chercheure au CNRS ; et
Ludovic Mohamed Lotfi
Zahed,
doctorant à l'EHESS
Depuis une vingtaine
d'années, des bouleversements remarquables ont lieu dans le champ de la
théologie et des interprétations de l'islam.
Ces nouveaux courants réformateurs contemporains, progressistes et inclusifs,
ont, contrairement au wahhabisme, promu l'égalité des sexes et pris en charge
les questions liées à la sexualité, à l'homosexualité et à la transidentité.
Ces nouvelles mobilisations ouvrent la voie à un réformisme contemporain et
à une transformation du religieux.
Il s'agit en premier lieu du féminisme islamique, apparu d'abord en Iran,
puis comme un mouvement intellectuel d'exégèse religieuse, défendant l'égalité
des sexes.
Si ces théologiennes travaillent le Coran, la tradition du Prophète et le
droit musulman, elles s'appuient en dernière instance sur l'exégèse critique
qu'elles font du Coran.
L'une d'entre elles, Ziba Mir-Hosseini, une sociologue enseignant à
Londres, a ainsi rappelé la nécessaire distinction entre la charia (la voie de
Dieu révélée au Prophète dans le Coran) et le fiqh (les
efforts humains pour traduire ce chemin en dispositions
juridiques).
Ce dernier est au fondement des diverses législations dans les pays arabes
et musulmans concernant le statut de la personne, à l'exception de la Turquie,
qui a adopté, en 1926, un code civil séculier inspiré du code suisse.
PRODUCTION DE LA NORME RELIGIEUSE
Ce retour des féministes à la primauté "absolue" du Coran a remis
en cause les écoles de droit islamique selon une voie déjà tracée par le
réformisme, tel qu'il fut amorcé par Mohamed Abduh, un penseur du tournant du XXe siècle.
Ces nouvelles exégèses ont aussi contesté l'autorité des institutions
établies et la question du consensus des savants dans la production de la norme
religieuse.
Un des effets de la réislamisation des sociétés
depuis les années 1970 a été la prolifération d'autorités productrices de savoirs religieux
se livrant à une concurrence vive.
Cette prolifération a favorisé l'émergence de théologiennes féministes qui
se sont engagées dans une compétition intellectuelle pour créer de nouveaux
points d'appui religieux, et récemment des interprétations gayfriendly du
Coran.
Toutes sont dans une démarche d'appropriation des sources de l'islam, qui
témoigne d'une individualisation du rapport au religieux, selon l'idée forte
: "L'islam, c'est nous."
Loin d'être univoques, les individualités et réseaux féministes islamiques
dialoguent par le biais d'Internet sans constituer un mouvement global unifié.
Certaines sont d'abord des femmes pieuses. D'autres sont féministes et
croyantes, et d'aucunes agissent au nom de la citoyenneté et de la démocratie.
Elles refusent d'être discriminées au sein de leur religion et se réservent le
droit de récuser des interprétations inégalitaires de l'islam qui sont au
fondement des lois sur le statut personnel.
TRANSITION POST-"PRINTEMPS ARABES"
C'est la position de la Malaisienne Zainah Anwar, fondatrice d'un
groupe pionnier du féminisme islamique, Sisters in Islam, en 1988. Un
positionnement qui se diffuse dans les contextes de transition
post-"printemps arabes" par le biais de débats sur la manière dont
pourraient être utilisées les ressources du féminisme islamique.
Depuis les années 2000, le féminisme islamique est entré dans une seconde
phase. D'un côté, cette herméneutique est devenue plus radicale, se fondant sur
l'esprit du Coran, des conditions actuelles des relations sociales et des
compréhensions contemporaines de la justice et
de l'égalité.
Ce qui a conduit Amina Wadud, Afro-Américaine convertie à
l'islam, dans son second ouvrage Inside the Gender Jihad : Women's Reform in Islam (Oneworld
Publications 2006), à réfuter la polygamie ou la violence de l'homme vis-à-vis
de son épouse mentionnées dans le Coran.
De l'autre, ces interprétations se diffusent. Un mouvement transnational
visant à disséminer les apports de ces exégèses féministes s'est tissé.
De nouveaux réseaux ont vu le jour, tels que le mouvement global demandant
l'égalité des droits au sein de la famille (Musawah), le comité consultatif
transnational des intellectuelles et théologiennes (Global Women's Shura Council) ou encore les conférences
présentées par l'organisation citoyenne des musulmans espagnols (la Junta
islamica) à Barcelone.
De l'intérieur des pays, des féministes islamiques se fraient un chemin au
sein d'institutions existantes.
Au Maroc, Asma Lamrabet, qui préside le Groupe international d'étude
et de réflexion sur la femme en islam (Gierfi), l'a associé en 2008 à une
institution religieuse influente du Maroc, la Rabita Mohammadia des oulémas.
En Turquie, le travail de relecture des hadiths de la théologienne Hidayet Tuksal a été intégré dans un
vaste chantier gouvernemental visant à retirer les hadiths [propos attribué au
Prophète et non retenu dans le Coran] misogynes des publications du ministère
des affaires religieuses, qui supervise les mosquées du pays.
En Indonésie,
ce sont des théologiennes, surtout issues de famille d'oulémas qui, depuis
vingt ans, se sont engagées dans une relecture féministe des textes religieux.
RECONNAISSANCE DE L'IMAMAT DES FEMMES
Ce mouvement est soutenu par le réseau des universités islamiques d'Etat où
elles enseignent et par les centres d'études du genre qu'elles y ont fondés.
La direction médiatisée et subversive d'une prière mixte par Amina Wadud,
à New York en 2005, a fait des émules et a
conduit à la reconnaissance de l'imamat des femmes par certains groupes
en Afrique du Sud, en Amérique du Nord et enEurope,
où, par exemple, en Angleterre, le Muslim Educational Centre of
Oxford organise des prières mixtes, où le sermon est délivré par une femme
imam.
Le réseau des mosquées du Tawhid, créé aux Etats-Unis par le Muslim forProgressive Values (musulmans
progressistes), fondé en 2006 par une femme imam indonésienne, Ani Zonneveld, a essaimé au Canada et
en France.
Cette association défend l'idée d'un islam inclusif prônant l'égalité entre
les sexes : la mosquée de Washington a ainsi été confiée à l'imam gay Daayiee Abdullah.
Les homosexuels, mais aussi les transsexuels trouvent leur place dans ce
courant réformateur qui se développe aux Etats-Unis, au Canada, en Afrique du
Sud, en Indonésie et en Europe, depuis les années 2000.
Si la démarche pionnière des féministes islamiques a inspiré ce mouvement,
une partie seulement d'entre elles s'est jusqu'alors jointe aux revendications
des homosexuels musulmans au sein du courant inclusif et progressiste.
Il a émergé à New York avec l'organisation d'une conférence internationale
sur l'islam et la diversité des sexualités par la première association
d'homosexuels musulmans créée dans le monde, Al-Fatiha, en 1999.
Ce mouvement s'appuie sur les travaux d'intellectuels engagés comme Scott SirajAl-Haqq Kugle, professeur à l'université Emory
à Atlanta. Celui-ci a publié en 2010 un ouvrage de référence Homosexuality
in Islam, (Oneworld Publications), dans lequel il considère, à partir d'une étude approfondie du Coran
et de la tradition prophétique respectant les règles strictes de l'exégèse,
qu'il n'existe aucun texte ou aucune tradition islamique authentique qui
condamnerait l'homosexualité.
En France, il faudra attendre 2010 pour que soit fondée
l'association HM2F (Homosexuel(le)s musulman(e)s 2 France).
CHACUN EST LIBRE DE SON POSITIONNEMENT
Lors du colloque que HM2F a organisé à l'Assemblée nationale cette
année-là, l'imam de Bordeaux, Tareq Oubrou, a dit pour la première fois que
l'homosexualité n'était pas condamnée comme telle dans le Coran ou dans
la sunna ["loi immuable" de Dieu].
Selon lui, ce serait plutôt la perception commune de l'islam qui serait au
fondement de cette condamnation. Un de ses proches, Michael Privot, musulman converti, ayant
déclaré mi-décembre 2012 que si l'homosexualité constituait bien un "défi
théologique", chacun dans une société démocratique était libre de
son positionnement sur l'homosexualité et le mariage entre citoyens de même
sexe.
Tariq Ramadan, partisan d'une "réforme radicale" de
l'islam et fondateur d'un centre d'éthique au Qatar,
avec un axe de recherche sur le genre, s'est associé au féminisme islamique,
mais ne s'est en revanche pas pour l'instant prononcé sur les mobilisations des
homosexuels musulmans.
Des associations musulmanes françaises se disant réformistes ont récemment
pris leurs distances avec HM2F par crainte de représailles ou de perdre des membres. Pourtant, les
réactions personnelles suscitées par la fondation de la première mosquée inclusive
de France, dont les imams ont vocation à marier tous les couples, ont montré
qu'une partie sans doute non négligeable de la communauté musulmane française
était ouverte au débat.
A l'heure des discussions sur le mariage homosexuel et des aléas de
l'institutionnalisation d'un islam de France, la République française
devrait prendreen compte ces nouveaux courants
réformistes pour proposer de former des femmes imams, refuser la discrimination liée à
l'orientation sexuelle, dans le cadre du projet de l'Institut de formation des
imams de France, dont la création à Strasbourg est évoquée depuis plusieurs années.
Ce qui irait de pair avec le "féminisme" soudain affiché par nos
élus lors des controverses sur le voile ou la burqa et serait cohérent avec
les valeurs démocratiques.
Cela serait une autre façon d'évoquer l'islam en France, par ses courants
avant-gardistes, égalitaires et inclusifs plutôt que par ses mouvances
conservatrices, régressives, voire djihadistes.
Les hommes ayant renoncé à l'ijtihad (l’exégèse) ou l'ayant abandonné aux plus obscurantistes d'entre eux (les wahhabites); il serait intéressant de voir les femmes s'en emparer ... et qui sait peut-être la réforme de l'Islam devenue nécessaire ... viendrait des femmes ?
RépondreSupprimerElles ont raison de repartir de la source : le coran, quand on sait les strates de stupidités érigées en lois, souvent devenues dogmes consignées dans la chariâa; et qui se sont accumulées durant 14 siècles, servant de bases à d'autres stupidités ... qui se sont éloignées très souvent du message premier qu'est le coran !
Elle auront sûrement une lecture du coran plus pacifiée entre les hommes et les femmes; puisque jusque-là, nous n'avions que les points de vue des hommes, influencés par le patriarcat, la phallocratie, le machisme, la misogynie ... !
Les lumières, viendraient-elles de ces dames ?
C'est possible.