lundi 25 mai 2020

Colonisation et condition du colonisé selon Albert Memmi

Mort d’Albert Memmi à 99 ans (1920-2020), penseur des peuples et philosophe de l’antiracisme humaniste. Cet homme d’ouverture, revendique sa triple appartenance de Juif, de Tunisien et de Français. Ce à quoi son ami Edmond Fleg, à qui il confie sa perplexité devant son identité multiple; lui répondit : « Gardez tout, soyez tout cela à la fois ».
R.B

Albert Memmi : vie et œuvre de l’auteur du «Portrait du colonisé»

Voilà bientôt près d’un siècle qu’Albert Memmi, un des grands écrivains francophones du 20ème siècle, est né à Tunis, en 1920, dans une famille et un milieu dont les composantes seront un facteur important dans son œuvre ainsi que dans son évolution personnelle et intellectuelle. Son père François était bourrelier, installé à la lisière du ghetto juif de Tunis, la Hara. Ce lieu n’était pas le fruit du hasard, mais plutôt celui d’attaches communautaires et d’intérêts commerciaux. Les licols que fabriquait François avec son ouvrier italien Peppino, étaient vendus à des cochers maltais ou à des charretiers de Gabès. Son épouse était une Berbère de pure souche qui ne parlait que le judéo-arabe; quant à François, il pratiquait l’arabe, le maltais et l’italien et il possédait également quelques notions de français. Les odeurs du cuir, les artisans juifs et arabes, les traditions familiales ainsi que le milieu linguistique seront pour Memmi tant une source d’inspiration que des sujets à réflexion.

Albert étudiera au Koutab où il apprendra aussi le français, qui deviendra sa langue d’écriture. Elève brillant, il parvint à décrocher une bourse qui lui ouvrira les portes du lycée. Cet évènement, dira Memmi, «sera l’évènement majeur de ma vie»puisque le voilà en possession de la clé qui l’aidera dans la maitrise de la langue française, l’instrument essentiel de son périple d’intellectuel et d’écrivain français.

Il adhéra au mouvement de jeunesse sioniste Hachomer Hatsair dont la finalité était d’aller vivre au kibboutz. Or Memmi voulait écrire des livres et devenir un grand philosophe, même si, dit-il, «j’en ai rabattu depuis». Il va donc étudier la philosophie à Paris et c’est là qu’il rencontre le chef du Département de Français de l’Université Hébraïque de Jérusalem, Monsieur Duff, lequel était venu en France pour constituer une équipe de Juifs universitaires, chargés d’enseigner à Jérusalem la langue et la littérature françaises; Memmi me racontera que le projet l’intéressait vraiment mais il ajoutera aussi combien il était difficile de changer de langue pour écrire. Il pensait qu’enseigner et continuer à écrire en français à Jérusalem «pouvaient concilier ces deux tendances contradictoires en moi… Monsieur Duff me demanda si j’étais sioniste, je dis que oui; la conversation glissa sur le côté social et brusquement il se révéla anti-Hachomer Hatsair et anti-démocratique. Je m’énerve, je lui réponds, il s’énerve aussi et voilà mon engagement par terre… J’ai raté une des meilleures occasions de ma carrière et même de ma vie».

Avec le recul, on peut dire que l’Etat d’Israël a perdu un nouvel immigrant de qualité et que le monde littéraire a gagné un grand écrivain.

A Paris, il épousa Germaine, une Lorraine, catholique, agrégée d’Allemand et retourna à Tunis avec elle pour enseigner la philosophie. Le choc des cultures s’impose – Germaine doit se fondre dans un milieu partagé entre judaïsme et islam; nous avons là la trame de son second roman Agar, dont le pivot sera le mariage mixte.

Son premier roman La statue de Sel est déjà en gestation et Jean Paul Sartre le publiera, par épisodes dans Les Temps modernes. Ce premier roman est en fait comme la matrice de toute l’œuvre d’Albert Memmi. En réalité, il a déjà décidé de prendre sa vie comme exemple et d’en faire les sujets de ses ouvrages et de sa réflexion.

Quand La statue de Sel paraîtra à Tunis, les réactions furent des plus mitigées; en effet, quelle communauté aimerait que l’on porte sur elle un regard acerbe et critique – et de surcroît de la part d’un de ses fils ? Memmi n’avait, tout compte fait, que disposé un miroir, implacable certes, mais fidèle. Avec le temps, ce sera un des livres majeurs dans l’œuvre d’Albert Memmi, ainsi que sa carte d’identité; ces lignes si claires et si transparentes dans le roman en sont l’expression la plus sincère:
«Descendrais-je d’une tribu berbère que les Berbères ne me reconnaitraient pas, car je suis Juif et non Musulman, citadin et non montagnard; porterais-je le nom exact du peintre que les Italiens ne m’accueilleraient pas, car je suis Africain et non Européen. Toujours je me retrouverai Mordekhaï, Alexandre Bénillouche, indigène dans un pays de colonisation, Juif dans un univers antisémite, Africain dans un monde où triomphe l’Europe.»
Écrire cela – quand on a à peine 30 ans et quand la décolonisation en est à ses premiers balbutiements – c’est malgré tout faire preuve d’une grande lucidité et d’un désir profond de se définir et de comprendre la colonisation et la condition du colonisé, qui seront le thème de son troisième ouvrage, Portrait du colonisé, préfacé par Jean-Paul Sartre, traduit dans plusieurs dizaines de langues, dont l’hébreu, aux éditions Carmel. Rappelons qu’au même moment parurent trois ouvrages qui servirent de livre de chevet à tous les combattants pour l’indépendance – Peaux noires, masques blancs de Frantz Fanon, Discours sur le colonialisme d’Aimé Césaire et Le Portrait du colonisé d’Albert Memmi.
Le sujet était dans l’air et Sartre ajoutera que l’ouvrage de Memmi «était une géométrie passionnée» dans laquelle rien n’était laissé au hasard et toutes les cartes étaient mises au grand jour avec fougue. Indéniablement cet ouvrage fait date dans l’histoire de la sociologie de la colonisation, puisque Memmi y analyse avec rigueur les rapports qui, dans un duo étonnant, unissent le colonisateur au colonisé, imposant à chacun attitudes et réactions.

Lors de mes nombreuses visites chez Memmi, dans son antre parisien de la rue Saint-Merri, entre la Seine et le Centre Pompidou, et d’où l’on peut voir les toits de Paris, je découvris dans ce coquet bureau de travail, deux objets qui m’interpelèrent – l’un, un bout de parchemin de Sefer Thora jauni, l’autre, une médaille. L’histoire qui se cache derrière ces deux objets, gardés précieusement par l’écrivain, nous éclaire tant sur la personnalité de Memmi que sur les sujets qui lui tenaient à cœur. En effet, le père de Memmi – bourrelier rappelons-le – reçut un jour de l’année 1943, «la visite» d’un officier nazi – c’était pendant les «six mois sous la botte» que connut la Tunisie – lequel, sous la menace d’un révolver, lui tendit un Sefer Thora et l’obligea à y tailler un sac pour sa femme. Albert Memmi gardait ce qu’il en restait, en souvenir de son père mais aussi en souvenir des travaux obligatoires qu’il dût accomplir, dans un des camps de travail établis par les occupants allemands en Tunisie. Cette pièce se trouve aujourd’hui au Musée de Yad Vachem, à Jérusalem, après que je le convainquis que c’était sa place naturelle.

Pour ce qui est de la «médaille», l’histoire est aussi très intéressante et nous laisserons parler Memmi lui-même : «un jour, amassant des matériaux pour un roman familial – Le Scorpion – je reçus un message du conservateur de la Grande Bibliothèque de Tunis… il me remit un minuscule paquet que j’ouvris aussitôt; il contenait justement cette petite et fort jolie médaille, qu’il avait trouvée lui-même dans les ruines de Carthage. Côté face, j’y vis, en relief, une tête de Numide, couronnée de lauriers; côté pile, deux cavaliers, également couronnés, tenant chacun les brides de son cheval; sous les cavaliers, cette inscription extraordinaire, fort visible : L. Memmi. Stupeur ! Vertige ! Ainsi le passé de la famille, celui de la communauté, dont je recherchais les jalons dans les archives des comptoirs coloniaux, reculait prodigieusement : deux millénaires ! Donc nous fûmes au Maghreb, avant les Chrétiens et bien avant les Arabo-Musulmans; le monothéisme juif a préparé les gens au christianisme et à l’islam.» 
Dans une certaine mesure, cette histoire sera l’un des jalons de son roman historique – Le Pharaon – qui raconte l’histoire de l’indépendance de la Tunisie et la place que certains Juifs y ont tenue.

Après avoir tenté l’expérience tunisienne, Memmi quittera la Tunisie pour Paris, car – il avouera lui-même – «j’ai aidé les nationalistes en sachant que je n’aurai pas ma place dans cette aventure». Tunisien certes, mais Juif, ses chances de s’intégrer dans une nation nouvelle étaient pratiquement nulles.

Ses aspirations intellectuelles ainsi que son profond désir de faire une carrière littéraire lui feront choisir la France, ce pays où il continuera aussi de s’interroger sur sa condition de Juif. C’est ainsi que quelques années plus tard, il publiera Portrait d’un Juifun ouvrage où la condition juive est décrite comme un malaise, et où la prise de conscience et l’analyse qu’il en fait sont d’un rigorisme que Memmi reconnait comme nécessaire, puisqu’il n’avait pas pour dessein de tracer seulement un autoportrait. En fait, dans ce livre – que d’aucuns considèreront comme pessimiste – il utilisera la même démarche d’analyse que l’on avait rencontrée dans Portrait d’un colonisé : les deux – le Juif et le colonisé – sont des opprimés et comme il le dira si clairement :
«si je me crois différent ? Oui je le crois : sur de très nombreux points, le Juif est différent du non-Juif… Je ne vois même plus pourquoi je chercherai à l’atténuer (la différence) comme je me suis efforcé si longtemps de le faire. Je suis au contraire persuadé aujourd’hui que cette hésitation, ces réticences inquiètes à propos d’une telle évidence sont l’un des signes de l’oppression juive… dans la bouche d’un opprimé, l’affirmation de l’égalité et de la fraternité déjà réalisée a toujours ce même ton désespéré, humble et non convaincu».

A la parution de ce livre, certains critiques l’ont comparé au livret Auto-émancipation du grand penseur sioniste Léo Pinsker, publié en 1882; si pour Pinsker, l’antisémitisme était une maladie incurable et le Juif devait donc s’en libérer, «s’émanciper» en choisissant la solution nationale, pour Memmi, la condition de Juif est une condition d’opprimé et, là aussi, la libération ne peut s’opérer qu’au mode national. C’est d’ailleurs cette thèse qu’il développera dans un autre ouvrage Libération du Juif.

Une facette peu connue dans l’œuvre de Memmi, ce sont ses poèmes dont certains sont rassemblés dans Le Mirliton du ciel. Parlant de l’acte poétique, Memmi dira de manière suggestive «la poésie, c’est l’amande, le reste, c’est du commentaire» et il est vrai que quand on parcourt ses poésies, on retrouve les images et l’ambiance où baigna son enfance :

Une poignée de sel
pour aveugler le mal
Un morceau de charbon
contre les regards noirs… 
Et sur le parchemin 
les sept bénédictions 
Tu peux partir en paix
Te voilà protégé
Mais reviens au plus vite
Pour que vive ta mère

Ou encore les dialogues métaphysiques qu’il entame dans Pourquoi le Seigneur Dieu n’aurait pas un adjoint.

Arrivé sur le tard à la poésie, Memmi a su aller jusqu’au fond de ses émotions – fort maîtrisées toutefois – et, comme il le dit lui-même :
«l’acte poétique est l’acte littéraire réduit à l’essentiel, au sens où l’on dit d’un bouillon qu’il est réduit, c’est-à-dire qu’on en prend le meilleur, par évaporation et condensation»Quel délice !

En 2003, conscient que le temps lui est désormais compté, Memmi publie un livre-bilan, Le Nomade immobile qui apparaît comme la clef de voûte des quelques trente ouvrages qu’il a écrits. Ce livre est d’abord le récit d’une vie, celle de l’auteur, mais constamment accompagné des leçons qu’il a cru pouvoir en tirer, pour vivre au mieux. Albert Memmi en est convaincu : découvrir comment vivre, tel est le but implicite ou explicite de la plupart des religions et des philosophies. Homme d’ouverture, Memmi revendique sa triple appartenance de Juif, Tunisien et Français, et d’ailleurs il rapporte cette prise de conscience dans un entretien qu’il eut, à son arrivée à Paris, avec le poète juif, Edmond Fleg, à qui il confie sa perplexité devant son identité multiple; la réponse de Fleg ne se fit pas attendre «Gardez tout, soyez tout cela à la fois». De plus, Memmi s’exprime sur les nationalismes arabes; il réaffirme ses amitiés, mais sans complaisance pour le fréquent mutisme des intellectuels arabes, leur solidarité inconditionnelle. La symbiose entre les Arabes et les Juifs est, à ses yeux, inesquivable pour les uns et pour les autres; toutefois, affirme-t-il, il est nécessaire de désacraliser le conflit israélo-arabe.
C’est une analyse prémonitoire et on peut avancer que Memmi a eu un seul tort, celui d’avoir eu raison trop tôt.

Nous laisserons à Albert Memmi le soin de conclure :
Je souhaite que l’on mette sur ma tombe : «Il a tenté d’être sage et réussi, quelquefois à être heureux.»
C’est pourquoi j’aimerais bien disposer encore de quelques années pour vivre plus complètement, sans regrets ni remords. Si le bonheur n’est jamais qu’à moitié atteint, je me serai réjoui au moins de cette bonne moitié de ma vie.

samedi 23 mai 2020

La mort politique de Ghannouchi

La SNCFT ouvre un concours pour le recrutement de 498 nouveaux agents

Dans une déclaration de « soutien » à son rival, Abdellatif el-Mekki, principal prétendant à la succession à la tête d'Ennahdha, estime que Ghannouchi fait actuellement l'objet d'une tentative « d'assassinat politique ». Cela n'est pas convenable, selon lui. Alors que s'il était honnête, il doit reconnaître que Ghannouchi s'est suicidé tout seul, lui l'adepte des assassinats politiques pour éliminer ses opposants !  

S'inscrivant dans le long feuilleton du passage de témoin à Montplaisir, ce soutien (sincère ?) à un « frère » accusé d'abus de pouvoir et de mise en danger de la souveraineté nationale de la Tunisie et de sa sécurité, révèle ce que tout le monde sait déjà : le Cheikh Rached est dans un « état de mort politique avancé » et la guerre de succession au sein d'Ennahdha est ouverte entre les prétendants pour prendre sa place. La danse du scalp, étant menée par el-Mekki et son par rival Noureddine el-Bhiri. 

Après avoir refusé de mettre fin à un règne sans partage de près de cinquante ans à la tête du mouvement islamiste, Ghannouchi devient un lourd fardeau pour ses partisans de naguère, désormais en état de choc et sans voix devant la multiplication de fautes politiques graves !

Ce Frère musulman s'est trompé d'époque, de pays, de peuple et de culture. 

En violation flagrante de la Constitution, il n'a eu de cesse de vouloir se créer un Etat dans l'Etat. Dès son accession au perchoir de l'ARP, il se proclame, à la stupeur générale, « président de tous les Tunisiens ». 

Pour beaucoup de Tunisiens, cette phrase semble anodine. Mais d'autres, parmi les siens, la prennent au premier degré, y voyant l’acte ultime de Ghannouchi dans le projet des Frères musulmans en Tunisie, se couronnant lui-même président à vie du parti mais aussi de la Tunisie. 

Aussitôt dit aussitôt fait : il transgresse toutes les règles démocratiques et constitutionnelles pourtant voulues par lui et pondues par son neveu Habib Khedher, et empiète sur les prérogatives du président de la république, dans le but de soumettre l'Etat tunisien à son diktat. Il se voyait déjà « Calife à la place du Calife » !

A force de manœuvres politiciennes et d’abus de pouvoir à l'ARP, d'instrumentalisation de députés violents de l’ex-LPR à sa solde, de relations suspectes avec des puissances étrangères (Turquie d’Erdogan, Qatar de Tamim al-Thani et de son porte-voix Qaradaoui, le sinistre guide spirituel des Frères musulmans...), Ghannouchi met en péril les intérêts du pays et s’apprêtait à rééditer le traité honteux du Bardo de 1881

Et pour couronner le tout, il refuse avec arrogance de rendre compte aux élus de la nation de ses actes qu'il prend en leur nom mais à leur insu.

Sans la vigilance de Abir Moussi et du PDL, pour dénoncer le complot des Frères musulmans contre la Tunisie et informer les Tunisiens de la réalité de ce qui se trame contre leur pays, il aurait réussi son ignoble forfait en cédant la souveraineté de la Tunisie à ses maîtres turco-qatari. 
Désormais elle est entendue par tous et une bonne partie de Tunisiens la suivent, ainsi que de nombreux acteurs de la vie politique et sociale du pays.

Ghannouchi s'en ira sans avoir rien apporté de bon aux Tunisiens. Son legs politique est désastreux pour la Tunisie : affaiblissement de l'Etat; violence et terrorisme installés dans un pays pourtant réputé pour le pacifisme de son peuple; chamboulement du mode de vie des Tunisiens par l’importation en Tunisie du wahhabisme et son modèle sociétal, que leurs ancêtres avaient pourtant rejeté ...

Voulant forcer le destin, il s'est fracassé contre des Tunisiens qu’il croyait pouvoir traiter par-dessus sa jambe !

« Idha ach-chaabou yaman araada al hayet, fa laa bodda an yastajiiba al qadar » (Si, un jour, le peuple décide de vivre, force au destin d'y répondre, disait notre poète national Abou Al Kacem Chabbi).

Pour vous, Ghannouchi, la partie est finie ! Vous avez été incompétent à l'ARP. Vous avez toujours cherché à diviser les Tunisiens. Vous n’êtes pas pour le rassemblement; et votre consensus n’est qu’une supercherie. 
Vous êtes fatigué ! Vous êtes usé ! Vous n'êtes plus crédible au sein même de votre parti ni auprès de vos sympathisants. 

Quant à l'empathie des Tunisiens à votre égard et à votre prétendu militantisme, il suffit de voir les sondages pour vous rendre compte que votre cote de popularité est en chute libre. Elle est presque nulle. Vous faites l'objet d'un rejet généralisé.

S’il vous reste encore un minimum de dignité, vous devriez vous retirer de la vie politique ! Le plus vite, sera le mieux !

Nul n’est indispensable, et encore moins vous qui ne pensiez qu’à prendre votre revanche sur Bourguiba en détruisant tout ce que les destouriens avaient consentis pour faire de la Tunisie une nation libre et une République respectée parmi les nations !

Sans vous, la Tunisie vivra !


Texte revu par Rachid Barnat


vendredi 22 mai 2020

Erdogan & l'UE se tiennent par la barbichette


Mezri Haddad : « Youssef Chahed a été tout à fait dans son rôle de ...

Erdogan mène un projet panislamiste et néo-ottoman qu’il faut combattre de toute urgence

Mezri Haddad décrypte la politique étrangère du président turc Erdogan. Ses intimidations visent, selon lui, à faire de la Turquie le chef de file d’un camp anti-occidental sur le modèle du choc des civilisations théorisé par Huntington.

Depuis le temps qu’il fulmine à l’endroit des gouvernants européens, Recep Tayyip Erdogan vient, pour la seconde fois depuis 2015, de mettre à exécution son chantage à la déferlante migratoire en ouvrant ses frontières terrestres et maritimes avec la Grèce aux milliers de réfugiés Syriens, Afghans, Irakiens, Pakistanais, Somaliens. Parmi eux, on trouve certainement des infiltrés terroristes débarrassés de leurs barbes ou de leurs burkas. Il s’agit là de son arme de dissuasion «nucléaire», ou de son pipeline humain pour soumettre l’Union européenne à ses oukases panislamistes et expansionnistes.

C’est que le message du satrape d’Istanbul est parfaitement clair : « ou bien l’Europe me verse encore plus d’argent pour garder ses frontières en me soutenant militairement dans ma guerre contre Damas aux côtés de mes mercenaires islamo-terroristes, ou bien je déverse sur elle mes milliers d’otages Syriens qui rêvent de l’eldorado européen. » 

Car, s’agissant des Syriens précisément, il est bien question d’otages que le régime turc empêche depuis longtemps de regagner leurs villes et villages désormais pacifiés et libérés par l’armée syrienne de la barbarie de Daech, Al-Qaïda, Al-Nosra…

À l’origine de cette nouvelle et très grave crise migratoire, la libération de la province d’Idleb, l’un des derniers bastions des terroristes que le régime d’Erdogan soutient depuis le début du printemps dit arabe, dont on mesure aujourd’hui les effets d’agrégation politiques, géopolitiques, humanitaires, socio-économiques et sécuritaires, pas seulement en Syrie mais également en Libye, au Yémen et en Tunisie, le pays qui aurait le mieux «réussi» son printemps en confiant la réalité du pouvoir aux serviteurs d’Erdogan que sont les Frères musulmans ! 

La province d’Idleb est d’une certaine manière le poste le plus avancé des troupes irrégulières turques (les jihadistes) en territoire syrien. Dans sa défense de ces terroristes, l’autocrate turc a invoqué des raisons sécuritaires et même «humanitaires», des centaines d’habitants de ces provinces tombées sous le joug du totalitarisme théocratique pouvant fuir la guerre et se réfugier en Turquie, à l’instar des 4 millions de Syriens déjà exilés dans ce pays. 

Vaine tromperie d’Erdogan, car c’est lui-même qui empêche les réfugiés syriens de regagner leurs villages, et qui les retient comme monnaie d’échange et levier de pression sur l’Europe. Avant de mettre ses menaces à exécution, Erdogan a bien voulu justifier son plan d’occupation des territoires syriens en faisant croire aux Européens que, plutôt que d’être envahis par des milliers de réfugiés Syriens, il serait mieux pour eux de confier à la Turquie néo-ottomane la mission de cantonner ces réfugiés à Idleb et Alep.

Mais les dirigeants européens ne sont plus dupes. Même s’ils ont mis longtemps avant de le comprendre, ils savent maintenant que le régime turc a tissé des liens étroits avec les grandes organisations terroristes qui sévissaient en Irak et en Syrie et dont les ramifications se trouvent jusqu’en Europe. 

Lors de sa conférence commune à Londres avec Donald Trump, le 3 décembre 2019, le président français Emmanuel Macron a eu l’audace de déclarer: «Quand je regarde la Turquie, elle combat maintenant ceux (les Kurdes) qui ont combattu avec nous, à nos côtés contre l’État islamique et parfois les Turcs travaillent avec des intermédiaires de l’EI. C’est un problème et c’est un problème stratégique ... L’ennemi commun aujourd’hui ce sont les groupes terroristes et je suis désolé de constater que nous n’avons pas la même définition du terrorisme».

En ouvrant les vannes de son pipeline migratoire, Erdogan rend ainsi caduc le pacte conclu en 2016 avec Bruxelles, aux termes duquel le gouvernement turc s’était engagé, contre 6 milliards d’euros, à lutter contre les franchissements illégaux. 

«État pirate en Méditerranée orientale», selon le communiqué de la présidence chypriote, à la suite de l’envoi au large de Chypre en janvier 2020 de navires turcs de forage gaziers, la Turquie d’Erdogan se comporte désormais à l’instar de ses ancêtres barbaresques, en monnayant la vie de milliers de réfugiés. Pour avoir subi les conséquences électorales de son accueil de plus d’un million de demandeurs d’asile en 2015-2016, la chancelière allemande ne s’y est pas trompée cette fois-ci : «Il est inacceptable qu’Ankara fasse pression sur l’Europe sur le dos des réfugiés».

Si grave soit-elle pour la sécurité et la paix civile en Europe, notamment en Grèce et en Bulgarie, l’ouverture des frontières turco-grecques est une manœuvre bien moins périlleuse que l’objectif à peine dissimulé d’Erdogan : entraîner l’Europe dans un conflit armé direct avec l’axe russo-syrien. Car, tel est finalement le dessein tactique mais aussi stratégique d’Erdogan. Et ce, en dépit de son rapprochement conjoncturel avec la Russie, notamment en lui achetant en 2019 des missiles antiaériens S-400, au grand dam de son allié historique américain ainsi que de l’OTAN dont la Turquie est membre depuis 1952. 

Ce faisant, Erdogan avait franchi le Rubicon : la Turquie a été exclue du programme d’acquisition et de fabrication des avions furtifs F-35 ; et le Congrès et le Sénat américain ont passé une résolution qualifiant de génocide le massacre des Arméniens de Turquie en 1915. En réplique, Erdogan a menacé de fermer l’accès des Américains aux bases de l’OTAN localisées à Incirlink et Kürecik, ce qui a poussé les États-Unis à explorer leur transfert en Grèce ou même en Arabie Saoudite.

Jouant de la duplicité chère aux Frères musulmans auxquels il appartient, Erdogan n’est plus à une contradiction près. D’une part, il s’octroie des missiles qui constituent une menace potentielle sur une Union européenne membre de l’OTAN, et d’autre part, il adresse aux pays européens l’injonction de le soutenir contre la Syrie et son allié russe, au nom même de l’alliance transatlantique, qui oblige les États signataires à porter secours et assistance à tout autre État membre agressé ou menacé. Le problème, c’est que la Turquie n’est pas un État agressé mais un État agresseur, aussi bien vis-à-vis de la Syrie - où il cherche à préserver son armée irrégulière constituée de Daech, Al-Nosra, Al-Qaïda -, que de la Grèce sur laquelle il vient de larguer sa bombe migratoire, ce qui est en soi une déclaration de guerre.

Mais les provocations belliqueuses à l’encontre de la Grèce ne datent pas d’aujourd’hui. Déjà en octobre 2016, dans son discours de Rize, Erdogan faisait allusion aux «frontières du cœur» et aux territoires «historiquement turcs», notamment Thessalonique en Grèce. Et en mai 2018, il a publiquement menacé ce pays européen d’une invasion imminente des îles de la Mer Egée (grecques), plus que jamais revendiquées par Ankara en raison des gisements gaziers qui y ont été découverts. Il évoquait aussi la possibilité de réviser le Traité de Lausanne de 1923, dans lequel la Turquie s’estime avoir été lésée, feignant d’ignorer qu’elle a au contraire agrandi son territoire par rapport au Traité de Sèvres de 1920, aux dépens de la Grèce et de l’Arménie.

Avec l’ouverture des frontières turco-grecques, l’épée de Damoclès vient de tomber sur le pays de Périclès, le sage et stratège athénien qui a donné son nom au siècle de la grandeur d’Athènes, et dont Thucydide et Aristote ont loué le génie politique. Ce même Périclès qui, en raison des guerres du Péloponnèse, lançait à ses détracteurs : «Nous combattons pour les autres cités, et nous éloignons les barbares de leurs frontières»
Aujourd’hui, la Grèce doit affronter cette invasion pour sa propre intégrité et pour l’ensemble des pays européens. Enjeu majeur que le président Emmanuel Macron a parfaitement compris en tweetant dimanche dernier : «Pleine solidarité avec la Grèce et la Bulgarie, la France est prête à contribuer aux efforts européens pour leur prêter une assistance rapide et protéger les frontières.»

Par-delà les motivations ponctuelles et immédiates d’Erdogan, qui provoque une nouvelle crise migratoire, menace Chypre d’invasion, galvanise la diaspora turque contre les pays européens qui les accueille, étend son influence idéologique sur les Balkans, et enfin déplace des milliers de jihadistes en Libye, on retrouve un redoutable et sous-jacent projet panislamiste et néo-ottoman qu’il faudrait déceler et combattre.

Remonté contre l’Europe qui lui a refusé l’adhésion, Erdogan se positionne comme leader d’une alternative anti-occidentale, celle de l’Orient contre l’Occident, de l’islam contre la chrétienté, des colonisés contre les colonisateurs, des «damnés de la terre» contre les dominateurs. 
Il joue ainsi sur l’efficience géopolitique des atavismes et antagonismes culturels, sur le choc des civilisations si justement dévoilé par Huntington des 1993. 
Si toutefois ce choc devait se produire, il n’aura pas lieu entre l’Occident et le monde musulman, mais entre un despote en fin de règne et une alliance arabo-occidentale prête à relever le défi.

*Mezri Haddad est philosophe et président du Centre international de géopolitique et de prospective analytique CIGPA.

dimanche 17 mai 2020

André Labarrère, un florentin béarnais

Un homme politique dans le sens noble du terme. Il était amoureux de son Bearn natal et de sa ville de Pau. Homme de culture, féru d'histoire et esthète, il a embelli la ville de Pau durant ses nombreux mandats de maire. Ville qu'il a fleurie et qui a remporté 3 fois la médaille des "Villes fleuries de France". Il a donné le goût des fleurs aux palois; puisqu'elles sont entrées dans leurs habitudes. Il n'est pas rare de voir des ménagères finir leurs courses aux halles, en passant chez les marchands de fleurs. Les balcons fleuris des palois se sont multipliés avec ce maire qui offrait des fleurs à toutes les paloises, pour la fête des mères. 
Lors de ses funérailles, le meilleur hommage qui lui a été rendu, fut celui de François Bayrou, actuel maire de Pau; son rival mais néanmoins son ami. Les deux étant hommes de culture et amoureux du Béarn et de Pau, ils avaient beaucoup en commun pour être ennemis. D'ailleurs Bayrou poursuit l'oeuvre entreprise par Labarrère, d'embellissement de Pau et de son équipement; modernisant souvent ce qui fut créé par André Labarrère.
D'ailleurs André Labarrère dans une boutade (ou une coquetterie ?), rappelait souvent qu'il est le seul homme politique socialiste à être élu et réélu par des cons bourgeois, parlant affectueusement des palois, qu'il affectionnait tant et qui le lui rendaient bien.
J'ai eu l'honneur et le plaisir de l'inviter quand il était ministre chargé des relations du parlement avec le gouvernement de Pierre Mauroy. Un homme drôle, affable et d'une gentillesse extrême. 20 ans après, je l'avais invité à nouveau et gentiment il avait accepté mon invitation pour venir dîner chez moi. A mon grand étonnement, il se rappelait le menu que je lui avais servi 20 ans plutôt. S'en souvenait-il parceque j'avais raté le plat principal, dans l'émotion de recevoir le ministre de François Mitterrand ? En tout cas, il avait une mémoire époustouflante, qui étonnait les palois; puisqu'il n'est pas rare qu'il leur demande des nouvelles à propos d'événements privés et précis les concernant et dont il a gardés le souvenir intact.  
Un maire comme on rêverait d'en avoir encore. 
R.B
Hommage à André Labarrère - David Habib
André Labarrère


Le 16 mai 2006 mourait le maire de Pau André Labarrère. Professeur, député, maire, ministre, André Labarrère aura cultivé une certaine distance vis-à-vis de la politique qui lui permit d’échapper aux blessures marquant la vie ordinaire de l’homme public.
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François Bayrou ami et opposant à André Labarrère

Un Florentin béarnais

Ce célibataire endurci avait épousé sa ville, a-t-on souvent dit. Pau va donc passer par les différentes couleurs du veuvage. Il ne sera pas facile de remplacer à la tête de la cité celui qui en fut pendant trente-cinq ans à la fois le gardien farouche et le jardinier méticuleux, l’histrion agaçant et le rénovateur avisé.

André Labarrère-Paulé (son nom complet à l’état civil) a vu le jour au bord du Gave le 12 janvier 1928. Il était le fils d’un chauffeur de taxi, ancien cocher de fiacre, et de Catherine Lafourcade, née dans les dépendances du château de Navailles-Angos, oú ses parents furent employés de la famille Gontaut-Biron. Crémière aux halles, debout tous les jours dès 4 heures, cette jolie Béarnaise avait tous les courages - « femme libre », elle défia longtemps interdits et médisances - et plus d’un talent : sous son nom de jeune fille, elle entreprit sur le tard une carrière d’artiste peintre, exprimant dans l’art naïf une sensualité colorée.

Élégant et bon danseur.

En dépit des problèmes du couple, le petit André fit d’excellentes études : à l’école communale Henri-IV, oú il connut dans la cour de récréation Jean Lasseuguette et nombre de ses compagnons politiques ultérieurs; au collège catholique Beau-Frêne, puis à Paris, oú le syndicalisme étudiant lui permit de fréquenter Jean-Marie Le Pen et Jean-François Bloch-Laîné, issu d’une famille de grands commis de l’Etat. Ils lui enseignèrent, l’un le culot, l’autre un savoir-vivre qui fit de lui - jusqu’aux cours royales de Scandinavie - un commensal charmant, élégant et bon danseur lorsqu’il le voulait. Dans un étonnant roman Belle Epoque intitulé « Le Baron rouge », il s’était d’ailleurs identifié à un aristocrate homosexuel de gauche devenant maire de Pau et portant l’étrange patronyme de Maximilien de Mauveclair. Si « sa » sensibilité devait quelque peu au ressentiment social de l’enfant pauvre, elle ne suinta jamais la haine de classe. « La bourgeoisie paloise vote pour moi, s’amusait-il mezzo voce, parce qu’elle garde un vieux fond pétainiste. Elle préférera toujours un socialiste à un gaulliste ou à un démocrate-chrétien. »

Pleins et déliés.

Guelfe chez les gibelins, gibelin chez les guelfes, il adorait la ville de Florence et son histoire écrite par la dague et le poison, tout en préférant séjourner à Naples, oú il satisfaisait plus aisément son goût des ports et des rencontres furtives. Le sulfureux écrivain Jean Genet fut son ami - c’est peu connu - et il l’aida même à acquérir une propriété du côté de Lembeye. L’homme cultivait une certaine ambivalence, qu’il confessa d’ailleurs lui-même, entre le maraudeur de bas-fonds et l’élève appliqué. Avec lui, Pasolini n’était jamais loin du « Petit Chose ».

L’existence de cet amoureux de la graphologie s’écrivit d’ailleurs en pleins et en déliés. Le service militaire en fit un officier de réserve des transmissions, spécialiste colombophile. Il dressa les derniers pigeons voyageurs de notre armée et il garda toute sa vie dans un coin de tiroir, avec une secrète fierté, les élogieuses appréciations de ses chefs : 
« Travailleur acharné, toujours en avant, très volontaire mais discipliné. »

Professeur, il fut dans les années soixante l’un des hommes les plus diplômés du Béarn : licencié ès lettres, titulaire d’un certificat d’histoire de l’art du Moyen Age, agrégé d’histoire, DES d’histoire contemporaine, docteur ès lettres de l’université de Québec.

Après avoir présidé l’Unef à la Sorbonne, au temps de ses études parisiennes, il fut nommé en 1958 professeur au lycée de Digne (Alpes-de-Haute-Provence), puis il obtint la première bourse accordée à un Français par le Conseil des arts du Québec. Etudiant puis enseignant à l’université Laval, il collabora à la radio et à la télévision francophones du Canada, lançant notamment une très originale émission de « graphologie grand public » baptisée « Pattes de mouches ».

Sa carrière politique

Professeur au lycée Carnot de Paris (68–70) puis à Auch, il revint dans sa ville natale pour se présenter aux élections législatives dès 1967, sous l’étiquette de la Fédération de la gauche démocrate et socialiste (FGDS), animée par François Mitterrand. Élu puis battu l’année suivante par Pierre Sallenave, après la dissolution de 1968, il retrouva son siège en 1973. Entre-temps, il avait réussi à devenir maire de Pau (1971), puis conseiller général de Jurançon (1973), et avait pris rang, aux côtés de Pierre Mauroy, parmi les hiérarques du nouveau Parti socialiste fondé à Epinay.

Président du Conseil régional d’Aquitaine de 1979 à 1981, il fit son entrée au gouvernement en 1981 et sut faire face avec humour et habileté, en qualité de ministre chargé des Relations avec le Parlement, aux assauts de l’opposition de droite contre les lois de décentralisation et les nationalisations.


Très apprécié de François Mitterrand, il avait gardé son portefeuille dans le gouvernement Fabius (1984–1986), mais n’exerça pas de fonctions ministérielles au cours du second septennat.
Passé de l’Assemblée nationale au Sénat, il consacra alors l’essentiel de son activité à sa ville, oú il fut réélu maire en 2001.

Pascal plus que Descartes.

« Je me définis très simplement en trois mots », nous confiait-il peu après avoir battu Jacques Chaban-Delmas à la présidence du Conseil régional d’Aquitaine en février 1979 : « Œcuménisme, attentisme et porosité. »

Sans la passion qu’il mit à exercer le pouvoir sur « sa » ville, il eût pu chercher fortune comme animateur de télévision, un métier qu’il avait adoré exercer au Québec. Plus récemment, il nous avait fait l’aveu d’un retour à la foi de son enfance. Il aimait aussi les spirites, et la rationalité l’ennuyait. Toute sa vie, on le sentit d’ailleurs plus proche de Pascal que de Descartes, mais l’on songeait aussi, le concernant, à la piété paradoxale d’un Casanova mêlant le spirituel au péché. 

Giflé par un magistrat dont il avait mis en cause l’impartialité, secrètement haï par nombre de ceux qui furent victimes de ses soudaines colères ou de ses rosseries subtiles, il veillait, cependant, à ce que jamais le nombre des frustrés et des humiliés n’excède celui des obligés parmi ses électeurs.

Au cours de la campagne du référendum sur la Constitution européenne, il profita d’une émission de France 3 pour lancer face à la caméra : 
« Si Laurent Fabius nous regarde, je veux lui dire qu’il ne sera jamais président de la République. »

Ségolène Royal, ces derniers temps, lui inspira d’aimables propos. Amis déçus et adversaires de toujours le dépeignaient, ces dernières années, comme « l’homme qui ne croyait plus en rien ». Ce qui n’était vrai qu’au plan politique. Pour le reste, André Labarrère n’avait pas cessé de croire aux vertus du travail et aux joies données par la beauté sous toutes ses formes. Jamais en lutte pour les grands emplois nationaux, il s’épargna ainsi les blessures narcissiques qui marquent la vie ordinaire de l’homme public. « Ordinaire » est d’ailleurs le mot qui s’accorde le plus mal à son destin.

Sa disparition aura été annoncée au cours d’une émission de France Inter dont l’invité était son compatriote, disciple et adversaire François Bayrou, qui ne put une seule seconde cacher son chagrin.

Et cela s’est passé le jour-même oú ce « meilleur ennemi » était accusé par une partie de la droite de voter avec la gauche. On verra là plus que des malices du sort. Quelque chose comme l’apothéose involontaire d’un artiste politique sans égal !

Il n’a jamais cessé de croire aux vertus du travail et aux joies données par la beauté sous toutes ses formes.

Article paru le 17 mai 2006