Par Hassan Arfaoui,
La «neutralité» prônée par des acteurs politiques
primordiaux ne peut nullement prétendre au rang de prise de position. Face aux
défis majeurs qu’affronte le pays, elle s’apparente à une forme de démission et
un cache-misère de l’irrésolution politique. Or, ici comme ailleurs, c’est dans
les moments qui engagent le destin de tout un pays que l’on distingue le
politicien de l’homme d’État. Ce dernier s’engage contre vents et marées,
montre le chemin en pensant à la prochaine génération, tandis que le premier
surfe sur le populisme ou se terre en songeant à la prochaine élection.
Les réserves que l’on peut
légitimement formuler à l’égard de tel ou tel candidat ne peuvent servir
d’alibi destiné à justifier l’immobilisme et le non choix. Le respect que doit
un parti politique à son électorat ne lui impose guère de le caresser dans le
sens du poil et le suivre y compris sur les plus scabreux des sentiers. Bien au
contraire, par égard pour son intelligence, il convient de le guider et le
ramener, par la pédagogie, à épouser une opinion clairement exposée quitte à
s’attirer provisoirement son mécontentement. Dans son conseil aux princes
désireux d’asseoir leur pouvoir, le grand Machiavel les met en garde : « Le
parti de la neutralité qu’embrassent souvent les princes irrésolus,
qu’effraient les dangers présents, le plus souvent aussi les conduit à leur
ruine ».
Face aux grands choix ou
quand des périls imminents guettent le pays, un média se doit aussi d’éclairer
l’opinion. Dans un pays de vieille tradition démocratique comme les États-Unis,
les plus illustres des journaux s’engagent clairement aux côtés d’un candidat
dans les batailles décisives et s’efforcent de motiver leur choix auprès de
leurs lectorats. Mais ce soutien affiché n’équivaut pas blanc-seing et ne vaut
pas renoncement, ni à l’objectivité, ni à leur statut de contre-pouvoir tenu à
surveiller l’exécutif. « L’objectivité, disait Camus dans ses chroniques
algériennes, n’est pas la neutralité. L’effort de compréhension n’a de sens
que s’il risque d’éclairer une prise de Parti ».
Je prends donc parti
pour Béji Caïd Essebsi en appelant clairement à voter pour lui et en exposant
les arguments qui fondent ce choix.
Le spectre de l’hégémonie
d’un seul parti, Nidaa Tounes, sur tous les rouages de l’État miroité comme un
repoussoir par ceux qui entendent empêcher Caïd Essebsi d’accéder à la
magistrature suprême est une imposture politique et intellectuelle. Le paysage
politique tunisien d’aujourd’hui est suffisamment équilibré. Sans évoquer le
scénario d’un gouvernement de salut national qui demeure d’actualité, les
forces en présence au parlement permettent l’émergence d’une majorité de
gouvernement face à une opposition suffisamment forte pour être efficace. La
société civile qui a enfanté d’une révolution pacifique sans le concours des
partis politiques ; celle qui a imposé son propre agenda de dialogue national
aux mêmes partis ; celle qui a tranché en sa faveur tous les contentieux nés de
la rédaction de la Constitution, celle qui a mené de facto le processus de
transition et les élections à bon port, n’acceptera jamais, ni un retour au
bercail du despotisme, ni d’être dépossédé de son rôle d’avant-garde dans la
défense et l’illustration de la démocratie et de la liberté. Les médias non
plus. Aussi, ce sont les institutions indépendantes et les
contre-pouvoirs (ISIE, HAICA, etc.) inscrits dans notre texte fondamental
qui veilleront à la pérennité de notre démocratie et non les milices dissoutes
des Ligues de protection de la Révolution (LPR) ou le fantomatique CPR ou
encore l’antidémocratique et apôtre de l’application de la Charia, Hizb
ut-Tahrir, qui comptent parmi les soutiens déclarés de M. Marzougui.
Le partage du pouvoir entre
un Président et un gouvernement issus de sensibilités différentes et portant
des visions diamétralement opposées soumet la Tunisie à une cohabitation
désastreuse qui désagrège ses institutions, affaiblit sa diplomatie, ruine son
économie en repoussant tout investissement local ou international, sans parler
des périls d’ordre sécuritaire à l’intérieur du pays comme à ses frontières. En
ce sens, la frivolité de M. Marzougui, son inexpérience, ses relations
exécrables avec des puissances régionales telles que l’Algérie ou l’Égypte,
sans parler de l’Arabie Saoudite ou des Émirats, représentent, pour la sécurité
nationale dont il est censé être l’artisan, un péril majeur. À l’opposé, la
gestion exemplaire des dossiers libyen ainsi que celui des élections de 2011
par Béji Caïd Essebsi, lors de son bref passage à la primature, le créditent
d’un avantage certain sur son adversaire.
La logique de la «révolution
permanente» qui semble animer M. Marzougui est antinomique avec l’édification
d’une démocratie apaisée. Il semble négliger que le processus révolutionnaire,
pour préserver ses acquis, doit céder place à une logique de construction
étatique pour éviter le chaos alimenté par les surenchères permanentes et la
démagogie pseudo-révolutionnaire. D’ailleurs, il est paradoxal de constater
qu’une bonne part des soutiens de M. Marzougui, dans ce qu’ils sont et ce qu’ils
font, relèvent d’une arrière-garde qui représente une négation des idées même
de révolution, de démocratie et de modernité dont il se dit lui-même porteur et
défenseur exclusif.
La longue expérience de M.
Caïd Essebsi est un atout considérable. Elle lui a permis de mener le pays à
bon port et assurer une alternance sereine à la tête du gouvernement au
lendemain des élections du 23 octobre 2011. Elle lui a également servi pour
fonder un parti qui a équilibré la scène politique et s’est imposé en un temps
record en tête des formations politiques. Ces performances indubitables
attestent de sa résolution et sa capacité de travail. À défaut d’apporter
preuve du contraire, ses détracteurs l’attaquent sur son âge, comme s’il était
en soi incapacitant, ou essaient de remonter au déluge, souvent en manipulant
l’Histoire, pour trouver matière à le délégitimer.
La prochaine législature
s’annonce cruciale pour le redressement du pays qui a besoin d’une gouvernance
homogène, crédible auprès des partenaires étrangers et capable d’apaiser les
nombreuses fractures dont souffre la société tunisienne, toutes régions et
couches sociales confondues. M. Caïd Essebsi est plus à même de relever ces
défis.
« Si je suis élu, il
y aura un partage des pouvoirs. La bourgeoisie pourra se reconnaître dans
Essebsi, le peuple en moi ». Ainsi s’exprimait M. Marzougui dans un
récent entretien accordé à MEDIAPART. C’est la lutte des classes au sommet de
l’État ! « Il faudra ensuite faire fonctionner ces deux entités, ce ne
sera pas facile, mais il vaut mieux cela que le retour à la dictature. Après,
il faudra que tout le monde s’attelle à la problématique économique ».
Il faudra alors s’attendre à attendre longtemps ! Tout est dit sur l’état
d’esprit et l’ordre des priorités du Président-candidat. A-t-il pris
connaissance de la Constitution qui lui impose d’être symbole et garant
de l’unité du pays ou se dit-il qu’après tout la lutte des places en vaut la
chandelle ? Que la chandelle en question risque de mettre le feu aux poudres et
d’emporter classes et places comprises ne semble guère l’inquiéter.
À bien y regarder de plus
près, cette posture rappelle étrangement la «théorie» du conflit social ( tadâfu‘
ijtimâ‘î ) chère à M. Rached Ghannouchi bien avant qu’il ne se convertisse
au nécessaire consensus. M. Marzougui semble ainsi vouloir hériter de ce
territoire abandonné par Ennahdha pour infertilité et pourquoi pas lui
ravir durablement son électorat et de se placer, en cas d’échec à la
présidentielle, en leader de l’opposition sur les débris d’Ennahdha
espère-t-il. Dès lors, son slogan à première vue surréaliste « On gagne
ou on gagne » prend tout son sens. En se plaçant à droite du parti
islamiste, mûri par l’exercice du pouvoir et le monde qui a changé autour de
lui, il représente une menace réelle pour son ancien protecteur qui l’a fait
roi. En chassant sur les terres de l’islamisme, il abandonne les frêles habits
de la «gauche laïque et modérée» qu’il dit représenter et parie, de fait, sur
la carte de l’islamisme politique encore soutenu par la Turquie et le Qatar.
Le discrédit qui a frappé M.
Marzougui auprès de l’électorat démocratique et moderniste semble l’acculer à
radicaliser son discours et souffler sur les braises de la discorde sociale et
de la frustration du «peuple islamiste». Il ne paraît pas en mesure de s’ouvrir
à d’autres franges de l’électorat autres que celles qui l’ont soutenu au
premier tour de crainte de ne pas être audible des premières tout en perdant
les faveurs des secondes.
C’est pour tout cela et parce
que le pays a besoin d’une démocratie apaisée, de cohésion, de solidarité et
d’un État remembré que le vote Béji Caïd Essebsi s’impose plus que jamais.
L'autre nom de la neutralité.
RépondreSupprimer17 décembre 2014, 19:52
Il était une fois un petit pays habité par un grand peuple .
Le petit pays vécut dans la léthargie durant des décennies .Car il était d'abord gouverné par un "despote éclairé" puis par un vrai dictateur.
Et un jour -le 17 décembre ,au juste -le grand peuple se réveilla .
Il jeta par terre la muselière et avec elle, la peur qui le paralysait .
Partout , Il clamait : LIBERTE . JUSTICE . DIGNITE .
Et depuis ce jour , jusqu'à plus jamais , ce grand peuple essaie avec confiance mais non sans larmes sanglantes -hélas, mais c'est la rançon de la LIBERTE !- de se frayer un bout de chemin dans la voie ardue de la démocratie .
Aujourd'hui -quatre années , jour pour jour -après ta libération du joug de la dictature, Peuple tant aimé , tu te prépares à élire celui qui devra être le Président de notre tant aimée TUNISIE.
Le moment est crucial pour ne pas dire historique .
Car, cher Peuple , nous nous trouvons à la croisée des chemins .
Et dilemme,il y a !!!Et pas des plus faciles !
Et pour cause , les deux candidats à la présidence ne sont pas sans tache : à l'un comme à l'autre ,on peut faire un tas de griefs .
Mais là n'est pas l'urgence . Ce qui compte aujourd'hui c'est de " sauver le soldat Rayan"pour emprunter le titre d'un film. En effet , force est de voir qu'au delà de la personnalité des deux candidats , il y a en fait deux projets de sociétés :
-d'un côté , un projet réactionnaire rejetant la République et ses fondements, refusant la modernité et prônant un Etat théocratique . C'est le projet d' Ennahdha que défend encore plus farouchement le sieur MMM.
-de l'autre côté , un projet qui s'inscrit dans la continuité de l'Etat qu'a fondé BOURGUIBA : républicain , laîque , moderne et tourné vers le futur . BCE en est le représentant .
Ainsi voter pour l'un ou pour l'autre n'est pas tant voter pour une personne que décider de l'avenir d'un pays . Et par voie de conséquence il est primordial de se prononcer . J'en appelle ici à ceux-là qui se targuent de vouloir rester neutres . Mais la neutralité existe-t-elle vraiment ? N'est-elle pas la face cachée du manque de courage, pour ne pas dire autre chose? Et quand bien même elle existerait , un citoyen qui se respecte a-t-il le droit de ne pas s'exprimer en pareilles circonstances ?
N 'oublions pas que l'enjeu est de taille et que refuser de voter pour BCE -des milliers vont le faire à contre coeur -est sans l'ombre d'un doute , un consentement et une participation à la lente mais certaine déliquescence de l'ETAT DE DROIT , DE LA REPUBLIQUE et de leurs fondements .
Ne pas voter pour le projet BCE est un cautionnement de la médiocrité et de la violence que vit au quotidien cette pauvre TUNISIE, qui a pourtant ébahi plus d'un, un certain 17 décembre 2010.
Ne pas voter pour le projet BCE - sous prétexte que c'est une ancienne figure du "tajamou3" et qu'il y a risque de "taghawel"et de retour à la dictature est ni plus ni moins un désistement et un refus d'assumer une responsabilité ,"historique "pour certains .
Ne pas voter pour le projet BCE est une déloyauté envers la patrie , une trahison de nos valeureux jeunes soldats morts sauvagement au Kef , à Jendouba , à Ben Aoun , à Menzel Bourguiba , à Twiref , au Chaambi , à Neber .
Ne pas voter pour le projet BCE , c'est commettre une scélératesse envers Ch.BELAID et M.BRAHMI assassinés pour leur amour de la liberté .
Ne pas voter pour le projet BCE c'est consciemment hypothéquer l'avenir de nos enfants.
Et l'HISTOIRE ne nous le pardonnera pas .
H.MARZOUKI , Jendouba le 17-12-2014.