Dans une tribune où il s'adresse aux Français, Nicolas Sarkozy a comparé la justice française à la Stasi. Sous la plume de la marquise de Sévigné, notre contributeur Hervé Karleskind se penche sur le bien-fondé de ces accusations.
Bongobi
Paris, le 17 mars,
Quel émoi ma chère et tendre! Je ne sais si vous avez lu le libelle de l'ancien roi Nicolas le Bref, qui aspire à redevenir Monsieur de Sarcosie, mais je puis vous mander qu'ici même, la stupeur est à son comble. La colère du Bref, qui couvait depuis déjà plusieurs semaines, vient d'éclater. Il se plaint d'être filé, écouté, espionné, traqué, presque emprisonné par les robins et les gens d'armes, à la manière des sbires de l'ancien roitelet de Prusse orientale, Erich de Brandebourg, dit Erich le Lugubre, qui entretenait une police politique de quelques dix mille membres, connue sous le nom de Stasi: un acronyme forgé ad hoc pour désigner la sécurité d'Etat.
Ivre de rage, le Bref, pardon, Monsieur de Sarcosie, n'a pas craint d'en appeler à ses anciens sujets pour dénoncer les mœurs pour le moins dévoyées de nos gens de sûreté en les comparant à cette petite armée d'espions dont les exactions ont été talentueusement narrées dans la célèbre comédie La Vie des autres que le Bref cite d'ailleurs à dessein.
Qu'en est-il au juste? Notre royaume serait-il devenu une prison aux murs infranchissables ainsi que l'était la Prusse orientale, condamnée à subir la férule de son archiduc Erich le Lugubre, installé sur le trône par le tsar de Russie à des fins de mater toute rébellion d'un peuple qui n'aspirait qu'à goûter la mie du pain et l'ivresse de la liberté?
Dois-je vous confesser, ma mie, que le lugubre Erich de Brandebourg était un homme de bien piètre envergure, un sot, un faible, buté comme un âne corse, que personne ne pleura quand le mur d'enceinte de la prison où il confinait ses sujets fut abattu lors d'un grand soir d'automne. Sa seule originalité, dans une cour sinistre peuplée de chapeaux gris, était sans doute aucun sa femme, la reine Margot.
Pardonnez mon égarement, mais vous me savez aussi étourdie que ma plume: mais il me faut vous narrer quelle personne c'était. Son époux, le Lugubre, qui la craignait comme peste, l'avait nommée ministre de l'Instruction publique, à des fins, sans doute aucun, de calmer ses ardeurs et ses fièvres amoureuses. La gorgone était, dois-je l'avouer en rosissant, insatiable au point d'accorder ses charmes à tous ceux qui l'approchaient. Elle le cocufia donc sans relâche: il y gagna un sobriquet, charmant: le dix-cors, portant pauvrement ses cinq andouillers sur chacun de ses bois. La reine Margot régnait sur les Beaux arts, accordant son imprimatur à ceux et même à celles qui avaient échoué dans son lit. Qui lui refusait ses avances, se voyait aussitôt frappé d'index et fiché par la Stasi comme individu particulièrement dangereux, à surveiller de près.
Cette police de l'infamie et du soupçon perpétuel était alors dirigée par un maître espion, Mischa Wolf, qui mourut dans son lit, absout de ses péchés inavouables par ceux qui pensèrent à juste titre qu'il en savait trop.
Après la mort en exil du Lugubre, son épouse Margot ne cessa de se dégorger de bile sur ses anciens sujets: elle cracha son venin dans une gazette pour mander qu'ils avaient été "stupides".
Je sais votre question: est-il juste de comparer le sort qui est fait à Nicolas le Bref avec celui qui fut réservé aux écrivains, peintres, dramaturges, et même gens ordinaires, qui furent jetés au cachot sans le moindre espoir d'en sortir un jour? Sur la foi d'un soupçon, d'un on-dit, d'un fagot, d'une rumeur, par charretées entières, des sujets d'Erich le Lugubre, furent enfermés en forteresse avec l'interdiction de recevoir quiconque: leurs familles furent pourchassées, ruinées, frappées de l'opprobre infamante de la trahison, victimes d'un éternel bannissement intérieur.
Le Bref a-t-il raison de se dire persécuté, suivi, espionné, harcelé, traqué par les robins et les gens d'armes aux ordres du roi François le Flou ? Ce même Flou qui voit en lui une sorte d'ennemi intérieur qu'il lui faut réduire au silence à des fins de ruiner à jamais ses chances de remonter sur le trône.
Mais il est si maladroit, ce pauvre Flou! Et si mal servi! Laisse-t-il la bride sur le cou de ses gens qu'ils se prennent les pieds dans le tapis, mentant comme arracheurs de dents. Le plus inspiré, le comte Valls de Catalogne, se garde bien de mander quoi que ce soit sur une affaire dont il n'a pourtant manqué aucun épisode.
Ha! Je vous sais encore perplexe à lire que votre mère se passionne pour cet interminable feuilleton à l'heure même où nos commensaux sont appelés à choisir leurs édiles. Ou à n'en rien faire, s'ils ont décidé de bouder, par lassitude ou par dégout.
Quel sera donc le sort de l'infortuné Bref qui voit ses soutiens fondre comme neige au soleil? Quelques derniers prétoriens, telle la mère Morano ou le fidèle Portefeux, restent à ses côtés, comme pour monter la garde. Mais Monsieur de Juppé, qui lui aussi fut pourchassé par les robins, et qui à présent se verrait bien ceindre la couronne, n'est guère bavard. Quant au comte Fillon ou à Copé de Meaux, les voici d'aiguiser leurs crocs en protestant bien timidement contre le sort de leur ancien héraut.
Le Bref a-t-il raison d'invoquer la sinistre police secrète d'Erich le Lugubre pour tenter de briser ses chaînes? Sans guère de doute: il lui fallait sortir de la geôle où il se sentait cloîtré, et ainsi rompre ce bien pesant voeu de silence.
Le voici donc revenu dans l'arène, tel le rétiaire du cirque, si peu vêtu, armé de son seul filet et d'un pauvre trident. De tous les gladiateurs, il est le plus méprisé, celui qui n'est jamais gracié in ultimo par l'empereur. A-t-il seulement échappé à l'épée du mirmillon, qu'il doit subir le châtiment suprême, ordonné d'un simple pouce baissé.
Voici, ma chère et tendre, un geste que notre roi-césarin accomplirait bien volontiers et, pour une fois, sans tourner autour du pot.
Gouleyant !
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