mardi 23 décembre 2014

Révolutions et contre révolutions dans le monde "arabe" !

Très instructif : Une vidéo de 15 mn, où Jean-Pierre Filiu fait un survol clair et précis de 2 siècles de l'histoire du monde dit "arabe", mettant en perspective "les révolutions et les contre révolutions" qui l'ont traversé.
Les pétromonarques, pour dominer les peuples "arabes", appliquent le dicton de Karl Marx : " Une fin effroyable, plutôt qu'un effroi sans fin " ! D'où leur sauvagerie et leur barbarie  pour réprimer les révoltes du "printemps arabe" !!
Or les Frères musulmans sont instrumentalisés par les uns (Qatar) et combattus par les autres (Ibn Saoud) ... d'où le danger de Ghannouchi pour la révolution tunisienne !
R.B

Jean Pierre Filiu,

Transcription de l'exposé de Jean-Piere Filiu, par Hamida Barnat :

Le pétrole est et a toujours été la pire malédiction pour les peuples arabes dans la voie de leur libération.
Je vous parlerai du monde arabe entre révolution et contre révolution. 

Le monde arabe est entré depuis l'hiver 2011 dans une période longue de révolution que je ne réduis pas à une variation saisonnière telle que le printemps qui a fait florès dans les colonnes de nos commentateurs favoris. 
Je savais parfaitement qu'après le printemps, viendrait l'automne, inévitablement islamiste; et l'hiver fatalement intégriste. Et même si la référence du printemps était initialement fondée et renvoyait à celle du printemps des peuples en 1848, elle ne pouvait que sombrer dans ces ornières d'observateurs un peu myopes.

Comme historien, je vais convoquer devant vous la longue durée d'une révolution qui prend ses racines dans plus de deux siècles. Une révolution qui aujourd'hui affronte une contre- révolution féroce, voire barbare. J'avoue volontiers avoir initialement sous-estimé la sauvagerie de la contre-révolution que nous voyons aujourd'hui dans le monde arabe.

Ce temps long de plus de deux siècles, remonte à l'intervention du Général Napoléon Bonaparte en Egypte en 1798, c'est ce qu'on appelle la "Nahdha", la renaissance en langue arabe. Cet événement Janus, était à la fois une irruption coloniale avec toute la violence qui pouvait l'accompagner, mais aussi un choc de civilisation qui a profondément mis en cause les fondements de l'Empire Ottoman. 
Or, les ottomans, à l'époque, depuis Istanbul, étaient hégémoniques dans le monde arabe  :
- soit parce qu'ils le dominaient directement au Moyen Orient et au Proche Orient, 
- soit indirectement en Afrique du Nord avec l'exception majeure du Maroc qui leur avait échappé.

La "Nahdha", donc cette renaissance arabe, va d'abord prendre la forme de deux dynasties modernisatrices qui vont s'autonomiser de l'empire Ottoman pour mettre en place des programmes de modernisation autoritaire. On n'est pas dynastique pour rien. C'est à la fois l'Egypte et la Tunisie qui d'ores et déjà étaient à l'avant garde il y a donc près de deux siècles :
- On avait la dynastie des Khédives en Egypte; et 
- la dynastie des Beys en Tunisie, c'était les Husseinides, 
ils avaient pris le pouvoir avant la Nahdha, mais c'est néanmoins avec la Nahdha qu'ils donnent toutes leurs mesures. 

En Egypte, les Khédives vont mettre l'accent sur la réforme foncière, une industrialisation volontariste, la constitution d'une armée moderne ; 
Alors qu'en Tunisie ce sera essentiellement la question constitutionnelle qui sera à la base de cette Nahdha, avec l’abolition de l'esclavage en Tunisie deux ans avant la France Républicaine et l'élaboration en 1856 de la première constitution du monde arabe.

On voit donc trois pôles de cette renaissance arabe au 19ème siècle : 
- un pôle qui donne la priorité à la problématique étatique en Egypte ; 
- un autre la problématique de la constitution, donc du rapport à la religion en Tunisie ; 
- et enfin un pôle plus culturel, linguistique, avec une renaissance multiforme, dans ce qu'on appelle le Levant ou la grande Syrie, c'est à dire le pays d'Echam, ou bilad Echam, Echam étant en arabe, d'ailleurs comme en turc, aussi bien le nom de Damas que de la Syrie.

Cet élan émancipateur, modernisateur n'est pas brisé par je ne sais quel obscurantisme inhérent à la civilisation islamique, mais par l'intervention coloniale dans ce qu'elle a de plus brutal, le protectorat français en Tunisie en 1881 et l'occupation militaire britannique en Egypte en 1882. 
On est face à ce moment là, à un mouvement impérialiste de colonisation, là aussi très violente :
- qui a commencé dès 1830 en Algérie avec bientôt une colonisation de peuplement et 
- qui va s'achever en 1906 avec le protectorat français sur le Maroc; 
- et en 1911 avec l'intervention italienne en Libye.

Pendant tout ce 19ème siècle, le courant émancipateur, le courant de la Nahdha, est habité par deux grandes familles politico-intellectuelles que nous pourrions qualifier par des termes qui n'étaient pas employés à l'époque :
- d'une part comme courant nationaliste, 
- d'autre part comme courant islamiste. 

Pour les islamistes, il s'agit de rénover l'islam face à la décadence des Ottomans en mettant en avant un calife arabe, face donc à ces turcs décadents. 
Pour les nationalistes, il s'agit en fait de transférer le nationalisme à l'européenne sur la base d'un peuple, d'une langue et d'une identité, mais appliqué cette fois-ci au peuple arabe dans sa diversité.

Ces deux courants vont fusionner en 1916 dans le soutien à une figure commune, la figure du chérif Hussein, le gouverneur de la Mecque qui gérait la ville sainte aux noms des Ottomans et qui va se rebeller contre eux. Ce sera la révolte arabe.
Mais en arabe ça s'appelle la révolution, la "thaoura". 
Ce chérif Hussein est :
- le héros du nationalisme arabe vu qu'il meteffectivement, en avant leurs droits nationaux, 
- mais il est aussi le champion de l'islamisme arabe vu que, comme descendant du prophète, il a tous les titres à faire valoir pour se substituer aux califes turcs.

Ce nationalisme arabe a été encouragé par la France et la Grande Bretagne contre les Ottomans qui alors étaient les alliés des empires centraux. Il sera trahi à deux reprises : 
- La première trahison ce sont les accords secrets conclus entre la France et la Grande Bretagne pour se partager le Proche Orient.
- La seconde trahison c'est la déclaration dite Bal-four, quand le ministre des affaires étrangères de sa gracieuse majesté annonce le soutien de l'Angleterre à l'établissement d'un foyer national juif en Palestine.

Après la première guerre mondiale et les "traités de paix", qui la suivent, les arabes ottomans sont les victimes absolues vu qu'ils deviennent partout des arabes colonisés. Il n'y a qu'une seule exception, c'est l'Arabie bientôt Saoudite, ce secteur d'Arabie centrale qui a échappé aussi bien à la domination directe ottomane qu'à la colonisation occidentale et où s'est développé en vase clos et dans l'indifférence générale une théorie de l'islam et une pratique du dogme qui est une machine de guerre à l'encontre de la renaissance arabe, qu'elle soit nationaliste ou islamisteCette doctrine, qu'on appelle le "wahhabisme", est de façon inédite dans l'islam sunnite, une religion d'Etat dans ce qui va devenir l'Arabie Saoudite, donc le seul pays du monde où les citoyens, plutôt les sujets, sont désignés par le nom de la dynastie régnante. Si on ne comprend pas cela, on peut difficilement comprendre pourquoi aujourd'hui l'Arabie Saoudite est le principal bailleur de fond de la dictature égyptienne contre les islamistes égyptiens.

Les Etats arabes vont émerger progressivement de 1922 à 1971. C'est donc un demi siècle de conquêtes progressives et très douloureuses de l'indépendance arabe, après la première guerre mondiale contre ces pays occidentaux qui ont succédé à l'empire ottoman. 
Ce processus est lancé en Egypte, là encore par une révolution "thaoura", même si on l'appelle "révolte" en 1919, qui a énormément de points communs avec la "révolution de Tahrir" en 2011. 
Il s'agit en 1919, comme en 2011, d'une révolution citoyenne, non violente qui transcende les classes sociales et les communautés confessionnelles. Elle est réprimée sauvagement par les britanniques, comme "tahrir" sera réprimée sauvagement par Moubarak. Mais néanmoins, les britanniques sont contraints de concéder l'indépendance de l'Egypte en 1922. Cette indépendance sera inaboutie, inaccomplie car les coloniaux continuent de contrôler une grande partie de la politique égyptienne. D'où une réaction avec la création en 1928 du mouvement des "Frères Musulmans" contre cette domination britannique. 

En 1925-1926, là encore révolution ("thawra" pour les arabes, "révolte" pour les coloniaux) en Syrie, s'est écrasée sous les bombes de la république française et du cartel de gauche, qui prétend combattre, je cite, le "fanatisme". A l'époque la France fait voter, comme Bachar El Assad fait voter dans un pays en ruine et à feu et à sang. La plupart des quartiers de Damas et de sa banlieue bombardés à l'époque par les français, ont été la cible des attaques chimiques d'août 2013.

Ce processus sur un demi siècle va être marqué en 1945 par la création de la Ligue des Etats Arabes. Il n'y a à l'époque que sept états arabes indépendants : l'Egypte (on a vu que son indépendance était inaccomplie), la Syrie, le Liban, le Yémen, l'Iraq, l'Arabie Saoudite et la Trans-Jordanie. 

En 1948 la création de l'Etat d’Israël, va encore plus déstabiliser un système déjà extrêmement vulnérable. 

De 1949 à 1969, toutes ces différentes indépendances sont détournées par des dictatures militaires : 
- en Syrie c'est le premier coup d'état dès 1949 ; 
- en Egypte ce sont les officiers libres en 1952 ; 
- en Algérie dès l'été 1962 de l'indépendance l'armée des frontières écrase la résistance intérieure pour prendre le pouvoir à Alger 
- et en Libye, en 1969, Mouammar Khadhafi éjecte le monarque qui avait conduit le pays à l'indépendance.

A chaque fois ces cliques militaires compensent leurs défaites effectives contre Israël par une répression intérieure féroce. C'est le règne des "moukhabarats", le terme générique pour qualifier les services de renseignements. 

Ces différents régimes ont beau être odieux, ils bénéficient de la compréhension du monde extérieur et notamment de la gauche, au nom d'un soit disant socialisme, pourtant liberticide, vu qu'il s'agit, comme toujours, d'écraser le fanatisme bien connu sous le nom "d'islamisme". 

Une première crise de ces régimes intervient concomitamment à la chute du mur de Berlin et à l'effondrement de l'Union Soviétique de 1988 à 1991. Le pays qui souffre le plus est l'Algérie où, plutôt que de laisser faire la transition démocratique, les généraux, ceux qu'on appelle là bas les "décideurs", vont précipiter le pays dans une guerre civile atroce qui fera au moins 100 000 morts. 

Ce système arabe totalement corrompu, totalement vermoulu, bénéficie cependant de l'aubaine stratégique du 11 septembre, puis de l'invasion américaine de l'Iraq en 2003, qui permet à tous ces dirigeants, voir à leurs enfants comme en Syrie, de se présenter comme le seul rempart face au chaos.

La crise de 2011 est donc une crise de système où se mêlent à la fois les revendications des citoyens pour la liberté individuelle, mais en même temps la revendication collective pour une indépendance réelle.

La première contre-révolution a lieu en mars 2011 à Bahreïn. C'est l'Arabie Saoudite qui la parraine directement et à partir de ce moment là, l'Arabie Saoudite va devenir une forme de bastion de la contre révolution à la fois en opposant :
- nationalistes contre islamistes, comme c'est le cas en Egypte ; ou 
- chiites contre sunnites dans toute la région.    

La Syrie a choisi le modèle algérien de jihadisation de la révolution pour refuser de répondre aux revendications populaires. Il est à craindre que l'Egypte s'engage sur la même voie.

Il y a pourtant une alternative, on le voit aujourd'hui en Tunisie, où après trois ans qui ont été effectivement assez tendus, une constitution de vivre ensemble a été élaborée fondamentalement par un pacte entre nationalistes et islamistes. 
La grande force de la Tunisie, au delà de son mouvement social, est qu'elle n'a pas une goutte de pétrole. On peut donc, à ce moment là, espérer une gestion citoyenne et non plus une redistribution de la rente. 

Il est évident qu'aujourd'hui si le pétrole était à 30 dollars au lieu des 110 actuels, la plupart des régimes que vous voyez aujourd'hui dans le monde arabe seraient déjà tombés. 
Le pétrole est, et à toujours été, la pire malédiction pour les peuples arabes dans la voie de leur libération !

Mais je peux vous assurer qu'après :
- la renaissance arabe contre les ottomans du 19ème siècle, 
- après les combats des indépendances du 20ème siècle contre les puissances occidentales,
la révolution qui s'est ouverte, ou rouverte en 2011 contre ces différents régimes dictatoriaux, ne fait que commencer et c'est pourquoi la contre-révolution qui lui fait face est aussi barbare ! 
Car ces régimes se savent condamnés.
Et comme disait Karl Marx, " plutôt une fin effroyable qu'un effroi sans fin ".






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