Dimanche 26 octobre 2014, les Tunisiens, avec près de 70 %, ont rejeté le projet islamiste. Une nouvelle page s'ouvre. Nidaa Tounes, avec 85 sièges, devient le premier parti au nouveau parlement, et sera appelé à former le prochain gouvernement.
Deux hypothèses sont évoquées par les analystes politiques. La première: Nidaa Tounes forme une majorité gouvernementale avec les alliés qui partagent les mêmes projets. C'est dans la logique du vote et des engagements antérieurs. La deuxième : faire alliance avec Ennahdha. C'est illogique et déroutant. C'est, dans ce cas, lâcher la proie pour l'ombre, décevoir les électeurs et abandonner à son sort la société tunisienne. Il faut garder le cap et rester fidèle à ses valeurs et engagements. Et Laisser le parti islamiste se débrouiller seul avec ses problèmes et contradictions. N'ayons crainte de son hypothétique pouvoir de nuisance.
Que l'on ne soutienne pas que les Islamistes d'Ennahdha ont changé. Que l'on ne raconte pas qu'ils ont cherché spontanément le consensus pour aboutir à la version actuelle de la constitution. Ont-ils appris, ont-ils évolué ? Peut-être ! Mais que valent des professions de foi de Nahdhaouis, de plus, en période électorale ? Rien, bien sûr, tellement avons-nous été échaudés par le double (voire triple ou quadruple) langage des Islamistes, Ghannouchi en tête. Ont-ils rompu avec la confrérie des Frères musulmans ? Ont-ils définitivement enterré leur projet d'appliquer la Charia ? Ont-ils fermement condamné la violence et rompu tout rapport avec ses adeptes ? Acceptent-ils la démocratie par sincère adhésion, ou par simple tactique ? Ont-ils vraiment reconnu et intégré, pour y adhérer et les assumer, notre tunisianité, notre histoire ancienne et récente, les acquis de la société tunisienne, particulièrement ceux de la femme. Les dernières déclarations de campagne des dirigeants nahdhaouis ne convainquent pas. Elles souffrent d'un manque de crédibilité, que seuls de véritables actes, pris et vérifiés dans la durée, peuvent leur apporter.
Pourquoi les dirigeants d'Ennahdha tiennent-ils tant à un gouvernement de consensus ou d'union nationale, et à vouloir, contre toute logique, rester au pouvoir ? Ils perdent les élections, mais tentent de s'accrocher au pouvoir, malgré leur responsabilité dans la crise actuelle. Ils prétendent adhérer à la démocratie, mais semblent ignorer ce que signifie l'alternance. Ils prennent acte de la défaite - en chantant – et félicitent les gagnants, mais brouillent le message par des attitudes ambiguës. Leur insistance à prôner le consensus et l'union nationale pour entrer au gouvernement frise le chantage politique.
Tout laisse à penser qu'en voulant rester au pouvoir, ils cherchent à créer toutes sortes de conditions et confusions leur permettant de continuer à être le centre autour duquel s'agrègent les autres composantes du parlement. Cela relève, au mieux, du désarroi de mauvais perdants, ou au pire, du prélude à de futures tensions artificielles ou coups de force. De toutes les façons, le seul argument présentable pour envisager une alliance avec les Nahdhaouis est qu'il vaut mieux les amadouer pour acheter la paix civile. Étrange argument ! Car si les compagnons de Ghannouchi sont vraiment devenus démocrates, alors il n'y a rien à craindre de leur côté. Dans ce cas, pourquoi faire alliance avec eux. Alors que tout est simple : Ils ont perdu les élections, ils doivent quitter le pouvoir. En revanche, s'ils n'ont pas changé, il serait dangereux de les associer au pouvoir. Il faut plutôt les empêcher d'infiltrer les rouages de l'Etat et de nuire au pays. S'ils acceptent la règle démocratique dans sa totalité, et se comportent en conséquence, la cohabitation avec eux devient possible. Mais s'ils demeurent toujours dans le même état d'esprit, ils seront combattus.
De plus, que peuvent bien apporter à Nidaa Tounes, pour gouverner le pays, une équipe d'incompétents qui a échoué ? Rien. Sauf le risque d'être au mieux une force d'inertie qui ajoute les difficultés aux difficultés. Rappelons-nous l'arrogance et le zèle qu'avaient déployés les exaltés d'Ennahdha dès leur accession au pouvoir en 2011 pour accaparer tous les leviers de commande de l'Etat et de l'administration, y compris dans la justice, l'armée et les services de sécurité, essayant de les infiltrer pour les mettre au service de leur parti. ''Le peuple a tranché'' disaient-ils aux ''zéro, virgule''. Que faire ? Ou il y a confiance, ou il n'y a pas. Le principe de précaution s'impose.
Une alliance entre Nidaa Tounes et Ennahdha - deux formations aux projets opposées - n'a ni sens, ni avantage. Que des risques. Elle serait, pour la Tunisie, une défaite, et pour Nidaa Tounes, le baiser de la mort. Le parti islamiste n'est pas à son coup d'essai dans ce registre. Il est déjà parvenu en quelques mois après 2011, à compromettre, à marginaliser et à phagocyter ses alliés au sein de la Troïka, le CPR et Ettakattol, qui ne s'en sont jamais remis. Lâchés par leurs électeurs de 2011, ces deux partis satellites paient très cher l'échec de la Troïka. D'une élection à l'autre, le CPR de Moncef Marzougui (président de la République) passe de 29 députés à 4 élus, et Ettakattol de Mustapha Ben Jaafar (président de l'ANC) tombe de 20 députés à un seul. Al Mahabba, lui aussi éclaboussé, perd 24 députés et repart dans la nature. Paradoxalement, Ennahdha - principal responsable de cet échec - parvient à sauver les meubles.
Nidaa Tounes aura à nouer des alliances qui se feront inévitablement et nécessairement, au cas par cas, comme dans tous les pays qui élisent leur parlement au scrutin proportionnel. Il devra assumer pleinement ses responsabilités sur la base de ses engagements et de son programme. Ses élus ont été choisis, en bénéficiant du levier du vote utile qui garde toute sa signification, pour remettre la Tunisie sur les rails et pour redresser la situation du pays. Ils n'ont pas été élus pour se partager des postes de pouvoir avec les adversaires de la veille qui ne cesseront - eux - d’œuvrer pour leur propre projet (islamiste).
Le parti Ennahdha a gouverné, il a échoué, il a été sanctionné. Nidaa Tounes a gagné, il gouvernera, il devra réussir. C'est cela l'alternance. N'oublions pas qu'il y avait bel et bien eu une lutte acharnée entre deux projets. ''Nous allons vers le 21ème siècle, ils se tournent vers le 7ème siècle'', n'a cessé de répéter Béji Caïd Essebsi. Cette lutte n'est pas finie. Elle prend simplement de nouvelles formes.
Au-delà de ces péripéties post-électorales, Nidaa Tounes aura à faire ses preuves, plus particulièrement, sur les questions économiques et sociales et sur les solutions à apporter aux problèmes urgents de la population. C'est là qu'il est fermement attendu. Nidaa Tounes sera jugé au résultat.
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