Qu’est-ce qui m’a pris tout à coup ?
Pourquoi en cette fin d’année 2015, ai-je décidé de faire ce voyage de retour
en Algérie; ce pèlerinage sur les lieux de mon enfance et de ma jeunesse ?
Pourquoi maintenant ?
Ce voyage que j’ai envisagé, rêvé, tant
de fois pendant cinquante ans et auquel j’ai, chaque fois, renoncé; pourquoi
maintenant ? J’ai déjà évoqué cela dans « Algérie, Algérie ! Que me
veux-tu ? » que j’ai publié en 1999. Il y a du mystère dans cette décision
soudaine. Va pour le mystère !
Ce n’est pas un coup de colère qui m’a
pris, comme celui de Jules Roy un 1er novembre, jour de Toussaint, se
révoltant tout à coup contre le fait que seuls ses morts ne recevaient jamais
de visites à la Toussaint.
« Alors, il n'y aurait plus que
les Français de France à honorer leurs morts, le 2 novembre ? Les miens
vont rester à Sidi Moussa sans que jamais personne ne vienne les voir ?
Nom de Dieu ! Je vais traverser la mer. Je vais leur porter des roses. »
Il partit alors porter des roses à ses morts de Sidi Moussa et en fit, au retour, un livre très émouvant : « Adieu ma mère, adieu mon cœur. »
Pour moi la décision de revoir l’Algérie, plus de cinquante après mon départ est venue sereinement, elle s’est imposée un jour de fin 2015, avec une force tranquille. Il fallait que je retourne vers ces lieux où je fus un enfant puis un jeune homme heureux; et j’étais prêt. La décision avait mûri lentement, inconsciemment et c’était l’heure de son éclosion.
Quant à moi je n’allais nullement vers
mes morts mais plutôt vers des lieux évocateurs des bonheurs de l’enfance mais
les morts, comme je le dirai, se sont invités et ont été d’une certaine manière
au rendez-vous.
En vérité j’ai pris conscience qu’à l’âge où je suis parvenu, soixante-douze ans, si je ne le faisais pas, ce voyage, maintenant, je ne le ferais peut être jamais. Bien sûr, je ne suis pas tout à fait au bout du chemin et j’espère bien continuer mes voyages, mes séjours à Paris, à Venise et dans cette Tunisie qui, depuis tant d’années et grâce à mon ami Rachid, m’a aidé, non pas à oublier l’Algérie mais à la remplacer un peu.
Il me semblait, aussi, que ce voyage bouclerait un peu ma vie, parachèverait ce que je m’étais promis. Les peurs, les craintes que j’évoquais en 1999 ont-elles disparu ? Non, elles restent tapies au plus profond mais elles sont des émotions loin des réalités et il s’agit de ne pas se laisser happer par elles. C’est vrai que les dix-huit ans que j’ai vécus dans ce pays ont été marqués par la guerre et la violence. J’en ai été préservé par mes parents et par l’insouciance de la jeunesse mais cette violence diffuse était là, enveloppant notre vie et nous interdisant, par exemple, de faire du tourisme dans ce pays si beau mais que j’ai, dans le fond peu connu.
Mon grand-père Arnold et mon oncle Marcel ont été assassinés dans la campagne sétifienne en 1957 par le FLN et un tel événement, même si mes liens avec ce grand père et cet oncle étaient assez distendus, ne pouvait que marquer durablement un jeune garçon de 12-13 ans.
J’ai déjà écrit dans « Algérie, Algérie
Que me veux-tu ? » que je n’avais pas été élevé dans la peur et dans
l’hostilité aux Algériens et que j’avais, d’ailleurs, ce faisant, accompli des
imprudences que beaucoup auraient qualifiées de folies. Mais ce climat général
étant posé, je n’ai pas eu une conscience claire des enjeux et des perspectives
historiques. A quel moment ai-je pris conscience qu’il me faudrait quitter ce
pays ? Je n’en ai pas gardé le souvenir. Dire que j’étais trop jeune n’est
sans doute pas une explication suffisante même si la jeunesse a eu son rôle. En
réalité j’ai été préservé, protégé, éloigné des passions de l’époque par ma
famille qui sentait bien que le drame était là; mais que, comme dans les tragédies
antiques il n'y avait rien à faire et que le destin était là, inexorable.
J’entendais également parler souvent,
trop souvent, d’attentats, de bombes. Enfin, dans ma dix-huitième année, mes
parents me firent interrompre mes études au Lycée Bugeaud à Alger pour les
poursuivre à Sétif, loin de l’OAS, cette organisation criminelle et violente
qui voulait m’enrôler pour sa funeste et inconséquente besogne. Tout cela
m’avait nécessairement marqué et sans doute, plus qu’on aurait pu le penser
puisqu’une crainte diffuse est demeurée tapie au fond de moi.
Mais ces craintes ne m’ont pas empêché
de songer à ce voyage de retour.
Une première fois dans les années 80
j’avais envisagé ce voyage que j’avais souhaité faire avec ma mère. J’avais un
peu avancé dans la préparation et j’avais même repris contact, à cette
occasion, avec une famille de Constantine qui avait été notre voisine dans les
années 50. Mais ce voyage ne s’est pas fait. Pourquoi ? Je ne saurais le
dire aujourd’hui.
Ce voyage que je ne fis pas m’a conduit à écrire mon premier livre, « Algérie, Algérie Que me veux-tu ? » paru en 1999 et il est consacré à l’histoire de ma famille paternelle venue de la Suisse dans les bagages de la Compagnie Genevoise des Colonies Suisses de Sétif, société de colonisation favorisée par Napoléon III qui avait une sorte de dette à l’égard de la Suisse qui l’avait accueilli pendant son exil.
J’ai continué en écrivant sur Camus et
son amour de l’Algérie puis des nouvelles qui avaient également pour thème
l’exil et même mon « Tombeau pour mes chiens » m’a donné l’occasion
de me souvenir d’une partie de ma vie en Algérie et de cette période où ma
famille a quitté Constantine pour Alger.
Tous mes écrits se rattachent à l’Algérie et disent bien le manque mais, dans le fond, n’ayant vécu que dix-huit ans dans ce pays et dix-huit ans de guerre, je n’y ai guère voyagé et ce dont je me souviens est, à la vérité, bien limité.
Il faut donc que je vous parle de l’Algérie. Et là c’est toute une histoire. Mon histoire, même si je n’ai vécu que les 18 premières années de ma vie dans ce pays. Pour l’Algérie j’ai eu nostalgie et colère.
A Pau où j’ai vécu l’essentiel de ma vie rien ne me rattache, ni ne me rappelle l’Algérie et, dans le fond, personne, autour de moi ne sait vraiment combien ce pays a compté. Pourtant s’il y a une chose à laquelle je n’ai jamais cessé de penser c’est bien à ce pays, à mes aïeux qui y ont vécu et à mes dix-huit années de jeunesse.
L’Algérie a été un grand sujet de ma
vie. J’y suis né et j’y ai passé les dix-huit premières années, celle de ma
jeunesse et je l’ai quitté en 1962 avec beaucoup d’autres. Il n’y a pas
d’année, depuis, où je n’ai pensé à cette terre. La nostalgie, avec ses hauts
et ses bas et avec sa force m’a conduit à écrire. Plusieurs livres et, dans
chacun l’Algérie soit comme sujet soit en filigrane. Mon premier livre, celui
auquel je tiens le plus, est une recherche sur la présence de ma famille dans
ce pays et une réflexion sur les sentiments qui m’ont animés pendant tout ce
temps.
« Algérie, Algérie Que me veux-tu ? ». J’y renvoie mes lecteurs, ceux qui voudront approfondir et mieux encore me connaître. Dans ce petit livre il y avait une recherche historique celle de ma famille paternelle, suisse d’origine et venue à Sétif dans le cadre d’une société de colonisation, la Compagnie Genevoise des colonies Suisses de Sétif et il y avait aussi une réflexion sur l’ambivalence de mes sentiments.
En effet depuis mon départ de ce pays en 1962 j’ai toujours souhaité y retourner en visite et j’ai toujours remis ce voyage qui, en définitive, ne s’est jamais fait. Pourquoi ? C’est ce que j’ai essayé de rechercher en moi et, aujourd’hui encore, je n’ai pas une réponse claire et définitive. Peut-être en raison de ce qu’écrit Albert Camus : « C’est une grande folie et presque toujours châtiée que de revenir sur les lieux qu’on a aimé à vingt ans. »
Ayant quitté ce pays à dix-huit ans je n’ai eu aucun mal à m’adapter à une nouvelle vie et, à l’exception de cette nostalgie, j’ai mené mon chemin à Pau professionnellement et sentimentalement. L’exil qui porte, le plus souvent, en lui l’espoir d’un retour, ce qui n’était pas le cas pour moi m’a conduit à rechercher ce paradis perdu que l’on ne retrouve jamais. Si j’ai séjourné dans de nombreux endroits, sans m’attacher vraiment à aucun, c’est sans doute à cause de ce sentiment.
Alors l’Algérie ! Il y a ce que
je sais pour l’avoir entendu, pour avoir scruté de vielles photos, ces
souvenirs qui n’en sont pas de mes premières années mais une chose est sûre
c’est que je me suis ouvert à la lumière, aux odeurs, à la rare végétation, aux
paysages de ce pays et cela ne m’a plus quitté. Il y a des odeurs que je
ressens parfois à l’évocation de tel ou tel endroit, l’odeur de terre sèche
mouillée par une ondée cette odeur qui évoque pour moi le jardin de la villa
que nous habitions à Constantine, l’odeur du jardin de ma grand-mère maternelle
au Fondouk dominée par celle des larges feuilles vertes couvertes de poussière
des figuiers de barbarie qui formaient la haie du jardin vers l’extérieur.
C’est ainsi que je m’explique mes préférences en matière de paysages. J’aime
plus la sécheresse que la verdure triomphante, la méditerranée que l’océan, les
bois de pins plutôt que les forêts de chênes.
Ces quelques images que j’ai de ma
première jeunesse, de mes quatre à cinq premières années qui me viennent de ce
que l’on m’a dit et de quelques photos, me rattachent à une ferme sur les hauts
plateaux sétifiens, du côté de la commune des Eulma. Cette ferme c’est
Guinguette qui appartenait à mon grand-père. Quelques photos me donnent à voir
une vieille bâtisse en pierre avec autour des bâtiments agricoles, tout cela,
déjà à l’époque, bien rustique et donnant le sentiment non de l’opulence mais
presque de la misère. En tout cas cela n’avait rien de la ferme coloniale,
telle que l’on se l’imagine, belle bâtisse à colonnades avec sa terrasse
donnant sur des vergers et des fleurs.
Mon père a exploité cette ferme pour
le compte de son propre père pendant quelques années avant d’intégrer, en
raison de mauvaises affaires dans cette propriété, la police judiciaire à
Constantine en 1952. J’avais alors huit ans et je n’ai donc passé que quelques
années à Guinguette. Je ne crois pas en avoir gardé de souvenirs directs. Ce
que je sais de ce passage, je le dois au récit familial et à quelques photos et
cependant, réminiscence ou récit, deux seules images me demeurent, deux scènes
dont je finis par me demander si je les ai vraiment vécues et, si oui, pourquoi
elles demeurent dans ma mémoire alors que tout le reste a disparu.
D’abord paradoxalement une belle
scène de neige. Nous sommes dans une voiture tirée par des chevaux, totalement
fermée et nous traversons des paysages de neige pour nous rendre chez l’oncle
Marcel dans une autre ferme El Akrich. Je ne vois ni le départ ni l’arrivée. Je
sais, j’ignore comment, que c’est Noël et ce voyage dans un paysage féerique
pas inhabituel à cette époque dans la région de Sétif, m’enchante. C’est peut-être
parce que c’est une des premières fois que je vois la neige en abondance,
calfeutré au fond d’une voiture que cet événement m’a marqué suffisamment pour
que plus de soixante ans après je m’en souvienne encore. Depuis j’ai toujours
aimé les paysages et les moments de neige à Constantine, à Pau et ailleurs.
La deuxième scène est plus forte et a
été plus traumatisante. C’est sans doute pourquoi je l’ai encore en mémoire.
Nous étions bien isolés dans cette ferme sur les hauts plateaux. Le premier village
qui s’appelait alors Saint Arnaud devait être à une vingtaine de kilomètres. A
part quelques douars environnant dont venaient les travailleurs à la ferme, il
y avait à certaines époques de l’année des tentes de nomades en poils de
chèvres, un peu au loin, dont nous voyions fumer les braseros. Tout cela pour
dire que la sécurité devait être un problème et notamment la protection contre
le vol de récoltes. C’est ici que j’ai le souvenir qu’un soir, la nuit étant
tombée, mon père, probablement alerté m’avait emmené dans sa voiture et qu’il
avait fait la chasse à des voleurs en les poursuivant avec sa voiture, tous
phares allumés, faisant mine de vouloir les écraser. Ces voleurs couraient
devant nous dans les phares en criant et j’en avais été terrorisé, suppliant
mon père de s’arrêter. C’est tout. Je ne sais rien de la suite, seule cette
image d’une voiture, phares allumés, poursuivant des personnes me reste en
mémoire.
À y réfléchir elle est assez évocatrice de cette vie que menaient alors dans ce pays les colons riches et moins riches. Une vie dans l’isolement, dans une forme d’insécurité et aussi dans un sentiment de toute puissance, faisant régner leur justice à leur manière. On critiquera. Mais comment pouvait-il en être autrement ? En était-il autrement au far West au temps de la conquête ?
Il me reste donc fort peu de cette courte période de ma vie et, comme la ferme a été détruite pendant la guerre d’indépendance, j’aurai bien du mal à trouver quoi que ce soit si j’y retournais comme j’en ai fait maintes et maintes fois le projet. Mais laissons cela que j’ai déjà évoqué dans « Algérie, Algérie Que me veux- tu ? »
Enfin pour terminer sur cette époque
de ma vie : trois photos qui, elles aussi, disent beaucoup. La première est
celle de la maison avec sa tonnelle dans laquelle grimpe du chèvrefeuille. Sur
cette photo en noir et blanc c’est une masure que l’on voit. Mais autant je
garde des odeurs de la maison de ma grand-mère au Fondouk près d’Alger autant
ici cette photo ne me renvoie rien. J’y ai vécu mais tout cela est parti et n’a
laissé aucune trace. Les pierres de la maison détruite ont rejoint la nature
qui a repris ses droits et, de ce temps-là, maintenant que la plupart des
protagonistes sont morts et que mon cerveau n’imprimait pas encore, il ne reste
que cette petite photo en noir et blanc avant qu’elle-même ne se perde ou ne se
détruise aussi.
Une autre petite photo en noir et
blanc : Devant un mur de pierres sèches, assises sur une simple planche en
guise de banc, ma mère et Marinette la femme de mon oncle Marcel. Juste devant
dans une carriole improbable faite d’une sorte de niche de chien dont on aurait
retiré le toit avec deux petites roues à l’arrière et une plus grande devant,
ressemblant en plus sophistiqué à ces planches munies de roulement à billes que
j’utiliserai, plus tard, à Bellevue, pour descendre à toute vitesse quelques
rues de mon quartier.
Enfin une image que j’ai déjà évoquée
dans mon livre « Algérie, Algérie Que me veux-tu ?
». Je suis installé, à cru, sur une vielle
haridelle qui semble avancer à pas très lent, mais suffisamment rapidement pour
que ma sœur Simone âgée de trois ou quatre ans nous suive avec difficulté.
Mes parents ayant fait de mauvaises affaires dans cette ferme à la terre si ingrate, mon père s’engagea dans la police judiciaire et fut nommé à Constantine. Voilà que s’ouvre alors la plus belle période de mon enfance, la période du bonheur qui m’a donné tant d’assurance et d’équilibre pour affronter la vie.
Nous avons habité le quartier de
Bellevue supérieur, successivement dans deux villas et la seconde, rue Jules
Verne était au pied de l’école Jean Jaurès. Comment ce petit quartier de
maisons pavillonnaires, banal, où rien d’exceptionnel ne retient, peut-il
continuer à me toucher ainsi ? J’ai vécu et je vis dans des lieux sans
commune mesure, beaucoup plus beaux. Mon appartement de Pau ouvre sur la chaîne
des Pyrénées, quelquefois enneigées, toujours majestueuses et aux couleurs
changeantes. A Venise l’appartement que j’ai longtemps loué, donne sur le Canal
de la Giudecca et sur les grands navires qui y passent lentement, porteurs de
rêves. A Paris je suis voisin du canal saint Martin.
De même que je ne visite jamais les
banlieues des villes où je séjourne, personne, visitant Constantine qui est une
ville magnifique, pittoresque, à cheval sur les gorges du Rhumel, n’irait
visiter Bellevue. Comment expliquer que je pense encore cependant à ce petit
quartier de Bellevue supérieur ?
Oh ! Tout simplement parce que
c’est l’endroit où j’ai, sans doute, était le plus heureux, à cet âge où l’on
découvre tout et où, aucun souci d’avenir, ne vous encombre encore. Charles
Trenet chante que sa jeunesse court dans les sentiers et dans les Pyrénées, moi
elle court et virevolte dans les petites rues de ce quartier de Constantine !
On appelait cette partie du quartier les sept tournants car juste au sortir de notre maison se trouvait d’abord la petite placette, bien grand mot pour désigner une simple étendue de terre bordée par un mur au-delà duquel se trouvait un vide de deux ou trois mètres et de nouveau, à l’époque, la campagne à perte de vue. Cette placette était le rendez-vous de tous les enfants du quartier et de là partait la rue qui faisait justement sept coudes, d’où les sept tournants. J’ai encore à l’esprit, sans aucune difficulté, le plan exact et je peux y placer de nombreuses petites maisons et les jeunes camarades, garçons et filles qui les occupaient alors. Les amis de cette époque heureuse je les ai encore en mémoire plus de soixante ans après et j’ai revu en France Philippe Laygue avec qui nous faisions les quatre cent coups de notre enfance et j’ai aussi voulu revoir les enfants du Cadi Ben Ameur qui habitait une villa toute proche de la nôtre et c’est une belle histoire qui a ému bien de mes amis et que j’ai racontée dans mon recueil de nouvelles « Retour au pays ».
Comme on le voit, l’Algérie n’a jamais été très loin et ce voyage, qu’enfin je me décide à faire ne ressemblera à aucun des nombreux voyages que j’ai accomplis dans ma vie. Jusque-là j’allai à la rencontre de paysages, de villes, de sociétés pour les découvrir. Pour celui-ci, je vais faire un voyage dans l’espace mais bien plus encore dans le temps. Je vais, comme les saumons de mes Pyrénées, remonter vers mon passé.
Ce voyage va être un test. De mes voyages habituels je reviens, heureux d’avoir vu de nouveaux paysages, parcouru de nouvelles villes, mais je quitte ces pays, sachant que je n’y reviendrai probablement plus, sans tristesse et sans réels regrets. Si, à mon retour d’Algérie, je ressens la même chose, c’est qu’alors le lien qui m’a lié, tant d’années, à cette terre, sera coupé. L’Algérie sera redevenue un pays comme les autres parmi d’autres.
Je suis parti avec l’idée d’un test. Arriverai-je à vivre dans ce pays, à Alger, à Constantine, à Sétif, libre de mes mouvements, pouvant me promener ici et là sans contrainte et s’en être ennuyé d’une manière ou d’une autre. Si je parvenais à déambuler dans ces villes comme je l’ai fait tant et tant de fois à Rome, Lisbonne, Venise et évidemment Paris, alors l’Algérie deviendra à son tour un lieu de séjour renouvelé où je continuerai un des plaisirs de ma vie la déambulation dans les rues des villes sans but et au gré de mes humeurs.
Ma méconnaissance de l’Algérie
d’aujourd’hui et les préjugés que j’avais à l’égard de ce pays, nourris
probablement par une information parcellaire, me conduisait à me demander si je
pourrai circuler librement et seul. C’était même un critère de la réussite de
ce voyage car je n’aime pas beaucoup tout ce qui est trop organisé. S’il me
fallait sans cesse l’accompagnement d’un guide, sans liberté réelle d’aller et
venir à ma guise, cette contrainte aurait enlevé tout charme au voyage.
J’ai cependant organisé ce périple en
recourant à un chauffeur qui me servait de guide, d’interface, qui serait là
pour assurer mes déplacements et ma sécurité dont je n’étais pas sûre qu’elle
soit totale !
C’est la première fois qu’au cours de mes nombreux voyages je m’en suis remis totalement à quelqu’un au point qu’atterrissant à Alger, je ne savais pas quels seraient les hôtels dans lesquels je séjournerai ni le parcours précis que j’allais suivre. Je voulais qu’aucun souci d’intendance ne pollue mes retrouvailles.
Je ne regrette pas ce choix car Hafidh,
mon guide, a été précieux et d’une compagnie à la fois attentive et discrète.
Il a, je crois, participé à mon émotion de retrouver mon pays et a eu à cœur de
faciliter ces retrouvailles. Je me suis vite rendu compte que j’aurai pu, sans
difficulté, circuler moi-même, librement et en sécurité dans le pays.
J’ai donc eu, tout le temps de ce
voyage, deux personnes, mon ami Rachid et mon guide Hafidh qui m’ont suivi
partout, qui ont participé, avec moi, à la recherche des lieux de mon passé,
qui ont partagé, à chaque instant, les émotions qui étaient les miennes à la
vue de tous ces endroits de mon enfance et de ma jeunesse. Ils ont, je crois,
aimé cette quête du passé à laquelle je me livrai.
Il s’agira aussi de ne pas se jouer de mots et de dire clairement, sans je ne sais quelle illusion, la déception, l’enthousiasme ou l’indifférence. Oui ce sera l’un de ces trois mots qui pourra résumer ce voyage ou, comme souvent dans la vie, un mélange subtilement dosé de ces trois sentiments. Ce sera : « J’y retournerai » ou « ce n'était donc que cela ! »
Ma décision prise, j’ai fait deux allers-retours à Bordeaux pour déposer ma demande de visa au Consulat d’Algérie. La nécessité de cette demande m’a fait toucher du doigt que, désormais, l’Algérie était bien pour moi un pays étranger, plus étranger que d’autres; puisque je voyage souvent et le plus souvent sans visa. Je le savais mais là les choses sont claires.
Bien sûr je comprends parfaitement que
l’Algérie applique la règle de la réciprocité. La France exige des visas
quelquefois sans générosité et de manière humiliante, parfois tatillonne et ce
pays indépendant fait de même. Comment le lui reprocher ? Mais pourquoi ne
pas le dire ? J’aurais aimé que né de parents et de grands parents nés,
eux aussi, là-bas et y ayant vécu dix-huit ans, je puisse y être accueilli sans
fanfare bien sûr, mais sans formalité. Mais qu’ont à faire les sentiments
personnels, les émotions face à l’histoire et à la politique ?
Alors le visa obtenu, j’ai crié
« Hourrah ! » sur les réseaux sociaux. Rien ne m’empêche plus de
faire ce voyage si longtemps attendu.
Au moment d’organiser ce voyage j’avais envisagé de faire un circuit « Camus » en visitant tous les lieux qui, en Algérie rappellent sa vie : Alger, son quartier Belcourt, sa « maison devant le monde » ; Tipaza, Djemila … mais c’est aussi, à ce moment même, que j’ai lu l’essai de Stéphane Babey : « Camus, une passion algérienne » et cet auteur m’avait précédé. Il avait, lui aussi, fait ce périple, avait visité les lieux camusiens et les avaient merveilleusement décrits en soulignant ce que ces lieux avaient apporté à l’écriture et à la philosophie de Camus.
Je ne pouvais, dès lors, que renoncer
non pas à visiter ces lieux mais à les écrire, au risque de redire, sans doute
plus mal, ce qu’il avait si bien dit.
J’ai donc atterri à Alger le 4 mai et
comme me l’avait suggéré Hafidh, nous sommes aussitôt partis vers Sétif. Il y
avait là une certaine logique. Dans le fond Sétif, même si je n’y ai vécu que
quelques mois, est le berceau de ma famille paternelle. Là, si je puis dire, où
tout a commencé. C’est d’ailleurs Sétif qui faisait l’objet de mon premier
livre.
Mais quittant l’aéroport de Maison
Blanche, aujourd'hui Houari Boumediene, j’ai aperçu, très vite à un croisement
de routes le nom de Khemis el Kechna, l’ancien Fondouk, le petit village
colonial de ma grand-mère maternelle. Ainsi, en ce tout début de voyage, les
deux endroits fondateurs de ma vie se sont trouvés liés un instant et je n’ai
pu qu’en être ému.
Arrivés à la tombée de la nuit, nous
avons aussitôt pris la route pour Sétif où nous sommes arrivés vers minuit. Je
n’ai donc rien vu des paysages sauf quelques lumières éclairant des villages
dans la campagne. L’autoroute nous a permis un voyage agréable et j’ai pensé à
la vielle route d’Alger à Sétif qui traversait des paysages magnifiques mais, à
l’époque dangereux, et notamment les gorges de Palestro que j’ai pris un jour
de mai 1962 avec mon père pour devenir, quelques mois, pensionnaire au Lycée de
Sétif pour fuir le déchainement fou d’Alger.
C’est à ce Lycée, Albertini à l’époque,
Kerouani aujourd’hui, que j’ai réservé ma première visite le lendemain matin.
En mai 1962, mon père voulant me soustraire aux agissements de l’OAS qui
recrutait les jeunes gens à Alger, m’a conduit à Sétif sa ville natale pour que
j’y sois pensionnaire au Lycée, que je termine mon année scolaire et que je
passe mon second baccalauréat dans des conditions plus paisibles qu’à Alger à
cette époque.
J’avais donc passé trois mois dans cet
établissement ne sortant que le weekend pour aller chez ma grand-mère au
Faubourg des Jardins. Comme je l’ai déjà écrit dans mon premier livre, j’avais
passé un séjour à la fois, un peu triste, n’ayant pas apprécié ma qualité de
pensionnaire mais heureux les weekends de goûter, pour la première fois, à la
liberté loin de mes parents.
Cette visite au lycée était donc chargée
de souvenirs mitigés, à la fois tristes et heureux.
Nous avons eu la chance de tomber dans
le hall d’entrée sur l’Intendant de ce lycée en discussion avec le proviseur et
quand ils ont su ma motivation, ils m’ont accompagné tout au long de la visite
me faisant redécouvrir les cours, les salles de classe, l’internat; ces lieux
de ma vie en mai et juin 1962.
Puis ils ont voulu consulter avec moi
les vieux registres pour y retrouver ma trace. Nous n’avons trouvé aucune
mention de mon nom, sans doute parce qu’arrivé en fin d’année je fus inscrit à
part. Mais j’ai, par contre retrouvé dans les années 1920 la trace de mon père
sur une ligne de ces vieux registres et ce fut un moment d’émotion où
surgissait, tout à coup, le jeune adolescent que fut mon père dans ce Sétif
d’autrefois.
Je dois dire, ici, que ce fut dans tout
ce voyage le seul moment de vraie émotion, celle qui empêche pendant quelques
instants de parler et qui noie le regard. Pourquoi n’ai-je plus, par la suite,
ressenti pareille émotion devant les maisons que nous avions occupées, les
écoles que j’ai fréquentées et les cimetières que j’ai aperçus ?
Sans doute parce que, protestant de
culture, je maîtrise assez bien mes émotions mais surtout parce que les lieux
ainsi visités avaient tellement changé que je ne les reconnaissais pas
vraiment. Les lieux étaient là, les pierres subsistaient mais l’âme de ces
maisons s’était envolée alors que sur cette simple ligne d’un registre, le nom
d’André Ryf faisait remonter toute une histoire.
Après cette visite, je suis parti à la
recherche de la maison de mon grand-père Arnold au faubourg des Jardins, là
même où pendant ces quelques mois du printemps 1962 je passais mes fins de
semaine. Demandant mon chemin, peu de personnes se souvenaient de ce nom :
« faubourg des jardins ». J’ai fini par le trouver et j’ai commencé
la descente de la rue essayant de trouver la maison. Au moment où je repérais
la maison voisine, restée tout à fait semblable à ce qu’elle était autrefois,
un hasard extraordinaire s’est produit qui me fait douter que le mot hasard
soit, ici, approprié. Alors que je demandai à un passant s’il savait où se
trouvait la maison de M. Ryf, il prononça le prénom de mon grand-père Arnold et
il s’avéra que ce passant était le fils d’Amar, lequel avait été employé de mon
grand-père pendant plus de trente ans et avait habité un local situé sous la
terrasse de la maison des faubourgs !
Ce prénom de mon grand-père prononcé
ainsi, là, sur ce trottoir devant sa maison, plus de soixante ans après sa
disparition tragique fut un moment émouvant. Voilà donc qu’il n’était pas oublié,
ici, à Sétif et cette évocation par le fils d’un de ses employés me laissait à
penser qu’il fut un employeur juste et humain. Et ce simple prénom prononcé
dans ces conditions, m’a semblé comme une sorte de justice qui lui était
rendue.
Nous avons évoqué ce passé lointain en
parcourant ce qui restait de la maison. Cet homme qui me renseignait, je
l’avais, à coup sûr, croisé, alors qu’il était un enfant et que je passais à
dix-huit ans mes fins de semaine chez ma grand-mère.
Heureuse rencontre, surgissement
inattendu du passé ! Cependant la maison n’était plus ce qu’elle avait
été. La petite barrière devant sa façade sur rue détruite et remplacée par un
haut mur en ciment, non crépi, interdisant tout regard et donnant un aspect
blockhaus à ce qui était une façade classique et ouverte sur la rue.
J’ai retrouvé cet enfermement un peu
partout dans le pays et, pour moi, cet enfermement est symptomatique d’un mal
celui de la peur du regard de l’autre. Je ne suis pas exhibitionniste mais un
peu d’air ne fait pas de mal; et qu’a-t-on à cacher ainsi ?
Plus grave, la belle et vaste terrasse à
l’arrière de la maison a été construite et les pièces qui y ont été édifiées ne
sont pas finies comme, hélas, beaucoup de constructions dans le pays. La maison
qui respirait par sa terrasse ouverte sur le parc en est défigurée et est
devenue, j’ose le mot, une sorte de taudis. Enfin le grand parc qui s’étalait
en pente douce sous la terrasse, rempli, à l’époque, d’arbres et de fleurs, a
disparu pour laisser place à une école. Il n'y a donc plus derrière la maison
qu’un tout petit espace d’à peine un mètre carré et bordé, ici encore, par un haut
mur de ciment.
J’avais sur moi une veille photo en
couleurs sur laquelle une partie de la famille, autour de mon Grand-père Arnold,
se tenait sous un arbre au milieu d’une terre herbeuse par endroits, fleurie et
elle me permettait de mesurer le désastre.
La belle maison que j’avais dans mon
souvenir et dans laquelle la famille a tant de souvenirs, n’était plus qu’une
sorte de taudis triste et sans charme.
Face à un tel spectacle, assez désolant,
il n'y a pas vraiment d’émotion mais plutôt une sorte de regret et le constat
que tout est bien fini !
Heureusement que la rencontre avec le
fils d’Amar a, en quelque sorte, sauvé cette visite qui n’aurait été, sans
cela, que désolation.
Quittant le
Faubourg des jardins qui ne mérite plus son nom, nous sommes partis à la
recherche des locaux de la Compagnie genevoise des Colonies Suisses de Sétif
dont mon arrière-grand-père Gottlieb et mon grand-père Arnold furent les
Directeurs pendant des années; et dont j’ai raconté l’histoire dans mon premier
livre. Qui connaît aujourd’hui à Sétif l’histoire, pourtant importante même si
elle est controversée, de cette Compagnie de colonisation ? Je crains que
plus personne et surtout aucun jeune ne sache ce que cette Compagnie et donc
mon arrière-grand-père Gottlieb et son fils Arnold ont apporté à l’agriculture
dans cette région d’Algérie. Les locaux de la Compagnie se trouvent sur le même
axe mais à l’opposé, après avoir traversé le centre-ville et ses arcades.
Ce grand bâtiment avec son jardin et, accolés à lui, de grands silos à grains qui montrent la puissance de cette société suisse, sont restés, eux, en l’état et bénéficient d’un entretien convenable. Je suis entré avec émotion dans le hall sur la droite duquel était le bureau de mon grand-père. Le hall et les escaliers sont de belles proportions et conduisent aux appartements de l’étage. Rien n’a changé et même si je ne suis pas entré dans les appartements qu’occupait ma famille, il m’a été facile de repenser, notamment aux Noëls qu’enfant nous avons passé là dans la fébrilité de l’attente au milieu de nos cousins ! Cependant ces locaux, restés dans leur jus, m’ont moins marqués que les nombreux papiers que j’ai, en son temps, consultés aux Archives de Genève pour écrire mon premier livre. Ces vieux papiers, ces rapports quasi quotidiens qu’envoyaient mon arrière-grand-père Gottlieb et mon grand-père Arnold au siège de la Compagnie à Genève, étaient beaucoup plus évocateurs de la vie de mes aïeux que ces murs qu’ils ont connus.
Derrière, dans le jardin, j’ai aperçu le premier étage du bâtiment, parcouru tout au long par un balcon. Les volets étaient fermés mais je revoyais clairement, là, derrière ces volets, le grand salon et le seul souvenir qui lui était rattaché, un soir de Noël avec le grand sapin trônant dans la pièce, tout garni de boules, d’étoiles, de lampes multicolores et de fils scintillants, sapin très haut et très beau qui devait rappeler à mes aïeux leur Suisse ancestrale !
J’avais trouvé, ce Noël là, perdu
aujourd’hui dans la chronologie, une petite locomotive à vapeur qui
fonctionnait après qu’on eût chauffé l’eau de sa citerne avec de l’alcool à
brûler.
Là encore derrière ces volets fermés se trouvait une chambre dans laquelle, ce Noël là encore, j'avais été consigné avec ma sœur, mon frère et quelques cousins en attendant dans la fébrilité le signal libérateur qui nous permettrait d’atteindre le pied du sapin et les cadeaux du père Noël. J’aurais voulu visiter cet appartement mais je n’ai pas osé en faire la demande et je me suis dit qu’il n’était pas mauvais que je garde encore quelques mystères !
Se dressait aussi la fameuse tour dont
j’avais gardée un souvenir de terreur, après qu’enfant, seul ou avec d’autres
j’avais monté les marches jusqu’à son sommet. En réalité cette tour, pas très
haute, je me demandais en la voyant comment elle avait pu m’inspirer cette
peur. Et désormais ce souvenir d’une peur enfantine avait disparu. Là encore
j’avais vu et s’en était fini des imaginations.
Décidément, restés en l’état ou
complètement modifiés, ces vieux murs m’ont laissés assez indifférent.
Et il en sera de même du
vieil Hôtel de France que j’ai recherché car c’est là qu’en 1964 est mort
mon Grand Oncle Emile, seul, toute sa famille ayant quitté l’Algérie en 1962.
Âgé, il avait voulu demeurer à Sétif et ne recevait la visite dans sa chambre
d’hôtel que de quelques amis encore là et d’un jeune coopérant qui s’était pris
de sympathie pour ce vieillard abandonné.
Lui qui avait été riche, qui avait possédé le joli domaine de Bir Oumada, avait tout perdu mais demeurait attaché à ce coin de l’Algérie qui l’avait vu naître et qu’il avait aimé. Il ne se voyait pas, à son âge, d’avenir en France et je ne peux que le comprendre. Mon père en 1963 au cours d’un bref séjour à Sétif, lui avait rendu visite et correspondait avec lui.
En quittant les locaux de la Compagnie qui furent construits par mon arrière-grand-père, à quelques centaines de mètres sur le trottoir d’en face, le temple protestant m’apparut, aujourd’hui transformé en mosquée. Le temple a été conservé et l’on en voit encore les contours et la toiture de tuiles rouges mais il a été prolongé par un bâtiment qui l’entoure complètement. C’est donc dans ce temple devenu la mosquée Bilal que plusieurs générations de Ryf ont participé au culte.
Voilà que j’avais revu l’ensemble des
lieux, peu nombreux en vérité, qui me rattachaient à Sétif. Il me restait à
voir si possible le cimetière.
J’ai l’habitude, depuis longtemps et
cette habitude je la tiens de mon père, de visiter, dans les villes où je
passe, les cimetières. J’ai ainsi médité sur la vanité du monde dans le petit
cimetière de Ménerbes, au bout du village qui domine le château de Nicolas de
Staël dans le Vaucluse, dans l’île de San Michele à Venise,
dans le vieux cimetière près de la tombe de Serge Diaghilev et d’Igor
Stravinsky; au père Lachaise, dans le cimetière marin d’Hammamet, à Pau, bien
sûr, au Jellaz à Tunis où les milliers de tombes blanches montent à l’assaut de
la vaste colline vers le mausolée de Lalla Manoubia, la sainte patronne de la ville,
cette mystique soufie …, et dans bien d’autres encore comme ce cimetière acatholico à
Rome, havre de paix et de fraicheur, parc propice à la méditation.
Il y avait des moments pour ces visites. J’aimais aller, dans la matinée à San Michele. Le vaporetto qui m’y menait se remplissait, peu à peu, de vieilles vénitiennes, les bras chargés de bouquets et de pots de fleurs qu’elles allaient déposer sur la tombe de leurs proches.
Ma visite finie, après un dernier tour
dans le cloître de la vieille église, le vaporetto me reconduisait vers les
vivants et, assis à une terrasse de la Fondamenta Nuove, le café ou un spritz
s’il était plus tard, avait tout à coup, un goût d’élixir de vie.
Au Jellaz, il faut aller tôt le matin,
quand l’air est encore frais de la nuit et que le soleil commence à peine à
monter dans le ciel. La lumière est, alors, belle, très douce et l’on sait que
s’annonce une journée ensoleillée.
A Menerbes, j’aimais y aller alors que
la nuit était déjà tombée, que, dans la plaine que domine le cimetière,
s’allumaient petit à petit les lumières de Gordes, Robion concurrencées par les
étoiles dans le ciel. Dans ce décor de vielles tombes délabrées, au milieu
d’herbes folles, le cimetière prenait un aspect fantomatique et l’on était pris
de la légère crainte, irréfléchie, qu’un revenant nous frôle tout à coup.
A Hammamet, après les remparts où se trouvent les si belles maisons blanches, la promenade se poursuit le long de la plage et du cimetière. C’est un endroit agréable au coucher du soleil et c’est là que les jeunes amoureux se font des serments pour l’éternité, la vie côtoyant la mort !
Après donc tous ces cimetières visités,
il me fallait voir celui de Sétif. Je ne l’avais jamais visité du temps de ma
présence en Algérie. Pourquoi ai-je ressenti le besoin de visiter ce cimetière
comme je souhaiterai aussi, lorsque je serai à Alger, rendre visite à celui du
Fondouk ?
La réponse n’est pas simple car je ne
crois pas à une survie quelconque; et pour moi, rien ne subsiste que cendres et
poussières. J’aime assez cette phrase que Chateaubriand déclare avoir
découverte sur un tombeau romain : « Hic jacet cinis et pulvis et
nihil » - Ici repose des cendres, de la poussière et rien.
Au surplus, ce cimetière de Sétif ne contient
que de vieux morts inconnus de moi. Comme les lecteurs de mon premier livre le
savent, mon grand-père Arnold et mon oncle Marcel ont été assassinés par l’ALN
en 1957 et sont demeurés sans sépulture dans la campagne sétifienne. Je sais à
peu près où; puisque mon père, officier de Police judiciaire, avait reçu d’un
de ses collègues le PV d’arrestation et d’exécution de mes parents trouvé sur
un combattant abattu.
Nous l’avions appris également par un
colon habitant la ferme près du Djebel Youssef et qui avait écrit à mon
père :
« Nos employés nous ont dit il y a deux
personnes tuées là-bas et comme nous avions appris à ce moment la disparition
de votre père et de votre frère nous avons pensé que c’étaient eux mais nous
n’avons pas osé y aller… »
Ce que je me suis toujours demandé,
c’est pourquoi ils n’avaient pas alerté les autorités ce qui aurait permis de
donner une sépulture à mes parents. Passons, les temps étaient si troublés.
Reposent donc dans ce cimetière ma grand-mère Reine Deschamps, la première épouse d’Arnold. Sa disparition fut un drame pour mon père encore très jeune qui refusa le remariage de son père. Il en a écrit une nouvelle parue en 1941 : « Le défaut de la cuirasse ».
Sont là aussi ceux que l’on appelait les « argentins » issus de Gottlieb le fils ainé de mon arrière grand-père qui, à la suite d’une brouille avec son père, alla chercher fortune en Amérique du sud. Je n’ai connu aucun de ces « argentins » et, assez peu, leurs descendants. Ce cimetière ne me révélera donc, au mieux, que des noms inscrits sur des tombes !
Et pourtant je souhaitais vraiment le
voir, aller visiter ces vieux morts oubliés. Outre les tombes ou tombeaux des
Ryf, j’aurai cherché aussi la tombe de la famille Grosso; et c’est là une histoire
singulière.
Lorsque j’ai publié en 1999 « Algérie,
Algérie Que me veux-tu ? », j’ai reçu quelques lettres émouvantes
d’anciens d’Algérie que mon livre avait émus et qui me disaient des bribes de
leur propre histoire.
Parmi ces lettres, celle d’une vielle
dame à l’époque, madame Grosso qui évoquait sa vie à Sétif et la grande amitié
qui avait lié autrefois son mari et mon grand-oncle Emile. Deux êtres très
dissemblables m’écrivait-elle. L’un grand, mince et élancé, souvent vêtu de
blanc, le casque colonial sur la tête l’autre petit, plus rond; l’un riche
l’autre simple artisan mais qui s’entendaient très bien et avaient tous deux la
passion des longues marches dans la campagne autour de Sétif.
Emile perdit, un jour, son ami et en
demeura inconsolable. Il fit promettre à la famille d’être enterré dans le
tombeau des Grosso aux côtés de son ami. Voilà pourquoi en 1964 lorsqu’il
mourut, seul dans sa chambre de l’Hôtel de France dans un Sétif presqu’entièrement
déserté par ses habitants européens, il fut inhumé, selon son vœu, dans le
tombeau des Grosso.
Je m’y suis pris à deux fois pour tenter de visiter ces tombes et rien n’a été possible. J’avais envisagé si j’avais pu accéder au cimetière de déposer quelques fleurs sur les tombeaux des Ryf, des Grosso et, sans doute ici et là, sur des tombeaux dont les noms auraient évoqués pour moi ce lointain passé, ce monde fini. Cela aurait évoqué la dernière scène poignante de « Quand passent les cigognes » ! La belle actrice, Tatiana Samoilova est sur le quai de la gare de Moscou et un train déverse son flot de jeunes soldats qui rentrent de la guerre. Elle apprend que son fiancé, lui, ne reviendra pas. On la voit alors distribuer, une à une, les fleurs du bouquet qu’elle lui destinait aux jeunes soldats et à leurs familles en liesse.
Je n’ai distribué aucune fleur. Les deux fois où j’ai tenté ma visite les grilles sont demeurées fermées. J’ai fait le tour du cimetière le long d’un haut mur vieilli et un peu crasseux où l’on voit seulement les cyprès vert sombre qui dépassent. Le grand portail noir métallique était fermé par une chaîne et, à travers un tout petit trou au niveau de la serrure j’ai aperçu la grande allée bordée de cyprès et quelques tombeaux qui m’ont paru bien entretenus. J’ai ressenti une frustration. Être là, si prés et ne pouvoir saluer mes vieux morts !
Il y avait aussi un chien derrière le
portail dont je n’ai vu que le petit bout de la truffe de son museau à qui le
gardien pour vaquer à d’autres occupations, avait confié le soin de veiller sur
ce lieu.
Ah ! mes vieux morts de Sétif vous
vous êtes ligués avec la source d’Ain Fouara dont on dit que si l’on boit de
son eau, on revient à Sétif et j’en ai bu ! Peut-être, en effet, dans les
années qui me restent, l’envie me viendra-t-elle de venir vous voir ! Vous
êtes bien seuls depuis si longtemps ! Les ondes du souvenir doivent vous
parvenir mais leurs intensités diminuent d’année en année et vous allez entrer,
comme c’est le lot de chacun, dans des millénaires d’oubli.
Et toi, petit chien dont je n’ai vu que
le bout du museau, veilles sur leur repos. Oh, tu n’auras pas beaucoup de
travail car les quelques habitants de Sétif que j’ai rencontrés dans mes
déambulations, se sont montrés amicaux et chaleureux et ne feront jamais rien
contre ce lieu de mémoire. Demeurez donc en paix mes vieux morts de Sétif. Peut-être
avez-vous senti ma présence qui tournait autour de ce haut mur.
J’ai donc quitté Sétif sur cette
frustration car je suis passé pour une dernière tentative, au cimetière le
matin même de mon départ pour Constantine.
La route qui nous conduit vers l’antique
Cirta est belle et j’ai admiré cette campagne où les blés commençaient à
jaunir, les champs de coquelicots, les mauves ici et là, les boutons d’or et
autres fleurs des champs, les montagnes, un peu bleues, des Babor dans le
lointain. J’essayai du regard d’imaginer, car j’étais incapable de les situer,
dans cette campagne les fermes de la famille : Guinguette où j’ai vécu mes
premières années, El Ackrich la ferme de l’oncle Marcel, Bir Oumada celle de
l’oncle Emile. Je m’étais, à un moment, posé la question d’aller sur place
mais, sachant que ces fermes avaient été détruites au moment de la guerre, j’y
ai renoncé.
Qu’aurai-je trouvé ? Des pierres
amoncelées, des restes de bâtiments, des toitures de tuiles rouges défoncées et
la campagne, tout ce que je vois à travers les vitres de la voiture. Moins
encore que les pauvres restes que j’ai trouvé à Sétif. Inutile.
Mes compagnons de voyage pensent que je contemple la beauté de ce paysage, si verdoyant et fleuri en cette période. Ils admirent aussi. Je scrute au loin les montagnes bleutées. Je cherche des yeux. Peut-être cette montagne là ou celle-ci, est-elle le Djebel Youssef au pied duquel mon grand-père et mon oncle ont été tués...
Cette visite à Sétif, tant espérée pendant des années, se termine donc d’une manière un peu triste malgré quelques contacts humains chaleureux et, cette ville n’ayant guère d’attrait touristique, je me disais, au fond de ma voiture, que c’était probablement la dernière fois que mes yeux voyaient ces paysages, que plus jamais mes pas me ramèneraient dans cette partie du pays. Cependant tout en pensant et en écrivant cela, je me dis qu’il ne faut jamais jurer de rien et que, peut-être, un jour j’aurai encore envie de revoir ces hauts plateaux et l’antique Sitifis des romains ! Sait-on, en effet, comment fonctionne la mémoire et le désir ?
Pour Constantine mes attentes étaient
encore plus grandes.
Si Sétif est le berceau de ma famille
paternelle et qu’une partie de notre histoire s’est écrite là, je n’y ai que
très peu vécu, quelques mois à peine.
Constantine par contre, c’est mon enfance et mon adolescence. J’y suis arrivé en 1952 et j’ai quitté cette ville pour Alger en 1959. Sept ans donc mais sept ans à ce moment fondateur de l’existence : l’école, les amitiés d’enfance, les jeux et l’insouciance, ces moments que l’on n’oublie jamais lorsqu’ils ont été, comme cela a été le cas pour moi, heureux et sans nuages. Constantine c’est le cœur de ce pèlerinage.
Ma géographie personnelle de cette ville
était bien présente dans mes souvenirs et j’ai retrouvé quasiment intacts tous
ces lieux où, enfant puis jeune adolescent j’ai déambulé. La ville s’est
considérablement agrandie et modernisée. Des ponts nouveaux dans cette ville
qui en comptait déjà beaucoup ont été construits, un tramway a remplacé les
vieux trolleybus de mon enfance, des téléphériques ont même été construits pour
relier un côté des gorges à l’autre, mais le centre et le quartier Bellevue où
nous habitions n’ont guère changé ou si peu.
A peine arrivé à mon hôtel j’ai été accueilli par Lazare que j’avais quitté en 1959 alors qu’il devait avoir six ou sept ans et que j’ai retrouvé avec plaisir plus de cinquante après !
Il est vrai qu’avec les enfants de cette
famille, nos voisins à Bellevue, je n’ai jamais vraiment rompu le lien. Lorsque
en 1980 j’ai songé une première fois à faire ce voyage, j’avais repris contact
avec le père de famille. Mon père lui-même avait correspondu avec eux après
notre arrivée en France. Puis le temps s’était écoulé et j’ai renoué avec
Mounira la sœur aînée, celle qui faisait partie de notre bande à Bellevue,
grâce à internet et j’ai raconté ces retrouvailles dans une nouvelle que j’ai
publiée en 2004.
Avec Mounira il y a quelques années et
avec Lazare cela aurait pu ne pas accrocher, nous aurions pu devenir des
étrangers, tant le temps avait coulé. Et bien non. Nous avons repris notre
dialogue comme si la séparation datait d’hier.
C’est donc en compagnie de Lazare que j’ai effectué ce matin de mon arrivée, le trajet qui me menait, jeune lycéen, à mon Lycée d’Aumale aujourd’hui Reda Hohou. Le trolleybus me déposait Place de la Brèche, vaste esplanade, située à l’endroit où les français percèrent les défenses des constantinois après un siège difficile. Pour moi cette Place me rappelait la promenade que mes parents nous faisaient faire de temps en temps et où notre plaisir était de prendre un cornet de glace. C’était aussi de là que je partais le matin pour le Lycée en empruntant la petite rue Caraman. C’est elle que j’ai donc repris, ce matin-là avec Lazare et plus de cinquante après !
Elle n’a guère changé et conduit, à son
bout, à l’emplacement de mon lycée au bord des gorges du Rhumel. Au bout de la
rue la vue s’ouvre sur un paysage à la fois sauvage et grandiose que les hommes
ont dompté. Des gorges profondes, superbes, se dressent devant nous et d’un
côté la passerelle sidi M’Cid, pont suspendu, que nous empruntions, enfants,
avec effroi car elle bouge légèrement lorsqu’il y a un peu de vent. Sur les
hauteurs, derrière cette passerelle le monument aux morts, entouré d’un bouquet
d’arbres, domine ce paysage magnifique et la vue depuis cet endroit est encore
plus époustouflante. Sur la droite du monument, tout le secteur de l’hôpital.
Je monte aussitôt vers la placette
devant le lycée qui domine les gorges et où nous attendions, le matin, par tous
les temps, l’ouverture des portes. Nous sommes un vendredi jour férié en
Algérie et il n'y a aucun élève. Seul le gardien est sur le pas de la porte et
nous discutons pendant qu’il me laisse entrer dans la première cour de ce lycée
que mon père a aussi fréquenté. Je retrouve ce lieu, lui totalement inchangé,
avec le seul regret de ne pas y avoir vu la vie animée et bruyante avec ses
élèves, dans le fond pas si dissemblables de celui que j’ai été naguère.
Je vois aussi l’emplacement juste à la
sortie de la passerelle où mon père garait sa voiture lorsqu’il venait me
chercher. Il se garait derrière la voiture, une très belle Facel Vega de Madame
Bel, la mère d’un condisciple que j’ai retrouvé, bien des années après à Paris.
Cette femme, algérienne, qui avait épousé un français à une époque où cela
était assez mal vu, était une lettrée, pratiquant encore, à notre époque, le
latin et le grec et m’intriguait. J’ai eu, un moment l’envie d’écrire une
nouvelle. Je me suis contenté d’en écrire le titre : « La dame du pont
suspendu »; et cela n’a pas été plus loin.
Nous contournons ensuite la ville par la
route en corniche qui part du lycée et qui, à travers tunnel et mirador sur la
campagne au bas du rocher parvient jusqu’à la place de la brèche en permettant
des vues somptueuses qui, ce jour-là, par un temps ensoleillé, étaient un
magnifique cadeau de bienvenue.
Lazare nous a ensuite invités à un déjeuner chez lui avec sa famille et nous avons pu, à loisir, évoquer nos souvenirs d’il y a plus de cinquante ans mais aussi l’Émir Abdelkader dont j’admire la personnalité, qui a donné son nom à une grande mosquée pas très loin de Bellevue et dont la famille maternelle de Lazare est issue.
Le déjeuner terminé, Lazare m’a conduit
à Bellevue Supérieur dans ce quartier des sept tournants où s’est déroulée mon
enfance. Ce quartier n’a guère changé ou si peu. Il a seulement vieilli. Ses
murs sont plus ternes, plus gris, plus abîmés. On a visiblement renoncé à
l’entretien. Quelques coups de peinture, des clôtures un peu moins hautes qui
empêchent le regard et j’aurai retrouvé ce quartier intact. Je l’ai parcouru
avec fébrilité. Ce quartier, au temps de mon enfance était au bout de la ville
et les dernières maisons donnaient sur la campagne qui s’étendait au loin,
champs, collines et voilà que ce qui était, pour le jeune garçon que j’étais le
bout du monde, s’ouvre aujourd’hui sur une zone urbanisée qui a repoussé loin
la campagne. Voilà donc mon « Bellevue » inséré dans la ville et
devant moi cinquante ans de constructions ! Au-delà de Bellevue, nous
avons visité la mosquée Émir Abdelkader, joli monument dont l’esplanade domine
une vaste étendue qui a été édifiée sur ce qui était de mon temps la campagne
et qui a été gagné par la ville.
Chaque maison dans ce quartier – et elles sont restées presque toutes les mêmes - évoque des visages, des moments et des vies. Celle de la rue Jules Verne, face à l’école Jean Jaurès est restée identique et sans y entrer , je peux situer la cuisine, le salon, et les chambres. Elle s’est seulement, comme beaucoup d’autres, clôturée davantage.
A côté, par contre la maison qui touchait à la nôtre, séparée seulement par un mur où vivait mon ami Philippe Laygue et où se trouvait également le siège de la DST dont son père était commissaire, a été complètement détruite et une autre maison plus grande, plus prétentieuse, d’une architecture jurant avec les petites maisons des années cinquante de ce quartier, a été édifiée. Je le dirai à Philippe et il verra les photos. Lazare me dit que, à peine terminée, son propriétaire est décédé et qu’elle n’a jamais été occupée. Si je croyais à la pensée magique , j’y verrai une malédiction ! J’y ai pensé tout de même puisque l’idée m’en est venue. En descendant, le petit appartement avec sa terrasse, aujourd’hui disparue, qu’occupait mademoiselle Riban ma première institutrice.
Un peu plus loin la villa où résidaient deux sœurs, apparemment sans mari et qui élevaient un jeune garçon, toujours dans leurs jupes et un peu efféminé. Pendant quelques mois ces dames aux chignons très blonds me conduisaient avec ce garçon au Lycée. Le souvenir que j’en garde est le froid sibérien qui me frigorifiait et me faisait me recroqueviller au fond de la voiture. Oui c’est bien à Constantine que j’ai connu les froids les plus intenses ! Les maisons, à l’époque dans ce pays n’étaient pas équipées de chauffage et j’ai le souvenir que nous nous tenions par les jours d’hiver autour du poêle à bois dans la petite salle à manger et que, au moment du coucher, lorsqu’il fallait monter dans les chambres nous quittions ce petit coin chauffé pour des chambres et des draps glacés.
Juste à côté la villa des Blanchard, le père marchand de meubles avait son magasin dans la rue Rohault de Fleury sous les arcades. Vivaient là Joëlle l’aînée âgée de 12 ans et la cadette Marie-Thérèse d’une dizaine d’années. Joëlle fut mon premier amour ! Elle et sa sœur nageaient régulièrement à la piscine de Sidi M’Cid au bas des gorges.
Plus bas encore, dans un des tournants
du quartier, voici le garage où mon père garait sa voiture Peugeot et d’où, un
jour, pris par je ne sais quelle idée, j’avais sorti la voiture et fais
quelques tours dans le quartier ! J’avais quatorze ans. Je ressens encore
la tension du moment, tout entier concentré sur la conduite, très lente, de
cette voiture les mains crispées sur le volant et les pédales d’accélérateur et
de freins. Un rêve pour le jeune garçon que j’étais passionné d’automobiles
mais un rêve qui s’est terminé par une sérieuse réprimande, mon père ayant été
aussitôt et presque instantanément informé par le téléphone arabe du
quartier !
Une rue plus loin voici le garage d’une maison dont j’ai complètement oublié les habitants et dans lequel, avec ma petite bande nous avons répété et joué quelques scènes des Plaideurs de Racine. Il me semble me souvenir que j’avais été à l’origine de cette initiative. Je devais avoir étudié les plaideurs en 5° à mon lycée d’Aumale. Affublés de costumes de juges et d’avocats, confectionnés dans des chutes de tissus trouvés dans nos familles et cousus par les mères, nous devions avoir fière allure !
Je relis, au moment où j’écris ces lignes les plaideurs de racine pour essayer d’y trouver les quelques scènes que nous avions choisies. Amusement enfantin classique mais le théâtre et le thème des plaideurs n’ont-ils pas eu leur rôle, modeste sans doute, dans le choix de mon métier d’avocat où le théâtre n’est jamais bien loin ? Qui peut le dire ? Ce fut ma première expérience théâtrale. Dans la seconde, plus âgé, à la faculté de Droit de Pau je fus un Inquisiteur dans l’Alouette de Jean Anouilh, un rôle de procureur de mauvaise foi où j’avais fait preuve, paraît-il, d’un certain talent en harcelant la pauvre Jeanne de ma voix métallique.
Mais voilà qu’à partir d’un simple
garage dans une villa de Constantine me revient aussi d’avoir été l’acteur
d’un film amateur, réalisé par mon ami Michel à Alger dans les années
soixante. Il m’a envoyé, il y a peu, une copie numérisée de ce petit film qui
me semble être, le son ayant complètement disparu, une histoire d’amour
tragique ! Ce film a été tourné chez Michel à Saint Eugène aujourd’hui
Bolognine avec son cimetière et au-dessus Madame l’Afrique si chère à Jules
Roy.
A la nuit tombée j’ai parcouru d’autres quartiers : l’ancien Saint Jean, Les Pyramides, la rue Rohault de Fleury et ses arcades et je suis passé tout prés de la prison de Constantine. C’est un lieu, aujourd’hui très protégé mais j’ai pu apercevoir l’entrée du Bâtiment. Il évoquait pour moi l’endroit où mon père a exercé son activité d’inspecteur de l’identité judiciaire pendant tout le temps où nous avons habité Constantine. J’ai une veille photo où nous sommes, mon frère et moi, dans le bureau au milieu de casiers de fiches anthropométriques, d’appareils de photos, de fichiers divers. Tout cela évoque un monde disparu et l’identification judiciaire a fait, on le sait, des progrès immenses avec l’informatique et l’ADN. Le local que j’évoque, rappelait plutôt le XIX° siècle et une étude de notaire du temps de Balzac !
En 1958-1959, mon père fut nommé à Alger au service des infractions financières de la Police Judiciaire et nous avons dû quitter Constantine, le quartier Bellevue et la Rue Jules Verne. Si ma mémoire est fidèle, ce départ s’est fait en deux fois. Je suis parti le premier avec mon père, ma mère restant à Bellevue avec ma sœur et mon jeune frère. Il fallait, en effet, que mon père, en éclaireur, recherche un logement et prépare l’installation de la famille.
Ce fut une période un peu chaotique. J’ai logé d’abord avec mon père dans une caserne à Hussein-Dey puis chez une tante, dans le quartier du Champ de Manœuvre. Elle me conduisait tous les matins, dans sa quatre chevaux Renault, au Lycée Bugeaud où j’étais en seconde. Monette était une très belle femme, brune que l’été avait encore bronzée, la trentaine triomphante. Avec une fleur rouge dans les cheveux et un peigne surmonté d’une mantille, elle aurait ressemblé à ces très belles andalouses qui arrivent à cheval, en amazone, ou en calèche à la feria de Séville. Je l’aurai laissée, dans ce cas, à la porte des arènes, ne voulant, pour rien au monde, assister à ce spectacle, certes très beau, très haut en couleur, plein de lumière et de musique, mais cruel et qui, selon moi, ne peut qu’éveiller les plus bas instincts de l’homme.
Je garde un heureux souvenir de ces voyages matinaux jusqu’au Lycée, moins heureux de m’y enfermer une journée entière, puisque j’étais demi-pensionnaire.
* Voyage avec guide : du 3 mai au 13 mai 2016.
** Musée National de Sétif : Mosaïque Dionysiaque de Sétif (illustrant le triomphe indien de Dionysos).
Cette mosaïque, découverte fortuitement dans le quartier du temple à Sétif, à la suite de pluies torrentielles, en févier 1970. est l'une des plus belles du monde : la précision de ces micro pierres colorées en font en effet une image pixelisée avant l'heure où même l'ombre des personnages est représentée !
Quand l'Algérie était Française
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« LA VALISE OU LE CERCUEIL »
RépondreSupprimerhttps://www.youtube.com/watch?time_continue=3354&v=lghZQSfhDWY
Palestro en kabylie histoire d'une embuscade documentaire Guerre d'Algérie
RépondreSupprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=F7tw-nI-vf8
UN ARRIÈRE GRAND PÈRE FRANC-MAÇON
RépondreSupprimerGottlieb RYF, né le 9 janvier 1839 à Horgen en Suisse, Agronome à Sétif, a été initié par la Loge « L’Union Sétifienne » le 21 décembre 1899, passé au grade de Compagnon le 23 novembre 1900 et élevé au grade de Maître le 26 avril 1901.
Il est resté membre de la Loge jusqu’à son décès en septembre 1906.
Zoubida Belkacem :
RépondreSupprimerLe jardin d'Essai à Belcourt Alger : Pour l'anecdote, une scène mythique du film Tarzan, fût tournée dans ce jardin des plantes endémiques.
LA CULTURE SELON LES COMPLEXÉS DE L'HISTOIRE ...
RépondreSupprimerDepuis la prise du pouvoir par le FLN en Algérie, il leur fallait une histoire officielle et une culture officielle rejetant en vrac tout le passé de l'Algérie française !
Ainsi la Villa Abdeletif, la Villa Médicis d'Alger, est à l’abandon et tous les tableaux de cette époque, sont cachés au sous sol de villa ... exprimant une volonté politique de responsables n'ayant toujours pas digéré leur histoire pour pouvoir avancer, puisque les gouvernant imputent toujours leurs échecs à la colonisation bien que l'Algérie soit indépendante depuis 1962 !
Pourtant Kateb Yacine a toujours revendiqué l'héritage de la culture française qu'il considère comme butin de la guerre de l'Algérie.
Mais le FLN voulait d'une histoire officielle correspondant à la colonisation arabe, à l'exclusion de celle des turcs et celle des français !
Son programme dés lors, est d'arabiser et de ré-islamiiser la société algérienne pour lui faire recouvrer son identité "arabo-musulmane"; préférant même remplacer le malékisme et le soufisme ancestraux des algériens, par le wahhabisme !
Bravo à Bourguiba, qui a su inculquer aux tunisiens l'amour de la France et de sa culture, ne confondant pas celles-ci avec des gouvernement colonialistes et racistes !
Il a décomplexé les tunisiens vis à vis de la France.
Les seuls à continuer à ressasser la colonisation, sont les complexés de l'Histoire, que sont les pan-arabistes & les pan-islamistes !!
https://www.youtube.com/watch?v=V7aosAVa8Sk&feature=youtu.be&fbclid=IwAR1gmVg2IBiL1A5JmufnKv5mAgb8aB8AH0tvbeMLvsTy6RgYnG--j6GWsvc
PS : Villa Abd-El-Tif un film de Jacques Charlet, datant de 1959
https://www.youtube.com/watch?v=rZYHAMD_E4A&feature=youtu.be
L'Algérie, mémoire d'un beau pays
RépondreSupprimerhttps://www.liberation.fr/voyages/2020/04/11/l-algerie-memoire-d-un-beau-pays_1784590?xtor=rss-450&fbclid=IwAR00vFgcjFnpYFf2GIz82CYmkwrd9vTvRpbk4DvvBNe9LBoUsdtDkBJQKEI
Roger Vétillard pose un regard "lucide et objectif" sur l'hitoire de l'Algérie française.
RépondreSupprimerhttps://fr.wikipedia.org/wiki/Roger_V%C3%A9tillard
Préface d'un livre sur la Compagnie Genevoise
RépondreSupprimerJean-Pierre Ryf :
Passé une journée agréable dans la vallée du Barousse chez M. Roger Vetillard qui m'a remis un exemplaire du livre qu'il vient de faire paraître sur la Compagnie Genevoise des colonies suisses de Sétif en partant du mémoire de Mlle Magneville et en y ajoutant notes et commentaires très intéressants.
Je publie ci dessous la préface que j'ai donnée avec mon cousin Patrick et qui, je l'espère, vous donnera l'envie d'en savoir plus sur cette épisode de la colonisation en Algérie.
Préface
Ce livre est l’édition du travail de Mademoiselle Suzanne Magneville en 1951 sur la Compagnie Genevoise des Colonies Suisses de Sétif, augmenté d’un important appareil critique, notes, commentaires, annexes dû à Monsieur Roger Vétillard, né à Sétif et historien reconnu de la période coloniale et qui a écrit notamment des livres sur les évènements de 1945 dans cette ville.
Pour les signataires de cette préface avec l’évocation de la Compagnie Genevoise, c’est tout un pan de la vie de leur famille qui revient en mémoire et, dans les réunions de famille, encore aujourd’hui, il n’est pas rare que le nom de cette compagnie ne soit, à un moment ou à un autre, évoqué.
Par ailleurs, l’un des signataires de cette préface a connu Mademoiselle Magneville dans une circonstance étonnante et fortuite. Ecrivant son premier livre : "Algérie, Algérie; que me veux-tu ? ", il rencontra l’auteur de ce travail le premier jour de ses recherches aux Archives d’Afrique du Nord à Aix en Provence, discuta avec elle de la Compagnie et reçut de sa part un exemplaire de ce mémoire !
Mais tout cela n’est qu’anecdotique et ne mériterait pas d’être publié alors que le travail universitaire de Mademoiselle Magneville tel qu’il est aujourd’hui, augmenté et complété, est un document pour l’histoire.
Il nous montre une partie du peuplement de la région de Sétif par des Suisses; et l’appareil de notes, complète bien l’information sur ce point et décrit également un mode de colonisation originale par des financiers Suisses qui, sur ce point, ne manquaient pas d’imagination créatrice !
Il montre aussi que la Compagnie Genevoise et, en particulier sous la direction de l‘aïeul des signataires, a favorisé et permis le progrès de l’agriculture dans la région de Sétif.
Les signataires ne pouvaient qu’être sensibles à la longue et louangeuse description du travail de Gottlieb Ryf à laquelle s’est livré Mademoiselle Magneville.
Il montre enfin que la Compagnie Genevoise a fait l’objet de critiques depuis son origine et jusqu’à la fin, à la fois par l’administration coloniale qui n’appréciait pas les faveurs que lui accordait Napoléon III, par ses métayers qui se trouvaient injustement traités et même par la population et les élus locaux comme cela est montré, notamment, par les innombrables procès qu’a engagés ou subie la Compagnie.
Enfin, ce travail et notamment l’appareil critique de M. Roger Vétillard, montre que ces capitalistes suisses furent satisfait de se séparer de la Compagnie aux meilleurs conditions possibles dès que l’horizon se noircit; et cela sans état d’âme !
En définitive, ce livre est véritablement un travail pour l’histoire. Il est particulièrement bienvenu à un moment où en France et en Algérie cette question de la mémoire est particulièrement sensible. Les signataires pensent que seul le travail des historiens réalisés avec objectivité et sérénité peut faire progresser ce problème en évitant, le plus possible, les destructrices passions nostalgiques".
Jean Pierre Ryf et Patrick Ryf
https://www.facebook.com/photo/?fbid=10224818118373658&set=pcb.10224818118693666
Alain Gaillet, cousin de Jean Pierre Ryf, raconte la disparition de son père Albert Gaillet ...
RépondreSupprimerhttps://www.cdha.fr/disparus-les-temoignages-du-cdha-6
Roger Vétillard écrit à Jean Pierre Ryf ...
RépondreSupprimerCher Ami,
Voici quelques informations recueillies au cours de mes recherches sur la Compagnie algérienne. Elles devraient vous intéresser.
Vous savez désormais que Gotlieb a quitté Sétif en 1873 pour aller du côté de Penthièvre (aujourd’hui Aïn Berda).
Le lac de Fetzara se situe à une dizaine de km au nord-ouest de Penthièvre.
En novembre 1872 l’Etat confie à la Société Générale Algérienne 13 000 hectares de terres marécageuses autour du lac de Fetzara. Elle devait les assécher sans en obtenir la propriété qui restait à l’Etat. La Société installe son personnel à Penthièvre.
Gotlieb a-t’il été embauché par la Société Générale, je ne le sais pas. Mais il y a une concordance spatio-temporelle entre son déménagement et la mission de Société.
Ces terres n’étaient pas très fertiles aux dires mêmes de la Société Générale Algérienne.
En novembre 1877, la Société Générale Algérienne est en grandes difficultés. Elle disparaît et ses biens sont donnés à la Compagnie Algérienne sauf les terres autour du lac Fetzara dont l’Etat conserve la propriété. Et c’est à ce moment que Gotlieb quitte Penthièvre pour Ain Regada où la Compagnie installe son directeur d’exploitation (il s’agit de Gotlieb) dans une ferme du nom d’El Haffaf située à une dizaine de km au sud-est d’Ain Régada. Dans le jardin de cette ferme ont été trouvées des pierres gravées d’inscriptions libyques retrouvées par Hans-Georg Pflaum, un historien franco-allemand (pour l’instant ?).
Je n’en sais pas plus sur le sujet …
Bien amicalement
Roger Vétillard
Reine Marguerite DESCHAMPS (1892 – 1922).
RépondreSupprimerPassage entre deux rives.
Patrick Ryf :
Biographie :
Reine, Marguerite DESCHAMPS est née à Sétif, Algérie le 5 décembre 1892,
Son père, Adolphe Joseph DESCHAMPS est originaire de Roubaix, dans le nord de la France, Il émigre en Algérie vers 1885.
Il se marie à Sétif en 1887 avec Alexandrine PASSERON, originaire de Puget, en Provence.
Adolphe exerce le métier de limonadier à Sétif et Alexandrine est commerçante.
En 1899, elle a 6 ans, lorsque son père décède à Sétif le
5 mars 1899 ¹.
C'est sa mère, Alexandrine, qui va continuer à s'occuper
d'elle et poursuivre son éducation.
Alexandrine se remarie à Sétif, en 1901 avec Jean César BICAÏS,
maître sellier, originaire de Manosque en Provence.
Il sera toujours là pour soutenir et aider sa belle-fille
dans son avenir, Reine a tout juste 16 ans lorsqu'elle se marie à Sétif avec Arnold RYF, le 28 avril 1909 ²,
En 1917, Reine fait un voyage en France où elle va rejoindre son mari Arnold, qui se trouve sur le front de l'Est.
Elle accouche le 8 juin 1917, de son cinquième enfant au domicile du chef de gare du village de Herbisse, dans l'Aube, non loin des champs de bataille de Champagne.
L'enfant, une fille, sera prénommée Simone Rose Alexandrine ³,
Mai comment expliquer ce long voyage, si difficile en temps de guerre, pour arriver presque sur le front pour accoucher ? ,,,
Après l'armistice de la première guerre mondiale (le 11 novembre 1918), Arnold sera démobilisé et s'installera à partir du 24 février 1919 dans la ferme de Bir Roumada (commune de Chasseloup-Laubat) avec son épouse Reine et ses 5 enfants.
Cette ferme, fort isolée, au sud de Sétif, est la propriété
de son frère aîné, Emile RYF, qui a hérité en 1906, de son père Gottlieb.
Arnold et sa famille y resteront pendant deux années, et le 8 mars 1921, ils gagnent le Faubourg des Jardins à Sétif, quartier résidentiel plus favorable pour l'accomplissement de ses fonctions de
secrétaire-comptable au sein de la Compagnie Genevoise dont le siège est à Sétif, rue Jean Jaurès.
Arnold et Reine, auront six enfants :
- André Ernest RYF (1909-1972) ;
- Georges Lucien RYF (1911-1912), jumeau avec ;
- Marcel René RYF (1911-1958) ;
- Lucien Jean RYF (1914-1946) ;
- Simone Rose RYF (1917-1940) ;
- Lucas RYF ( ? mort né ?),
Cinq de ses enfants subiront une mort prématurée ou tragique,
Son parcours prend fin en 1922, le 14 mars : Reine, 29 ans, décède à Sétif à la suite d'une courte maladie.
Vingt neuf années plus tard, en 1941, l'aîné des enfants de Reine, André, « publie un recueil de nouvelles : " Le défaut de la cuirasse ", et la seconde de ces nouvelles qui s'intitule " Le Cabot "
concerne ce drame intime qu'il n'avait pas oublié, mais qui, en réalité, le possédait encore tellement qu'il ressentait le besoin de l'écrire , » (⁴)
Rédigé dans un style autobiographique, et publié par la suite aux Editions Ophrys à Gap, ce recueil révèle les traumatismes subits, un an à la suite du décès tragique de sa soeur et en particulier la perte
de sa mère. André, n'avait que 13 ans.
* Sources d'archives :
(¹) ANOM – acte de décès n°35 du registre des décès de la commune de Sétif,
(²) ANOM – acte de mariage n°18 du registre des mariages de la commune de Sétif,
(³) acte n°2 du registre de l'Etat-Civil de la commune de Herbisse, Aube, France,
- ANOM : Registres Matricules Militaires-FR ANOM 3RM 62 / Ryf Constant Arnold/classe 1904,
* Sources bibliographiques :
(₄) "Algérie, Algérie, que me veux-tu ?", Jean-Pierre RYF, éditions atlantica, 1999,
* Iconographie :
- Archives photographiques : Album photos de famille - « Algérie 1890-1939 »,
Mr Desmoulins - Lycée Bugeaud (Alger)
RépondreSupprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=JWR5J0YW2RM
Michel Geromboux : " Une scène dramatique de 9'5 "
RépondreSupprimer(Film Muet - 1959)
https://www.youtube.com/watch?v=XQbqmYkryjA