La toilette des morts, la Tunisie n’a rien de plus urgent à faire - à en croire Monsieur Béchir Ben Hassen, ce personnage chargé par l’Etat de faire l’éducation religieuse des délinquants en prison.
Pour acquérir ce savoir - ô combien inestimable - il faut, une fois de plus, faire appel aux « compétences » saoudiennes. Et voilà donc M. Abbès Ben Jamel Bettaoui, un autre « spécialiste » wahhabite, à la barbe rougeoyante de henné, qui débarque chez nous, à l’invitation de M. Ben Hassen. A la grande mosquée de Moknine où il a étalé sa « science », les fidèles ont qualifié ce monsieur de charlatan .
Nous vivons assurément une période formidable ! Après le spécialiste de « médecine prophétique », - suite logique ? - il faut maintenant appeler à la rescousse celui de la toilette des morts !
On peut en rire… mais on peut aussi prendre le temps de la réflexion. S’agit-il d’illuminés ? C’est possible mais je flaire plutôt l’action psychologique, le lavage de cerveau et le grignotage méthodique de la rationalité et du libre choix du vivre, du boire, du manger, du vêtir. Introduire la religion dans tous les espaces et les interstices possibles. Imposer un langage, des concepts qui tendent à formater la vie des gens. Insidieusement.
C’est ainsi que procède le Hamas à Gaza. Tout comme l’AKP – Parti de la justice et du développement - en Turquie. Tout comme les Frères Musulmans en Egypte.
Un malheur de plus à Gaza….
A Gaza, annonce en première page le journal « Al Kahira » (14 mai 2013), l’application de la chariâ va bientôt entrer en vigueur. Amputation de la main des voleurs, flagellation de l’adultère ou la fornicateur, application de la loi du talion : œil pour œil, dent pour dent…
Qui peut prétendre qu’il y a meilleur moyen de libérer la Bande de Gaza de la férule israélienne, de ses check-points, du bouclage intégral (air, mer, terre) qu’elle impose au territoire ?
Pour la militante juriste, Zeinab Ghanimi, le Hamas viole la légalité palestinienne et assimile à tort tous les habitants de la Bande de Gaza à ses membres. Elle note qu’il sera très difficile de prouver certains actes répréhensibles commis au moyen d’Internet et ajoute : « Il s’agit de tenir compte de la chariâ musulmane comme inspiratrice de la législation mais il faut protéger aussi les droits de l’homme et non les bafouer » Ce faisant, dit Zeinab Ghanimi, Hamas - autorité politique - veut dominer la rue et la population et apparaître comme autorité religieuse. La juriste relève que bien des responsables du Hamas et des religieux n’appliquent guère les principes de la foi dans leur pratique quotidienne et s’approprient par exemple, l’héritage des femmes. Elle conclut en demandant aux organisations de la société civile de s’opposer à ces menées du Hamas car « ces lois seraient un fléau de plus à l’enfer de malheurs sous lequel croule notre peuple. »
A Ankara, priorité à «la protection» de la jeunesse :
Pour le journal « Le Temps » de Genève (30 mai 201 3, p. 4), si Ankara durcit la législation sur la vente des boissons alcoolisées, on est en droit de se poser des questions sur les intentions du gouvernement. « L’Etat doit protéger sa jeunesse et ses citoyens contre les mauvaises habitudes… Nous ne voulons pas d’enfants qui boivent du matin au soir, ni d’une génération qui se promène en titubant. » a déclaré le Premier Ministre Erdogan après le vote du texte. La louable intention que voilà ! Mais les faits sont têtus : « dans un rapport publié mi-mai, écrit Anne Andlauer dans le quotidien suisse, l’Institut turc des statistiques (TÜIK) affirme pourtant que 84% des 15-24 ans n’ont jamais bu d’alcool. »
Indigné par les critiques et se défendant de viser les modes de vie, M.Erdogan interroge, lui qui faisait acte de candidature à l’Union Européenne : « Si une religion ordonne ce qui est juste, vous allez vous y opposer au motif que la religion l’ordonne ? » Les manifestants de la place Taksim et ceux d’Ankara, eux, croient dur comme fer que le gouvernement islamo-conservateur en veut précisément à leur mode de vie ! Une étudiante turque indignée affirme à une radio parisienne que maintenant, dans les bus, à Ankara, on sépare les hommes des femmes. Quant aux professionnels, ils sont d’avis que « le gouvernement ne peut se permettre d’interdire l’alcool. Il gagne bien trop d’argent grâce aux taxes. » L’Etat a ainsi engrangé 3 milliards d’euros l’an dernier aux dires du Ministère des Finances.
En Egypte, le ballet est à l’index….
Les Frères Musulmans égyptiens ne doivent pas connaître cette pensée de Pascal qui disait : « Un roi sans divertissement est un homme plein de misères. » Tout être humain, en fait, veut dire le philosophe français. Et ils connaissent encore moins ce qu’écrivait Nietzche, dans « Ainsi parlait Zarathoustra » : « Je ne pourrais croire qu’à un dieu qui saurait danser. »
Jeudi 30 mai 2013, les artistes de l’Opéra du Caire - auxquels se sont joints des intellectuels, des cinéastes, des hommes politiques et des étudiants - ont fait une imposante manifestation pour protester contre la mainmise des Frères Musulmans sur la culture et pour réclamer la démission du ministre de la Culture Alâa Abdelaziz. Dès son entrée en fonction il y a trois semaines, Son Excellence a démis de ses fonctions Dr Inès Abdeddayèm, la directrice de l’Opéra du Caire (Alqods al Arabi, 31 mai 2013, pages 1 et 3), ce qui a conduit de hauts responsables du ministère à présenter leur démission. Dans le même temps, Gamal Hamèd, membre du Conseil de la Choura égyptienne appartenant au parti « Ennour », le bras politique des salafistes, réclamait, le 28 mai 2013, lors de la réunion de la commission de la Culture, du tourisme et de l’Information, « l’annulation de l’art du ballet en Egypte » que ce monsieur considère comme « l’art de la nudité, l’art qui répand le vice et l’obscénité parmi les gens. » Le Syndicat des métiers du théâtre a immédiatement condamné ces propos de Tartufe.
Pour les artistes et les intellectuels égyptiens, les Frères Musulmans au pouvoir veulent imposer au pays les politiques culturelles de leur parti. Les protestataires réclament un ministre de la Culture qui représente « la culture égyptienne et non les orientations des Frères. » Pour la première fois depuis sa fondation en 1869, l’Opéra du Caire a annulé une représentation d’ « Aïda », un opéra de l’Italien Verdi joué pour la première fois au Caire en 1871 à l’occasion de l’inauguration du Canal de Suez. Les artistes se sont mis en grève pour trois jours, rejoints par ceux du Grand Théâtre du Caire. Lundi 27 mai 2013, l’Exposition Générale de peinture du Caire s’est ouverte en absence du ministre, le public et les artistes lançant des slogans hostiles aux Frères Musulmans et à leur Guide Général.
Le chameau se romprait le cou s’il...
Chez nous aussi, la politique des petits suppure comme le pus d’une vilaine blessure …. qu’il faut vite cautériser.
Après Al Abdelia, après les coups portés à Nouri Bouzid*, à Hamadi Redissi et à bien d’autres hommes de culture, voilà que le poète Moncef Ouhaibi est l’objet d’insultes et de diffamation pour avoir appelé à louer le peuple. (L’Humanité du 30 mai 2013, p.15). Qu’elle est la première femme dont on a amputé la main, demandait-on le plus sérieusement du monde aux candidats à un concours de police ? Il y a là une volonté délibérée : nous enfoncer dans le Moyen Age ! Car pourquoi ne pas demander : Quelle est la première femme médecin de notre pays et même du monde arabe ? (Tawhida Ben Cheikh) Quelle est la première femme agrégée d’arabe de Tunisie ? (Mongia Amira Mabrouk) Quelle est la première Tunisienne à avoir décroché l’agrégation de mathématiques ? (Fatma Moalla)
Face à ces petits pas, à ces menées de reptiles, sournoises, insidieuses, il nous faut faire face et être vigilants. Sur nos gardes ! Et gare à la Constitution qu’on est en train de nous concocter ! « Il faut d’abord savoir ce que l’on veut, il faut ensuite avoir le courage de le dire, il faut enfin l’énergie de le faire » conseillait Clemenceau.
Davantage de culture, davantage de théâtre, davantage de danse et de folklore, voilà l’élixir qui chassera les laveurs de morts comme Abbès Ben Jamel Battaoui et ceux qui parlent de l’ « oppression » de la tombe aux bambins des jardins d’enfants.
Et retenons bien cette vérité énoncée par Nietzsche: « Sans musique, la vie serait une erreur. »
* Dans son beau film « Millefeuille. Ma Nmoutch », Nouri Bouzid n’a pas attendu Abbès Battaoui pour nous montrer, à deux reprises, une scène de lavage de mort !
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