Chère Madame Boutin
Vous ne le savez pas mais je vous aime bien, c'est ainsi depuis longtemps, et c'est la raison pour laquelle j'ai envie de vous écrire, pour essayer de vous tranquilliser, si je peux. Car vous me semblez bien inquiète ces derniers-temps. Attention, tout ceci n'est pas bon pour la tension artérielle ! Je vous ai vu récemment pousser des cris d'orfraie (à la télévision) et votre sincère malaise m'a fait pitié. Je vous ai même entendu dire, vos deux yeux ronds exorbités par la douleur: "avec le mariage homosexuel, c'est la disparition du père et de la mère"... Rien que ça !
Bon, on se calme et on se pose, si possible. Laissez moi vous raconter une histoire. Peu importe si elle est vraiment vraie ou pas, le fait est que tout l'Occident s'est construit dessus, donc c'est pas rien mon histoire. Elle s'appelle M., ça se passe il y a longtemps, elle est très jeune, mineure probablement et voici qu'on lui annonce qu'elle va enfanter. Or, elle est vierge ! Et vierge elle va le rester avant l'accouchement, pendant et après, jusqu'à la fin de sa vie. Sacré problème ! Sacré fardeau pour les femmes et la sexualité ! Et Freud, qu'aurait-il dit s'il avait reçu M. en consultation pré-natale ? Et la DASS, et la juge pour enfants, et l'haptonomiste ?
Mais, finalement le temps passe, bébé grandit, il devient un enfant beau et fort, intelligent, précoce, on l'appelle J. Peu importe si J. finira mal, il fera une carrière éblouissante, il s'épanouira dans la vie. Or J. n'a pas eu de père, pas de géniteur je veux dire. Vous voyez le problème ?
Heureusement, un autre père, un père putatif, cocu magnifique s'il en est, charpentier de métier, l'élèvera et l'aimera comme un père, un vrai. Comme quoi, la paternité n'est pas toujours une question de spermatozoïdes. J. s'est trouvé un référent masculin, il a pu fantasmer son père et sa mère, en dépit de la réalité, voire grâce à elle.
J. le fils grandit et ne semble pas avoir de problème d'identité, enfin, disons qu'il est arrivé à en faire quelque chose de son problème d'identité. A chacun son roman familial, sa névrose, à chacun sa croix. Devenu adulte et même célèbre, J. le fils tombe amoureux de M.M., qu'il nomme la bien-aimée, la préférée. Ils ont une relation mais ne se marient pas, encore une fois et depuis le début il reste loin de la norme, notre cher J., pour le pire et le meilleur. Pas de mariage pour J., de la même façon que ses "parents" ne s'étaient pas mariés, pas à ma connaissance en tout cas. Vous voyez ce que je cherche à vous dire, madame Boutin ? N'imposez pas vos schémas préconçus, même si l'inconnu fait peur. Ne délirez pas l'inconnu, non, ce n'est pas la boîte de Pandore, la porte ouverte à la chienlit, à la polygamie, à l'inceste, à la zoophilie... Pensez au petit J. qui n'a pas eu de vrai père ni de vraie mère, ça ne l'a pas empêché de devenir un type bien. Non ?
La vie, Madame Boutin, le vivant, faites leur confiance. Elle a beaucoup de ressources la vie, beaucoup de résistance et d'imagination. C'est fou ce qu'elle arrive à tricoter et tisser, la vie, si on la laisse faire. Tout change, rien ne change et tout se transforme. Regardez, la Terre se prend une météorite dans la gueule, c'est la fin des dinosaures, l'hiver pendant des centaines d'années et pourtant ça repart, et de plus belle ! Regardez ces lichens qui poussent dans les interstices des murs, ces poissons qui vivent dans le noir profond des abysses, sous des pressions énormes. Etudiez les comportements des organismes extrêmophiles, science biologique de la vie en condition extrême. Relisez les théories psychologiques sur la résilience. Vous relativiserez les choses et conviendrez peut-être que l'instauration en France du mariage civil pour tous ne sera pas une épreuve insurmontable pour l'humanité, encore moins pour la vie. Le mariage homo serait la fin d'une certaine culture ? Oui, le mariage homo va nous permettre de tourner la page avec certaines conventions sociales. Et c'est une bonne nouvelle ! Car de l'air, on a besoin d'air ! L'amour est toujours à réinventer comme disait l'autre et l'histoire avance, ne cesse d'avancer. Et pour citer vos amis, je vous dirai, avant de vous quitter et de vous souhaiter le meilleur pour vous-même : "N'ayez pas peur" comme disait Jean-Paul II, ou "Yalla !" comme disait Soeur Emmanuelle...
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