Photo de Farhat Benaicha
Le chef
du groupe parlementaire d’Ennahdha à l’ANC, M. Sahbi Atig, a promis, le 13
juillet dernier, de « faire couler le sang, dans les artères de Tunis, de toute
personne qui s’en prend à la légalité. » (La Presse de Tunisie, 14 juillet
2013).
« Qu’en
termes galants ces choses-là sont dites ! » se serait exclamé, narquois,
Molière, face à ce langage si peu parlementaire!
Pour
notre député en fait, il s’agit moins de défendre M. Mohamed Morsi que de
préserver le pré-carré de son parti. Ce qui remet en mémoire la nuit du 24
août 1572 à Paris quand les catholiques exterminèrent, au cours d’un affreux
massacre, des milliers de protestants poursuivis jusque sous leur lit ! Le sang
coula en abondance dans les rues de la capitale française et gagna ensuite la
province. Quand la haine et le fanatisme dominent, la guerre de religion
s’installe ainsi que les malheurs, les deuils et la ruine.
M. Atig entrevoit-il
un aussi horrible scénario pour notre peuple ? Est-ce à ce prix qu’il entend
préserver les prébendes de son parti ? N’est-ce pas là la quintessence du
sectarisme ? N’est-ce pas ainsi que l’on encourage certains excités à se draper
du burnous d’une prétendue « police religieuse » dont les exploits au Hedjaz
défraient régulièrement la chronique et qui minent, chez nous, les structures
de l’Etat, semant le chaos ?
Il
est clair qu’entre légalité et légitimité, nos nahdhaouis - tout députés qu’ils
soient - n’ont pas encore saisi la différence. Ils n’ont pas encore
compris que le peuple est l’unique source de la souveraineté. Pour Maximilien
Robespierre, la révolution est fondamentalement illégale… mais légitime parce
qu’accomplie par le peuple, seul détenteur de la souveraineté. Si le peuple
délègue sa souveraineté, il est en droit de la récupérer lorsque les élus qu’il
s’est donnés menacent ses droits inaliénables. Robespierre reconnaît ainsi de
façon on ne peut plus claire le droit à l’insurrection. En démocratie, point de
chèque en blanc, M. Atig. Tenez-le-vous pour dit, une fois pour toute. Vous
n’êtes pas là pour l’éternité ! La Commune de Paris, en 1871, a même institué
le mandat de député révocable par les électeurs.
D’ailleurs,
à la place de M. Atig, je ne m’attarderais pas sur la question de la légalité…
car on ne parle pas de corde dans la maison d’un pendu. Son
mandat de député à l'ANC n’est-il pas forclos depuis le 23 octobre
2012. ? Alors, un peu de décence, s’il vous plaît.
Ce que
craint par-dessus tout M. Atig, c’est la contagion. Il craint par-dessus tout
le jugement populaire. Il craint ce peuple qui est en droit de lui
demander des comptes sur le chômage, la hausse astronomique des prix,
l’état des hôpitaux, la corruption, l’inégal développement régional, la
sécurité…
A
quelque chose, malheur est bon, dit l’adage populaire. Les malheureux
événements en Egypte auront en fait servi de révélateur en Tunisie : Ennahdha
parle enfin sa langue favorite : violence et intimidation. On pensait que ce
langage était l’apanage de M. Sadok Chourou qui coupe les mains et crucifie les
opposants au pouvoir de son parti. M. Sahbi Atig – rejoint par cet orfèvre
qu’est M. Lotfi Zitoun - nous prouve que c’est le langage « maison » en fait !
Un langage qui ne connaît ni la retenue ni la mesure et nous conduit droit à
l’autoritarisme et au despotisme avec leur lot de peines et de malheurs.
Au XVIIIème siècle, Voltaire, encore horrifié par le massacre de la Saint Barthélémy,
s’adressait ainsi à la reine de France pour attirer son attention sur la
nocivité du mélange religion-politique :
« Reine,
l’excès des maux où la France est livrée
Est d’autant
plus affreux que leur source est sacrée :
C’est la
religion dont le zèle inhumain
Met à tous les Français les armes
à la main.
……………………………………………………
Et
périsse à jamais l’affreuse politique
Qui
prétend sur les cœurs un pouvoir despotique ;
Qui veut,
le fer en main, convertir les mortels ;
Qui du
sang hérétique arrose les autels ;
Et,
suivant un faux zèle, ou l’intérêt, pour guides,
Ne sert
un Dieu de paix que par des homicides !
Ces
vers de Voltaire n’ont pas pris hélas une ride. Ils
pourraient tout aussi bien s’adresser à M. Khadmi, notre ministre des affaires
religieuses qui, par des menaces à peine voilées, cible les Tunisiens qui ne
respectent pas le ramadan et incite les restaurants et les cafés à rester
portes closes au cours du mois du jeûne. Depuis quand les bars et les gargotes
relèvent-ils du Ministère des Affaires religieuses ? M. Khadmi devrait plutôt
consacrer tous ses efforts à régenter les mosquées aujourd’hui entre les mains
des salafistes. Ces derniers agressent les familles endeuillées et ajoutent à
leur peine en voulant leur imposer des rites inconnus dans notre pays pour
enterrer les morts. Certains enterrements ont donné lieu à des scènes fort
regrettables en maints endroits.
Les
conseils religieux de M.Khadmi paraissent à géométrie variable : on ne l’a
guère entendu à propos quand du mariage orfi (coutumier), de la prostitution halal pour le réconfort des combattants en Syrie - pourtant condamnés clairement par le mufti M. Othman
Batikh qui vient d’être remercié sans autre forme de procès - ou sur la
question de l’excision des fillettes.
Assurément,
M. Khadmi est docteur en théologie mais il est clair qu’il ignore tout du droit
constitutionnel - grave lacune pour un ministre de la République - puisqu’il tord allègrement
le cou au caractère civil de l’Etat que recèle le projet de notre Constitution
en devenir.
Or, ce
caractère civil ne saurait distinguer entre Tunisiens jeûneurs et Tunisiens
n’observant pas le jeûne. Que fait son Excellence de la liberté individuelle ?
Que fait son Excellence de la liberté de conscience ? Que fait son Excellence
des touristes et de leur apport à l’économie nationale ? Que fait son
Excellence des Tunisiens non-musulmans ?
Durant le
mois sacré du jeûne, on nous a toujours appris que l’Islam recommandait en
toute circonstance la tolérance et l’amour du prochain et non l’installation
des tribunaux de l’Inquisition, jadis chers à l’Eglise apostolique et romaine
pour séparer les jeûneurs de ceux qui ne font pas le Ramadan. Du reste, à quoi
servirait un jeûne fait sous la contrainte ? Il ne sert en fait qu’à autoriser
certains réactionnaires à contrôler les consciences et imposer la dictature
d’imams et d’ayatollahs en mal de pouvoir tout ce qu’il y a de temporel, ici,
dans ce bas monde.
Al Maâri
a réglé leur compte à ces tartufes depuis longtemps quand il déclame
:
« A celui
qui fait la prière pour tromper sciemment son monde
Dieu
préfère celui qui, volontairement, ne l’a fait pas. »
Quant à ce grand militant de la
tolérance qu’est Voltaire, il adresse cette supplique au Créateur dans son
célèbre « Traité sur la tolérance » datant de 1763 :
« Tu ne
nous as point donné un cœur pour nous haïr, et des mains pour nous égorger ;
fais que nous nous aidions mutuellement à supporter le fardeau d’une vie
pénible et passagère ; que les petites différences entre les vêtements qui
couvrent nos débiles corps, entre tous nos langages insuffisants, entre tous
nos usages ridicules, entre toutes nos lois imparfaites, entre toutes nos
opinions insensées, entre toutes nos conditions si disproportionnées à nos
yeux, et si égales devant toi ; que toutes ces petites nuances qui distinguent
les atomes appelés hommes ne soient pas des signaux de haine et de persécution…
Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères ! Qu’ils aient en horreur
la tyrannie exercée sur les âmes, comme ils ont en exécration le brigandage qui
ravit par la force le fruit du travail et de l’industrie paisible. »
M.
Khadmi, apprenez que la Révolution française a introduit la tolérance quand
elle a traité sur le même pied d’égalité tous ses citoyens catholiques,
protestants, athées ou juifs. Ce qui a provoqué l’ire du pape qui condamna, le
10 mars 1791, cette décision qui supprimait la prééminence dont jouissaient les
catholiques en France avant la Révolution de 1789. Les prêtres favorables
à la Révolution condamnèrent l’intervention papale et affirmèrent que le pape
n’avait pas « qualité pour toucher au temporel. » (Jean Jaurès, Histoire
sociale de la Révolution française, Editions sociales, Paris, 1969, p. 953-956).
Il
vous faut réaliser, Excellence, que nous ne sommes plus au XVIIIème siècle !
Pour rafraîchir la mémoire à Sahbi Atig qui semble prendre les tunisiens pour ce qu'ils ne sont pas, il peut revoir ce que disait son maître Ghannouchi à propos de la légitimité dont se gargarisent les hommes de son partis, et ceux de la troïka au pouvoir :
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