Les Français semblent s'être résignés de voir leurs responsables politiques de droite comme de gauche malmener la laïcité en multipliant les brèches pour satisfaire les communautaristes de tous poils. Faudrait-il que ce soit les Français de fraîche date pour rappeler les valeurs de la République et les règles du vivre ensemble aux pourfendeurs de la laïcité ? Ce que fait Ahmed Meghini dans une lettre ouverte aux Français.
R.B
Va, vis et deviens Français
Le témoignage d'un athée.
Je m’appelle Ahmed et je ne suis pas Musulman. Habituellement,
comme tous les athées, je le tais. D’abord parce que c’est intime, cela ne
regarde que moi, et parceque l’athéisme est une solitude et la solitude ça ne
se partage pas. Il y a une autre raison : j’ai souvent eu peur de froisser
mes ex- coreligionnaires. Pour un grand nombre de Musulmans, je suis ce qu’il y
a de pire : un apostat. Dans la plupart des pays musulmans, je risquerais
la mort pour cela.
Je suis un citoyen français et je n’ai pas d’autre
identité à défendre que celle qui a permis mon émancipation. Je suis libre de
croire ou de ne pas croire et pourtant, pour ma sécurité, jusqu’à aujourd’hui,
j’ai cru bon de ne pas exposer ma non-foi.
Cette lâcheté, que j’assume comme telle, n’est plus
permise aujourd’hui. En nous attaquant et en nous tuant, les assassins on
révélé une terrible faille sismique. Elle n’était pas nouvelle mais, comme
vous, je me mentais à moi-même.
Je n’ai pas pu avoir la même rapidité d’analyse que
ceux qui ne souhaitent « ni rire ni pleurer » et qui, en un temps
record, ont mis sur pied un débat sur la place des jeunes Musulmans en France.
Non je n’ai pas pu, et n’en déplaise à Spinoza, j’étais occupé à pleurer.
Dieu assigné à résidence
Je réponds à leur question « l’Islam est-il
compatible avec la République ? » en disant simplement que c’est la
République qui ne sera jamais compatible avec l’Islam, comme avec n’importe
quelle autre religion. C’est pourquoi il y a plus d’un siècle, nous avons
assigné Dieu à résidence. Parce que c’est le concept même de Dieu qui n’a pas
sa place dans la République.
Je ne vois pas, je ne fréquente pas et je ne parle
pas à des Musulmans, à des Catholiques et à des Juifs, et ça n’arrivera jamais.
Je ne reconnais que mes concitoyens, et qu’ils croient aux extra-terrestres ou
à un homme qui change l’eau en vin, cela ne m’intéresse absolument pas.
À ceux qui en réponse aux actes de terrorisme
souhaitent débattre de l’Islam, je les invites à entamer au plus vite un cursus
en théologie islamique, mais laissez-moi ma France ! Celle où je dois
pourvoir vivre sans Dieu et sans me faire insulter dans ma non-foi. Frappez la
République à coups de tête pour y enter en tant que Musulman, Catholique,
Protestant, Bouddhiste ou Juif. Frappez encore, frappez plus fort et nous
verrons bien qui de votre tête ou de la République cédera en premier.
Même si nous, Républicains laïcs, étions demain pris de
panique, terrorisés par nos ennemis et prêts à tout céder, nous ne le
pourrions même pas. Cette idée de liberté et de justice qui
s’est affûtée à travers le temps ne nous appartient pas, elle nous
dépasse, un peu comme votre Dieu.
La laïcité, c’est ce que nous avons trouvé de mieux
pour vous permettre de vivre vos croyances tout en admettant la primauté des
lois de la République sur vos lois divines. D’autres pays n’ont pas laissé ce
choix à leur population. Les uns interdisent la religion, d’autres la rendent
obligatoire.
Si vous ne comprenez pas en quoi la laïcité vous
protège, je ne vous l’expliquerai pas, je vous opposerai la loi, parce qu’elle
me protège moi aussi. Si vous voulez comprendre, je vous invite à vous rendre
dans une bibliothèque.
Une barque et des rames
Je n’ai pas d’autre choix que d’engager un combat,
que je promets féroce, contre ceux qui préfèrent s’adresser aux Musulmans
plutôt qu’à leurs concitoyens. Comme d’autres, j’ai consacré toute ma vie
d’adulte à devenir et à être admis en tant que Français. Je suis de la première
génération à être né en France. Sur mon acte de naissance, il est écrit
« père soudeur » et « mère femme de ménage »,
comprenez : « T’es plutôt mal barré dans la vie ». Aujourd’hui
je suis père, chef d’entreprise et j’ai une vie relativement confortable.
À l’école, j’ai fait le minimum, j’ai terminé mon
parcours scolaire crashé dans une voie de garage au milieu d’un BEP grotesque.
Cet enseignement minimum obligatoire m’a offert une barque et une paire de
rames. Alors j’ai ramé, j’ai ramé la nuit et j’ai ramé le jour, scrutant
inlassablement l’horizon à la recherche d’une terre, la France.
Mes parents parlaient mal le Français, avec des
erreurs de syntaxe et un fort accent maghrébin. Ils étaient pauvres en
France ; ils l’étaient d’avantage dans leur pays d’origine. Je me souviens
qu’il arrivait que l’on me dise que j’avais de la chance d’avoir une double
culture. Je ne comprenais pas ce que ça voulait dire, je me disais simplement
que « deux » c’est mieux que « un ». Il a fallu que je
découvre un peu de la culture française pour appréhender l’étendue de ma
pauvreté, de ma faim aussi.
Cependant j’ai profité d’une intuition de ma mère qui
m’a dit « Tu sais, nous, on ne comprend pas très bien comment ça marche en
France, imite-les, toi tu finiras bien par comprendre. » Elle ne m’a pas
dit ce que d’autres, dans le même cas que moi, pouvaient entendre de leur
parent : « Nous ne sommes pas chez nous, nous sommes venus travailler
et nous rentrerons au pays ». Le pensaient-ils vraiment ? Se
mentaient-ils à eux-mêmes ? Je ne sais pas, en revanche ce que j’ai vu,
c’est qu’ils sont restés et qu’ils ont condamné leurs enfants à une vie de
pérégrination, d’éternels étrangers, pas vraiment d’ici, et encore moins de
là-bas.
Être Français
J’ai eu la chance de faire ce chemin tortueux vers la
France. Je voulais devenir Français, parce que dans mon esprit, j’étais
d’ici ; parce que contrairement à beaucoup de Français qui ont les mêmes
origines que moi, mon père est enterré ici et c’est ici que je finirai ma vie.
Mais je ne savais pas ce que ça voulait dire, être Français. J’ai dû inventer,
me jeter loin de moi, de ce que je croyais savoir. J’ai par exemple porté
l’uniforme, je me disais qu’ainsi on ne pouvait pas penser que j’étais autre
chose qu’un Français. Si je ne savais toujours pas ce que ça voulait dire au
moins j’en avais l’air. Adolescent, j’étais jeune sapeur pompier, je m’exerçais
à des manœuvres incendie, au secourisme. À peine majeur, je suis devenu sapeur
pompier volontaire. Et puis il y a eu l’armée, je voulais absolument partir en
opération à Sarajevo. Je pensais qu’en servant la France dans un pays en
guerre, j’aurais alors un argument de poids à opposer à ceux qui pouvaient
douter de mon attachement à mon pays. Le seul moyen de partir en opération
extérieure dans mon régiment était de s’engager, je me suis donc engagé. Un
mois plus tard, j’étais en territoire bosniaque et je regardais fièrement
l’écusson tricolore sur mon épaule. Je m’appliquais sans le savoir ce mot de
Kennedy : « Ne demande pas ce que ton pays peut faire pour toi,
demande-toi ce que tu peux faire pour ton pays ».
Lâcheté et paresse
Oui, il a été sinueux ce chemin vers la France qui me
fit faire un détour par la case prison. Arrêté dans une manifestation et
condamné à tort pour violence sur agent des forces publiques, j’ai été
incarcéré trois mois dans une maison d’arrêt alsacienne. Ce que j’y ai vu m’a
profondément bouleversé. La première fois que j’ai vu une promenade, j’ai été
choqué de n’y voir que « des Arabes et des Noirs ». Je les
regardais tourner en rond, ils étaient là, rassemblés, les pérégrins
pérégrinaient. J’ai été très en colère, j’aurais pu sortir de là fou de haine
si je n’avais pas eu le soutien de milliers de militants, de Français qui
avaient pris fait et cause pour moi. Ils m’ont aidé à comprendre que la France
c’est aussi une ambition qui appartient à ceux qui la défendent et comme dans
les mariages, il n’y a pas que des jours heureux. Eh oui, bien souvent j’ai eu
l’impression d’aimer la France comme un mari cocu.
Souvent je repense à cette promenade de prison comme
la manifestation la plus évidente de notre échec. L’échec d’un pays tout
entier, où chacun a sa part de responsabilité. L’État, bien sûr, mais aussi
certains employeurs qui quand ils ne pratiquent pas ouvertement la
discrimination à l’embauche, font preuve de peu de créativité. De nos préjugés,
à chacun de nous, d’avoir cru que la police et la prison étaient la réponse à
tout, faisant semblant d’oublier que les détenus ont vocation à sortir, et
souvent, plus en colère encore que quand ils y sont entrés. C’est aussi l’échec
des familles de ces prisonniers, et des prisonniers eux-mêmes, qui doivent
assumer leur part de responsabilité.
Ni victimes, ni bourreaux
Nous ne sortirons pas de cette impasse si chacun ne
fait son autocritique. Si nous retombons dans ce débat stérile de la xénophobie
à géométrie communautaire variable, l’auto-flagellation d’un coté et les
revendications victimaires de l’autre. Nous serons condamnés à la guerre de
tous contre tous. Alors je prends ma part en dénonçant ici une forme de
duplicité chez beaucoup de Français qui ont les mêmes origines que moi.
Je dénonce ceux qui n’ont jamais fait le choix de la
France et qui réclament tous les droits ; bien que nés Français sur notre
territoire, quand ils disent « le pays » ils ne parlent pas de la
France. Ils ne souhaitent pas vivre dans les États totalitaires d’où sont venus
leurs parents mais souhaitent bâillonner la liberté d’expression ici. Oui, la
France a construit les conditions d’une ghettoïsation sociale et ethnique mais,
avant cela, elle a construit des logements. Mais qui dénonce la complicité
active de ces communautés qui se donnent tant de mal pour se ghettoïser
elles-mêmes, en cultivant cet entre-soi
ethnique ? Si nous ne sommes
pas allés vers eux, beaucoup ne sont pas venu vers nous non plus.
J’ai été accusé sur un réseau social d’être un
« faux arabe » alors même que je m’affirme en tant que Français. On
est accusé de « faux arabe » dès que l’on fait preuve d’un peu de
sens critique publiquement. La règle, c’est la solidarité confessionnelle, on
peut critiquer en privé, « entre nous », mais jamais en public. Accusation
plus étrange encore : j’ai été dénoncé comme « Juif »,
« Sioniste », parce que je dénonce l’antisémitisme. Un schéma d’une
incroyable absurdité et très largement répandu. En postulat, il faudrait
imaginer que les Juifs et Israël c’est pareil. Donc si vous défendez un Juif
c’est comme si vous attaquiez la Palestine. Si tous les Français issus de
l’immigration ne pensent pas de cette manière, ils ne dénoncent quasiment
jamais les prêcheurs de ces absurdités, par lâcheté, par paresse.
Le xénophobe bienveillant
Il faut encourager la prise de parole par ceux qui
adhèrent pleinement aux valeurs de la République et qui se taisent aujourd’hui.
Il faut réduire la capacité de nuisance de ceux qui ont le génie de la
division, qui nous accablent en nous faisant éternellement le coup de la
victime.
Pour cela nous devons savoir être nous-mêmes,
apprendre à être sereins et implacables avec nos valeurs. Cessons
cet auto-dénigrement permanent. À être trop vigilant quant à notre
propre xénophobie, on en devient un xénophobe bienveillant. Je rencontre
parfois des gens qui ne m’aiment pas parce qu’ils n’aiment pas les Arabes et je
ne peux rien y faire. Mais le pire pour moi, c’est de rencontrer des gens qui
m’aiment bien parce qu’ils aiment bien les Arabes. La xénophobie bienveillante,
qui au nom de la tolérance me voit, comme les autres, comme un Arabe.
Alors pour me faire plaisir, pour être gentil avec
moi, ils veulent discuter de la place que l’Arabe, maintenant le Musulman,
mérite.
Je vous le dis ici : je n’ai pas besoin de vous,
par pitié arrêtez de vouloir m’aider. Je me suis fait une belle place de
Français dans mon pays, grâce à mon pays et grâce à ma brave mère qui m’a élevé
du mieux qu’elle a pu avant de me laisser partir avec pour seule
consigne : « Va, vis et deviens Français. »
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