samedi 11 janvier 2014

Est-ce la fin des pétromonarchies ?

A JOUER AVEC LE FEU, ON FINIT PAR SE BRÛLER !Les pétromonarques à vouloir TOUT, finiront par n'avoir RIEN DU TOUT !!
Et personne ne pleurera s'ils disparaissaient de l'Histoire et de la carte !!!


Professeur d'histoire du Maghreb contemporain 
à l'Université de Paris I Panthéon-Sorbonne. 

Du temps de la guerre froide, les choses étaient simples. Les Etats-Unis stabilisaient le Moyen-Orient, et la France gaullienne était chargée de maintenir l'ordre en Afrique. Les deux pays entretenaient les meilleures relations avec les dictatures "arabes", monarchiques comme républicaines. Les Soviétiques avaient trouvé des alliés dans la place, mais aucun pays arabe, depuis la chute du Yémen communiste, n'était aligné sur l'Est. Après la guerre du Golfe de 1990-1991, la carte régionale s'est singulièrement compliquée. Entre 1993 et 2010, la lutte internationale contre l'islam révolutionnaire et le terrorisme faisant écran, les illusions sur la stabilité du monde arabe et ses périphéries berbères, kurdes et nilotiques, ont été entretenues. 

Mais en décembre 2010, le suicide du jeune Tunisien Bouazizi a brisé tous les cadres. Trois ans plus tard, le monde arabe est en miettes, les alliances régionales sont en cours de recomposition, les certitudes les mieux établies volent en éclat, et la politique arabe, qu'elle soit française, européenne ou américaine, tangue à hue et à dia. 

Un tremblement de terre vu d'Arabie saoudite

L'alliance entre les Etats-Unis et les pétromonarchies du Golfe est en cours de renégociation, attisée par le retour en grâce de l'Iran, première puissance régionale au Moyen-Orient. Certes, en Syrie, l'Amérique et ses alliés continuent de soutenir la " révolution syrienne " face au croissant chiite mené par l'Iran, lui-même allié à une Russie auto-érigée en protectrice des chrétiens d'Orient. Mais alors que la Russie se réinstalle en parrain régional, l'Amérique hésite. Le rapprochement récent entre les Etats-Unis et l'Iran, sous-tendu par le retour à l'autonomie énergétique américaine, préfigure un probable retournement d'alliances. 

Vu d'Arabie Saoudite, c'est un tremblement de terre. Entourée de micro-monarchies qui réfutent son hégémonie et encerclée par des territoires à dominante chiite (Iran, Bahreïn, Irak, et Yémen -45% de chiites), l'Arabie wahhabite ne peut compter que sur elle-même. Si Israël devait suivre l'Amérique, si Bachar el Assad devait remporter sa guerre intérieure -comme l'ont fait en leur temps les généraux algériens avec le soutien de la France-, et si les islamistes turcs étaient durablement affaiblis, qui garantirait la stabilité de la péninsule ? L'Egypte post-Morsi ne supporte plus le fondamentalisme islamique, la France, quoique alliée aux pétromonarchies, combat ce même fondamentalisme au Maghreb et au Sahel, et la Chine, comme l'Inde, bien que dépendantes du pétrole du Golfe, n'ont pas vocation à y faire la police. 

Le nouveau monde arabe qui émergera des suites du "printemps arabe" est inconnu. Depuis trois ans, l'Arabie saoudite et les Frères musulmans, quoique rivaux, semblaient remporter la mise. Mais la situation évolue rapidement. L'internationale des Frères musulmans, qui a cru son heure arrivée, est désormais contestée et combattue de toutes parts. Face à l'hostilité radicale de l'Egypte, qui en fut le berceau, la confrérie est affaiblie. En Tunisie et en Libye, elle ne pourra pas imposer ses vues sans le soutien du fragile Qatar, lequel a trop à perdre à entrer en conflit avec les grandes puissances régionales. Or l'Algérie, l'Egypte et la Syrie baathiste sont en passe de retourner la donne au profit des Républiques nationalistes. 
Le soutien actif de clans et de capitaux wahhabites du Golfe au djihadisme armé est un jeu qui pourrait être mortel pour ses parrains. Dans le Sinaï, en Libye, au Sahel, en Somalie ou au Maghreb, et même en Syrie, les djihadistes pourraient être brisés, sauf à propager le feu dans l'ensemble de l'Afrique musulmane, ce qu'ils tentent de faire, au risque de susciter un front commun des Africains, des Maghrébins et des Européens. 

En fait, le destin de la Syrie est la clef du nouveau Moyen Orient. Si l'Amérique se désengage du conflit, ce qui semble se dessiner, le djihadisme sunnite -qui a bondi dans l'espace ouvert par la révolution syrienne avortée- ne remportera pas la guerre. Il pourra maintenir une activité terroriste durable et à grande échelle, comme il le fait en Irak en massacrant des chiites depuis des années, mais sans menacer le pouvoir. Déstabilisés par le "printemps arabe", les républiques militaires ont vacillé, offrant aux fondamentalistes l'espoir du Califat, qu'ils attendent depuis 1924. Mais les antagonismes religieux, nationaux et sociaux entravent un tel plan, que les monarchies arabes ne souhaitent d'ailleurs pas, car elles seraient à leur tour emportées. 

Les bourgeoisies militaires, affairistes et nationales ont senti le vent du boulet: elles tentent de reprendre la main, d'écarter les Frères, les Turcs et les wahhabites, quitte à trouver l'accord des chiites, avant d'écraser l'internationale djihadiste. Dans ce grand jeu, les Occidentaux ont-ils perdu la main ? Après avoir soutenu les dictatures, la révolution, la démocratisation, puis les islamistes, ils sont aujourd'hui mal à l'aise face au retour des régimes autoritaires, nationalistes et populistes. Or si la " normalisation " se poursuit, tout l'édifice arabe sera en péril. Le feu qui a brûlé les républiques militaires risque de se retourner contre les monarchies, surtout si des milliers de djihadistes aguerris rentrent chez eux. 
Entre realpolitik, déploration pour les minorités, soutien surjoué aux islamistes et à la démocratie, yeux de Chimène pour les monarchies de droit divin, réconciliation avec des régimes militaires à poigne, parler de "politique arabe" a-t-il encore un sens ? 




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