Article paru dans : Kapitalis
Opposition : soyez réalistes, mais visez loin !
On vient d'assister à une tentative de remaniement
ministériel qui est vraiment le degré zéro de la politique.
En dehors d'un remaniement purement technique, un
remaniement devrait être l’occasion de prendre un nouveau cap et de montrer une
nouvelle ambition de réaliser les objectifs de la révolution ; ce qui
pourrait rendre leur confiance aux tunisiens au pouvoir en place. Ici rien de
tel.
Ce remaniement a, en réalité, deux raisons essentielles :
- donner l'impression du mouvement quand rien ne bouge,
autrement dit changer pour ne rien changer ; et
- satisfaire quelques appétits en favorisant tel ou
tel, tout en gardant l’hégémonie des islamistes sur le pouvoir puisqu’ils
conservent les postes régaliens qui posent problème à l’ensemble des tunisiens
par un comportement partisan systématique de la part des ministres qui les
occupent ; qui ne discernent toujours pas l’intérêt général de celui de
leur parti Ennahdha que le CPR et Etakatol suivent. Les deux partis
accessoires de la troïka, ont-ils d’autres choix ?
Le gouvernement en place vient, par ailleurs, de donner sa
feuille de route et si ce pouvoir n'avait pas en plus l'idée, évidemment non
proclamée, de changer de modèle de société, on pourrait applaudir des deux
mains cette liste d'objectifs mais qui n'est, en fait, qu'une
série de vœux.
On peut, sans être excessivement pessimiste, se demander de
quelle manière ce pouvoir peut aller vers ces objectifs, lui qui en plus d'un
an, n'a strictement rien fait dans ce sens.
Avec ce genre de politique, la Tunisie n'ira
évidement pas bien loin et l'opposition aurait intérêt à en tirer des leçons
pour l'avenir. Il lui faudra prendre de la hauteur.
Les Tunisiens qui aspirent à la démocratie en ont assez des
politiques politiciennes sans vision et sans ambition. Ils sont capables de
comprendre et d’adhérer à un programme ambitieux, difficile mais dont ils
sauraient la sincérité. Depuis le 14 janvier 2011, les tunisiens ont montré
leur intérêt pour la politique et démontré une assez grande maturité : ils
refusent désormais le tutorat de ceux qui voudraient encore les traiter comme
d’eternels mineurs car ils sont capables de discerner les promesses populistes
et mensongères !
Une période électorale va venir. Il faut mettre en garde
l’opposition contre les promesses fallacieuses. Ennahdha avait fait des
promesses inconsidérées pour tromper les électeurs et l’on voit bien que cela
lui revient comme un boomerang. Les réactions violentes à Sidi Bouzid pour
l’anniversaire de la révolution ne sont-elles pas le signe de cette désillusion
?
Et ce ne sont pas les « bonbons » jetés à M.
Marzouki à Tozeur, qui changeront quelque chose !
Voici les conditions qui doivent être mises en œuvre par
l’opposition si elle veut non seulement remporter les élections, ce qui est un
préalable nécessaire ; mais aussi, et surtout, faire progresser le pays,
le faire poursuivre sa marche vers la modernité et assurer le plus de justice
sociale possible :
L’opposition a un premier devoir, impératif, nécessaire:
c’est celui de s’unir !
Devant le danger du fascisme islamiste dont les tunisiens
ont eu suffisamment de preuves à travers les « événements » de La Marsa , de Siliana, contre
l’UGTT, de Sidi Bou Zid, de Tataouine, de Jerba … avec des appels au meurtre …
et un assassinat politique …
L’expérience a montré que la multiplication des petits
partis, des petits egos, conduit mécaniquement à la victoire des islamistes.
Or faut-il rappeler que par le passé, bon nombre des partis
de l’opposition, pour certains idéologiquement opposés, ont pactisé pour mieux
résister au tyran d’alors : ZABA !
Qu’est-ce qui les empêcherait de refaire la même chose pour
faire barrage à celui qu’ils avaient soutenu par le passé et qui s’avère un
dictateur en herbe !
Pourquoi ne pas s’unir dans un Front Républicain
Unique ! Ce que tous les progressistes peuvent comprendre aisément
d’autant que l’islamisme représente un danger pour tous. La Tunisie et les tunisiens
ne méritent pas d’être abandonnés à nouveau à une dictature, pire que les
précédentes, car elle sera théocratique … et Ghannouchi ne s’en cache
plus !
En second lieu, il est clair que l’opposition ne devra pas
faire, comme les islamistes, des promesses intenables et qui ne pourront que
susciter le rejet et la déception.
Il lui faudra tenir un discours de vérité et dire que la
situation économique et sociale est grave et qu’elle a été encore aggravée par
le pouvoir actuellement en place. Si des solutions existent, elles ne sont pas,
de toute évidence, à effet immédiat.
Ce qu’il faut impérativement, c’est donner au pays un
socle sur lequel bâtir.
Quelles sont ces solutions ?
Pour qu’un pays aille bien, il lui faut une économie
prospère. Dire cela est une évidence et c’est enfoncer des portes ouvertes. Ce
qui est moins évident, c’est de préciser les conditions d’une économie prospère.
- La première des conditions d’une économie prospère qui
permette d’attirer les investisseurs est que le pays ait des
institutions stables.
On a bien vu que l’instabilité actuelle a entraîné la
régression économique.
Des études ont montré que la liberté et la démocratie
favorisaient le développement économique.
- Si cette condition est remplie, il faut ensuite que le
nouveau pouvoir assure la sécurité des biens et des personnes et sanctionne
fermement toutes les atteintes à la loi. Aucun investisseur sérieux n’engagera
ses capitaux dans un pays où règne une insécurité permanente. Il y faudra donc
de la fermeté.
Des institutions stables et une politique de sécurité ne
suffiront cependant pas. Il faut aller plus loin.
Le nouveau pouvoir devrait articuler sa politique sur trois
axes essentiels :
- Il faut d’abord qu’il redonne à l’éducation la priorité
que lui avait donnée le Président Bourguiba.
Sur ce terrain, on a assisté depuis une quinzaine d’années
à une régression de l’enseignement public qui a vu se développer l’enseignement
privé et même, hélas, la nécessité pour les élèves de se payer des cours
particuliers ; condition devenue souvent nécessaire pour réussir.
Cette situation a crée de toute évidence une formation à
deux vitesses et a pénalisé les gens modestes tout en n’assurant qu’à peine une
formation de qualité pour les autres. Il y a là un chantier absolument
prioritaire tant le développement est lié à la formation. Il faudra pour cela,
que le budget de l’État prévoit un effort important et durable.
- Il faut aussi engager une lutte drastique contre
la corruption qui mine le pays depuis trop longtemps. Or la corruption
est également un frein sérieux au développement et aux investissements.
Si l’éducation a été la marque du Président Bourguiba et
s’il faut aller dans le même sens, la lutte contre la corruption peut être
et doit être le challenge du prochain pouvoir.
Lutter contre la corruption, les passe-droits, les
arrangements … c’est en réalité installer un état de droit ! Et un état de
droit est une des conditions première du développement car il assure ce dont
les investisseurs sont demandeurs : la
sécurité juridique et redonne la confiance aux tunisiens dans leur
justice.
Le gouvernement de Ghannouchi a cumulé les échecs dont
celui de la Justice qui
choque et heurte les tunisiens, quand la justice transitionnelle se transforme
en justice pour règlement de compte et de vengeance ! Faut-il rappeler le
cas de Sami
Fehri dont la détention abusive scandalise les tunisiens et leur
rappelle des pratiques qu’ils croyaient révolues depuis qu’ils ont dégagé
ZABA !! Et bien d’autres cas d’injustices révélant la volonté de
Ghannouchi de maintenir une justice aux ordres !
- Enfin, le dernier axe de la nouvelle étape et de la
nouvelle politique, sera d’assurer d’avantage de justice sociale entre les
tunisiens et entre les régions. On a bien vu que la révolution a fait
apparaître deux Tunisies, l’une de la côte plus riche et plus instruite et
l’autre des régions intérieures laissées trop longtemps à l’abandon. C’est un
défi difficile mais essentiel.
Aucune réussite ne viendra si ces trois projets ne sont pas
menés avec diligence, volonté réelle, sérieux et persévérance.
Voilà la plateforme que des partis d’opposition pourraient
adopter et sur laquelle tous devraient se reconnaître sans aucunement renoncer
à leurs valeurs. Alors il est clair qu’il faudra être honnête avec les
tunisiens qui sont capables d’entendre que tout cela est un chantier qui
prendra du temps. Cela n’empêchera pas, entre temps, de faire tout de suite un
effort de justice sociale.
Si le pouvoir s’engage sur ces bases, si les tunisiens sont
assez sages pour comprendre l’effort nécessaire et les sacrifices immédiats,
alors les investisseurs reviendront et l’économie redémarrera.
Rachid Barnat
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