ont été publiés en deux volumes
et ses séances ont été filmées et existent sous forme de
vidéos. Pour les procès-verbaux, République tunisienne, la Haute instance de
réalisation des objectifs de la Révolution de la réforme politique et de la
transition démocratique, Délibérations de la Haute instance, volume 1, couvrant
la période de mars à mai 2011 ; volume
2, de juin à octobre 2011. Les procès-verbaux ont été
établis par M. Ammar Aloui ancien directeur général au Conseil économique et
sociale et son équipe.
[35] Sadok
Belaïd, « Il est temps de dissoudre la Haute Instance », La Presse,
Dimanche 15 juin 2011, p. 6.
[36] T.A.,
10 mars 2011, référé, Première instance, 2ème chambre,
Abderraouf Ayadi, Amor Safraoui, Anouar Bassi, Hafedh Brigui et autres.
[37] Emmanuel
Cartier, « Les petites constitutions : contribution à l’analyse du droit
constitutionnel transitoire», Revue française de droit constitutionnel, numéro
71, 2007. Voir également Moussa Zaki, « Petites constitutions et
droit transitoire en Afrique», Revue du droit
public… , 2012, numéros 6.p., 1668, qui définit des
petites constitutions, au sens formel, comme des constitutions de sortie de
crise élaborée dans la perspective d’une constitution définitive
qui respectent certains principes de base adoptée par
l’assemblée constituante
[39] Sur
les différentes formes de gouvernement provisoire, voir Francis Delpérée, «Le
gouvernement provisoire» in, Le provisoire en droit public…op.cit. p. 85.
[40] Par
conséquent, le jugement de première instance rendu par le Tribunal
administratif le 4 juillet 2012, dans l’affaire numéro 124 153, constitue
une véritable aberration juridique. Le Tribunal administratif
n’ayant pas saisi la nature juridique des décrets lois pris sur la base du
décret-loi numéro 14 du 23 mars 2011, les a assimilés à ceux qui sont pris sur
la base de l’article 28 de la Constitution tunisienne de 1959. Il a,
en outre, affirmé expressément que ces décrets-lois conservaient la
nature d’actes administratifs jusqu’à leur ratification par le pouvoir
législatif. Or, les décrets-lois pris sur la base du numéro 14 ne sont
nullement soumis à cette condition de ratification.
Slim Laghmani, « La pérennité
de la légalité, exigence de la continuité de l'État », « dawâm a-Shar’ia matlûb
li dhamân istimrâriyyat a-dawlah », a-Tunisia, jeudi 13 septembre 2012, p.12 et
13.
[44] Wafa Harrar
Masmoudiau « Le processus de transition démocratique en Afrique du Sud »,in la
transition démocratique à la lumière des expériences comparées…, p.83.
[45] Les
partis signataires qui se sont retirées de la Haute instance de la révolution
ont été à l’origine de cette indication qui figure en tête de la
Déclaration, pour manifester par là que leur participation à
l’élaboration de la Déclaration, prise sur l’initiative du président de la
Haute instance de la Révolution, n’impliquait nullement leur implication dans
les travaux de la Haute instance, encore moins leur retour en son sein.
[46] Signataires
de l’Appel. Lazhar Karoui Chebbi. Taïeb Baccouche. Boujemâa Remili.
Ridha Belhadj. Selma Rekik Elloumi. Samah Damak. Slim
Chaker. Omar S’Habou. Mohsen Marzouk. Mohamed Lazhar Akremi.
Wafa Makhlouf Sayadi. Anis Ghdira.
[47] Rafaa
Ben Achour, « Qu'adviendra-t-il de l'ANC, le 22 octobre 2012 ? », La
Presse de Tunisie, mardi 4 septembre 2012, p.9.
[49] Ont
participé les partis suivants : Ennahdha, le Congrès pour la
République (CPR) et le Parti Ettakatol (Forum démocratique pour le travail et
les libertés). Les partis de l'opposition sont représentés à cette réunion par
le Parti républicain, le Mouvement Nidaa Tounes, l'Alliance démocratique et le
Parti Al-Moubadara.
[51] Communiqué
publié le 26 juillet 2011 et signé par :Abdelbasset Sammari : Courant
réformiste d'Ettakatol;Mahmoud Besrour: Prospective & Développement;
Kheireddine Souabni: Parti d'Avant-garde arabe démocratique/Front
Populaire;Jawher Ben Mbarek: Dostourouna; Hazem Ksouri: l'Association de la
Tunisie Libre;Mohamed Bennour: Tamarrod; Taoufik Laâbidi: secrétaire général du
parti Tounes Baytouna; Bechir Rajhi: Citoyenneté et Solidarité; Emna Mnif:
Kolna Tounes; Nizar Amami: la Ligue de la gauche ouvrière/Front Populaire;
Houssem Hammi: Alternative Sociale et démocratique; Hatem Fekih:
Mouvement du militantisme national; Souha Ben Othmane: Mon droit;
Fathia Saïdi: Centre
de recherche pour la formation sur la citoyenneté; Sana Ben Achour: Association
Baïti; Ali Faleh: Parti du Front national tunisien; Taoufik Saïri:
Association Adam pour l'égalité et le développement; Jilani Hammami
: Parti des ouvriers/Front Populaire; Zied Lakhdhar : Parti des Patriotes
démocrates Unifié/ Front Populaire; Zied Rajhi: Union des diplômés chômeurs;
Lotfi Ben Issa : Pôle démocratique moderniste/Front
Populaire; Fayçal Tebbini: La Voix des agriculteurs;
Mahmoud Doggui:
Organisation du martyr de la liberté Nabil Barakati; Khedija Ben Hassine :
Afturd;
Radhia Nasraoui:
Organisation tunisienne de lutte contre la torture; Mohamed Kilani:
Parti Socialiste ;
Nabil Ben Azzouz :
Initiative nationale pour un front de salut national; Noureddine Ben Ticha:
Nida Tounes; Nasreddine Sehili : Khnagtouna.
[53] Notamment suite
à l’affaire de la ‘ibdiliyya en juin 2012 et l’attitude compréhensive du
gouvernement à l’égard des attaquants ; à l’occasion de l’attaque contre
l’ambassade des Etats unis et l’école américain le 12 septembre 2012, de la
diffusion le 10 octobre 2012 d’une vidéo de Rached Ghannouchi en
conversation avec des salafistes et ses propos dangereux relatifs à l’emprise
stratégique graduelle du parti islamiste sur l’Etat, l’armée, l’administration,
l’économie, la culture et à la chari’a, aux laics, almaniyyine. Il faut citer
également la gestion du phénomène terroriste plus qu’ambiguë du gouvernement
Laarayadh en 2013, l’action des Ligues de protection de la révolution contre le
siège de l’UGTT le 4 décembre 2012 et l’attitude passive du gouvernement à son
égard,
[54] Sur
la définition et la classification des démocrates et des théocrate, voir yadh
Ben Achour, « L’action politique commune entre « démocrates » et «
théocrates » dans le monde arabe. In En hommage à la Daly
Jazy, ,Centre de publication universitaire, 2010, p.135 et s.
[55] Rafaa
Ben Achour, «La Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 », Revue française
de droit constitutionnel, numéro 100, décembre 2014, p.792.
[58] Article
49 : « Sans porter atteinte à leur substance, la loi fixe les
restrictions relatives aux droits et libertés garantis par la Constitution et à
leur exercice. Ces restrictions ne peuvent être établies que pour répondre aux
exigences d’un Etat civil et démocratique, et en vue de sauvegarder les droits
d’autrui ou les impératifs de la sûreté publique, de la défense
nationale, de la santé publique ou de la moralité publique, tout en
respectant la proportionnalité entre ces restrictions et leurs
justifications. Les instances juridictionnelles assurent
la protection des droits et libertés contre toute atteinte. Aucune
révision ne peut porter atteinte aux acquis en matière de droits de l’Homme et
de libertés garantis par la présente Constitution. »
[60] Cet
article dispose : « la Tunisie est un État libre, indépendant et
souverain, sa religion est l'islam, sa langue l'arabe et son régime la
République ».
[61] Par
une modification de l'article 165 du code pénal, ce projet
vise à punir les atteintes au sacré par une peine de prison de deux
ans et quatre ans en cas de récidive et une amende de 2000 dinars. Les « choses
sacrées » sont définies par le projet de loi: « Dieu,
allah, qu'il soit glorifié, ses prophètes, ses livres, la Sunna du
Prophète, ses envoyés, les mosquées, les églises et les synagogues
». Quant à l'atteinte, elle est définie comme « l’injure, la
profanation, la dérision et la représentation d'Allah et de Mahomet ».
[63] On
peut lire dans la lettre de HRW aux membres de l’ANC : »Créer un
principe constitutionnel selon lequel les « attaques » au
« sacré » doivent être criminalisées préparera certainement le
terrain pour punir l’expression pacifique d’avis divergents ou non-orthodoxes
sur la religion. Le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, formé de
pays du monde entier, dans ses résolutions clés 16/18 de mars 2011, est tombé
d’accord pour abandonner toute notion de diffamation des religions comme motif
possible pour limiter la liberté d’expression ».
[65] Composition
du comité :Salsabil Klibi, Hafidha Chekir, Mohamed Salah ben Aïssa, Néji
Baccouche, Slim Laghmani, amin Mahfoudh, Chafik Sarsar, Mustapha Beltaief,
Ghazi Ghraïri. Le comité était présidé par Yadh Ben Achour.
[66] Dans son rapport
du 12 juin 2013, le Centre Carter souligne que « La
notion de religion d’Etat est acceptée en droit international, sous condition
qu’elle n’entrave pas « la jouissance de l'un quelconque des droits garantis
par le Pacte » (…) ou qu’elle ne constitue pas « une discrimination quelconque
contre les adeptes d'autres religions ou les non-croyants » ( obs. gén. N°22,
Comité des droits de l’Homme). Le Centre Carter recommande dès lors
que la Constitution établisse explicitement que la mention ou les référence à
la religion ne peuvent pas être utilisées pour restreindre les droits et libertés,
ou résulter en discriminations à l’encontre de personnes adhérant à d’autres
fois ou non-croyantes.
Le Centre encourage
l’Assemblée à ouvrir l’accès à la candidature à la Présidence à tous les
tunisiens, indépendamment de leur confession, et de ne pas établir de
discrimination fondée sur la religion, car la condition posée pour un candidat
à la Présidence de professer une religion en particulier semble contrevenir aux
articles 25 et 26 du PIDCP, fondant les principes de participation aux affaires
publiques et d’égalité devant la loi ».
[67] Abdelwahas
Meddeb, « Pourquoi le projet de Constitution tunisienne
est inacceptable", Le Monde, 30 avril 2013. http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/04/30/pourquoi-le-projet-de-constitution-tunisienne-est-inacceptable_3168798_3232.html
[68] De ce point de
vue, nul doute que ce projet de constitution est en retard par rapport à ce qui
vient dans l’article 5 de la Constitution de 1959 qui
évoque clairement « les libertés fondamentales et les droits de la
personne dans leur universalité, leur globalité, leur complémentarité et leur
interdépendance ».
[69] Abdelwahas
Meddeb, « Pourquoi le projet de Constitution tunisienne
est inacceptable », loc.cit.
[70] Voir
notamment travaux du colloque « Lecture du projet de brouillon de la
Constitution », organisé par l’ARTD et l’ATDC, avec le soutien
de la Fondation Hans Seidel, tenu le 15 janvier 2013 (en
arabe). Et Yadh Ben Achour, « La liberté absente dans l’Etat
religieux », Le Maghreb, 26 mars 2013, (en
arabe).
[71] Les
trois partis de la coalition au pouvoir, ainsi que Al-Joumhouri, l'Alliance
démocratique, Al-Moubadara et Al-Amane. Le mouvement Ennahdha y est représenté
par son président Rached Ghannouchi et le président de son bureau politique,
Ameur Larayedh.
Le droit a empêché le chaos postrévolutionnaire !
Voilà un texte très long et qui paraîtra technique même s’il se lit très bien.
Il retrace bien ce qui s’est passé pendant ces quatre ans et on en tire le sentiment
que la Révolution a été sauvée du désordre par le droit. En lisant cette
analyse on ne peut qu’être fier des Tunisiens qui ont donné une leçon au monde
pour une transition démocratique pacifique et civilisée.
Yadh Ben
Achour :
*Pour ne pas aggraver la violence générée par la période postrévolutionnaire,
violence qui aurait pu aboutir au chaos, des sages ont eu recours à des
procédures informelles :
- Déclaration sur le processus
transitoire du 15 septembre 2011,
- Organisation du Dialogue national,
- Feuille de route élaborée par le
quartet,
- Institutions de la Commission des
consensus au sein de l’Assemblée nationale constituante.
*Dans tous ces cas, la force de la loi persiste, puisque le dernier
mot lui revient et que le retour aux procédures juridiques froides et
procédurales s’impose en fin de parcours. Mais les procédures chaudes de
contacts, de débats et de négociations sont mieux à même de résoudre les crises
et d’aller de l’avant.
*Ces processus informels ont réussi non seulement à apaiser les
tensions, mais au surplus, à débloquer et accélérer le processus constituant et
permettre l’alternance au pouvoir.
Un bravo tout particulier pour le
Professeur Yadh Ben Achour, auteur de ce texte et qui a contribué à cette
évolution en veillant avec d’autres qu’elle demeure dans la légalité.
R.B.
La force du droit ou la
naissance d’une constitution en temps de révolution
Introduction
Une Révolution est un phénomène
historique et sociologique d’une immense portée. Trois conditions cumulatives
doivent être vérifiées pour juger qu’un événement constitue bien une
révolution : une protestation publique massive qui, par sa portée, dépasse
les manifestations ordinaires de protestations collectives, telles que les
manifestations, les grèves générales, les insurrections ou les révoltes ;
deuxièmement, la victoire de cette protestation, ce qui veut dire la chute d’un
pouvoir politique avec ses hommes, se symboles et sa constitution. Cela
n’implique pas forcément le contrôle du pouvoir par les acteurs de la révolution.
La prise immédiate du pouvoir n’est pas systématiquement l’enjeu d’une
révolution, contrairement à ce que pense Charles Tilly (1). Les institutions
anciennes, le gouvernement, l’armée, la police, peuvent demeurer en place. Ce
fut le cas en Tunisie. Enfin, une révolution est un appel, en fait un rappel de
presque les mêmes principes universels de dignité, de justice et liberté. Cette
troisième condition révèle la portée incontestablement éthique de toute
révolution (2).
Au plus profond de leur nature et de leur
identité, révolution et constituante semblent être deux phénomènes
contradictoires. Une révolution, en elle-même, constitue une négation du droit,
du moins d’une négation du droit existant. Qu’elle se dresse contre le
titulaire physique d’un pouvoir, contre un régime politique donné, contre une
constitution déterminée, ou des lois constitutionnelles écrites ou coutumières,
une révolution constitue dans tous les cas de figure la violation d’une
légalité donnée, et plus spécifiquement d’un ordre constitutionnel. Dans son
rapport au droit, une révolution vise en tout premier lieu, à modifier,
réformer ou casser la constitution, le plus haut degré de la masse considérable
et foisonnante des lois qui gouvernent un peuple, son territoire et ses modalités
d’existence régulées par le droit. A partir de cette perspective initiale, elle
peut également viser à faire tomber les éléments les plus symboliques et les
plus marquants d’un système juridique lié à l’ancien régime politique, comme
certaines institutions ou lois politiques ou sociales, économiques, familiales
ou fiscales (3). Par conséquent, d’une manière ou d’une autre, une révolution
constitue fondamentalement une violation de la légalité et, en cas de victoire,
s’installe forcément sur les décombres d’une constitution.
Mais on ne peut s’arrêter là. Négation du
droit, une révolution constitue cependant un message, un appel éthique
impliquant l’édification d’un nouveau système de droit plus juste et plus
équitable, à commencer par sa constitution. Quand une révolution élève un appel
pour la liberté ou la justice sociale, elle ne se préoccupe pas de savoir
quelles seront demain les lois concrètes constitutionnelles, organiques ou
ordinaires, les décrets et arrêtés qui gouverneront la liberté de conscience de
pensée et de religion, le droit de réunion, la liberté de la presse et de
l’édition, l’impôt sur le revenu des personnes physiques, les droits
d’enregistrement, les droits de douane ou de succession, la TVA et les
redevances de toutes sortes. Elle donne un ordre moral, trace des objectifs
politiques aux futurs gouvernants qui mettront l’art des juristes et hommes de
loi au service de ce rappel éthique. Une révolution, en définitive, démolit les
éléments supérieurs et symboliquement marquants d’un système de droit, mais
porte en son sein les éléments éthiques fondamentaux et les objectifs qui
serviront à la construction du nouveau système de droit. Ainsi, Raymond Carré
de Malberg (1861-1935) a-t-il démontré que les principes de la Révolution
française constituent les fondations de l’Etat moderne (4).
Quel est le récit de la Révolution
tunisienne sur cette question ? Quels enseignements peut-on en
tirer ? Quels sont les rapports entre le moment révolutionnaire et le
moment constitutionnel (5) ? Ce sont les questions auxquelles nous allons
tenter de répondre dans ce qui suit.
Première partie : Une
révolution en quête d’une Constitution
La question constitutionnelle s’est posée
dès le départ soudain et imprévu de l’ancien dictateur le 14 janvier 2011. L’expérience
qu’a vécue la Tunisie au cours de la période transitoire qui a suivi la
Révolution est instructive à plus d’un titre. A travers les quatre périodes de
la transition du 14 janvier 2011 au 23 mas 2011 (6), du 23 mars 2011 au 23
octobre 2011 (7), du 23 octobre 2011 au 16 décembre 2011 (8), du 16 décembre
2011 au 24 janvier 2014 (9), cette expérience nous révèle que la chaîne du
droit, malgré une discontinuité fondamentale, due à l’effet de Révolution, a pu
résister à toutes les attaques provoquées par les crises sociales, politiques
et sécuritaires. Elle a en réalité servi de trame au déroulement des évènements
politiques (10).
La Constitution au secours de
la Révolution
L’élément le plus important à noter est
que la constitution a servi doublement les desseins de la révolution. En
premier lieu, elle a assuré, par le jeu de l’article 57 (11), de l’article 39
(12), et de l’article 28, le transfert du pouvoir au nouveau Président de la
République, ce qui nous a donné la situation paradoxale dans laquelle un homme
de l’ancien régime prend la direction de l’Etat, pour servir la Révolution et
éviter l’établissement d’un gouvernement de fait. Cet homme deviendra le
législateur de la première période transitoire. Ce paradoxe comme nous
l’expliquerons a été le secret de la réussite de cette période transitoire. Par
ailleurs, très rapidement, l’idée d’une nouvelle constitution est devenue
l’objectif principal du peuple, de la Révolution et de ses acteurs principaux.
La Révolution devait, « Si Veut le Peuple », acha’b Yourîd, déboucher
sur l’élection d’une Assemblée nationale constituante et l’élaboration d’une
constitution (13). Mais, comme le prouve l’expérience tunisienne, ce cheminement
entre la Révolution et la Constitution se fera lui-même par des
« dispositions constitutionnelles provisoires » (14), se manifestant
par le texte positif de la loi ou par des actes constituants (15). La
transition constitutionnelle est devenue effectivement le levier et le garant
de la transition démocratique (16). Il s’agit, comme l’a fait remarquer Paul
Amselek (17), d’un « processus de décision juridique ». Entre la
révolution et la constitution, se situe par conséquent une « période
transitoire », provisoire et préparatoire à la fois, qui consiste à mettre
en place des mécanismes provisoires d’organisation des pouvoirs publics, en
attendant l’adoption de la constitution permanente et définitive. Au cours de
cette période de transition, nous sommes en situation d’attente et de
préparation d’un événement inaugural : la future constitution (18).
L’adoption de cette constitution, par sa promulgation et sa publication, achève
cette période de transition (19).
Au cours de cette période de transition,
la classe politique a toujours été hantée par le vide juridique, alors même que
le vide juridique peut paraître comme un effet ordinaire de l’idée même de
révolution. L’originalité de la Révolution tunisienne se manifeste précisément
à la fois par le légalisme et le juridisme. Le légalisme qu’on observe dans le
souci constant des titulaires des pouvoirs civil, militaire et sécuritaire de
maintenir, contre vents et marées, la continuité de l’Etat, à travers la chaîne
continue de ses lois publiques constitutionnelles ou ordinaires (20). Le
juridisme qui se manifeste par le développement d’une culture
constitutionnaliste étonnement populaire et médiatisée et la consécration de
« l’expert en droit constitutionnel », sans souci de ses diplômes,
qualifications et statut universitaire, par le simple jeu de la presse, des
médias et de l’opinion. La caractéristique spécifique de la Révolution
tunisienne réside véritablement dans « le souci du droit et de la
loi ».
C’est par ce biais que la Révolution
tunisienne a résolu le problème de la cohabitation difficile, pour ne pas dire
paradoxale ou même contradictoire, entre la logique révolutionnaire et la
logique institutionnelle (21). La question centrale était de savoir comment
assumer la Révolution, en sauvegardant à la fois la continuité de l’Etat, aussi
bien sur le plan du texte positif que sur le plan des institutions. Autrement
dit, il fallait, autant que faire se peut, « éviter les gouvernements de
fait », c’est à dire des gouvernements qui n’ont pas de support juridique,
alors même que, par définition, la révolution est un « fait » un
phénomène anti juridique par nature puisqu’elle viole, en toute légitimité, la
constitution d’un pays.
Le processus de transfert du
pouvoir
Le suicide par le feu de Mohamed Bouazizi
le 17 décembre 2010, puis sa mort le 4 janvier 2011 ont été à l’origine du
processus révolutionnaire. Cet événement a déclenché une série de
manifestations à Sidi Bouzid, rapidement étendue à tout le territoire tunisien,
en particulier à Tunis, à la fin du mois de décembre. Malgré la visite du grand
brûlé par le Président de la République, la répression sanglante qui a abouti à
des centaines de morts et de blessé, malgré les discours mélangent condamnation
de l’insurrection et de la répression policière, menaces et apaisements, le
Président de la République quitta le pays le 14 janvier, en vue, semble-t-il,
d’apaiser la tension et préparer son retour. Dans un premier temps, le Premier
ministre annonça la mise en application de l’article 56 de la constitution sur
la délégation provisoire du pouvoir présidentiel au Premier ministre, puis,
dans les 24 heures, se ravisa pour annoncer la vacance définitive de la
présidence de la République et la mise en application de l’article 57 de la
Constitution (22). La vacance définitive fut entérinée le 15 janvier 2011 par
une décision du Conseil constitutionnel, qui assimila ce départ à un
« empêchement absolu » du Président de la République d’exercer ses
fonctions au sens de l’article 57 de la constitution tunisienne du 1er
juin 1959. En conséquence, le Conseil constitutionnel affirma que les
conditions étaient réunies pour que le Président de la Chambre des députés
puisse immédiatement exercer les fonctions de Président de la République de
manière provisoire, comme prévu par l’article 57 de la Constitution (23).
Ainsi, c’est par le jeu des règles
constitutionnelles elles-mêmes que fut résolu le problème de la vacance du
pouvoir présidentiel. Il restait à régler le problème de l’exercice du pouvoir
législatif, dans la mesure où la Chambre des députés, comme la Chambre des
conseillers, totalement discréditées par leur participation directe à la
dictature, n’étaient plus politiquement aptes à exercer le pouvoir législatif.
Ce problème fut résolu par un recours, quelque peu acrobatique il est vrai
(24), mais cependant justifié par les circonstances, à l’article 28 de la
Constitution qui prévoyait la délégation du pouvoir législatif au Président de
la République par la technique du décret-loi (25). Le 3 février 2011, par le
biais de la saisine obligatoire, le Conseil constitutionnel fut saisi d’urgence
par le Président provisoire de la République, en vue de statuer sur le projet
de loi de délégation, permettant au président, d’agir par décret-loi
provisoirement et jusqu’à la fin de la période intérimaire (60 jours). Cette
délégation portait en réalité sur l’ensemble des matières réservées au pouvoir
législatif. Constatant que la période de la délégation se trouvait ainsi
limitée, que les objectifs et les matières objet de la délégation, malgré leur
variété et leur étendue, se trouvaient également déterminés, prenant en
considération également les spécificités de la période transitoire, le Conseil
constitutionnel affirma que rien dans la Constitution n’empêchait une telle
délégation et que le projet de loi qui lui était soumis et qui devrait
normalement être ratifié par le Parlement, était conforme à la Constitution.
Tel fut l’hommage que le Conseil constitutionnel, rouage de l’ancien régime
déchu, rendit au cours de cette séance d’adieu, à la Révolution. Par-là même,
le Conseil constitutionnel inaugura l’application de ce droit constitutionnel
d’exception qui caractérisera cette première période transitoire.
Le projet de loi fut voté par la Chambre
des députés le 7 février 2011 et par la Chambre des conseillers le 9 février
2011 et devint ainsi la loi n° 5 du 9 février 2011, habilitant le ¨Président de
la République par intérim à prendre des décrets-lois en vertu de l’article 28
de la Constitution. Ce fut la dernière loi votée par les chambres de la défunte République. C’est sur la base de cette délégation que furent pris 13
décrets-lois dont celui relatif à l’amnistie et le décret-loi n° 6 du 18
février 2011 relatif à la Haute instance de réalisation des objectifs de la
Révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique qui allait
jouer un rôle fondamental dans la mise sur pied des institutions de la période
transitoire.
Nous voyons donc qu’au cours de cette
première période transitoire nous avons cousu un habit neuf avec des oripeaux.
En effet, « la transition, étant un état intermédiaire, une dialectique,
une union des contraires, combine dans une proportion, à déterminer dans chaque
cas, des survivances de l’ancien régime avec des éléments annonciateurs du
nouveau régime » (26).
Le rôle de la Haute instance de
la Révolution
Au cours de la deuxième quinzaine de
janvier 2011 et de la première quinzaine du mois de février, la perspective
dominante consistait à organiser en priorité des élections présidentielles,
conformément aux dispositions de la Constitution de 1959, de réformer la
Constitution pour la débarrasser des amendements qui y ont été ajoutés par la
dictature en vue de pérenniser son pouvoir et enfin de réformer les grandes
lois qui encadrent la vie politique, c'est-à-dire le code électoral, la loi sur
les associations, sur la liberté de réunion et de manifestations, la loi
réglementant les partis politiques et les lois sur la presse écrite et les
médias. Tel fut le travail qu’entreprit sans tarder la « Commission de réforme
politique » dont la création fut annoncé par le Premier ministre le 17
janvier 2011. Dans cette perspective, la Commission, sitôt constituée, organisa
des réunions de consultation avec un certain nombre de partis politiques, de
syndicats, de représentants de la société civile et de personnalités
nationales. Mais ce travail fut formellement interrompu par la mise sur pied de
la « Haute instance de réalisation des objectifs de la Révolution, de la
réforme politique et de la transition démocratique » (HIROR), instituée
par le décret-loi n° 6 du 18 février 2011 et dont la première séance est lieu
le 17 mars 2011, au siège du Conseil économique et social et en présence du
Président provisoire de la République.
La Haute instance fut le résultat d’une
intense négociation par le Premier ministre Mohamed Ghannouchi avec les
représentants les plus importants du « Conseil national de protection de
la Révolution » créé le 11 février 2011 entre 28 partis et associations
(27), en vue de protéger la Révolution contre le retour de l’ancien régime et
de consolider ses acquis (28). Le Premier ministre prit l’initiative de
proposer aux membres du Conseil national de protection de la révolution de
s’associer avec la Commission de réforme politique, en vue de former une Haute
instance. Par ce geste, le Premier ministre rendit un service éminent à la
Révolution, en lui offrant un processus para gouvernemental et sociétal,
acceptable et consensuel, de représentation et de décision (29).
Au cours du mois de février, la pression
de la rue et du sit-in de Casbah 2, ainsi que des principaux protagonistes de
la Révolution, en particulier l’UGTT et le Front du 14 janvier (30), s’exerça
dans le sans d’une perspective totalement nouvelle, tendant à l’élaboration
d’une nouvelle constitution par une assemblée nationale constituante élue au
suffrage universel (31). Au niveau gouvernemental, cette nouvelle perspective
fut entérinée au cours d’une réunion tenue au palais de Carthage dans
l’après-midi du lundi 21 février 2011 sous l’égide du Président provisoire de
la République, Foued Mebazza et en présence du Premier ministre, Mohamed
Ghannouchi, du ministre de la Défense nationale, Abdelkrim Zbidi, du général
Ammar et du Président de la Haute instance de la Révolution. Au cours de cette réunion,
il fut décidé que le Président provisoire de la République annoncerait au début
du mois de mars, qu’en réponse à la volonté du peuple, une assemblée nationale
constituante allait être élue le 24 juillet 2011 et que la Constitution de 1959
devrait être suspendue (32).
Les perspectives politiques ayant
fondamentalement changé, la priorité de la Haute instance de la Révolution
consista alors à préparer et faire adopter par le Gouvernement et le Président
provisoire de la République, devenu le législateur de la première période
transitoire, la loi électorale pour l’élection d’une Assemblée nationale
constituante et le texte relatif à l’instance supérieure indépendante pour les
élections, ISIE. Cette dernière instance qui organisa et supervisa les élections
du 23 octobre 2011 fut élue, ainsi que son président Kemal Jendoubi, par les
membres du Conseil de la Haute Instance de la Révolution le 9 mai 2011.
En réalité, le programme juridique établi
au sein de la Commission de réforme politique, devint celui de la Haute
Instance et cette dernière prit l’initiative, sur impulsion de son Comité
d’experts, des projets de décret-loi qui constitueront « les six lois de
la libération », c'est-à-dire :
- le décret-loi n° 27 du 10 avril 2011,
instituant l’Instance Supérieure Indépendante Électorale ISIE,
- le décret-loi n° 35 du 10 mai 2011
organisant les élections de l’Assemblée nationale constituante,
- le décret-loi n° 87 du 24 septembre
2011 réglementant le régime juridique des partis politiques, puis
- le décret-loi n° 88 de la même date sur
le régime juridique des associations, enfin
- les décrets-lois n° 115 et 116 du 2
novembre 2011, organisant la liberté de la presse et des médias.
Un débat houleux et chaotique eut lieu à
propos du Pacte républicain qui fut adopté par la Haute instance, mais qui
n’eut pas de suite concrète (33). Des séances « d’appellation »
furent organisées entre la Haute instance et certains membres du gouvernement
ou le Premier ministre. Les mêmes séances eurent lieu avec les deux autres
commissions présidées respectivement par le Pr Abdelfattah Amor et Maître
Taoufik Bouderbala. D’autres organismes ou entités furent écoutés par la Haute
instance (34), dans le cadre de son activité de politique générale. La
commission chargée de la mise en application de l’article 15 du décret-loi n°
35, présidée par le Pr Mustapha Tlili.
Sur chaque événement notable, la Haut
instance publia des communiqués et tint des conférences de presse. En réalité,
la Haute instance de la Révolution joua quasiment le rôle d’un parlement. Ce
dernier point fut précisément la cible de la plupart des attaques qui lui
firent dirigées. Certains grands esprits allèrent même jusqu’à demander sa
dissolution (35), après l’avoir pourchassée pendant des mois sur les colonnes
dominicales du journal « La Presse ». Rien n’y fit. Cette activité
quasi parlementaire fut également l’un des motifs principaux du retrait de
certains politiques de la Haute instance qui comprirent que par ses textes
libérateurs, elle risquait de ligoter la souveraineté de l’assemblée
constituante. Ils n’eurent pas tort. Les tentatives de modifier les
décrets-lois adoptés par la Haute instance, notamment les décrets-lois n° 115
et 116, devenus gênants pour le gouvernement de la troïka, furent voués à
l’échec, pour la simple raison que ces décrets-lois furent soutenus pas des
partis de l’opposition et la majeure partie des composantes de la société
civile, notamment les journalistes.
Cette nouvelle perspective rendait la
situation politique et juridique extrêmement difficile, dans la mesure où
l’exigence d’une nouvelle constitution rendait impossible aussi bien l’élection
du Président de la République que du Parlement, et que, par ailleurs, les
Chambres avaient été dissoutes de fait et les indemnités parlementaires des députés
et conseillers arrêtées par une décision de justice (36). L’ensemble de ces
circonstances aboutissaient en réalité à une suspension de la Constitution
elle-même.
La question fondamentale qui se posera
alors était la suivante : qu’allait-on faire au cours de la période se
situant entre la désuétude de l’ancienne constitution et l’élaboration, puis
l’entrée en vigueur de la nouvelle constitution ? Comment éviter le vide
juridique et l’installation d’un gouvernement de fait ?
Rupture : le décret-loi
constituant n° 14 du 23 mars 2011
La réponse à cette question fut la
suivante : il fallait un « acte de base », un socle qui
pourrait valablement servir de fondement à la législation future de la période
transitoire. Mais cet acte ne pouvait pas lui-même être assis sur un fondement
constitutionnel. Il fallait par conséquent que ce soit un acte
« initial », un acte fondateur ou encore un acte constituant. Ne
pouvant reposer sur une légalité précédente, cet acte par conséquent ne pouvait
trouver sa source que dans la légitimité révolutionnaire. C’est ce qu’annonça
le Président de la République, dans son discours du 3 mars 2011.
Dans ce discours solennel, le Président
provisoire de la République affirma : « …la réforme politique nous impose
de trouver un fondement constitutionnel nouveau qui reflète la volonté du
peuple et qui bénéficie de la légitimité populaire ». dans ce même
discours, il rappela que « la Constitution actuelle ne répond plus aux
ambitions du peuple après la Révolution et se trouve dépassée par les
circonstances, sans compter les vicissitudes qui l’ont touchée à cause des
nombreux amendements qui lui ont été apportées et qui empêchent une vie
démocratique véritable et constituant un obstacle sur la voie de l’organisation
d’élections transparentes et de la mise sur pied d’un climat politique dans
lequel chaque individu et chaque groupement puisse bénéficier de la liberté et
de l’égalité ». En attendant, le Président annonça un plan de mise en
œuvre de ce programme qui devait aboutir à une nouvelle constitution. Ce plan
englobe l’organisation provisoire « du pouvoir public », puis la
préparation d’élections générales libres pluralistes et transparentes. Et enfin
l’organisation de ces élections, le dimanche 24 juillet 2011.
Telle fut l’origine du décret-loi n° 14
du 23 mars 2011. Cette première « Petite constitution » (37)
de la période transitoire fut appelée « décret-loi » et porta le n°
14, prenant ainsi la file des 13 décrets-lois antérieurs, par l’effet de
l’esprit bureaucratique peu inventif du service juridique dépendant du Premier
ministre qui n’a pas saisi le caractère tout à fait spécifique de cet acte
constituant à qui il fallait donner une nouvelle dénomination qu’on aurait pu
extraire du patrimoine juridique historique arabe pour marquer son caractère
fondationnel. Des dénominations comme tawqi’ ou dhahîr ou mistarah
ou qarar ta’sisi furent proposées, mais cela dépassait la frilosité
des fonctionnaires.
La légitimité révolutionnaire du
décret-loi n° 14 se trouve évoquée d’emblée dans ses motifs :
« Considérant que le Peuple tunisien
est le titulaire de la souveraineté qu’il exerce par l’intermédiaire de ses
représentants élus par une élection directe, libre et sincère,
Considérant que le Peuple a exprimé au
cours de a Révolution du 14 janvier 2011 sa volonté d’exercer sa souveraineté
entière dans le cadre d’une nouvelle constitution,
Considérant que la situation actuelle de
l’Etat, suite à la vacance définitive de la présidence de la République le 14
janvier 2011, comme l’a proclamé le Conseil constitutionnel dans sa déclaration
publiée au journal officiel de la République tunisienne du 15 janvier 2011, ne
permet plus le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, et qu’il devient
impossible d’appliquer entièrement les dispositions de la Constitution,
Considérant que le Président de la
République est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité de son
territoire, du respect de la loi et de l’exécution des conventions
internationales, et qu’il est chargé de veiller au fonctionnement normal des
pouvoirs publics et de garantir la continuité de l’Etat,
Article premier : jusqu’à ce qu’une
Assemblée nationale constituante élue au suffrage universel, libre, direct et
secret, conformément aux dispositions d’une loi électorale prise à cet effet,
exerce ses attributions, les pouvoirs publics de la république tunisienne
seront organisés de manière provisoire conformément aux dispositions du présent
décret-loi.
Rien dans ce décret-loi ne pouvait le
ravaler au rang des décrets-lois qui l’avaient précédé. Son caractère
constituant est incontestable. Non seulement il ne reposait sur aucune
délégation du pouvoir législatif, mais, au surplus, sur la base de la
légitimité révolutionnaire, il venait dissoudre les principales institutions
constitutionnelles, mises en place par la Constitution de 1959.
En effet, l’article 2 du décret-loi
portait dissolution de la Chambre des députés, de la Chambre des conseillers,
du Conseil économique et social et du Conseil constitutionnel. Le décret-loi
prit soin d’indiquer que le Tribunal administratif, la Cour des Comptes (art.3)
et les tribunaux judiciaires (art.17) continuaient à exercer normalement leurs
fonctions dans le cadre des lois qui les réglementent. Par ailleurs, le
décret-loi soulignait son caractère provisoire, en attendant l’exercice de
ses attributions par une assemblée nationale constituante élue au suffrage
universel, libre, direct et secret (art. 1er).
De ce fait, le décret-loi devient le
premier acte juridique institutif de l’Assemblée nationale constituante. Le
décret-loi n° 35 du 10 mai 2011, sur l’élection de l’Assemblée nationale
constituante n’en sera que la mise en exécution (38). Enfin, le décret-loi n°
14 prévoyait une organisation provisoire des pouvoirs publics formée par le
Président provisoire de la République, disposant du pouvoir législatif qu’il
exerce par voie de décret-loi délibéré en Conseil des ministres (39). Le
Président provisoire est également le chef de l’exécutif. Il exerce le pouvoir
réglementaire général par voie de décret. Il est assisté dans l’exercice de la
fonction exécutive par un gouvernement provisoire dirigé par un Premier
ministre. Ce décret-loi absolument exceptionnel nous révèle ainsi un Président
de la République au pouvoir absolu, puisque s’arrogeant le pouvoir constituant
par l’édiction du décret-loi lui-même, il lui était reconnu également le
pouvoir législatif et l’entièreté du pouvoir exécutif. L’institution de cette
dictature légale était cependant sans risque. Les tunisiens savaient en effet
que le titulaire du pouvoir présidentiel, par la grâce de la constitution de
1959, appartenait à l’ancien régime. Dans le milieu ambiant de l’année 2011,
cette appartenance lui dictait impérativement une attitude de réserve et de
modestie. Politiquement, il se trouvait dans une position de soumission et
devait gagner sa crédibilité en se montrant fidèle à la Révolution. Ce qu’il
fit d’excellente manière et ce fut là le secret de la réussite de la première
période transitoire. Ainsi, le Président provisoire observa-t-il une attitude
amicale et compréhensive à l’égard de la Haute instance de la Révolution dont
il présida la première séance, le 17 mars 2011, et la cérémonie finale, le 13
octobre 2011. La Haute instance qui était composée des femmes, des hommes et
des forces de l’opposition à l’ancien régime, représentait l’esprit nouveau de
la Révolution. L’ensemble des textes législatifs ou réglementaires adoptés par
la Haute instance furent signés promulgués et publiés par le Président et
devinrent des textes de valeur législative, à l’instar du décret-loi n° 35 sur
l’élection de l’Assemblée nationale constituante (40), ou de simples décrets à
caractère réglementaire.
L’effet du décret-loi n° 14 sur
la Constitution de 1959
Nulle part il n’est dit que la
Constitution est abrogée, ni sur le plan des institutions, ni des règles
substantielles. Le décret-loi n° 14 affirmait simplement qu’il devenait
impossible d’appliquer les dispositions de la Constitution de 1959 « dans
leur intégralité », ce qui laisse supposer que la Constitution restait
partiellement en vigueur. En effet, sur le plan des institutions, la seule
certitude, c’est que les institutions expressément visées par l’article 2 du
décret-loi disparaissent. Mais il est fait exception des ordres juridictionnels
établis par la Constitution de 1959. Sur le plan des règles substantielles,
nous pouvons nous rallier à l’arrêt de la Cour d’appel de Tunis, rendu le 5
février 2013, se référant à la liberté de circulation prévue par l’art. 10 de
la Constitution du 1er juin 1959. Dans cet arrêt, la Cour affirme
que cette dernière demeurait en vigueur dans ses dispositions garantissant les
droits et libertés fondamentales, ajoutant cependant que ces droits et
libertés, par leur nature même, aussi bien que par l’effet de l’article 12 du
Pacte international sur les droits civils et politiques auquel la Tunisie avait
adhéré le 29 novembre 1968 ; n’étaient pas susceptibles d’être abrogés.
La réflexion sur le décret-loi n° 14 est
extrêmement instructive sur le plan des rapports entre Constitution et
Révolution. Elle nous révèle en effet, au niveau du droit public, la
cohabitation de deux logiques : d’un côté, la logique révolutionnaire,
avec ses idées sur la souveraineté du peuple, sur la Révolution comme expression
de la volonté du peuple, sur la nouvelle Constitution comme objectif de la
Révolution ; et d’un autre côté, la logique institutionnelle, constamment
présente, avec le passage de l’ancien au nouveau régime, par l’effet même des
dispositions de l’ancienne Constitution ne soit pas totalement, mais
partiellement abrogée. Le sentiment dominant cette période de l’histoire
consistait, presque obsessionnellement, à éviter que la vie politique se
déroulât sur une base purement factuelle. Le plus remarquable, c’est que cette
logique révolutionnaire elle-même a été contrainte de suivre la voie du droit,
par l’intermédiaire d’un texte juridique, bien qu’elle ait pu largement s’en
passer.
Hormis le décret-loi n° 14, et au cours
de toute la première période transitoire, la chaîne du droit ne connut pas de
discontinuité. A partir de la chute de l’ancien régime le 14 janvier 2011, nous
passons de texte à texte, sans interruption, comme si la vie du droit écrit
avait ses propres ressorts. L’application de l’art. 57 de la Constitution de
1959, puis de l’art. 28, permit de mettre en place la présidence provisoire qui
joua un rôle stabilisateur si important dans cette période mouvementée. Sur la
base de l’art. 28 fut pris le décret-loi n° 6 du 18 février 2011 créant la
Haute instance de la Révolution qui joua, sans le dire, le rôle d’un parlement
au sein duquel furent délibérés les textes juridiques les plus importants pour
le futur, notamment les projets de décret-loi sur l’instance supérieure
indépendante pour les élections, (ISIE), sur l’élection de l’Assemblée
nationale constituante, sur les partis politiques, sur les associations, sur la
presse écrite et sur les médias, sans compter les décrets d’application de ces
textes.
Sur la base du décret-loi n° 35 furent
organisées les élections du 23 octobre 2011 pour la désignation d’une Assemblée
nationale constituante n° 6 du 16 décembre 2011, seconde « Petite
constitution » portant organisation provisoire des pouvoirs publics et
abrogeant définitivement la Constitution de 1959. L’Assemblée constituante vota
la nouvelle Constitution le 26 janvier 2014 et cette dernière fut promulguée au
cours d’une séance solennelle le 27 janvier 2014. A cette date, l’objectif de
la révolution est réalisé. La Révolution a accouché de sa Constitution. La
période transitoire est terminée.
A partir de la Constitution du 27 janvier
2014, nous entrons dans une nouvelle phase transitoire, mais au sens
constitutionnel et proprement juridiques du terme, et dans les conditions
fixées par le chapitre 10 sur les dispositions transitoires. Il s’agit ici
d’une phase transitoire constitutionnelle, au sens des conflits de loi dans le
temps, qui ne doit nullement être confondue avec les phases transitoires
précédentes (41).
Poursuivons à présent le récit, en
regardant le spectacle, car c’en fut un en vérité, des travaux de la
constituante et des crises qu’elle eut à affronter.
Deuxième partie : Une
Constitution, malgré la Constituante ?
Au cours de l’été 2011, avant les
élections de la future assemblée, deux questions fondamentales ont été
soulevées par la presse et par certain nombre de partis politiques
importants ;
Le premier concernait la durée du mandat
de l’Assemblée et de second, la délimitation de ses compétences.
L’Assemblée, avant même sa formation, ne baignait
pas dans la confiance.
A.
Les problèmes relatifs au mandat et aux compétences de
l’Assemblée nationale constituante
Un certain nombre d’indice plaidaient
pour un mandat ne dépassant pas une année et pour une compétence strictement
limitée à la fonction constituante.
Le discours présidentiel du 3 mars 2011,
le décret-loi n° 14, le décret-loi n° 35 relatif à l’élection d’une Assemblée
nationale constituante, allaient clairement dans le sens d’une assemblée
strictement constituante. Nulle part, il n’était indiqué que l’assemblée
dépasserait cette fonction.
L’assemblée devait être instituée en vue
d’établir une constitution.
Par ailleurs, les deux décrets (42)
relatifs à la convocation du corps électoral pour l’élection de l’assemblée
indiquaient expressément que l’assemblée était chargée d’établir une
constitution « dans un délai maximum d’une année ». Cependant, ces
indices n’étaient pas tranchants (43).
Tout d’abord, et sur le plan des
principes, l’Assemblée nationale constituante représente un pouvoir constituant
originaire issu d’une révolution qu’il était difficile de limiter par des
textes, quel que soit leur rang, dans la mesure où cette assemblée, disposant
de ce pouvoir, se trouvait habilitée à abroger tous les textes antérieurs, y
compris les textes de valeur constitutionnelle. En cela, le processus
constituant tunisien différait fondamentalement de celui de l’Afrique du Sud
dont la constitution intérimaire imposait des restrictions à l’Assemblée
constituante, sous le contrôle de la Cour constitutionnelle (44). Par ailleurs,
l’affirmation expresse d’une fonction constituante par les décrets-lois sus
visés n’excluait pas ipso facto la fonction législative.
Conscients de ces lacunes, une
cinquantaine de partis politiques avait exigé, dès le début de l’été 2011,
l’organisation d’un référendum en vue de délimiter le mandat et les compétences
de l’assemblée. Le Premier ministre, Béji Caïd Essebsi, et le Président de la
République, Foued Mebazza, n’étaient pas loin d’adopter ce point de vue car,
pensaient-ils, une assemblée disposant d’un pouvoir absolu ouvrait les voies de
l’inconnu.
Or, quand on se rappelle la crise grave
déjà provoquée par le report des élections du 24 juillet au 23 octobre 2011, on
pouvait craindre le pire dans l’hypothèse où les élections auraient été
accompagnées d’un référendum ou pire, encore reportées. Pour résoudre cette
crise, on eut recours à une procédure transactionnelle entre les parties
politiques représentés à la Haute instance. Un droit constitutionnel naissant a
besoin d’adjuvant pour pouvoir s’accomplir.
La Déclaration sur le processus
transitoire du 15 septembre 2011
Pour sauver la situation et éviter le
référendum, le Président de l’HIROR initia avec les partis membres de la Haute instance,
y compris les partis qui l’avaient quittée, un cycle de négociations qui
s’échelonna du 4 août au 12 septembre et qui aboutit à la signature de la
fameuse « Déclaration du processus transitoire » par onze
partis membres de la Haute instance sur les douze ayant participé aux négociations.
Dans ce moment, « pris sur initiative » d’une personne nommément
désignée (45), les partis confirmèrent leur attachement absolu au rendez-vous
électoral du 23 octobre 2011, s’engagèrent à respecter le délai maximum d’une
année, établir une feuille de route prévoyant les différentes étapes de
transfert du pouvoir des autorités provisoires actuelles à l’Assemblée
nationale constituante, qui sera à son tour chargée d’établir une nouvelle
organisation provisoire des pouvoirs publics, jusqu’à l’adoption de la nouvelle
constitution.
L’effet de cette déclaration fut
remarquable sur le plan politique. Tout d’abord la campagne autour du
référendum cessa immédiatement, ce qui consolida définitivement le processus
électoral. Le Président de la République, le Premier ministre et le président
de l’HIROR, furent convaincus, à la lecture de la Déclaration, que la fixation
d’un délai d’une seule année pour les travaux de l’Assemblée constituante
emportait, par voie de conséquence, la limitation de ses compétences. Mais il
faut avouer que cette question demeurait dans la pénombre.
Il faut également remarquer que la
Déclaration du 15 septembre constitué le premier modèle de « feuille de
route », qui deviendra familier par la suite, dans le cadre du
dialogue national, et qu’enfin la Déclaration fixa la voie que devait suivre
l’Assemblée nationale constituante dans la mise sur pied d’une nouvelle
organisation provisoire des pouvoirs publics. La loi constituante n° 6 du 16
décembre 2011 donna corps au contenu de cette Déclaration.
Nous évoquons l’affaire du mandat pour
souligner qu’elle fut le véritable critère de la légitimité de l’Assemblée. En
effet, un éventuel dépassement de ce délai constituerait immanquablement une
source d’attaque frontale contre la légitimité de l’assemblée et sa
crédibilité, en dépit du fait qu’elle représentait véritablement la volonté du
peuple exprimée par les premières élections libres de notre pays. C’est, hélas,
ce qui se passa dans la réalité. Les lenteurs des travaux de l’Assemblée
nationale constituante, en particulier le temps qu’elle consacra à
l’élaboration d’un règlement intérieur complexe qui ressemblait fort à celui
d’un parlement plutôt qu’à celui d’une assemblée constituante, éveilla
rapidement les craintes.
Ainsi, dans la déclaration du 26 janvier
2012, l’ancien Premier ministre Béji Caïd Essebsi fit part de ses
appréhensions, en soulignant la perte de temps provoquée par la constitution du
gouvernement, l’adoption de l’Organisation provisoire des pouvoirs publics et
du Règlement intérieur de l’Assemblée qui faisait de cette dernière une
assemblée plutôt parlementaire que constituante. Se référant à la Déclaration
du 15 septembre 2011, l’ancien Premier ministre fit part de sa crainte de voir
l’Assemblée constituante et le gouvernement dépasser à la fois leur compétence
et leur mandat. Il réclama la réactivation de l’ISIE (Instance Supérieure
Indépendante pour les Elections) et appela à une union des forces politiques
pour lutter contre la violence et le radicalisme et pour consolider le processus
consensuel.
A partir de là, la date butoir du 23
octobre 2012 devint le critère principal d’évaluation de l’Assemblée
constituante. L’argument de certains partis signataires, selon lequel la
déclaration du 15 septembre n’était qu’un accord politique et moral, sans
caractère juridique, ne fit que discréditer davantage la coalition majoritaire,
dominée par le parti Ennahdha et Béji Caïd Essebsi ne se priva pas de
l’utiliser.
Les idées principales de la déclaration
du 26 janvier 2012 furent reprises dans « l’Appel de la
Tunisie » ; Nida Tounes, du 20 avril 2012 qui fut à l’origine
de la constitution du parti Nida Tounes (46) en juin 2012.
B.
Les sorties de crise : de la légitimité électorale à
la légitimité consensuelle, char’ia tawafuqiyya.
A partir d’octobre 2012, et dans le
sillage du dépassement du délai fixé par la Déclaration du 15 septembre 2011,
le socle sur lequel reposait la légitimité politique et juridique de
l’Assemblée constituante fut par conséquent remis en cause. Pour les
protagonistes de cette thèse (47), l’idée était fort simple : en ne
respectant pas la limite temporelle de son mandat, l’Assemblée se mettait en
quelque sorte elle-même hors la loi.
La thèse du constituant souverain
exprimée par la formule « l’assemblée maîtresse d’elle-même », al
majlissu saïdu nafsihi, avancée par certains députés, fut mise en évidence
et devint objet de moqueries et de caricatures.
Le consensus : Tawâfuk
Du coup, l’Assemblée ne pouvait plus se
prévaloir du principe majoritaire, fondement de sa légitimité, et l’accord par
consensus des acteurs, tawâfuk, devint le seul mode de décision et de
gouvernement acceptable. Il s’agissait, essentiellement en vue d’éviter
l’exclusion, de renoncer aux procédures majoritaires de vote, au profit d’un
processus politique informel par tacite acceptation.
L’idée du tawâfuk est apparue
après la Révolution dans l’article 4 du décret-loi n° 6 du 18 février 2011
relatif à la Haute instance de la révolution. Puis, il a fait son chemin au
sein même de l’Assemblée nationale constituante, pour éviter la règle du vote
de la constitution à la majorité des deux tiers et un éventuel recours très
risqué au référendum pour adopter la Constitution.
Par la suite, la revendication de
l’action politique par consensus est devenue le leitmotiv de l’opposition et
des partis non représentés à l’Assemblée. Après d’âpres polémiques entre la
troïka, coalition majoritaire, et les partis de l’opposition, en particulier Nida
Tounes, le principe du consensus finit par l’emporter. Pour Nida Tounes,
il n’était question ni de mettre en danger la continuité de l’Etat, ni même
de contester la légitimité de l’Assemblée, mais simplement de réaménager les
modes de prise de décision fondés sur la légitimité électorale et le principe
majoritaire pour les asseoir sur la légitimité consensuelle (48).
Le principe du consensus devint par la
suite le mode fondamental de prise de décision, aussi bien à l’intérieur de
l’Assemblée nationale constituante qui forma pour cela une commission spéciale
dénommée « la Commission des consensus » lajnat attawâfuqât,
que pour les sorties de crise, dans le cadre des processus de « Dialogue
national ».
Le dialogue national
Le « Congrès du dialogue
national » qui fut initié par l’UGTT le 16 octobre 2012, connut en réalité
plusieurs étapes et diverses péripéties. Destiné à résoudre les crises et les
tensions, par la participation des partis politiques et des acteurs de la
société civile, il se prolongea entre les partis représentés à l’Assemblée
constituante (49) le 15 avril 2013, sous l’égide du Président de la République,
puis le 16 mai 2013, de nouveau sur initiative de l’UGTT. Mais il prit une
ampleur particulière après la crise politique majeure de l’été 2013.
Les crises politiques graves vécues par
le pays en février et juillet 2013, suite aux assassinats de Chokri Belaïd, le
6 février 2013, et Mohamed Brahmi, le 25 juillet 2013, radicalisèrent les
positions exclusivement consensualistes et Béji Caïd Essebsi alla jusqu’à
demander la dissolution de l’Assemblée constituante, dès le 6 février 2013
(50).
Dans l’après-midi de la journée au cours
de laquelle fut assassiné le leader nationaliste arabe nassérien, membre du
parti du Front populaire, le pan arabiste Mohamed Brahmi, Hamma Hamami,
porte-parole et leader du Front populaire appela toutes les régions du pays à
la désobéissance civile, jusqu’à la chute définitive du régime dominée par le
parti Ennahdha, avec toutes ses composantes : Assemblée, Présidence de la
République et Gouvernement.
Le même jour, le « front du salut
national » fut créé (51). Des manifestations sans précédent eurent lieu
les 6, 13 et 27 août et tout l’été fut émaillé de troubles et de
manifestations.
Cette crise profonde déstabilisa les
institutions de l’Etat. Le 26 juillet 2011, 42 députés de l’Assemblée
constituante annoncèrent leur retrait de l’Assemblée, l’organisation d’un
sit-in ouvert, allèrent jusqu’à revendiquer la dissolution de l’Assemblée. Le
chef de l’Etat condamna la prise du pouvoir par l’armée en Egypte qui avait eu,
en parallèle avec le mouvement « Révolte », tamarrud, un impact
certain sur la dévalorisation des islamistes en Tunisie. Les moqueries et
propos insultants à l’égard des trois présidents fusèrent dans les rangs des
manifestants d’août 2013. Le Chef du gouvernement se crispa dans une position
défensive maladroite et perdit toute initiative. Le Président de l’Assemblée
nationale constituante décida de suspendre les travaux de l’Assemblée, le 6 août
2013 et les travaux de cette dernière furent ainsi paralysés pendant plus d’un
mois, ce qui constitua une sorte d’électrochoc.
Devant l’ampleur de la crise de
légitimité des partis composant la troïka et de l’Assemblée, du Gouvernement et
du Président de la République, tous tenus pour directement responsables du
climat de violence et des assassinats, l’UGTT adopta le 29 juillet 2013 une
déclaration dans laquelle elle dénonça l’échec patent de la troïka dans la
gestion de la question sécuritaire, le dépassement du mandat, l’échec de
l’Assemblée constituante et la perte de son crédit, le recours excessif au
principe majoritaire, à la place du consensus, la logique partisane dans la
conduite des travaux de l’Assemblée constituante, l’emprise du parti majoritaire
sur les institutions et l’administration de l’Etat, le silence du gouvernement
devant l’apparition et le développement des organisations et groupements
terroristes, la crise sociale et économique.
Dans la même déclaration, elle
demanda :
- la démission du gouvernement et la
constitution d’un gouvernement « de compétences », kafâ’ât,
- la dissolution des « ligues de
protection de la Révolution »,
- la neutralisation de l’administration,
des institutions éducatives, universitaires et culturelles et les lieux de
culte,
- la révision de l’ensemble des
nominations,
- la constitution d’une commission
d’enquête sur les assassinats et la violence,
- l’adoption d’une loi sur la lutte
contre le terrorisme,
- la constitution d’un comité d’experts
pour revoir, dans les 15 jours, la dernière version de la Constitution, en vue
de l’épurer des dispositions qui portent atteinte au caractère civil de l’Etat
et au caractère républicain et démocratique du régime.
- la préparation du projet de loi
électorale.
L’UGTT demanda également l’adoption, dans
les 15 jours à compter de la soumission du projet de constitution établi par le
comité d’experts :
-d’une loi constitutionnelle, en vue de
limiter les attributions de l’Assemblée au vote du projet de constitution
adopté par le comité d’experts,
- l’adoption de la loi électorale et
enfin
- la mise sur pied de l’instance
électorale indépendante.
A défaut, l’Assemblée serait réputée
avoir achevé ses travaux.
Le style et les revendications de cette
déclaration constituent un témoignage essentiel de la gravité de la crise qu’a
vécue la Tunisie au cours de l’été 2013.
La feuille de route
Par la suite, en septembre 2013, fut
lancé le « Congrès national pour le dialogue ». Ce dernier fut placé
sous l’égide du « quartet » composé de l’UGTT, de la Ligue tunisienne
pour la défense des droits de l’homme, de l’Ordre national des avocats et de
l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat.
Le 17 septembre 2013 le quartet rendit
publique son initiative. Il y insista sur « la méthode du processus
consensuel » en vue de préparer des élections et proposa une feuille
de route qui deviendra le programme de sortie de crise. Cette feuille de route
comportait les éléments essentiels suivants :
- La constitution d’un gouvernement « de
compétences » présidé par une personnalité nationale indépendante et dont
les membres s’engageraient à ne pas se présenter aux futures élections. Ce
gouvernement, couramment appelé de « technocrates », viendrait
remplacer le gouvernement actuel qui s’engagerait à présenter sa démission.
Aucune motion de censure ne peut être adoptée contre le nouveau gouvernement
que sur initiative de la majorité absolue et suite à un vote des deux tiers des
membres de l’Assemblée (52).
- La poursuite des réunions de l’Assemblé
nationale constituante, la détermination de ses attributions et la fin de ses
travaux.
- L’engagement de négociations en vue de
choisir la personnalité nationale indépendante qui sera chargée de la
constitution du gouvernement.
- L’accord sur une feuille de route
relative à l’achèvement du processus transitoire et la fixation d’un calendrier
pour les élections présidentielles et législatives. L’ensemble fera l’objet
d’une loi adoptée par l’Assemblée nationale constituante au cours d’une séance
spéciale qui modifiera et complétera l’Organisation provisoire des pouvoirs
publics.
- L’Assemblée disposera d’un délai de
quatre semaines maximum pour achever la constitution de l’instance supérieure
indépendante pour les élections et la nomination de ses membres, l’adoption de
la loi électorale, la fixation de la date des élections, l’adoption de la
constitution avec l’assistance d’un comité d’experts.
La feuille de route fut, après de
nombreuses difficultés et tergiversations, signée par 21 partis politiques dont
deux partis de la coalition majoritaire sur les trois. En signant la feuille de
route le parti Ennahdha acceptait la démission du Gouvernement et la
constitution d’un gouvernement non partisan.
L’apogée de la crise fut atteinte lorsque
42 députés de l’Assemblée constituante annoncèrent le 26 juillet 2013 leur
retrait des travaux de l’Assemblée, l’organisation d’un sit-in ouvert sur la
place du Bardo, face au siège de l’Assemblée nationale constituante, et
allèrent même jusqu’à demander la dissolution de l’Assemblée. Leur nombre
augmenta pour approcher la soixantaine.
Les erreurs politiques parfois grossières
de la coalition majoritaire, en particulier le parti islamique, les tentatives
avortées d’islamisation de l’Etat et de la société dès les premières réunions
de l’Assemblée nationale constituante, la politique extrêmement ambiguë du
gouvernement et du parti islamiste à l’égard des tendances radicales
salafistes, takfiristes et jihadistes (53) et face à la montée de la violence
politique et des assassinats dont la troïka fut tenue pour responsable, les
nominations fondées sur l’allégeance partisane au sein de l’administration
publique, créèrent une bipolarisation de la vie politique en unissant les
forces de la gauche anciennement communiste, les nationalistes arabes, les
sociaux-démocrates, les laïcistes, les démocrates de tous bords, contre la
troïka qui, par simplification, devenait ainsi l’expression de l’islamisme
politique.
La bipolarisation entre
démocrates et « théocrates »
Encore par ce type de simplification dont
l’opinion est friande, la bipolarisation aboutit à une division entre
théocrates et démocrates (54). Cette bipolarisation allait devenir le noyau
autour duquel se cristallisera la vie politique en Tunisie, jusqu’aux élections
législatives et présidentielles de la fin de l’année 2014. Ces dernières les
révéleront au grand jour aussi bien lors de la campagne électorale que par les
résultats du scrutin.
Cette bipolarisation de la vie politique
pour ne pas aggraver la violence générée par la période post révolutionnaire,
violence qui aurait pu aboutir au chaos, explique le recours aux procédures
informelles que nous avons passées en revue : Déclaration sur le processus
transitoire du 15 septembre 2011 ; organisation du Dialogue national ;
feuille de route élaborée par le quartet ; institutions de la Commission
des consensus au sein de l’Assemblée nationale constituante. Dans tous ces cas,
la force de la loi persiste, puisque le dernier mot lui revient et que le
retour aux procédures juridiques froides et procédurales s’impose en fin de
parcours. Mais les procédures chaudes de contacts, de débats et de négociations
sont mieux à même de résoudre les crises et d’aller de l’lavant.
Ces processus informels ont réussi non
seulement à apaiser les tensions, mais au surplus, à débloquer et accélérer le
processus constituant et permettre l’alternance au pouvoir.
C.
La constitution et les choix fondamentaux de régime et de
société
Bien plus que par son caractère technique
et ses options autour du régime politique, de la responsabilité des
gouvernants, des procédures de contrôle et de mise en jeu de la responsabilité,
le débat constitutionnel s’est essentiellement articulé autour des choix
fondamentaux de société et notamment des rapports entre la Constitution et la
religion.
Dans ce cadre, la présence du droit se
révèle non seulement par le fait qu’il exprime les choix clairs et consensuels
de société, en l’occurrence l’équilibre des pouvoirs ainsi que la protection
des libertés et des droits découlant du message de la Révolution, mais
également les contradictions de ses choix, découlant des divisions éthiques,
intellectuelles et idéologiques de la société elle-même.
1. Les lignes de continuité
- Le régime
politique, les droits et libertés de la Révolution à la Constitution
« Rompre avec le régime présidentiel
dans sa version dévoyée, le régime présidentialiste, consacré par la
Constitution de 1959 et aggravé par les multiples révisions de cette
dernière » (55), tel fut bien en effet l’objectif du constituant qui
institua dans la Constitution du 27 janvier 2014, un régime certes complexe,
mais caractérisé par une quasi-impossibilité d’abuser du pouvoir.
Le régime politique institué par la
Constitution de 2014, ne correspond ni au modèle du régime parlementaire, ni à
celui du régime présidentiel, ni au régime d’assemblée. Il n’est rien de tout
cela, mais tout cela à la fois.
Notre propos ne consiste pas à décrire
les mécanismes de ce régime politique très particulier, mais simplement
affirmer que le constituant tunisien a été constamment animé par le désir
d’éviter un retour à la dictature, ce qui correspond bien à un objectif
essentiel de la Révolution.
Ce souci se manifeste en particulier par
une division du pouvoir au sein même du pouvoir exécutif, par des mécanismes de
garantie de l’indépendance du pouvoir judiciaire, par des procédures complexes
de mise en jeu de la responsabilité gouvernementale et présidentielle, par des
mécanismes de contre-pouvoir substantiels ou d’autoprotection accordés au
Président de la République et au gouvernement dans leurs relations avec le
Parlement et enfin par la mise sur pied d’un mécanisme de contrôle de la
constitutionnalité des lois.
Nous pouvons affirmer que le constituant
tunisien est allé fort loin dans l’application du précepte de
Montesquieu : « Pour qu’on ne
puisse pas abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le
pouvoir arrête le pouvoir ».
Il est à craindre que, en allant trop
loin dans ce sens, le constituant risque d’ouvrir la voie à de futures crises
politiques ou à des blocages des rouages principaux de l’Etat. Le pouvoir ne
doit pas excessivement arrêter le pouvoir.
Bien que caractérisée par quelques
références identitaires, la Constitution a su tirer les leçons de la Révolution
en accordant une place centrale à la question des droits de l’Homme et des
libertés (56). En effet, cette constitution, adhérant globalement aux principes
des Pactes, consacre l’ensemble des droits et libertés fondamentaux
conformément aux standards internationaux (57). Dans ce domaine, en même temps
qu’il consolidait les acquis en matière de droits de l’homme en en faisant une
matière non susceptible de révision constitutionnelle, le constituant a pris
soin de limiter les pouvoirs du législateur lui-même avec l’article 49 de la
Constitution, directement inspiré des dispositions du Pacte international sur
les droits civils et politiques (58).
La « Commission des consensus »
a joué un rôle important sur cette question.
Ainsi, sur les deux plans de l’équilibre
des pouvoirs et de la consécration des droits et libertés, la Constitution
s’inscrit dans une parfaite ligne de continuité avec la Révolution. En
revanche, sur d’autres lieux, plutôt que d’exprimer des options claires, la
Constitution révèle les antagonismes et contradictions.
- L’égalité homme femme
La longue tradition réformiste en Tunisie
a fini par enfanter une réforme fondamentale du droit de la famille
s’inscrivant dans un programme de désislamisation des institutions et des
mœurs. Bourguiba, alors Premier ministre, a fit promulguer par le Bey le
« Code de statut personnel » le 13 août 1956. Ce code abolit et
sanctionne la polygamie, consacre la liberté du consentement au mariage,
réforme le droit de l’héritage. Une loi intervenue par la suite institue en
Tunisie le régime de l’adoption des enfants, qui d’après l’interprétation
historique des fuqaha (théologiens), est un régime interdit par le
Coran.
La prise du pouvoir par le parti Ennahdha
a aussitôt déclenché des débats passionnés autour de la famille, des droits de
la femme et des questions de la polygamie, de l’adoption et des mères
célibataires.
Le parti islamiste, s’est toujours targué
d’être partisan des droits de la femme. C’est ainsi qu’il a soutenu le principe
de la parité hommes femmes adopté par la Haute instance de la Révolution, lors
du vote du projet de décret loi sur les élections de l’Assemblée nationale
constituante.
Cependant, dans le projet de brouillon de
Constitution d’août, un article 28 du chapitre 2 sur les droits et libertés a
provoqué un vaste mouvement de protestation. Cet article est ainsi
rédigé : « l’Etat garantit la protection des droits de la femme et la
consolidation de ses acquis en considérant qu’elle constitue un partenaire
authentique, avec l’homme, dans la construction de la patrie et par leurs rôles
complémentaires à l’intérieur de la famille ».
Ni l’idée de partenariat, ni l’idée de
complémentarité ne pouvaient avoir la faveur des associations de femmes ou des
partis de gauche. Ce texte déclencha des réactions hostiles et des manifestations
importantes le 13 août 2012, à l’occasion de la « journée de la
femme ». Après de multiples tractations, et de retouche en retouche,
notamment au sein de la « Commission des consensus », le texte fut
métamorphosé pour devenir l’article 46 de la Constitution :
« Article
46 :
L’Etat s’engage à protéger les droits acquis de la femme et veille
à les consolider et les promouvoir.
L’Etat garantit l’égalité des chances entre l’homme et la femme
pour l’accès aux diverses responsabilités et dans tous les domaines.
L’Etat s’emploi à consacrer la parité entre la femme et l’homme
dans les assemblées élues.
L’Etat prend les mesures nécessaires en vue d’éliminer la violence
contre la femme ».
Comme pour marquer cette continuité au
sujet des acquis de la femme depuis l’indépendance, l’article 34 accentua le
principe de représentativité en matière d’élection.
« Article
34 :
Les droits d’élire, de voter et de se porte candidat sont garantie,
conformément à ce qui est prévu par la loi.
L’Etat veille à garantir la représentativité de la femme dans les
assemblées élues ».
L’option est donc sans aucune ambiguïté,
mais elle a abouti après des heurts entre des tendances adverses.
Ici, les moutons sont apaisés, mais le
loup demeure caché dans la bergerie. Sait-on ?
2. Les lignes de fracture
- Etat
civil, dawla madaniyya contre Etat religieux, dawla dîniyya
La prise du pouvoir par le parti islamiste majoritaire s’est
caractérisée par une extrême imprudence qu’on pourrait expliquer par leur
inexpérience du pouvoir. Sans doute grisé par leur succès électoral, les
nouveaux gouvernants ont à la fois surestimé leur force réelle et leur
enracinement social, mais surtout sous-estimé, dans cette société tunisienne
pourtant majoritairement croyante, les tendances profondes et les traditions
sécularisées des élites intellectuelles académiques et artistiques, de l’administration,
du milieu particulier des juristes universitaires ou praticiens qui ne se sont
pas privés de juguler les tentatives d’islamisation politique et de les faire
échouer, des étudiants de la gauche, majoritaires à l’université, des
mouvements féministes, des forces syndicales principales, de la classe des
entrepreneurs et hommes d’affaires, mais également d’une large frange des
croyants refusant que la religion soit exploitée à des fins politiques ou que
la politique se mette au service de programmes d’islamisation de la société et
de l’Etat.
Dès les premières réunions de l’Assemblée nationale constituante,
certaines prises de position des députés ou des membres du parti, ont contribué
à liguer l’ensemble des forces hostiles à l’islamisme politique en un front uni
contre l’éventualité d’une dictature théocratique. Cet élément fondamental
explique tout le processus qui va suivre les élections du 23 octobre 2011.
Certains députés ont réclamé, au sein de la « Commission du
préambule et des principes généraux », que le préambule de la Constitution
indique que la charia soit la source principale du droit. Le 23 janvier 2012,
le député Sadok Chourou, militant, grand prisonnier politique, ancien président
d’Ennahdha, devant la montée des mouvements protestataires violents, installant
des barrages sur les axes routiers ou les chemins de fer ou incendiant les
équipements de service public, avait affirmé avec un simplisme déconcertant que
ces forces de « l’abjuration » étaient justiciables du verset 33 de
la sourate de la Table prévoyant pour eux une panoplie de peines corporelles
parmi les plus cruelles, telles que le massacre, la crucifixion, ou
l’amputation des mains et des jambes en diagonale ou le bannissement.
Vers les mois de février et mars 2012, un projet de constitution du
parti Ennahdha a commencé à circuler. Il comportait un article 10 disposant
« La charia islamique est une source principale (parmi les sources) de la
législation ». Ce projet prévoyait également une disposition créant un « Haut
conseil chara’ique » « majliss a’lâ lil ‘iftâ’ » chargé
de contrôler la conformité des lois aux normes de la charia.
Tout cela était accompagné d’événements comme l’affaire de
l’atteinte au drapeau tunisien à l’université de la Manouba, le 7 mars 2012, ou
d’informations sur la création d’écoles coraniques ou de crèches islamiques et
de polémiques sur la polygamie, l’adoption et les droits de la femme.
Des manifestations pour défendre la chariaa eurent lieu (59) aux
cris de « Le peuple veut l’application de la chariaa », « Ni
loi, ni constitution, l’islam est la solution », « Le peuple veut de
nouveau le Khalifa », « achaab yourid Khilafa min jadis ».
« La Tunisie est musulmane, non à la laïcité », « Tounis
tounis islamiyya la la lil’ilmaniyya ».
En réaction à ce que les démocrates considèrent comme des menaces
contre le caractère civil de l’Etat, la démocratie et le droits de l’homme, une
manifestation bien plus importante de plusieurs milliers de personnes eut lieu
à Tunis contre toutes ces expressions de l’islamisme politique.
La foule scandait : « Non à la chariaa », « La
Tunisie est un Etat de droit non de fatwas », « La Tunisie n’est pas
l’Afghanistan » ou encore « Le peuple veut en Etat civil »,
« achaab yourid dawlah madaniyya ».
Devant l’ampleur de la réaction, le 25 mars 2012, après une réunion
de la direction de son parti, Rached Ghannouchi annonça le retrait du projet
relatif à la charia en précisant que l’article premier de l’ancienne
Constitution de 1959 était suffisant pour affirmer la présence de l’islam dans
la Constitution (60).
Le consensus se fit autour de cet article premier et la querelle
autour de la charia sembla terminée. Bien plus, un article 2 soulignant le
caractère civil de l’Etat fut ajouté à la Constitution. Cet article n’était pas
inclus dans le projet de brouillon d’août 2013, mais fut ajouté par la suite au
niveau de la « Commission du Préambule et des principes généraux » et
inclus dans le projet du 1er juin 2013.
« Article
2 :
La Tunisie est un Etat civil, fondé sur
la citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du droit.
Le présent article ne peut faire l’objet
de révision ».
Il est évident, que la confrontation des articles 1 et 2 de la
Constitution posera des problèmes complexes d’interprétation :
- Les partisans de la religion politique interpréteront les
dispositions de l’article 1er, comme signifiant que l’islam est la
religion de l’Etat.
- D’autres, considéreront que cet article 1er prenant
tout simplement acte de la religion majoritaire de la Tunisie est descriptif et
non prescriptif et que, en tout état de cause, l’article 2 tranche
l’interprétation en faveur du caractère civil de l’Etat.
Quoi qu’il en soit, la présence de ces deux articles révèle un
conflit de normes prenant ses racines dans le fond social lui-même.
- Le respect
du sacré « Hurmat al Muqaddassat » et les tentatives de
criminalisation de l’atteinte au sacré
Vers la mi-juin 2011, un film réalisé par Nadia el Fani,
intitulé : « Ni Allah, ni maître » fut projeté à Tunis. En
octobre 2011, la chaîne de télévision Nessma diffusa un dessin animé
« Persépolis », réalisé par Marjane Saprati. A la mi-juin 2012 fut
organisée l’exposition antistatique du palais « ‘ibdiliyya ».
Toutes ces activités culturelles considérées comme blasphématoires
par les islamistes provoquèrent troubles et manifestations. Les agressions
physiques contre des intellectuels, des artistes, des universitaires, se
multiplièrent pour « atteinte aux choses sacrées » « ‘i’tida
‘ala al muqaddassat ».
Après l’affaire de la ibdiliyya, un projet de loi fut déposé
le 1er août 2012 auprés de l’Assemblée constituante par le parti Ennahdha,
en vue de criminaliser l’atteinte au sacré (61).
Le projet de brouillon de la Constitution d’août 2012 reprend la
question dans l’article 4 du chapitre 1er consacré aux « Principes
généraux ». Cet article dispose : « L’Etat protège la religion,
garantit la liberté de croyance et l’exercice des cultes religieux. Il protège
les choses sacrées muqaddassat et garantit la neutralité des lieux de
culte contre la propagande partisane ». Un autre article existe dans le
chapitre 2 sur les « Droits et libertés » : « l’Etat
garantit la liberté de croyance ainsi que l’exercice des cultes religieux et
punit toute atteinte aux valeurs sacrées de la religion ». Ces articles
déclenchèrent des réactions fermes dénonçant le gouvernement théocratique et la
fin de la liberté d’expression et appelant à inscrire la liberté de conscience
dans la Constitution (62).
Certaines ONG internationales comme Human Rights watch firent
parvenir leurs craintes à l’ANC (63).
- La
religion de l’Etat
Cette question s’est posée à l’occasion des dispositions non
révisables de la Constitution. Le projet de brouillon de la Constitution d’août
2012 contenait au titre des dispositions finales (chapitre 9) un projet d’article
d’après lequel :
« Aucune révision constitutionnelle ne peut porter
atteinte :
-
à l’islam en tant
que religion de l’Etat
-
à la langue arabe en
tant que religion officielle
-
au caractère
républicain du régime
-
au caractère civil
de l’Etat
-
aux acquis des
droits de l’homme et de ses libertés consacrés par la présente Constitution
-
au nombre et à la
durée des mandats présidentiels par augmentation ».
Cette proposition, reprise dans le projet
de décembre 2012 (64), deviendra l’article 141 du chapitre 8 du projet du 1er
juin 2013.
Dans le rapport du 24 juin 2013 sur le
projet du 1er juin élaboré par un comité d’experts saisi par le
Président de la République le 10 juin 2013, les problèmes et soucis découlant
de l’article 141 ont été soulevés (65).
Ce rapport a mis en lumière deux
contradictions de cet article. La première, entre l’article 141 et l’article 2
relatif au caractère civil de l’Etat. La deuxième est une contradiction interne
de l’article 141 lui-même qui consacre à la fois l’islam comme religion d’Etat
et le caractère civil de l’Etat. Le danger de cette disposition est que le
concept de « religion d’Etat », peut être compris dans un sens
conservateur qui serait de nature à ouvrir la voie à une interprétation
fondamentaliste et théocratique contraire au caractère civil et démocratique de
l’Etat proclamé par la Révolution.
Partant, le législateur pourrait adopter
des règles empruntées à la charia islamique, telle que comprise par les
tendances wahabites ou les doctrines fondamentalistes qui refusent la modernisation
de l’islam et se conciliation avec les doctrines constitutionnelles
démocratiques. Sur la base de ce concept de « religion d’Etat »,
poursuit le rapport, il serait possible à une majorité appartenant à cette
tendance d’abroger par exemple le code du statu personnel qui constitue la
constitution véritable du peuple tunisien ou d’instituer la peine de mort pour
apostasie ou d’imposer les peines coraniques de lapidation, crucifixion,
flagellation ou amputation, comme l’a proposé un honorable député à l’Assemblée
nationale constituante.
Autrement dit, c’était une manière
déguisée de réintroduire le principe de la charia, source de la législation. Le
rapport ajoute que, toujours sur la base de cette théorie de la religion
d’Etat, il serait également possible de revenir au régime du système juridique
confessionnel qui abolirait l’unité du système juridique tunisien et porterait
atteinte au principe de la citoyenneté.
Le rapport propose de remplacer le
premier tiret de l’article 141 de la manière suivante :
« Aucune révision constitutionnelle
ne peut porter atteinte :
-
à l’article premier
et à l’article 2 de la Constitution ».
Encore une fois, d’interminables débats
et polémiques s’engagèrent autour de l’article 141, au niveau de la presse, des
médias et au sein de l’Assemblée nationale constituante et même des ONG
internationales, comme le Centre Carter (66).
Commentant la substance de cet article,
Abdelwahab Meddeb écrivait qu’il procédait « ...d’un glissement de sens
qui transforme le descriptif en prescriptif. Par cette précision, la référence
à l’islam dans l’article premier ne peut plus être lue comme un constat
à propos d’une société dont la majorité des membres professe l’islam. S’il
dispose d’une identité religieuse déterminée, exclusive, comment l’Etat peut-il être « civil, fondé sur la citoyenneté, la volonté populaire, la
transcendance du droit », comme l’affirme l’article 2 ? Comment
peut-il être « protecteur de la religion, chargé de la liberté
de croyance, de la pratique des cultes… » ? (67).
Devant la montée des critiques, en même
temps que le projet du 1er juin 2013 était discuté, l’article 141
changeait de numérotation, pour enfin disparaître du texte de la Constitution.
Le rôle joué par la « Commission des consensus » fut déterminant pour
aboutir au résultat final.
La Tunisie devient ainsi le seul pays
arabe à ne pas proclamer que l’islam est la religion de l’Etat.
- « La liberté absente » et les tribulations de
l’article 6 de la Constitution
L’article 4 déjà évoqué contenait une
lacune important dans la mesure où il ne faisait référence ni à la liberté de
penser, ni à la liberté de conscience. Ces deux libertés constituent en vérité
la colonne vertébrale d’un régime démocratique. Dans ce genre de régime que la
Révolution a choisi et réclamé, la liberté de penser veut dire l’acceptation
des idées différentes de celles qui sont admises et reconnues, et sur
lesquelles il existe un accord général. La liberté de penser est celle de
pouvoir rompre avec la pensée courante. Dans cet esprit, la liberté de pensée
protège l’individu, les minorités et les personnes dissidentes, contre la
pression des idées sociales dominantes. Sans cela, nous vidons totalement le
terme démocratie de son contenu ; bien plus, nous aurons privé la
Révolution de son apport historique, car cette révolution nous a libérés de la
philosophie ancestrale des « gens du droit chemin prophétique et de la
communauté du peuple des croyants » ahl asunnah wal jama’a et nous
a projetés dans le climat de la philosophie moderne qui permet à l’individu de
décider de son destin et de se libérer des idées admises et préconçues.
Dans le même ordre d’idées, une autre
question se pose : celle de « la liberté de conscience », qui
garantit la liberté philosophique et métaphysique. Plus profonde que la liberté
de penser, elle touche la croyance religieuse et les convictions
philosophiques. Elle implique en particulier la possibilité, selon sa
conscience, de choisir une religion, de changer ou de modifier sa religion ou
de ne pas avoir de religion. Dans cette perspective, ce qui était considéré
dans le passé comme crime d’apostasie, irtidâd, d’innovation blâmable, bid’a,
de mécréance, zandaqa, de dissidence, khourouj, deviennent
les expressions de la créativité et de la puissance des potentialités intellectuelles
de l’homme.
Ce refus de la liberté de conscience dans
le projet de brouillon Constitutionnel, va dans le même sens que le refus de
l’ANC d’évoquer l’universalité des droits et libertés et de faire référence à
la Déclaration universelle des droits de l’Homme qui reconnait clairement, dans
ses deux articles 18 et 19, la liberté de conscience et celle de refuser la
religion de son milieu social et familial (68).
Abdelwahab Meddeb, dénonçant la
perversité des dispositions relatives à l’Islam, écrivait sur cet article
relatif à la liberté de religion « …On comprend pourquoi cet article
évoque ²la liberté de croyance² : il le fait pour éluder la liberté de
conscience, telle qu’elle est définie dans l’article 18 de la Déclaration
universelle des droits de l’Homme votée à l’ONU en 1948. Cet article implique
la liberté d’embrasser n’importe quelle religion, de changer de religion, de
sortit d’une religion et d’entrer dans une autre, et même de ne pas en avoir…
Bref, face à ce refus manifeste de la liberté de conscience, le législateur se
réserve le droit de recourir au commandement de la charia qui condamne
l’apostat à la peine capitale. Cette ambiguïté est destinée à ouvrir la voie à
la charia dans un texte qui ne la mentionne point.
En vérité, nous retrouvons dans ce texte
la stratégie à laquelle nous a habitués le parti islamiste Ennahdha. Face aux
protestations démocratiques, il fait semblant de reculer sans finalement rien
céder. Ce qu’une main rature, une autre main le récrit sous une autre forme,
travestie, déguisée. C’est ainsi que les
islamistes jouent la tactique démocratique pour parvenir à instaurer l’Etat
théocratique » (69).
Devant la montée des critiques et des
contestations (70), cet article fut revu au cours du dialogue national de Dar
adhiafa à Carthage tenu à partir du 15 avril 2013 entre les partis
représentés à l’Assemblée nationale constituante (71), sur initiative du
Président de la République, pour devenir, avec l’inclusion de la liberté de
conscience, l’article 6 du projet de constitution du 1er juin 2013.
Lors du débat et du vote final de la
Constitution, un incident survenu le 5 janvier 2014 entre un député de
l’extrême gauche, Mongi Rahoui, et un député islamiste ultraconservateur, Habib
Ellouze, qui avait accusé son adversaire d’être un ennemi de l’islam, fut à
l’origine de la condamnation du takfîr (accusation d’apostasie) dans
l’article 6 de la constitution.
Le takfîr qui consiste à accuser
une personne musulmane de renier l’islam constitue en réalité un appel au
meurtre, puisque l’islam, tel qu’il est interprété par la majorité des légistes
musulmans, au cours de l’histoire, sanctionne par la mort le renégat, murtadd.
L’incident provoqua l’ire d’un bon nombre
de députés qui exigèrent l’insertion dans l’article 6 d’une condamnation du takfîr.
En fin de parcours, et après révision,
l’article 6 fut adopté dans une version « fin de combat » qui en fit
un véritable pot-pourri constitutionnel consacrant la chose et son
contraire :
« L’Etat protège la religion,
garantit la liberté de croyance, de conscience et de l’exercice des cultes. Il
assure la neutralité des mosquées et des lieux de culte de l’exploitation
partisane.
L’Etat s’engage à diffuser les valeurs de
modération et de tolérance, protéger le sacré et empêcher d’y porter atteinte.
Il s’engage également à prohiber et
empêcher les accusations d’apostasie (takfîr), ainsi que l’incitation à
la haine et à la violence et à les juguler ».
Il est clair que dans cet article, il y a
du pain pour toutes les planches.
- Les questions relatives à l’identité et à
« l’ouverture »
L’opinion publique ayant peu le souci des
nuances, son tissu étant formé de simplifications, de couleurs fortes et de
contraste, les islamistes au pouvoir, cela devait forcément provoquer une
division binaire de points de vue s’exprimant par des équations simples de
qualification : théocrates contre démocrates, culturalistes contre
modernistes, religieux fondamentalistes contre laïcistes, etc.…
Avant les élections d’octobre 2011, et
même avant la Révolution, la direction du parti Ennahdha avait bien affirmé son
adhésion aux axes fondamentaux de la modernité politique et en particulier aux
droits de la femme, au pluralisme politique à l’alternance, au principe des
élections libres sincères et transparentes, à la souveraineté du peuple, à la
suprématie de la Constitution et de la loi, etc.…
Cette adaptation aux temps modernes ne
convainc cependant pas toutes les franges de l’opinion publique, pour plusieurs
raisons :
-
La première, c’est
que les positions officielles du parti ne manquent pas d’ambiguïtés et
mélangent clarté et pénombre.
-
La deuxième, c’est
qu’il existe un double décalage entre les positions de la direction et celle
des militants de base et ensuite, globalement, au sein de l’ensemble du parti,
entre l’aile conservatrice et l’aile progressiste du parti.
-
La troisième raison,
me semble-t-il la plus importante, c’est que, quoi qu’il fasse, le parti islamiste
est jugé à travers ses fondamentaux considérés comme des invariables à forte
portée politique et sociale.
Le fait qu’il adhère universellement au
principe d’une cité terrestre soumise à la loi morale, politique et juridique
immuable de Dieu, à la conquête de l’esprit du monde par la religion vraie, par
la parole ou la violence, à la défense de la communauté et de l’Etat de
l’islam, à l’unité intrinsèque de la société de l’Etat et de la religion, tout
cela explique la défiance permanente d’une large partie de l’opinion vis-à-vis
des thèses islamistes modernistes.
Ces dernières sont toujours considérées
comme expression du double langage et de l’hypocrisie, destinées exclusivement
à anesthésier l’opinion, se mettre en position d’attente, avec la seule perspective
d’aboutir à une emprise graduelle sur la société et sur l’Etat en vue de leur
islamisation totale.
L’expérience du gouvernement de la
troïka, sa gestion désastreuse du phénomène terroriste, n’a fait que consolider
ce sentiment de défiance et explique la majorité confortable obtenue par le
parti Nida tounes aux élections législatives, puis aux présidentielles
d’octobre et novembre 2014. Cela explique également que tous les détails de
rédaction du texte constitutionnel, de si près ou de loin qu’ils touchent aux
questions se rapportant à la religion ou à l’identité, furent regardés à la
loupe, de crainte qu’ils ne puissent véhiculer les intentions théocratiques du
parti majoritaire.
Certaines formules ont subi, de main
ferme, un polissage destiné à les rendre démocratiquement acceptables. Ainsi,
le 3ème paragraphe du préambule du projet de brouillon du 10 août
2012, qui a utilisé la formule : « Sur le fondement des pérennités de
l’islam et de des finalités caractérisées par l’ouverture et le juste milieu… »,
« Ta’sîsan ‘alâ thawâbit al islâm wa maqâsidihi al muttassime bi
tafattuhi wal i’tidâl » a provoqué des contestations relatives à
l’obscurité de l’expression « pérennités de l’islam ».
Cela a eu pour effet de transformer la
rédaction de ce paragraphe dans le projet du 1er juin, comme
suit : « Sur le fondement des enseignements de l’islam et de ses
finalités caractérisées par l’ouverture et le juste milieu… » « Ta’sîsan
‘alâ ta’âlim al islam… ».
Mais, comme l’a fait observer le rapport
précité du comité d’experts du 24 juin 2014, cette rédaction semble donner aux
enseignements de l’islam une valeur supra-constitutionnelle, ce qui contrôle le
principe d’après lequel la Constitution est le fondement premier et exclusif du
système juridique.
Prenant en compte ces considérations, et
après l’examen par la « Commission des conciliations », la rédaction
suivante a été retenue : « Exprimant l’attachement de notre peuple
aux enseignements de l’islam et à ses finalités caractérisées par l’ouverture
et le juste milieu… ».
La dernière bataille fut livrée à propos
de l’article 38 du projet de Constitution sur le droit à l’instruction qui
deviendra l’article 39 dans le texte final. Notons tout d’abord que, dans le
projet du 14 décembre 2012, un article 29 consacrait ce droit en termes
parfaitement neutres :
« L’Etat garantit à tous le droit à
un enseignement gratuit dans tous ces cycles.
L’enseignement est obligatoire jusqu’à
l’âge de 16 ans au moins ».
Dans le projet de Constitution du 1er
juin 2013, cet article 29 devenant l’article 38, prit une coloration quelque
peu culturaliste :
« L’instruction est obligatoire,
jusqu’à l’âge de seize ans.
L’Etat garantit le droit à l’enseignement
public et gratuit à tous ses niveaux. Il veille à mettre les moyens nécessaires
au service d’une éducation, d’un enseignement et d’une formation de qualité,
ainsi que la consolidation et le soutien de la langue arabe ».
Le 7 janvier 2014, au moment de la
discussion et du vote de cet article 38 par l’assemblée plénière, un amendement
fut proposé en dernière minute par un député appartenant au Front démocratique
pour le travail et les libertés, FDTL, ancien ministre de l’éducation :
« … L’Etat veille également à
l’enracinement des jeunes générations dans leur identité arabe et islamique. Il
veille à la consolidation de la langue arabe, sa promotion et sa
généralisation ».
Le plus étonnant, c’est que l’article tel
qu’amendé fut voté le 7 janvier par 141 voix pour : 9 contre et 4
abstentions.
Devant les critiques médiatiques (72) et
manifestations publiques contre cet article, certains députés, notamment du
FTDL, prirent conscience de la gravité de leur vote et demandèrent la révision
de cet article en imputant l’amendement du 7 janvier à une initiative
personnelle du député Abdelatif Abid.
L’article fut révisé, conformément à
l’article 93 du Règlement intérieur de l’Assemblée et un nouvel amendement
consensuel fut proposé au cours de la séance du 23 janvier 2014, 3 jours avant
la promulgation de la Constitution.
Sans revenir sur le premier amendement,
devenu politiquement inébranlable, les députés rééquilibrèrent le culturalisme
de l’article 38 par un nouvel amendement qui y introduisit l’allégeance
nationale, l’ouverture sur les langues étrangères, les civilisations et la
culture des droits de l’Homme. Le nouvel article fut voté par 165 voix pour, 2
contres et 11 abstentions, en ces termes :
« L’instruction est obligatoire
jusqu’à l’âge de seize ans.
L’Etat garantit le droit à l’enseignement
public et gratuit à tous ses niveaux.
Il veille à mettre les moyens nécessaires
au service d’une éducation, d’un enseignement et d’une formation de qualité.
L’Etat veille également à l’enracinement
des jeunes générations dans leur identité arabe et islamique et leur
appartenance nationale.
Il veille à la consolidation de la langue
arabe, sa promotion et sa généralisation.
Il encourage l’ouverture sur les langues
étrangères et les civilisations. Il veille à la diffusion de la culture des
droits de l’Homme.
Ainsi rédigé, l’article 38 rejoignait, en
partie, la composante principale de l’article 41 (qui deviendra 42 dans le
texte final) sur le droit à la culture :
« La liberté de création est
garantie.
L’Etat encourage la créativité culturelle
et soutient la culture nationale dans son enracinement, sa diversité et son
renouvellement, en vue de consacrer les valeurs de tolérance, de rejet de la
violence, d’ouverture sur les différentes culturelles et de dialogue entre les
civilisations ».
A travers les débats autour du préambule,
de l’article 6, de l’article 38, la Constitution révèle en réalité les
tiraillements de la société elle-même.
Conclusion. Le peuple,
interprète de la Constitution
Ces tiraillements de la société
tunisienne sur les choix fondamentaux de régime et de société constituent, à
notre sens, les éléments les plus durables de la vie politique et
constitutionnelle de la Tunisie post révolutionnaire.
Il s’agit en réalité d’une bipolarisation
des points de vue, d’un antagonisme fondamental entre deux conceptions opposées
de la société, sur les deux plans civil et politique :
- Pour les uns, la société doit présenter
ses propres lois, selon ses propres intérêts.
- Pour les autres, une société livrée à
elle-même, sans investissement du divin, constitue une aberration métaphysique.
La Constitution tunisienne de 2014, avec
l’esprit de compromis qui l’anime fondamentalement, n’en est que le reflet. En
réalité, la recherche du compromis systématique a pour résultat de transformer
notre texte constitutionnel en un tissu d’ambiguïtés, de faux-semblants et de
contradictions.
Face à cette bifurcation, laquelle des
deux voies choisir ? La résolution du problème ne peut échapper à l’une des
trois hypothèses suivantes : le chaos, la guerre civile ou les choix
démocratiques, par l’intermédiaire d’élection disputée et de débats ouverts.
La Tunisie semble avoir choisi la voie de
la sagesse : celle des élections démocratiques.
Ces dernières, organisées au cours des
mois d’octobre et décembre 2014, confirment l’existence de cette fracture entre
deux choix originels de société. Aussi bien pour les élections législatives du
26 octobre 2014, que pour les élections présidentielles, en particulier le
deuxième tour du 21 décembre 2014, bien plus que pour des personnes, des
programmes de gestion, des partis politiques, les Tunisiens ont majoritairement
choisi une route.
En fait, en votant pour le Nida tounes,
ils ont voté pour le slogan familier à leur chef : « un Etat
civil, pour un peuple musulman », c’est-à-dire exactement la synthèse
et l’harmonisation des articles premier et 2 de la Constitution :
- Un « peuple musulman »
constitue une description de culte, de mœurs, de culture et de civilisation
pour la majorité.
- Un « Etat civil » constitue
une prescription de Constitution, de droit et de loi pour la nation. Le peuple
est le premier interprète de la Constitution, le pédagogue de ses lois.
23 janvier 2015
[1]Qui
met l’accent sur le contrôle des forces armées Charles Tilly, Europeens
revolutions, 1492-1992, Blackwell publishers, 1993, p.10.
[2] Pour
une définition de la «révolution constitutionnelle», voir Georges Vedel,
Cours de droit constitutionnel d’institutions politiques, Les cours
de droit, Paris, 1968 – 1969, page 99.
[3] Lotfy
Chedly, « La transition démocratique et les choix fondamentaux en matière de
statut personnel de la Tunisie moderne », in La transition
démocratique à la lumière des expériences comparées,, Colloque international
tenu les 5, 6 et 7 mai 2011, dir. Hatem Mrad et Fadhel Moussa, oct. 2012,
Tunis, page 257 et s.
[4] Éric
Maulin ; « Carré de Malberg et le droit constitutionnel de la
Révolution française », Annales historiques de la Révolution
française, 328, avril juin 2002, p.5 à 25.
[5] Jean-Philippe Bras, « Le
peuple est-il soluble dans la constitution ? Leçons
tunisiennes », L’Année du Maghreb [En ligne],
VIII | 2012, mis en ligne le 09 octobre 2012, consulté le 17 janvier
2015. URL : http://anneemaghreb.revues.org/1423 ;; DOI :
10.4000/anneemaghreb.1423
[6] Date
du décret- loi constituant n° 14 du 23 mars 2011 qui, rétroagit au 15
mars, régularisant ainsi le dépassement de 60 jours d’intérim présidentiel
prévu par l’art.57 de la Constitution de 1959.
[9] Date
de la promulgation de la Constitution. Il est erroné d’y ajouter la période qui
va du 27 janvier 2014 au 30 décembre 2014, date de la prestation de serment du
nouveau Président de la République devant l’Assemblée des représentants du
peuple élue en octobre 2014. Cette période n’est ni transitoire, ni provisoire,
au sens de la transition politique. Il s’agit d’une mise en application de la
Constitution, plus précisément de ses dispositions transitoires, qui
n’a rien à voir avec les transitions antérieures.
[10] Pour une analyse
critique du concept de « transition démocratique », voir François
Constantin, « Les transitions démocratiques. Sur les pratiques est
africaine d’un mythe occidental. Libres propos. » Mélanges en l’honneur de
Franck Moderne, Mouvement du droit public, Dalloz, 2004, p.1059.
[11] M.
S. Ben Aïssa, « De l’article 57 de la Constitution du 1er juin
1959 à l’Assemblée constituante : quelle transition ? »,
in La transition démocratique à la lumière des expériences comparées,,
Colloque international tenu les 5, 6 et 7 mai 2011, dir. Hatem Mrad et Fadhel
Moussa, oct. 2012, Tunis, page 245.
[12] L’article
39 qui permet la prorogation le mandat du Président en cas de guerre ou de
péril imminent empêchant la tenue des élections.
[14] Isabelle
Thumerel, « Les dispositions constitutionnelles provisoires », in « Le
provisoire en droit public », sous la direction
d’Ariane Vidal-Naquet, Dalloz, 2009, p. 21.
[15] Pour
être plus exact, comme le propose Isabelle Thumerel, des « actes
pré-constituants », loc.cit., p.23, le véritable acte constituant étant la
Constitution à venir.
[16] Rachida
Ennaïfar, « la transition constitutionnelle, garante de la transition
démocratique en Tunisie ? », in la transition démocratique à la lumière
des expériences comparées, op. cit. ,page 235 et S.
[17] Paul
Amselek, « Enquête sur la notion de « provisoire », in « Le
provisoire en droit public », sous la direction
d’Ariane Vidal-Naquet, Dalloz, 2009, p.8.
[18] Paul
Amselek (ibidem) écrit à ce propos : « Cette notion correspond toujours à
l’idée d’un processus de décision juridique au cours duquel des mesures
temporaires d’attente sont adoptées avant que la décision à prendre soit
arrêtée définitivement, des mesures qui interviennent donc dans une phase
préliminaire encore indécise et qui, par définition, ne lieront pas la décision
définitive en instance ,dont elle pourra ne pas tenir compte, qu’elle pourra
modifier ou réduire à néant.»,
[19] La
mise en application progressive de cette nouvelle constitution, d’après ce
qu’on appelle juridiquement « dispositions transitoires », constitue un tout
autre problème qui n’a rien à voir avec la période transitoire qui se situe
avant l’adoption de la constitution. Il faut par conséquent distinguer les
dispositions constitutionnelles provisoires et les dispositions
constitutionnelles transitoires. En ce sens, Gweltaz Eveillard, Les
dispositions transitoires en droit public français, Dalloz, collection «
Nouvelle bibliothèque de thèses » 2007. L’auteur souligne (p. 147 et 148) à
juste titre que, contrairement aux dispositions constitutionnelles provisoires,
les dispositions constitutionnelles transitoires doivent porter sur le même
objet que la constitution qu’ils viennent mettre progressivement en
application.
[20] Sur
le rapport de la Constitution avec la législation, au cours de la période
transitoire, Asma Ghachem, « L’interaction entre les systèmes constitutionnels
et législatifs au cours de l’expérience de la transition démocratique en
Tunisie », à paraître dans les Mélanges Rafaa Ben Achour.
[21] Rafaa
et Sana Ben Achoyr, « La transition démocratique en Tunisie : entre
légalité constitutionnelle et légitimité révolutionnaire », Revue française de
droit constitutionnel, n° 92, 2012, p.715.
[23] Evaluant
la décision du Conseil constitutionnel le doyen Hédi Ben Mrad
écrit : « Qu’il ait, ou non, agi sous pression, le Conseil
constitutionnel a joué un rôle libérateur et salvateur inattendu.
L’interprétation qu’il a faite de l’article 57 de la Constitution, est
politiquement audacieuse et salutaire. Il s’agit d’un déblocage
constitutionnel qui à facilité le passage « pacifique » vers la destitution de
l’ancien président. Probablement, le conseil constitutionnel n’avait pas d’autres
alternatives». Hédi Ben Mrad, « La problématique
constitutionnelle de la transition», in, La transition démocratique en
Tunisie. État des lieux. Les thématiques, direction H. Redissi, A. Nouira, A.
Zghal, Diwan édition, 2012, page 12.
[24] Salsabil
Klibi a raison de parler de « bricolage constitutionnel », « De
la révolution à la constituante, dynamiques et blocages»,
in La transition démocratique à la lumière des expériences
comparées,, Colloque international tenu les 5, 6 et 7 mai 2011, dir. Hatem Mrad
et Fadhel Moussa, oct. 2012, Tunis, page 221. Voir également Walid Larbi, « A
propos de la loi du 9 février 2011 habilitant le Président de la République par
intérim à prendre des décrets lois », Revue tunisienne de droit, 2009, p.
411, qui soulève les problèmes relatifs à la validité de la loi
d’habilitation au niveau du délégataire, de l’objet de la délégation, et du
délai de la délégation.
[25] Le
paragraphe 5 de l’article 28 de la constitution dispose : « La Chambre des
députés et la Chambre des conseillers peuvent habiliter le Président de la
République, pour un délai limité et en vue d’un objectif déterminé,
à prendre des décrets lois qu’il soumettra, selon le cas, à l’approbation de la
Chambre des députés ou des deux chambres, à l’expiration de ce délai.
[26] Slim
Laghmani, « La transition démocratique : une théorie ou une
pratique ? », in La transition démocratique à la lumière des
expériences comparées, op. cit., p.37.
[27]La
déclaration du 11 février été signé par les parties suivantes :L’ordre
national des avocats, l’UGTT, le FDTL ettakatul, le POCT, le mouvement
bassiste, le parti Ennahda, le mouvement du peuple, mouvement des patriotes
démocrates, le parti Baath, l’association internationale de soutien aux
prisonniers politiques, la ligue de la gauche ouvrière, le mouvement unioniste
progressiste, le parti du travail national démocratique, l’association des
magistrats tunisiens, l’union des diplômés en situation de chômage,
l’organisation liberté et équité, le parti de la Tunisie verte, le syndicat
national des journalistes, la mutuelle nationale des anciens muqâwimine
(combattants), le mouvement réforme et développement, l’union générale des
étudiants tunisiens, le parti populaire pour la liberté et le progrès, les
indépendants de gauche, le centre tunisien pour l’indépendance de la justice et
du barreau, les nationalistes démocrates, watad, la ligue des écrivains libres,
l’association tunisienne de lutte contre la torture..
الهيئة الوطنية للمحامين : عبد الرزاق
الكيلاني، الإتحاد العام التونسي للشغل، حسين العباسي – التكتل من أجل العمل
والحريات مصطفى بن جعفر – حزب العمال الشيوعي، حمة الهمامي – التيار البعثي، خير
الدين الصوابني. حزب حركة النهضة، نور الدين البحيري – حركة الشعب، عمر الشاهد –
حركة الوطنيون الديمقراطيون، شكري بلعيد – حركة البعث، خميس الماجري – الجمعية
الدولية لمساندة المساجين السياسيين، سمير ديلو –رابطة اليسار العمالي، نزار عمامو
– الحركة الوحدوية التقدمية، زهير نصري – حزب العمل الوطني الديمقراطي، عبد الرزاق
الهمامي – جمعية القضاة التونسيين، أحمد الرحموني – اتحاد أصحاب الشهائد المعطلين
عن العمل، سالم العياري – منظمة حرية وإنصاف، محمد النوري- حزب تونس الخضراء، فوزي
الهذباوي – النقابة الوطنية للصحفيين التونسيين، منجي الخضراوي – الودادية الوطنية
لقدماء المقاومين ، علي بن سالم – تيار الإصلاح والتنمية، محمد القوماني – الإتحاد
العام لطلبة تونس، عز الدين زعتور – الحزب الشعبي للحرية والتقدّم، منير كشوخ –
اليساريون المستقلون، طارق شامخ –مركز تونس لاستقلال القضاء والمحاماة، المختار
اليحياوي –الوطنيون الديمقراطيون (الوطد)، جمال الأزهر- رابطة الكتاب
الأحرار، جلول عزونة – الجمعية التونسية لمقاومة التعذيب ، راضية النصراوي.
[28] Le
programme de ce conseil repose sur les éléments suivants : 1.
Disposer d’un pouvoir décisionnel et veiller à l’élaboration des
législations relatives à la période transitoire. 2. Contrôler
l’activité du gouvernement provisoire et les nominations des hauts
fonctionnaires. 3. Revoir la composition et les
prérogatives des 3 commissions, afin qu’elles fassent l’objet d’un consensus,
et qu’elles soumettent leurs projets au Conseil pour approbation. 4.
Prendre les dispositions qu’impose la situation transitoire, en
particulier dans le domaine de la justice et de l’information. 5. Ce
conseil se compose des représentants des différents partis politiques, des
associations et des organisations précitées et de représentants des différentes
régions, selon le principe du consensus. 6. Ce Conseil
devra être institué par un décret-loi du Président provisoire de la République.
[29] J’ai
été personnellement témoin de l’effort considérable de persuasion, de
résistance physique et morale, qu’a déployé le Premier ministre Mohamed
Ghannouchi, au cours du mois de février 2011, pour faire aboutir ces
négociations extrêmement difficiles et contraignantes, à l’origine de la
création de la Haute instance. Le décret-loi numéro 6 du 18 février 2011 est en
réalité le résultat d’un mélange entre les deux projets
préparés, pour leur propre compte, par le Conseil national de la
Révolution et la Commission de réforme politique.
[30] Composé
de : la Ligue de la gauche travailliste, le Mouvement des
Unionistes Nassériens, le Mouvement des Nationalistes Démocrates (Al-Watad), le
Courant Baasiste, la Gauche Indépendanteet le PCOT (Parti Communiste des
Ouvriers de Tunisie), PTPD (Parti du Travail Patriotique et démocratique)
[31] Le
programme du Front est le suivant d’après la proclamation du 20 janvier
2011 : 1 – Faire tomber le gouvernement actuel de Ghannouchi ou tout
gouvernement qui comprendrait des symboles de l’ancien régime, qui a appliqué
une politique antinationale et antipopulaire et a servi les intérêts du
président déchu. 2 – La dissolution du RCD et la confiscation de son siège, de
ses biens, avoirs et fonds financiers étant donné qu’ils appartiennent au
peuple. 3 – La formation d’un gouvernement intérimaire qui jouisse de la
confiance du peuple et des forces progressistes militantes politiques,
associatives, syndicales et de la jeunesse. 4 – La dissolution de la Chambre
des Représentants et de la Chambre des conseillers et de tous les
organes fictifs actuels et du Conseil supérieur de la magistrature et le
démantèlement de la structure politique de l’ancien régime et la préparation
des élections à une Assemblée constituante dans un délai maximum d’un an afin
de formuler une nouvelle constitution démocratique et fonder un nouveau système
juridique pour encadrer la vie publique qui garantit les droits politiques,
économiques et culturels du peuple. 5 – La dissolution de la police
politique et l’adoption d’une nouvelle politique de sécurité fondée sur le respect
des droits de l’homme et la supériorité de la loi. 6 – Le jugement de tous ceux
qui sont coupables de vol des deniers du peuple, de ceux qui ont commis des
crimes à son encontre comme la répression, l’emprisonnement, la torture et
l’humiliation – de la prise de décision à l’exécution – et enfin de tous ceux
qui sont convaincus de corruption et de détournement de biens publics. 7 –
L’expropriation de l’ancienne famille régnante et de leurs proches et associés
et de tous les fonctionnaires qui ont utilisé leur position pour s’enrichir aux
dépens du peuple. 8 – La création d’emplois pour les chômeurs et des mesures
urgentes pour accorder une indemnisation de chômage, une plus grande couverture
sociale et l’amélioration du pouvoir d’achat pour les salariés. 9 - la construction
d’une économie nationale au service du peuple où les secteurs vitaux et
stratégiques sont sous la supervision de l’État et la re-nationalisation des
institutions qui ont été privatisées et la formulation d’une politique
économique et sociale qui rompt avec l’approche libérale capitaliste. 10 – La
garantie des libertés publiques et individuelles, en particulier la liberté de
manifester et de s’organiser, la liberté d’expression, de la presse, de
l’information et de pensée ; la libération des détenus et la promulgation
d’une loi d’amnistie. 11 – Le Front salue le soutien des masses populaires et
des forces progressistes dans le monde arabe et dans le monde entier à la
révolution en Tunisie, et les invite à poursuivre leur appui par tous les
moyens possibles. 12 – La résistance à la normalisation avec l’entité sioniste
et sa pénalisation et le soutien aux mouvements de libération nationale dans le
monde arabe et dans le monde entier. 13 – Le Front appelle toutes les masses
populaires et les forces nationalistes et progressistes à poursuivre la
mobilisation et la lutte sous toutes les formes de protestation légitime, en
particulier dans la rue jusqu’à l’obtention des objectifs proposés. 14 – Le Front
salue tous les comités, les associations et les formes d’auto-organisation
populaire et les invite à élargir leur cercle d’intervention à tout ce qui
concerne la conduite des affaires publiques et les divers aspects de la vie
quotidienne.
Gloire aux martyrs de
l’Intifada et Victoire aux masses révolutionnaires de notre peuple.
Tunisie, le 20 Janvier
2011
[32] Il est donc
erroné de penser que c’est le gouvernement Essebsi qui a accepté « le
principe de l’organisation d’une élection tendant à élire une nouvelle
constitution chargée d’élaborer une nouvelle constitution pour la Tunisie
révolutionnaire». En fait, le gouvernement Essebsi s’est trouvé devant le fait
accompli, la décision d’organiser des élections pour l’assemblée nationale
constituante ayant été prise définitivement le 21 février 2011 dans les
conditions indiqués ci-dessus, avant la démission du gouvernement Moh.
Ghnnouchi. Voir Hatem Mrad, Tunisie : de la révolution à la
constitution, éditions Nirvana, 2014, p.8.
[33] Lotfy
Chedly, « La transition démocratique et les choix fondamentaux… », loc. cit.,
page 261 et s.
[34] Les
procès-verbaux en arabe de la Haute instance ont été publiés en deux volumes
et ses séances ont été filmées et existent sous forme de
vidéos. Pour les procès-verbaux, République tunisienne, la Haute instance de
réalisation des objectifs de la Révolution de la réforme politique et de la
transition démocratique, Délibérations de la Haute instance, volume 1, couvrant
la période de mars à mai 2011 ; volume
2, de juin à octobre 2011. Les procès-verbaux ont été
établis par M. Ammar Aloui ancien directeur général au Conseil économique et
sociale et son équipe.
[35] Sadok
Belaïd, « Il est temps de dissoudre la Haute Instance », La Presse,
Dimanche 15 juin 2011, p. 6.
[36] T.A.,
10 mars 2011, référé, Première instance, 2ème chambre,
Abderraouf Ayadi, Amor Safraoui, Anouar Bassi, Hafedh Brigui et autres.
[37] Emmanuel
Cartier, « Les petites constitutions : contribution à l’analyse du droit
constitutionnel transitoire», Revue française de droit constitutionnel, numéro
71, 2007. Voir également Moussa Zaki, « Petites constitutions et
droit transitoire en Afrique», Revue du droit
public… , 2012, numéros 6.p., 1668, qui définit des
petites constitutions, au sens formel, comme des constitutions de sortie de
crise élaborée dans la perspective d’une constitution définitive
qui respectent certains principes de base adoptée par
l’assemblée constituante
[39] Sur
les différentes formes de gouvernement provisoire, voir Francis Delpérée, «Le
gouvernement provisoire» in, Le provisoire en droit public…op.cit. p. 85.
[40] Par
conséquent, le jugement de première instance rendu par le Tribunal
administratif le 4 juillet 2012, dans l’affaire numéro 124 153, constitue
une véritable aberration juridique. Le Tribunal administratif
n’ayant pas saisi la nature juridique des décrets lois pris sur la base du
décret-loi numéro 14 du 23 mars 2011, les a assimilés à ceux qui sont pris sur
la base de l’article 28 de la Constitution tunisienne de 1959. Il a,
en outre, affirmé expressément que ces décrets-lois conservaient la
nature d’actes administratifs jusqu’à leur ratification par le pouvoir
législatif. Or, les décrets-lois pris sur la base du numéro 14 ne sont
nullement soumis à cette condition de ratification.
Slim Laghmani, « La pérennité
de la légalité, exigence de la continuité de l'État », « dawâm a-Shar’ia matlûb
li dhamân istimrâriyyat a-dawlah », a-Tunisia, jeudi 13 septembre 2012, p.12 et
13.
[44] Wafa Harrar
Masmoudiau « Le processus de transition démocratique en Afrique du Sud »,in la
transition démocratique à la lumière des expériences comparées…, p.83.
[45] Les
partis signataires qui se sont retirées de la Haute instance de la révolution
ont été à l’origine de cette indication qui figure en tête de la
Déclaration, pour manifester par là que leur participation à
l’élaboration de la Déclaration, prise sur l’initiative du président de la
Haute instance de la Révolution, n’impliquait nullement leur implication dans
les travaux de la Haute instance, encore moins leur retour en son sein.
[46] Signataires
de l’Appel. Lazhar Karoui Chebbi. Taïeb Baccouche. Boujemâa Remili.
Ridha Belhadj. Selma Rekik Elloumi. Samah Damak. Slim
Chaker. Omar S’Habou. Mohsen Marzouk. Mohamed Lazhar Akremi.
Wafa Makhlouf Sayadi. Anis Ghdira.
[47] Rafaa
Ben Achour, « Qu'adviendra-t-il de l'ANC, le 22 octobre 2012 ? », La
Presse de Tunisie, mardi 4 septembre 2012, p.9.
[49] Ont
participé les partis suivants : Ennahdha, le Congrès pour la
République (CPR) et le Parti Ettakatol (Forum démocratique pour le travail et
les libertés). Les partis de l'opposition sont représentés à cette réunion par
le Parti républicain, le Mouvement Nidaa Tounes, l'Alliance démocratique et le
Parti Al-Moubadara.
[51] Communiqué
publié le 26 juillet 2011 et signé par :Abdelbasset Sammari : Courant
réformiste d'Ettakatol;Mahmoud Besrour: Prospective & Développement;
Kheireddine Souabni: Parti d'Avant-garde arabe démocratique/Front
Populaire;Jawher Ben Mbarek: Dostourouna; Hazem Ksouri: l'Association de la
Tunisie Libre;Mohamed Bennour: Tamarrod; Taoufik Laâbidi: secrétaire général du
parti Tounes Baytouna; Bechir Rajhi: Citoyenneté et Solidarité; Emna Mnif:
Kolna Tounes; Nizar Amami: la Ligue de la gauche ouvrière/Front Populaire;
Houssem Hammi: Alternative Sociale et démocratique; Hatem Fekih:
Mouvement du militantisme national; Souha Ben Othmane: Mon droit;
Fathia Saïdi: Centre
de recherche pour la formation sur la citoyenneté; Sana Ben Achour: Association
Baïti; Ali Faleh: Parti du Front national tunisien; Taoufik Saïri:
Association Adam pour l'égalité et le développement; Jilani Hammami
: Parti des ouvriers/Front Populaire; Zied Lakhdhar : Parti des Patriotes
démocrates Unifié/ Front Populaire; Zied Rajhi: Union des diplômés chômeurs;
Lotfi Ben Issa : Pôle démocratique moderniste/Front
Populaire; Fayçal Tebbini: La Voix des agriculteurs;
Mahmoud Doggui:
Organisation du martyr de la liberté Nabil Barakati; Khedija Ben Hassine :
Afturd;
Radhia Nasraoui:
Organisation tunisienne de lutte contre la torture; Mohamed Kilani:
Parti Socialiste ;
Nabil Ben Azzouz :
Initiative nationale pour un front de salut national; Noureddine Ben Ticha:
Nida Tounes; Nasreddine Sehili : Khnagtouna.
[53] Notamment suite
à l’affaire de la ‘ibdiliyya en juin 2012 et l’attitude compréhensive du
gouvernement à l’égard des attaquants ; à l’occasion de l’attaque contre
l’ambassade des Etats unis et l’école américain le 12 septembre 2012, de la
diffusion le 10 octobre 2012 d’une vidéo de Rached Ghannouchi en
conversation avec des salafistes et ses propos dangereux relatifs à l’emprise
stratégique graduelle du parti islamiste sur l’Etat, l’armée, l’administration,
l’économie, la culture et à la chari’a, aux laics, almaniyyine. Il faut citer
également la gestion du phénomène terroriste plus qu’ambiguë du gouvernement
Laarayadh en 2013, l’action des Ligues de protection de la révolution contre le
siège de l’UGTT le 4 décembre 2012 et l’attitude passive du gouvernement à son
égard,
[54] Sur
la définition et la classification des démocrates et des théocrate, voir yadh
Ben Achour, « L’action politique commune entre « démocrates » et «
théocrates » dans le monde arabe. In En hommage à la Daly
Jazy, ,Centre de publication universitaire, 2010, p.135 et s.
[55] Rafaa
Ben Achour, «La Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 », Revue française
de droit constitutionnel, numéro 100, décembre 2014, p.792.
[58] Article
49 : « Sans porter atteinte à leur substance, la loi fixe les
restrictions relatives aux droits et libertés garantis par la Constitution et à
leur exercice. Ces restrictions ne peuvent être établies que pour répondre aux
exigences d’un Etat civil et démocratique, et en vue de sauvegarder les droits
d’autrui ou les impératifs de la sûreté publique, de la défense
nationale, de la santé publique ou de la moralité publique, tout en
respectant la proportionnalité entre ces restrictions et leurs
justifications. Les instances juridictionnelles assurent
la protection des droits et libertés contre toute atteinte. Aucune
révision ne peut porter atteinte aux acquis en matière de droits de l’Homme et
de libertés garantis par la présente Constitution. »
[60] Cet
article dispose : « la Tunisie est un État libre, indépendant et
souverain, sa religion est l'islam, sa langue l'arabe et son régime la
République ».
[61] Par
une modification de l'article 165 du code pénal, ce projet
vise à punir les atteintes au sacré par une peine de prison de deux
ans et quatre ans en cas de récidive et une amende de 2000 dinars. Les « choses
sacrées » sont définies par le projet de loi: « Dieu,
allah, qu'il soit glorifié, ses prophètes, ses livres, la Sunna du
Prophète, ses envoyés, les mosquées, les églises et les synagogues
». Quant à l'atteinte, elle est définie comme « l’injure, la
profanation, la dérision et la représentation d'Allah et de Mahomet ».
[63] On
peut lire dans la lettre de HRW aux membres de l’ANC : »Créer un
principe constitutionnel selon lequel les « attaques » au
« sacré » doivent être criminalisées préparera certainement le
terrain pour punir l’expression pacifique d’avis divergents ou non-orthodoxes
sur la religion. Le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, formé de
pays du monde entier, dans ses résolutions clés 16/18 de mars 2011, est tombé
d’accord pour abandonner toute notion de diffamation des religions comme motif
possible pour limiter la liberté d’expression ».
[65] Composition
du comité :Salsabil Klibi, Hafidha Chekir, Mohamed Salah ben Aïssa, Néji
Baccouche, Slim Laghmani, amin Mahfoudh, Chafik Sarsar, Mustapha Beltaief,
Ghazi Ghraïri. Le comité était présidé par Yadh Ben Achour.
[66] Dans son rapport
du 12 juin 2013, le Centre Carter souligne que « La
notion de religion d’Etat est acceptée en droit international, sous condition
qu’elle n’entrave pas « la jouissance de l'un quelconque des droits garantis
par le Pacte » (…) ou qu’elle ne constitue pas « une discrimination quelconque
contre les adeptes d'autres religions ou les non-croyants » ( obs. gén. N°22,
Comité des droits de l’Homme). Le Centre Carter recommande dès lors
que la Constitution établisse explicitement que la mention ou les référence à
la religion ne peuvent pas être utilisées pour restreindre les droits et libertés,
ou résulter en discriminations à l’encontre de personnes adhérant à d’autres
fois ou non-croyantes.
Le Centre encourage
l’Assemblée à ouvrir l’accès à la candidature à la Présidence à tous les
tunisiens, indépendamment de leur confession, et de ne pas établir de
discrimination fondée sur la religion, car la condition posée pour un candidat
à la Présidence de professer une religion en particulier semble contrevenir aux
articles 25 et 26 du PIDCP, fondant les principes de participation aux affaires
publiques et d’égalité devant la loi ».
[67] Abdelwahas
Meddeb, « Pourquoi le projet de Constitution tunisienne
est inacceptable", Le Monde, 30 avril 2013. http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/04/30/pourquoi-le-projet-de-constitution-tunisienne-est-inacceptable_3168798_3232.html
[68] De ce point de
vue, nul doute que ce projet de constitution est en retard par rapport à ce qui
vient dans l’article 5 de la Constitution de 1959 qui
évoque clairement « les libertés fondamentales et les droits de la
personne dans leur universalité, leur globalité, leur complémentarité et leur
interdépendance ».
[69] Abdelwahas
Meddeb, « Pourquoi le projet de Constitution tunisienne
est inacceptable », loc.cit.
[70] Voir
notamment travaux du colloque « Lecture du projet de brouillon de la
Constitution », organisé par l’ARTD et l’ATDC, avec le soutien
de la Fondation Hans Seidel, tenu le 15 janvier 2013 (en
arabe). Et Yadh Ben Achour, « La liberté absente dans l’Etat
religieux », Le Maghreb, 26 mars 2013, (en
arabe).
[71] Les
trois partis de la coalition au pouvoir, ainsi que Al-Joumhouri, l'Alliance
démocratique, Al-Moubadara et Al-Amane. Le mouvement Ennahdha y est représenté
par son président Rached Ghannouchi et le président de son bureau politique,
Ameur Larayedh.
UN POINT DE VUE PAS ININTÉRESSANT !
RépondreSupprimerEt si la bonne stratégie était le compromis sans la compromission ?
Après avoir lu attentivement le texte de Yad Ben Achour et maintenant celui de Samy Ghorbal, je réfléchis ....
A méditer ...
Samy Ghorbal :
L'argument de ceux qui refusent absolument l'idée d'une participation symbolique - je dis bien symbolique, car c'est de cela dont il est question, pas d'un partage du pouvoir -, cet argument consiste à dire : c'est impossible, car une partie non négligeable de notre camp le refuse. Nos électeurs ne le veulent pas.
Ce dont les électeurs ne veulent pas, c'est un retour d'Ennahdha aux affaires. Mais de cela, il n'est pas question.
Offrir une place symbolique (et sans conséquence) à Ennahdha au sein du gouvernement permettrait à ce gouvernement de s'assurer une majorité confortable. Et lui permettrait de travailler sereinement. C'est l'argument utilitariste d'Afek.
Il mérite d'être entendu.
Mais il existe un autre argument, bien plus décisif à mon sens. Cette participation permettrait aux "colombes" de sauver la face - je mets des guillemets à colombes parce que le terme est impropre, mais il faut bien écrire. Cessons de croire que le débat ne concerne qu'un camp, le nôtre. Essayons d'imaginer que les autres peuvent aussi être traversés par des contradictions déchirantes. Ennahdha est un champ de bataille, au même titre que Nidaa Tounes. Certains, en sont sein, plaident, depuis presque deux ans, pour une approche réaliste fondée sur le compromis. Cette approche a permis au pays de traverser sans encombre les crises qui se sont succedées depuis deux ans. Elle a rendu possible l'adoption d'une Constitution séculière, préservant l'essentiel de nos acquis modernistes, ce qui, au vu de la composition de l'ANC, est un authentique miracle, et je pèse mes mots.
Ces "colombes" font face à une vraie opposition, en interne. La seule différence entre "eux" et "nous", c'est que leurs dissensions ne s'étalent pas en place publique. Mais elles sont bel et bien féroces, et parfois meurtrières. Faut-il donc humilier ces "colombes" au risque de jeter dans les bras des extrémistes radicaux revanchards la "majorité silencieuse" du "peuple d'Ennahdha" ? Je pose la question.
C'est, à mon sens, la seule qui vaille. La politique, ce n'est pas le tout ou rien, c'est l'art du compromis. Croit-on vraiment que les nahdhaouis purs et durs, dont certains sont longuement passés par la case "prison" envisagent de gaieté de cœur une cohabitation avec ceux qu'ils considèrent comme leurs bourreaux d'hier ? Croit-on vraiment que la petite musique entonnée aujourd'hui par un Hamadi Jebali n'a pas d'écho aux oreilles du "peuple d'Ennahdha" ? Qu'aurions-nous à gagner à une polarisation extrême de la société politique tunisienne ? La campagne du second tour de l'élection présidentielle nous a donné un avant-goût de ce cauchemar. Tenons-nous vraiment à rejouer cette pièce mais pendant cinq ans ?
Tout le monde aurait intérêt à l'apaisement, à condition, bien entendu, que la justice passe (non, je n'ai pas oublié le 6 février, mais sincèrement je ne pense pas que Zied Laâdhari ait actionné la gâchette des tueurs de Chokri et de Haj Brahmi). Chacun doit faire des concessions, dans l'intérêt de tous.
Cessons de nous lamenter sur nos soi-disant reniements, et essayons d'imaginer ce que peuvent ressentir ceux qui ne pensent pas comme nous.
Réveillons-nous, il est temps de sortir de l'émotionnel primaire et de faire enfin de la politique !