Quelles entraves empêcheraient le musulman du XXIe siècle de devenir un « citoyen moderne », obéissant aux lois de la République ?
Mohamed Talbi, l’éclaireur du Coran
Disparu le 1er mai 2017, l’historien tunisien a ouvert la voie à un
« islam des lumières » libéré de la charia, tout en prenant ses
distances avec le dialogue interreligieux.
Il aimait dire que « l’islam
est liberté ». Il prétendait même que « l’islam
est né laïc ». Mohamed Talbi, historien et islamologue
tunisien disparu lundi 1er mai à Tunis à l’âge de 95 ans, aura
jusqu’au bout brandi comme un étendard le verset du Coran énonçant : « Nulle
contrainte en religion ». Et si la formule a pu servir, sous d’autres
plumes, à masquer des visées moins éclairées, lui en a forgé une arme contre
l’obscurantisme, le combat de toute sa vie. Mohamed Talbi laisse en héritage
une œuvre ardente et hardie qui aura ouvert la voie, en Tunisie et ailleurs, à
la génération qui aujourd’hui cherche à promouvoir un « islam
des lumières ».
« Son apport à la rénovation de la pensée islamique est
indéniable », affirme Abdelmajid Charfi,
son ancien élève, qui dut pourtant s’en éloigner au terme d’une douloureuse
rupture. C’est qu’au sein de cette « école tunisienne », l’un
des viviers de ce qu’on appela plus tard « les nouveaux penseurs
de l’islam », on s’est âprement combattus. Mohamed Talbi avait
l’ancienneté et l’envergure pour en être le chef de file, il fut même célébré
un moment par une large famille de fidèles, mais la conjonction malheureuse de
querelles d’ego et de controverses théologiques, notamment sur la sacralité du
Coran – qu’il défendait avec dévotion –, clairsema les rangs autour de lui. Son
caractère entier et ses emportements comminatoires n’arrangèrent guère les
choses et l’amenèrent, in fine, à s’isoler. « Il
était fier et sauvage », dit, avec affection, le philosophe Youssef
Seddik, qui eut à croiser le fer avec lui.
Censuré sous Ben Ali
Auteur d’une trentaine d’ouvrages, Mohamed Talbi avait débuté sa carrière
universitaire de manière assez conventionnelle. Agrégé d’arabe et docteur en
histoire – sa thèse soutenue en 1968 à la Sorbonne (Paris) porte sur les
Aghlabides, la dynastie arabe qui régnait sur l’actuelle Tunisie au IXe siècle
–, il fut doyen de la faculté des lettres et des sciences humaines de Tunis
entre 1966 et 1970. Personnalité assez légitimiste sous Habib Bourguiba, le
père de la Tunisie indépendante, il devint même président du très officiel
Comité culturel national.
Après le coup de force de Zine El-Abidine
Ben Ali, en 1987, son rapport au pouvoir va pourtant se dégrader. Il
évolue vers des positions ouvertement dissidentes, adhérant même en 1995
au Conseil national pour les libertés en Tunisie, un foyer d’opposants
démocrates. Il sera surveillé et censuré par la dictature de Ben Ali, qui se
gardera toutefois, compte tenu de la célébrité de l’universitaire, de
l’emprisonner.
Après la révolution de 2011, qui chassa Ben Ali du pouvoir, Mohamed Talbi s’affronta à un autre pôle du spectre politique tunisien : le courant islamiste émergent. Ennahdha, le parti issu de la mouvance des Frères musulmans qui dirigea la Tunisie entre fin 2011 et début 2014, fut la cible de ses foudres. Dans un entretien à Jeune Afrique en novembre 2012, il dénonça Ennahdha comme « un cancer qui métastase partout ».
Dans cette Tunisie post-révolutionnaire friande de débats, les plateaux de télévision l’invitèrent avec gourmandise, assurés que l’intellectuel alors nonagénaire, qui ne craignait plus rien ni personne, se livrerait à quelquessaillies utiles à l’audience. De fait, les polémiques s’enflammaient quand il expliquait qu’aucun verset du Coran n’interdisait l’alcool, l’homosexualité ou la prostitution. Les groupes salafistes, très actifs dans les années 2012-2013, le traitèrent de « kafir » (infidèle) et le menacèrent de mort. Il eut droit à une surveillance policière de son domicile.
« Je ne crois pas à la charia »
Les sorties médiatiques de Mohamed Talbi ne relevaient nullement de la provocation, elles exprimaient profondément son rapport à l’islam. « Il n’y a que le Coran qui m’oblige », écrivait-il dans Penseur libre en islam (Albin Michel, 2002). « Je ne crois qu’au Coran et pas à la charia », déclarait-il à Jeune Afrique en 2015. Le premier est l’œuvre de Dieu, la seconde n’est qu’une « production humaine » qui « n’a rien à voir avec l’islam » et dont les musulmans « doivent se délivrer », affirmait-il au Monde dès 2006.
Dans son exégèse, Mohamed Talbi pratiquait ce qu’il appelait la « lecture vectorielle », méthodologie qui réinscrit le texte dans son environnement historique afin de mieux en saisir l’intention première – ce qu’omettent souvent, à ses yeux, les productions juridiques postérieures au Coran. « Voilà les lignes de front du réformateur : retourner à l’Histoire, au texte, par une approche anthropologique et sociologique, et décaper la charia de toutes ces scories », assurait-il au Nouvel Observateur en 2002. Apport inestimable, selon Youssef Seddik, qui crédite Mohamed Talbi de « nous avoir libérés du tabou du blasphème ». « C’est un point de non-retour en Tunisie », ajoute-t-il.
Pour asséner sa modernité, Mohamed Talbi se définissait comme « musulman coranique ». Et c’est là que s’ouvre le malentendu avec ses pairs réformateurs, qui se soldera par un pénible divorce. A Tunis, le conflit fut violent avec Abdelmajid Charfi, aujourd’hui président de la très respectée académie Beit Al-Hikma, pour qui le Coran, bien que « d’inspiration divine », est une « œuvre humaine » inscrite dans l’époque du Prophète. Aux yeux de Mohamed Talbi, cette manière d’historiciser le Coran revenait à le désacraliser. Aussi taxa-t-il Abdelmajid Charfi et d’autres – les Tunisiens Hichem Djaït, Neïla Sellini, Hamadi Redissi, Youssef Seddik ou l’Algérien Mohammed Arkoun – de « désislamisés » et même de « néo-orientalistes ».
Subversif et intransigeant
Pour Mohamed Talbi, la réforme de l’islam ne pouvait venir que de l’intérieur et impliquait non seulement la foi mais la pratique. « Il ne comprenait pas comment des chercheurs pouvaient travailler sur l’islam sans avoir un rapport fusionnel avec le Coran », se souvient Amel Grami, l’une de ses anciennes élèves, qui lui est restée proche. Imprégné de ferveur soufie, Mohamed Talbi était profondément pieux et cette piété l’a « psychologiquement bloqué », dit Abdelmajid Charfi, au point de l’« empêcher d’aller au-delà d’une lecture littéraliste du Coran ». A rebours de la lecture « vectorielle » qu’il avait pourtant préconisée pour la charia.
Et l’orage ne grondera pas qu’avec ceux qui auraient dû être ses alliés naturels dans la réforme de l’islam. Très impliqué dans le dialogue interreligieux, notamment au sein du Groupe de recherche islamo-chrétien (GRIC), Mohamed Talbi finit par s’en détacher dans l’amertume et même la virulence, estimant que ce dialogue bancal n’en était pas franchement un et que ses amis chrétiens continuaient de trahir condescendance et préjugés à l’égard de l’islam, notamment dans son rapport à la violence. « L’Eglise catholique ne perçoit le dialogue que comme une étape sur le chemin de l’évangélisation », fustigeait-il dans Penseur libre en islam. Il signa même, en 2011, une Histoire du Christ, enquête sur une fraude textes à l’appui (auto-édité) qui attrista ses anciens compagnons de route du dialogue islamo-chrétien.
Ainsi était Mohamed Talbi, défricheur à la fois subversif et intransigeant, guetté par les contradictions et dont le fil conducteur resta jusqu’à la fin une vénération sans faille pour le Coran.
Les trois ouvrages à lire absolument (en français) :
- Universalité du Coran, Actes Sud, 2002.
- Penseur libre
en islam, Albin Michel, 2002.
- Plaidoyer
pour un islam moderne, Editions de l’Aube, 2005.
POURQUOI LE "CORANISME", PAR L'EXEMPLE :
RépondreSupprimerLE VIN est-il haram ou pas haram ?
L’honnêteté intellectuelle du Pr Mohamed est de rapporter fidèlement ce que dit le coran à propos du vin !
La conclusion s'impose à tout lecteur honnête du coran : il n'est nul part écrit que la consommation du vin est interdite, donc "haram" !
Autrement dit, l'interdiction de toute consommation de vin et d'alcools ... est une décision prise par les hommes ... et n'émane aucunement d'Allah !
Exemple entre autres, qui explique la raison d'être de l'association du Pr Talbi qui veut revenir au texte coranique ... pour ne plus broder sur des conclusions faites par des théologiens, elles mêmes commentées maintes fois au point que leurs discours finissent par remplacer le coran et font dire à Allah ce qu'il ne dit pas !
Il est désolent qu'un cheikh zeitounien que je croyais honnête intellectuellement, ne trouve rien de mieux pour contester les conclusions du Pr Talbi, que de l'accuser d'hérésie et de recommander son internement en asile psychiatrique pour folie !
Est-ce faute d'arguments que notre cheikh Férid el Béji s'en est pris au Pr Talbi de la sorte ?
Ou est-ce sa crainte de décevoir les nouveaux convertis au wahhabisme, qu'il ne veut pas effaroucher en remettant en cause un interdit formel par le wahhabisme ?
En tous cas dire de quelqu'un qu'il est fou parcequ'il exprime un avis contraire au sien, est signe de faiblesse et de rigidité intellectuelle.
On s'attendait à mieux de la part d'un zeitounien !
Dommage !
http://www.businessnews.com.tn/lalcool-halalise-mohamed-talbi-attaque-et-accuse-de-folie-par-ferid-el-beji,520,53963,3?utm_source=dlvr.it&utm_medium=facebook
L’islam n’interdit pas l’alcool, plutôt l’ivresse !
RépondreSupprimerAlors que certains musulmans vont jusqu'à refuser des plats cuisinés avec du vin, bien que l'alcool se soit évaporé lors de la cuisson, et refuser aussi les desserts aromatisés avec des liqueurs tels que le rhum et l'armagnac ... persuadés que de les manger est "haram" car ils en feraient des alcooliques !!
Voilà l'absurdité dans laquelle tombent des pratiquants n'ayant pas lu le coran, mais se contentant de suivre les recommandations de pseudo imams, souvent incultes !
http://nawaat.org/portail/2014/04/24/lislam-ninterdit-pas-lalcool-plutot-livresse/
CERTAINS ADOPTERAIENT-ILS LE WAHHABISME A LEUR INSU ?
RépondreSupprimerSuite à une discussion avec une tunisienne qui se dit pratiquante mais rejette les Frères mésulmans et leur wahhabisme qu'elle dénonce néfaste pour la Tunisie et pour les femmes, dit que lors de voyages durant le mois de Ramadan, elle préfére jeûner pour ne pas avoir à s'acquitter d'un mois entier de jeûne par jour non jeûné pour se mettre en régle avec Allah !
A la question où a-t-elle trouvé cette régle curieuse et si dure, elle dit que des amies fréquentant les mosquées l'ont entendue dire par les imams du coin !
La sachant membre active de l'association internationale des coranistes, fondée par le regretté Pr Talbi qui récusait la chariaa (receuils des jurisprudences des 4 premiers siécles de l'islam, faites par les imams de l'époque) et s'en tenait au coran source de l'islam, cela m'étonnait qu'elle prenne pour argent comptant des stupidités émanant d'auto-proclamés imams, adeptes du wahhabisme qu'ils diffusent à longueur de prêches dans les mosquées et dans la société tel un poison pour effacer le malékisme ancestral des tunisiens, qui en la matiére autorise au voyageur de ne pas jeûner; et que s'il veut compenser, il lui recommande de jeûner 3 jours ou de pratiquer une "zakat" (aumône) de compensation auprés de personnes pauvres.
Malheureusement, bon nombres de tunisiens tombent dans le piége des prosélytes au wahhabisme, par ignorance et par manque de culture !
95 % DES CITATIONS IMPUTÉES AU PROPHÈTE, SONT LE FAIT DES HOMMES ...
RépondreSupprimerLe chercheur MEWALI Ibrahim Salah, confirme ce que beaucoup d'historiens affirmaient avant lui, que 95 % des citations rapportées dans " Sahih * " de Boukhari ***, qui constituent la grande référence pour les sunnites, sont faussement attribuées au prophète Mohammad !
NB : Ce qui explique le "Coranisme" de notre cher regretté Mohamed Talbi qui avait choisi de revenir à la source de l'islam : le Coran !
Contrairement aux salafistes qui ne jurent que par la charia ****, qu'ils font passer pour parole d'Allah; au point de la sacraliser autant, sinon plus, que le Coran lui-même; censé être la parole d'Allah. Mêlant ainsi la parole des hommes à celle de Dieu !
Ce que le Pr Talbi assimile à un sacrilège !
* Hadith : citations du prophète Mohammad.
** Sahih : " L'authentique", en 6 volumes, rédigés plus de 150 ans après le décès du prophète !
*** Théologien perse, né à Boukhara, province perse du Khorassan, actuel Ouzbekistan.
**** Charia : corpus des jurisprudences établies par les hommes s'appuyant souvent sur les hadiths dont certains sont fabriqués pour appuyer les conclusions du théologien, souvent l'imam !
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