jeudi 11 décembre 2014

Une religion qui vit à une époque doit être une religion qui vit dans son époque

MUSULMANS "MODÉRÉS" : une supercherie sémantique ou politique ?
L'islam doit s'adapter à notre époque. Les musulmans ne peuvent continuer à faire l'économie d'une réforme devenue de plus en plus urgente et nécessaire ... comme le firent les chrétiens et les juifs ! 
R.B
Canadien, enseignant et auteur, Hassan Jamali n’oublie ni ses origines – il est natif de Homs en Syrie, désormais ville martyr – ni la culture et les valeurs dans lesquelles il est né et a grandi.
Son dernier livre, «Coran et déviation politique», en témoigne abondamment. Mais il apporte aussi une nouvelle lecture de l’actualité, une lecture de l’actualité confessionnelle qui tranche à la fois avec les messages et conceptions des traditionalistes musulmans et des islamistes, et avec les visions et perceptions -souvent biaisées- qui sont celles des «orientalistes et des médias.
D’où l’intérêt de cet entretien, accordé à notre consœur Hannelore Poncelet et qu’il nous invite à partager. Gageons toutefois que les idées que développe ici Hassan Jamali ne manqueront de susciter de nombreuses réactions.
Hannelore Poncelet : Dans votre dernier livre, Coran et déviation politique, vous affirmez que les musulmans n’ont pas besoin d’un islam modéré, mais plutôt d’un islam moderne. Qu’est-ce qui vous a amené à écrire ce livre ?
Hassan Jamali : Je me sens concerné. Je vis en Occident et je suis de culture musulmane. Je suis très conscient que l’islam a un problème. L’islam est resté figé à une époque datant de 8 siècles et il a besoin d’une réforme. Face à l’intégrisme musulman et au terrorisme islamiste qui veulent exploiter l’islam à des fins politiques, on est parfois content en Occident de pouvoir dire de certaines personnes qu’elles sont des « musulmans modérés. » On parle ainsi de Tariq Ramadan, par exemple, comme d’un modéré. Mais qu’est-ce que ça veut dire « modéré » ? Est-ce qu’il suffit qu’untel ne lance pas de bombes pour qu’il devienne modéré et acceptable ? On dit ces gens-là modérés uniquement parce qu’ils ne sont pas des purs et durs. Ils veulent vivre un islam qui n’est pas violent, mais qui est, par contre, traditionnel. Ça veut dire qu’ils ne renoncent pas à l’application de la sharia par exemple, mais ils sélectionnent; selon eux il y a dans la sharia des choses qu’on peut laisser tomber; sur lesquelles on peut fermer l’œil, mais il y a aussi des positions très intransigeantes, surtout en ce qui concerne la femme, les droits de la femme, la famille etc.
Ceux qu’on appelle modérés ne renoncent pas tous à l’idée que dans l’islam, il y a les fondements d’un État. Ils veulent que dans les constitutions des pays musulmans, on fasse référence à la sharia, à l’islam, etc. D’ailleurs, dans la constitution du Maroc, les islamistes qu’on dit modérés ont beaucoup insisté pour qu’il soit écrit que le Maroc est un État islamique. On disait dans le projet de constitution que le Maroc était un pays islamique. Ce n’était pas suffisant, il fallait mentionner le mot « État » parce que l’État, ça veut dire les institutions, etc. C’est donc pour ça que je dis que les musulmans modérés, avec ces idées-là, sont très loin d’apporter quoi que ce soit à la nécessaire réforme de l’islam. Une religion qui vit à une époque doit être une religion qui vit dans son époque. Une réforme de l’islam doit viser à créer, à trouver, à établir les bases d’un islam moderne et non pas modéré.
Hannelore Poncelet : Comment l’islam peut-il devenir moderne ? Vous parlez, par exemple, des femmes musulmanes qui opèrent des changements dans leur milieu.
Hassan Jamali : Ce qui est curieux, c’est qu’après l’indépendance de plusieurs pays arabes et musulmans, le monde arabe et musulman est entré dans la modernité vraiment sans  problème. Je peux même dire que l’avortement, la contraception ou le travail des femmes n’ont pas causé de problème. Ma tante, par exemple, a commencé à travailler en 1944. Les femmes travaillaient. Il y avait des femmes médecins, il y a très longtemps. Des filles, comme la femme de mon oncle, sont allées étudier en France comme boursières. Une fille seule, à la fin des années 30, toute seule à Paris ! Donc, on a vécu cette époque extrêmement moderne. Les femmes ne portaient plus le voile. Elles participaient à la vie politique et tout le reste. En Algérie, par exemple, le code de la famille, c’était le code français qui a été appliqué jusqu’en 1988. Il y a plus de 50 ans, Bourguiba a élaboré un code de la famille extrêmement moderne qui a aboli la polygamie, sans résistance. Dans les années qui ont suivi 1970, il y a eu une rechute causée par toutes sortes de déceptions, de problèmes dans le monde arabe. Cette situation a surtout été provoquée par des régimes que l’Occident appelait laïcs, mais qui étaient les pires des dictatures. Ces régimes autoritaires privaient les citoyens de toute liberté. Les gens ont trouvé refuge dans les valeurs sûres associées pour eux à la religion et ce en idéalisant l’histoire de l’islam. On est revenu en arrière, même par rapport aux années 50.
Lors des manifestations du printemps 2011, on a vu que ce sont les jeunes de moins de 30 ans qui ont déclenché le mouvement. Par la suite les résultats des élections n’ont pas reflété la volonté de changement de ces jeunes. Les structures anciennes sont restées: ils avaient le discours, ils avaient l’organisation, etc. Les islamistes ont donc gagné, pas toujours la majorité absolue, mais ils sont arrivés en tête aux élections.
Il y a eu toutefois des élections pour l’Union des étudiants en Tunisie, et les étudiants de gauche l’ont emporté sur les islamistes. Ça veut dire que chez les jeunes, ce qui se passe ne se reflète pas dans les élections générales qu’on a connues. Ces élections ont d’ailleurs été faites de façon précipitée.
Le terrain est propice pour une réforme de l’Islam, et la démocratie va faciliter les choses. Auparavant, toute tentative de réformer l’Islam se faisait au niveau intellectuel, en France, en Angleterre, etc. Le printemps arabe a entraîné un vent de démocratie et beaucoup de liberté d’expression, même si on fait encore attention dans les journaux. Il y a cependant Internet, il y a Facebook; on y voit une liberté d’expression qui était impensable il y a quelques années seulement.
Hannelore Poncelet : Et la situation en Syrie ? Vous êtes natif de ce pays, et la situation là-bas est loin d’être résolue…
Hassan Jamali : Non seulement je suis Syrien d’origine mais je suis de Homs; j’ai d’ailleurs entendu récemment, à Radio-Canada, une entrevue avec Monsieur Perez, un des fondateurs de Médecins sans frontière, qui se trouvait à Homs dans un quartier qui a été bombardé et occupé; il a  dit que le régime syrien est un régime criminel et menteur. Il a dit que le bombardement des quartiers rebelles à Homs n’était pas un bombardement ciblé. L’armée a bombardé du matin au soir et c’est complètement chaotique; les gens n’ont plus ni abri ni maison.
Le régime syrien est un des derniers régimes staliniens sur Terre. En 43 ans de règne, il a fait en sorte que l’armée soit l’armée du régime et non pas du peuple, ce qui n’était pas le cas en Tunisie ou en Égypte. Le rôle de l’armée est de défendre le régime, et l’économie du pays sert à remplir les poches des dirigeants actuels; ceux-ci vont tout faire pour prolonger leur pouvoir à n’importe quel prix parce qu’ils sont conscients que si jamais ils perdent le pouvoir, ils devront être jugés. Ce qui arrive en Syrie, c’est une tragédie humaine; une accumulation de crimes contre l’Humanité. Ce régime ne peut plus durer, mais quel sera le nombre de victimes avant la fin ?
Hannelore Poncelet : Pour terminer, est-ce qu’il y a un message d’espoir pour la Syrie, pour l’islam, pour le monde arabe ?
Hassan Jamali : La dictature n’est pas un régime naturel. C’est la démocratie qui est un régime naturel. Les gens n’ont pas besoin de faire beaucoup d’efforts pour s’y habituer. C’est naturel chez l’être humain d’avoir son mot à dire, puis ensuite la majorité décide. Même dans une famille, on en a besoin; on a besoin de s’écouter les uns et les autres, mais à un moment donné, il faut trouver un moyen pour trancher.
On a annoncé rapidement que le printemps arabe avait cédé la place à l’automne arabe étant donné que les élections n’ont pas donné les résultats escomptés. Je trouve, au contraire, que c’est la meilleure chose qui soit arrivée aux Arabes et aux Musulmans depuis un demi-siècle; depuis l’indépendance. C’est un vent de liberté que personne ne pourra arrêter.

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