lundi 24 août 2020

Que cache l'accord Israël - Emirats Arabes Unis ?

Point de vue d'un dinosaure !

En Israël, la fête médiatique n’aura duré que quelques jours. Le temps pour les envoyés spéciaux israéliens de décrire, en direct de Dubaï et d’Abou Dhabi, les hôtels luxueux, les centres commerciaux clinquants… et la chaleur étouffante. Les chaines israéliennes ont, très vite comparé les prix des séjours dans les cinq étoiles à Eilat et dans les Émirats Arabes Unis, et on est passé à autre chose. 

Que cache l’accord entre les deux pays qui n’étaient pas en guerre, qui sont distants de milliers de kilomètres, et avec qui la high-tech israélienne faisait déjà de bonnes affaires ? Il n’a pas fallu attendre longtemps. Le quotidien Yediot Aharonot et le New York Times ont révélé qu’en fait, en annexe à cet accord de normalisation avec Israël, le prince héritier émirati, entend acquérir des avions de combat américains F35 et d’autres pièces de quincaillerie militaire ultra moderne. Problème : pour réaliser cette juteuse transaction - 10 milliards – en période de crise économique, l’administration Trump doit avoir l’autorisation du Congrès. Or, selon la loi, l’Amérique ne peut pas vendre de l’armement à un pays arabe en faisant perdre à Israël sa supériorité technologique. L’État-major de Tsahal, exigera-t-il de Netanyahu qu’il demande à Aipac de faire campagne contre cette vente de F35 ?

Cela dit, les EAU présentent l’accord de normalisation avec Israël comme un grand succès en faveur des palestiniens. Ils auraient obtenu de Netanyahu qu’il suspende son intention d’annexer une partie de la Cisjordanie. En fait, cette menace de Bibi était purement électoraliste. À aucun moment le système sécuritaire, l’armée, le Shin Beth n’ont pris sur le terrain, les mesures nécessaires en vue d’une annexion formelle. Netanyahu a pu crier victoire. L’accord avec les EAU est la preuve, selon lui, qu’Israël peut établir des relations de paix avec le Monde arabe sans régler le problème palestinien. Des confrères y ont vu la réalisation de la « vision » de Netanyahu.

En fait, il n’a pas une « vision » mais une idéologie. Sa mission telle qu’elle a été définie par son père est d’empêcher la création d‘un état palestinien. C’est sa politique décrite dans ses livres. "A place among the nations", la version hébraïque et les diverses mises à jour.

Cette idéologie familiale est basée sur trois principes : 
- L’Arabe est l’ennemi héréditaire du peuple juif. En l’occurence, d’abord les palestiniens puis les arabes israéliens (Cf.la loi Israël-État-nation du peuple juif - qui discrimine les minorités non-juives) ensuite. Le reste du monde arabe et les iraniens. Si pour empêcher la création d‘un état palestinien, il peut faire une concession pragmatique de ci de là, comme par exemple, signer un deal avec un autocrate dans le Golfe. Pas de problème !
- Le second principe est le suivant : la gauche, (le socialisme, le communisme), est l’ennemi du sionisme.
- Enfin, toujours selon la famille Netanyahu : le peuple juif doit être dirigé par un homme fort. Bibi et les siens sont intimement persuadés que lui seul peut diriger et sauver Israël de ses ennemis, les arabes, les iraniens. Ceux qui le traduisent en justice pour corruption, fraude et abus de confiance, sont nécessairement de gauche et anti-israéliens.

Pour ma part, je suis intimement persuadé que l’avenir d’Israël est de conclure un accord avec les Palestiniens. Sans cela, ce sera l’état binational avec l’apartheid qui existe déjà sous la forme des lois d’occupation, et de la loi État-nation.

Je pense aussi que l’intérêt de l’Europe réside dans l’existence d’un État d’Israël indépendant, vivant en paix aux côtés d’un État palestinien et avec ses autres voisins. 
Intérêt ? En raison des importantes communautés musulmanes et juives existantes en Europe et aussi du point de vue moral après la Shoah.
La vision de Realpolitik du président Macron, et de ses représentants, conduit exactement au contraire de cela.

Les manifs à Balfour représentent pour la première fois un rejet d’ensemble de la politique de Netanyahu. Contre l’ultra libéralisme économique. Un million de chômeurs. Des panneaux dans la manif à Balfour disaient : « il est plus facile d’ouvrir une crèche qu'un stand de falafels », en référence à la demi-douzaine de crèches dont les assistantes sont sous les barreaux pour avoir martyrisé les enfants dont elles avaient la garde. Conséquence de l’ultra libéralisme. Cela coûterait un milliard de shekels pour mettre un place un système de contrôle des crèches privées. 

Contre les attaques de « Netanyahu, l’homme fort » envers le système judiciaire et ce qu’il appelle la « gauche ». Des manifestants disent : « nous venons au nom des valeurs morales originelles du sionisme » Et aussi contre l’occupation. Une majorité d’israéliens sont encore en faveur d’une solution à deux états. D’autres mouvements de revendications sont venus s’agglutiner au tronc commun de la manif « Balfour ».

Je me souviens des nombreux reportages sur le mouvement social de 2011 qui se revendiquait apolitique. Les manifs actuelles sont entièrement politiques… Ce n’est pas un carnaval aux odeurs de cannabis comme l’a publié un quotidien français, mais un phénomène social en plein développement.

Il faut voir les débats sur les chaines de TV : « Bibi représente la nouvelle élite, les quartiers défavorisés, les orientaux etc. », il lutte contre l’ancienne élite : « les juges, l’université les enquêteurs anti corruption etc. » 

Mais je suis un dinosaure à la retraite qui vient de la préhistoire et ne comprends pas le « nouveau journalisme ».





samedi 22 août 2020

Arabes et arabité ...

Ibn Khaldoun père de la sociologie moderne, disait des arabes " idha orribet, khorribet " (où qu'ils passent, les Arabes détruisent tout). 
Ce que dit le poète Nizar Qabbani, peuvent le dire aussi les peuples d'Afrique du Nord, berbères dans leur immense majorité; et plus particulièrement les Tunisiens que les Frères musulmans d'Ennahdha, font douter de leur identité; puisqu'ils refusent leur tunisianité produit de tous les brassages de peuples et de cultures qui ont débarqué en Tunisie; pour leur fourguer une identité "arabo-musulmane" importée d'Arabie, en remplaçant leur islam malékite ancestral par le wahhabisme et leur tunisianité par le model sociétal d'Arabie qui va avec cette obédience mortifère !
R.B
Casa Árabe | Homage to poet Nizar Qabbani

Non, nous ne sommes pas des Arabes. Assez de mensonge, de tromperie, de fraude, de faiblesse, d’impuissance et de peur.
Le Syrien n’est pas un Arabe, l’Irakien n’est pas Arabe, l'Égyptien n’est pas un Arabe, le Libanais n’est pas un Arabe, le Jordanien et le Palestinien non plus.
Nous sommes des Levantins, nous sommes des Byzantins, des syriaques, des Chaldéens, des Assyriens, des Coptes, nous sommes les descendants des Mésopotamiens, des Phéniciens, des Pharaons, nous sommes du Levant et de son peuple autochtone.
Nous ne sommes pas des Arabes.
Assez de viol, et de falsification de l’Histoire, de la géographie, de la vérité et de la réalité.
Les descendants de l’Arabie sont les Arabes – et pour rester fidèle à l’Histoire – nous disons qu’il y a des tribus arabes qui sont devenues chrétiennes mais l’arabité de la minorité ne saurait se généraliser à la majorité Levantine qui n’a jamais été Arabe.
Même si nous sommes arabophones, cela ne veut pas dire pour autant que nous sommes des Arabes.
L’Américain qui parle anglais n’est pas un anglais pour autant, le brésilien qui parle portugais n’est pas portugais pour autant, et l’Argentin qui parle espagnol n’est pas espagnol pour autant.
Ce sont des langues coloniales héritées d’un passé colonial.
Même si nous parlons arabe, nous ne sommes pas des Arabes et nous ne ressemblons en rien aux Arabes, ni dans la pensée, ni dans le goût, ni non plus dans la civilisation.
Eux, leur terre est le désert alors que la nôtre elle est celle du lait, du miel, de la figue, de l’amande, de la pomme et du raisin.
Nos ancêtres avaient cultivé la terre et s’y sont enracinés et ils y sont devenus « des Authentiques » quant à vous, vous êtes des nomades, vous ne semez point et vous n’y êtes jamais enracinés.
Nos ancêtres avaient planté la vigne, fabriqué du vin et cultivé la musique, ils ont fait la fête, ils ont dansé, ils ont construit des civilisations et ont écrit des livres, vos grands-parents ont bu du sang et ils le font toujours, ils ont dansé sur des cadavres de certains d’entre eux et ont abattu certains d’entre eux pour faire la fête et ils le font toujours.
Ils ont détruit les civilisations et brûlé des livres et ils le font toujours.
Que ce soit dans l’Histoire ancienne ou dans l’Histoire contemporaine, nous ne vous ressemblons point.
Notre passé est fait d’épopées, de sciences, et de gloire, quant à vous, votre passé est une trahison, votre présent est une trahison et votre avenir est une trahison.
Nous ne vous ressemblons en rien, ni par notre passé humain, ni par notre passé chrétien, ni par notre passé musulman.
Les musulmans de mon pays, sont des musulmans aimants de la science, de la vie, alors que vous avez élevé des peuples emplis de haine, de complexes, de maladies, qui adorent la mort.
Notre passé est une civilisation, une science, une littérature, une musique, une poésie, votre passé est fait de sang, d’invasions, de haine et de convoitises.
Celui qui est devenu musulman dans mon pays, après l’invasion arabe, a gardé sa noblesse sociale, ses traditions, et ses coutumes et même celui qui a vécu parmi nous est devenu l’un des nôtres du point de vue social, nous avons mangé ensemble, dansé ensemble, ri ensemble et pleuré ensemble, mais vous, vous ne changez jamais. 
1400 ans et vous ne changez jamais et quand vous vous êtes rendu compte que vous n’arriverez pas à nous changer, vous avez détruit notre pays, notre patrimoine, notre coexistence et vous nous avez détruit.
Le musulman Levantin n’a plus foi en vous, vous le dégoûtez plus que vous l’êtes pour un chrétien Levantin.
Nous vous avons enseigné, construit vos villes, vos hôpitaux et vos universités et préservé votre langue.
Si seulement nous ne l’avons pas fait, si seulement nous vous avons laissé à la justice de Dieu et votre destin sera plus foncé que votre pétrole.
Nous étions un pont entre vous et l’Occident et vous êtes devenus un outil entre les mains de l’Occident pour détruire notre orientalité.
Nous vous avons connu à travers vos fruits, un passé barbare, fait d’humiliations et de fractures.
Rappelez-nous une seule victoire à vous ? Ou une seule gloire à vous ?
Vos victoires se réduisent à l’anéantissement de l’Autre, du frère à frère, du fils à son père pour le pouvoir, ou pour une femme, ou pour un chameau, ou encore pour un âne.
L’Occident vous a écrasé, celui-là même que vous taxez d’infidèle et vous lui léchez quand même les pieds pour qu’il préserve vos trônes, et voler ensuite les deniers des pauvres pour remplir ses ( l’Occident ) banques.
On en a assez et on ne couvrira plus jamais cette farce à partir d’aujourd’hui.
Ô vous bergers et messieurs les arabisants et les passionnés de l’arabisme, si vous souhaitez la parler et vous en targuez, parlez plutôt de votre lâcheté.

jeudi 20 août 2020

Qu'ont gagné les Tunisiens d'avoir changé Ben Ali par Ghannouchi ?

On sait que les tunisiens ne sont pour rien dans le départ de Ben Ali, ni dans son remplacement par Ghannouchi; puisque tout s'est fait par Al Thani émir du Qatar avec l'aval des EU & de l'UE.
Ceux qui en redemandent d'Ennahdha pour maintenir Ghannouchi au pouvoir, après prés de dix ans de galère, seraient-ils maso ou amnésiques ?
Et les pires, ce sont les pauvres dont Ghannouchi exploite la misère en achetant leurs voix à coup de couffins ramadanesques, de moutons pour l'aïd, de prises en charge de frais de circoncision, de fiançailles, de mariage, de pèlerinage et autres "omra" (simple visite aux lieux saints) à la Mecque ...
R.B



QU'ONT APPORTÉ À LA TUNISIE Ben ALI ET GHANNOUCHI ?

Durant les 23 années de Ben Ali, il n'y avait pas que du mauvais.

Il y eu des acquis que personne ne peut nier :

- Une croissance de 5% en moyenne, qui a permis
- l'émergence d'une classe moyenne très importante.
- Une sécurité à travers tout le pays.
- Construction d'autoroutes (Tunis-Bizerte, Sousse-Sfax, Tunis-Medjez).
- Construction de 3 aéroports (Tabarka, Enfidha et Gafsa).
- Construction du Centre de Traumatologie et des grands brûlés de Ben Arous-Tunis.
- Construction de Pôles Technologiques (Ariana, Borj Cedria, Sousse, Gabes, Bizerte, Sidi Thabet, Gafsa).

Et sur le plan social :

- Il a accordé aux handicapés le droit de se faire soigner et d'utiliser les moyens de transport gratuitement.
- La fille au chômage quel que soit son âge, bénéficie de la retraite des parents en cas de décès des 2 parents.
- L'handicapé continue de bénéficier de la retraite des parents en cas de décès des 2 parents.
- Prise en charge par la CNSS des femmes divorcées dont les maris ne s'acquittent pas de la pension alimentaire.

Ben Ali n'a pas réussi dans le domaine politique. Il est vrai qu'il a été un dictateur avec un régime policier fort ! Il a instauré une dictature qui lui a coûté son poste de président.

Mais que dire de la dictature que tente d'instaurer Ghannouchi ?

Ghannouchi se la jouait révolutionnaire et démocrate, jusqu'à ce que Abir Moussi dévoile le personnage et fait tomber son masque pour révéler aux tunisiens le dictateur qui se cache derrière, avec pour projet la régression de la Tunisie à tous les niveaux !
Ghannouchi refuse l'indépendance de la Tunisie, comme il refuse la libération de la femme qui n'est pour lui qu'un pot de chambre.

Je ne défends pas Ben Ali, mais donnez-moi une seule réalisation qui mérite d'être citée, depuis le 14 janvier 2011.

Avec Ghannouchi, les tunisiens découvrent le projet funeste qu'il a pour la Tunisie : en finir avec la République, en mettant le pays à genoux.

- l'insécurité s'est généralisée.
- la corruption s'est généralisée, elle aussi.
- les caisses de l'Etat sont vides et celles de retraite des tunisiens, aussi. 
- le pays est ruiné.
- la cherté de la vie augmente de plus en plus, depuis 2011.
- la paupérisation gagne toutes les classes sociales,
- la classe moyenne n'arrive plus à joindre les deux bouts; et
- la classe pauvre, vire à la misère.
- le pays est endetté, comme il ne l'a jamais été.
- le dinar tunisien ne vaut plus grand chose.
- l'industrie touristique est en berne.
- la compagnie Tunisair, fleuron de l'industrie nationale, bat de l'aile. 
- le népotisme de Ghannouchi n'a rien à envier à celui de Ben Ali : sa fille détient le monopole des importations turques; son gendre a été ministre et a détourné l'argent de l'aide chinoise pour la Tunisie dans l'impunité totale, protégé par la "Justice" de son beau-père; son fils gère la filière du jihadisme, financée par le Qatar; son neveu a été nommé "concierge" du Bardo, siège de l'ARP (assemblée des représentants du peuple), avec rang et émolument de ministre ...
- la Tunisie est à nouveau terre d'invasion des nouveaux Ben Beni Hilal, pour diffuser le wahhabisme venu d'Arabie, par l'envoi d'imams et de prédicateurs qui envahissent nos mosquées, avec la bénédiction du cheikh Rached Ghannouchi.
- lors des manifestations, les tunisiens sont tirés comme des lapins avec " 'errach " (balles aux plomb, de chasse) à Séliana ...
- la Tunisie est devenue un pays de terroristes, détenant le triste record de 1er pays exportateur de terroristes.
- notre jeunesse est transformée en jihadistes/terroristes pour servir de chair à canon dans les guerres d'Al-Thani; et 
- nos jeunes filles sont recrutées pour le " jihad enniqah " (prostitution halale), pour les miliciens d'Al-Thani.
- le terrorisme a décimé soldats, gendarmes et policiers.
- les assassinats politiques se multiplient depuis l'arrivée au pouvoir des Frères musulmans, dans une impunité totale; puisqu'ils ne sont toujours pas élucidés.
- tous les services de l'Etat, hôpitaux compris, sont en panne sinon en déliquescence, où tout manque ...

On peut tout reprocher à Ben Ali, mais il faut lui reconnaître son patriotisme, dont sont dépourvus les faux révolutionnaires Ghannouchi et C°, qui ont vendu le pays aux puissances étrangères.


Texte revu par Rachid Barnat



mercredi 19 août 2020

13 Août : Jour sombre pour les droits des femmes tunisiennes


KS pour se distinguer de ses prédécesseurs, a choisi la régression en matière d’héritage. Drôle de façon de célébrer la fête des femmes et la promulgation du CSP qui voulait les soustraire au joug des hommes et en faire des citoyennes égales en droits avec eux. KS serait-il aussi réac' que beaucoup de démocrates tunisiens prétendument progressistes ? 
Curieux de la part d'un président de la République, chef d'un Etat Civil avec un code civil; lui même juriste et constitutionnaliste; qui rappelait qu'il serait temps de séparer la religion de l'Etat ! 
Mais il n'est pas à un paradoxe près !
R.B
Sophie Bessis 

Le président tunisien Kaïs Saïed appelle à une lecture littérale du Coran pour enterrer la question de l’égalité successorale entre hommes et femmes, voulue par les mouvements féministes et une partie de l’opinion, analyse l’historienne.

Le 13 août 2020 restera comme un jour sombre dans la longue histoire des luttes des Tunisiennes pour l’égalité.
Date anniversaire de la promulgation du code du statut personnel qui leur a donné des droits, faisant de leur statut une exception dans le monde arabe, il est traditionnellement l’occasion pour le chef de l’Etat de dresser un état des lieux de la condition féminine dans le pays et de proposer, avec plus ou moins d’audace selon les moments et les circonstances, des avancées en la matière.

Le président Kaïs Saïed n’a pas dérogé à la règle ce 13 août. Mais le discours qu’il a prononcé à cette occasion donne le signal d’une régression à laquelle les Tunisiennes n’étaient plus habituées de la part de leurs gouvernants.

Revenant sur la question de l’héritage, un des derniers bastions de l’inégalité juridique entre les sexes et qui a donné lieu à d’ardents débats ces dernières années, M. Saïed a invoqué une lecture littérale du texte coranique pour enterrer la question de l’égalité successorale remise sur le tapis par son prédécesseur sous la pression des mouvements féministes et d’une partie non négligeable de l’opinion.

Pour l’actuel président, c’est donc le Coran – et lui seul – qui fait loi et trace une frontière que les revendications des femmes ne doivent en aucun cas franchir. Si aucun président tunisien depuis l’indépendance n’a osé en finir avec cette discrimination légale entre les sexes, qui est une des causes de la précarité économique de nombre de femmes, c’est la première fois que le texte sacré est invoqué avec une telle autorité pour mettre fin à toute chance de progrès dans ce domaine.

Un contexte régressif !

Le chef de l’Etat est allé encore plus loin dans son coup d’arrêt à la marche de ses concitoyennes vers l’acquisition de la plénitude de leurs droits en révoquant la notion d’égalité au profit de celle d’équité. Ce concept flou, d’ordre purement moral et qui ne garantit aucun droit réel, est défendu depuis des décennies dans toutes les instances internationales par les Etats musulmans les plus conservateurs.

La Tunisie, qui, encore loin d’être un Etat égalitaire en matière de statut personnel, a cependant fait de l’élargissement des droits des femmes un élément central de sa singularité, rejoint ainsi, par la parole présidentielle, le consensus conservateur qui prévaut dans le monde arabe. L’heure est d’autant plus grave pour les Tunisiennes que le chef de l’Etat s’inscrit, ce faisant, dans le contexte régressif qui domine au sein de la classe politique locale.

Les plus farouches contempteurs du parti islamiste Ennahdha ont clairement pris position, comme lui, contre l’égalité successorale et M. Saïed, quoique menant une guérilla politique contre cette formation et son chef, partage également ses positions sur la majorité des questions sociétales.

En l’absence d’une gauche défaite en 2019 dans les urnes et devenue à peu près inexistante, force est donc de constater que l’opposition parlementaire et présidentielle contre Ennahdha relève bien davantage d’un affrontement pour le pouvoir et ce qui reste de rentes dans un pays économiquement exténué que d’un clivage idéologique et d’une confrontation sur le type de société que les Tunisiens et les Tunisiennes sont appelés à construire dix ans après leur révolution.

La messe serait-elle dite ? Le Coran ferait-il office de nouveau code civil après des décennies d’avancées insuffisantes, ambiguës, mais réelles ? La charia, que le parti islamiste n’avait pas réussi à imposer en 2013 du fait d’une mobilisation massive de l’opinion contre son introduction dans la Constitution, reviendrait-elle sans dire son nom ?

Reste la société civile dont les voix les plus courageuses ont commencé à s’élever contre une rhétorique présidentielle qui assume pleinement son conservatisme et sa volonté de faire découler le droit positif de la sphère du sacré.

Il faut espérer que, malgré les problèmes colossaux que connaît une Tunisie au bord de la faillite économique et du collapse (« affaissement ») social, tous deux en grande partie provoqués par l’incurie de son personnel politique, les femmes, qui y sont massivement présentes, sauront relever le gant et continuer un combat qui s’avère aujourd’hui plus que jamais difficile à mener.

mardi 18 août 2020

En défense de la civilisation et du taureau

Dupont Moretti : Un ministre qui déçoit ! Il s’avère être une grande gueule qui n'a pas le courage de ses opinions; puisqu'il admet ce que lui disent ses conseillers du ministère de la Justice, qu'il ne pourra pas changer les choses ... doublé d'un aficionado qui jouit de la souffrance des animaux
R.B
Le rêve de tout taureau, d'épingler son bourreau !
La réponse d'une consœur de Me Dupont Moretti, et qui est avocate au Barreau de Charleroi.
Mon Cher Confrère,

Monsieur - le tout fraîchement - Ministre,

Moi je n'aime pas la corrida.

Et je ne permets à PERSONNE de me juger pour cette aversion que j'ai de ce macabre, archaïque et sanglant spectacle.

Moi, voyez-vous, je ne me reconnais pas dans les personnages qui ressentent une jouissance "émotionnellement artistique" à la vue du sang qui coule sur le sable.

Vous voyez de la noblesse et de la virilité dans le torero. Chacun sa vision. Moi, je vois de la noblesse dans l'animal, le seul qui a des couilles - des vraies - dans cette arène.

Voyez-vous, Monsieur le Ministre, j'estime que la mise à mort, quelle qu'en soit la victime, n'est jamais un art. Parce que l'art est indissociable de la beauté. Subjective certes. mais une beauté quand même. Et que rien n'est beau dans la mort. Absolument rien. Jamais ! Surtout quand elle est le point final d'une boucherie. Oui, oui, une vraie boucherie, ne vous en déplaise.

Et je considère aussi que la souffrance d'un animal ne doit pas être relativisée quand elle ne sert qu'à offrir du plaisir et de la distraction à de "riches bobos" (Ah, ce n'est pas moi qui ai utilisé ce terme en premier, c'est vous !)

Et donc, quand j'écris que je n'aime pas la corrida ni celles et ceux qui l'aiment, c'est mon droit. Un droit positif acquis, oui. C'est exactement cela. C'est ma liberté (un terme qui vous est cher) de ne pas les aimer et surtout, de le dire et de l'écrire.

En fait, je suis un peu comme Jules Romains : une ennemie convaincue de tout ce qui est violence et cruauté.

Mais, ce faisant, contrairement à ce que vous tentez de faire croire, je ne fais pas partie d'une "minorité" ni d'un groupuscule. Puisque rien qu'en France, ils sont 74% à détester ce spectacle macabre (Ifop 2018).

Vous dites qu'il faut du courage pour être torero. Comme vous y allez Monsieur le Ministre. Vous attribuez les honneurs un peu vite, là.

Parce que, voyez-vous, le courage, ce n'est pas la qualité qu'on trouve chez ceux qui donnent la mort après avoir fait souffrir en se donnant en spectacle. Vous savez, ce genre de selfie d'arène. Non, non. Le courage, c'est l'apanage de toutes celles et ceux qui, tout en tentant de réduire la souffrance, se battent corps et âme pour éviter la mort, pour empêcher qu'elle ne gagne.

Leur jouissance à eux, c'est le triomphe de la vie. Pas celui de la mort.

Et puis, rabaisser ceux qui détestent la corrida à une horde d'imbéciles et d'emmerdeurs, c'est insulter tant de vos héros littéraires. Et pas des bobos vous savez, ô que non; des grands, des très grands.

Je vous en cite ? 

Barjavel par exemple "la corrida, c'est la revanche d'une foule imbécile; c'est du sadisme de voyeur; de la boucherie (ah vous voyez, ça revient) et du cabotinage".

Victor Hugo "Torturer un taureau pour le plaisir, c'est torturer une conscience".

Marguerite Yourcenar : "L'homme a peu de chances de cesser d'être un tortionnaire pour l'homme, tant qu'il continuera à apprendre sur la bête son métier de bourreau".
Ça décape, non ?

Et puis, y a Francis Cabrel, le grand Cabrel (votre compagne le connaît bien, je pense) qui écrivait "quand la corrida avance, c'est l'humanité qui recule".
Pas mal hein ?

Alors, j'entends que vous évoquez aussi la chasse à courre et ces malheureux anglais qui, ayant dû la stopper, ne savent plus quoi faire de leurs chiens (sic!).

Vous me permettrez ici de faire quelques suggestions de tout ce qu'on peut faire avec un chien : les balades d'abord. C'est très chouette les balades; c'est bon pour le corps et l'esprit; ça le purifie. C'est propre et sain. Essayer c'est adopter, vous verrez.

Un chien, ça peut aussi garder la maison contre les personnes qui se retrouvent parfois devant le tribunal correctionnel.

Puis, y a les câlins aussi. Parce que oui, un chien ça se caresse. Comme une femme quoi. Et ce, y compris celles que vous qualifiez de "folasses qui racontent des conneries" et dont ça ne vous gêne pas qu'elles soient sifflées en rue. Ou celles qui doivent subir "les copains qui s'offrent du bon temps". Du bon temps, comme quand on va voir une corrida quoi.
Vous voyez ? Tout se recoupe. Toujours. Il n'y a pas de hasard. Il n'y a que de sinistres rendez-vous.

Pour terminer, je ne vous traiterai pas de "con" comme B.Bardot l'a fait avec Depardieu. D'abord, parce que les injures, je ne les aime pas. C'est lâche une injure. C'est bête. Comme la corrida (vous voyez ? tout se recoupe). Et puis, je ne vous traite pas de con parce qu'un con, il a une excuse : il est con. Vous, vous êtes précisément tout l'inverse d'un con. Et par là même, je ne vous trouve pas d'excuse.

Alors, voilà, désormais vous êtes dans l'arène. Vous êtes le taureau au milieu de l'assemblée. Vous allez voir plein de toreros qui vont se succéder pour vous frapper dans et sur le dos. Plein. Et ça va faire mal. Et ça va vous faire crier. Hurler. Et l'assemblée va certainement s'en amuser. En jouir. Ils viendront et reviendront pour vous voir vous débattre face à ces différents toreros qui vous attaqueront de toutes parts. 

Ils vont se délecter de vos difficultés, de votre souffrance peut-être aussi, de votre volonté de "résister" envers et contre tout. Ô j'ose espérer qu'il n'y aura pas de mise à mort. Ce serait moche. Très moche. Quoi que l'art a ses secrets et ses mystères.

Je ne vous dirai donc qu'un mot : Olé !

lundi 17 août 2020

LA CORRUPTION TOUCHE AUSSI LE CORPS DE LA DOUANE EN TUNISIE ...

Algérie-Tunisie : kif kif bourriquot 

Une amie rapporte des faits qu'elle a vécus à la Douane Tunisienne : celle du port de Rades; celle du port de La Goulette; celle des services d'immatriculation des voitures importées, à Tunis; et dernièrement, celle des colis postaux à Tunis !

1 - En juillet 2015, rentrant définitivement de France pour cause de retraite qu'elle souhaite vivre en Tunisie, elle a loué le service d'une compagnie de déménagement ayant l'habitude de ce genre de rapatriement d'effets personnels pour ceux qui veulent faire leur "retour définitif en Tunisie".

Au service de douane du port de Rades, elle a eu beaucoup de mal à récupérer ses affaires. Elle était obligée de revenir presque quotidiennement au port durant un mois, sans comprendre pourquoi refuse-t-on de lui libérer le conteneur de ses affaires personnelles. Jusqu'à ce qu'on lui ait fait comprendre qu'il lui fallait donner du bakchich aux douaniers du service du port pour "accélérer" son dossier ...

Pratique qu'elle ne connaissait pas à la Tunisie, 50 ans plutôt, quand elle s'est installée en France pour travailler.

2 - Ayant ramené un reliquat d'affaires dans sa voiture, dans le cadre de son retour définitif; le douanier du port de la Goulette prétextant de nouvelles règles, a trouvé le moyen de taxer certains effets personnels vieux, lui expliquant qu'ils sont en bois et que le bois est désormais taxé en Tunisie !

A contre cœur elle s'est dirigée vers le bureau des recettes pour s'acquitter de cette taxe. Et là, surprise : le douanier refuse les chèques et les cartes bancaires. Il veut de l’espèce; et si possible en devises étrangères.

3 - Rapatriant sa voiture par la même occasion, elle devait passer par les services de Douane de Tunis. Là aussi elle découvre, effarée, tout un trafic ...

La taxe qu'elle devait à l'Etat pour homologuer sa voiture, pouvait se négocier par des quidams étrangers aux services de la Douane, qui hantent ce service. Moyennant bakchich pour le quidam et pour son répondant derrière les guichets, si elle voulait récupérer assez rapidement les documents l'autorisant à circuler avec sa voiture en Tunisie. Sinon, il lui fallait revenir souvent et l'affaire pourrait traîner jusqu'à ce qu'elle comprenne là aussi, qu'il lui faut lâcher du bakchich, pour clore son dossier !
Ce qu'elle avait fini par faire, sinon son dossier aurait traîné encore ...

Ce qui l’intriguait quand elle était dans les locaux administratifs de la Douane, c’était l'agitation devant les guichets qui s'interrompait de temps en temps par une "panne" d'informatique qu'annonçaient les guichetiers; obligeant tout le monde à une pause ... pause qu'elle va mettre à profit pour pousser la porte d'un chef de service, dans l'espoir qu'il fasse avancer son dossier plus vite ! Occasion pour elle de découvrir le pot aux roses : les agents du service de Douane et leur chef, se partageaient les billets des bakchichs ramassés dans la matinée, pendant cette rituelle pause pour cause de "panne informatique" !!

4 - Pour sa nouvelle maison, une de ses amies restées en France voulant lui faire cadeau, lui a envoyé par colis postal, des graines et des bulbes de fleurs pour agrémenter son jardin. Pour le récupérer, elle s'est adressée au service de Douane des colis postaux, près de l’aéroport de Tunis.

Là, encore une surprise l'attendait : le douanier lui annonce une amende de 400 dt pour importation de produits prohibés, nécessitant une autorisation spéciale du ministère de l'agriculture ...

Après moult supplications, il a daigné lui rendre les graines et certains bulbes après avoir retenu les bulbes des fleurs sur lesquels il semble avoir jeté son dévolu; puisqu'ils étaient déjà mis de côté dans son sac, le colis étant déjà ouvert quand elle s'est présentée pour le récupérer.

Dans sa mansuétude, le douanier a ramené l'amende de 400 dt à 50 dt payable en espèce et sans quitus. L'argent et les bulbes retenus, n'étant pas perdus pour tout le monde : l'argent sera probablement partagé entre les 2 douaniers de service et les bulbes seront récupérés par le douanier qui les avait mis dans son sac, pour les vendre ou pour les planter chez lui.

Et comble de l'hypocrisie, ces douaniers lui demandaient de régler vite son amande car ils doivent fermer le bureau pour se rendre à la mosquée pour la prière du vendredi, qu'ils ne voudraient pas rater !

Sortant de ce service, elle se demandait si le grand acquis de la fumeuse révolution, ne serait pas la démocratisation de la corruption ... les services de Douanes, lui en donnant l'exemple !

Elle est écœurée et regrette d'avoir tout abandonné en France pour finir sa retraite dans un pays qu'elle ne reconnaît plus !

Comment voulez-vous, me dit-elle, que ce pays se redresse avec une corruption aussi généralisée et une hypocrisie religieuse doublée d'une bigoterie affichée, comme pour s'absoudre de voler l'Etat et le citoyen ?

Rachid Barnat

samedi 15 août 2020

Culture et religion ou quand l'une est otage de l'autre


PROFESSEUR LAHOUARI ADDI, À L'EXPRESSION "Gaïd Salah veut contrôler la  transition" - tadert-iw

Lahouari Addi

La culture musulmane contemporaine est platonicienne

Leila ZAIMI : Votre livre «la Crise du discours religieux», publié l’année dernière par les Presses Universitaires de Louvain, sort aux éditions Frantz-Fanon à Alger. D’emblée, de quelle crise parle-t-on ? Et pourquoi limiter la crise de l’Islam à son seul discours ?

Lahouari Addi : Ce que j’appelle le discours religieux est aussi bien la connaissance savante des oulémas que la représentation populaire de la religion. Ce discours est en crise parce qu’il ne correspond plus au monde actuel. Il est issu de l’interprétation du Coran qui date de plusieurs siècles et qui ne s’est pas renouvelée, alors que le monde a changé depuis. La théologie musulmane est encore celle de Ibn Hanbal, al Ghazali et Ibn Taymiyya. En comparaison, le christianisme a renouvelé la pensée d’Augustin et de Thomas d’Aquin. 

Quant à l’autre aspect de votre question, le discours est l’espace où se reproduit la représentation du monde qui légitime le lien social et qui dit ce qui est mal et ce qui est bien. Le discours est une construction sociale de la réalité. Dire, c’est faire, nous apprend la sociolinguistique. Du fait du poids de la religion dans la société algérienne, qui n’est plus traditionnelle, mais pas encore moderne, la crise du discours religieux est une crise sociale.

Leila ZAIMI : Si l’on comprend bien votre raisonnement, la crise du discours religieux musulman, c’est d’abord une crise de la culture…

Lahouari Addi : La culture est une construction humaine ; elle est la manifestation sociale de la pensée. Les rapports entre les êtres humains, en dehors de la reproduction biologique, ne sont pas naturels, ils sont culturels. Nous vivons avec l’illusion que la religion domine la culture ; en fait, c’est l’inverse ; c’est la culture qui domine la religion. L’anthropologie religieuse montre que la religion est portée, exprimée par une culture. 

La crise dont nous parlons n’est pas la crise de l’islam, mais la crise de la culture qui le véhicule aujourd’hui. L’intolérance de notre société provient de notre culture et non du Coran. Vous allez me dire mais il y a des versets intolérants dans le Coran ; c’est vrai, mais il y a aussi des versets de tolérance, et c’est la culture qui choisit entre les versets. Il en est de même pour la Bible. La culture d’aujourd’hui ne respecte pas de nombreux versets du Coran, dont «pas de contrainte en religion». 

Les êtres humains n’accèdent au sacré qu’à travers la culture et à travers la métaphysique qui la sous-tend. La religion peut être portée par n’importe quelle culture, qu’elle soit humaniste ou non. La culture et la transcendance sont liées comme le verre et le liquide, mais le verre et le liquide sont deux choses distinctes. Le liquide prend la forme du verre comme l’islam vécu épouse la culture de la société. 

La question qui nous intéresse est la suivante : est-ce que l’islam est compatible avec la liberté de conscience et avec la modernité ? L’interprétation du Coran de al Ma’ari et de Ibn Roshd, certainement ; celle de al Ghazali et Ibn Taymiyya, non. Cela ne veut pas dire que al Ma’ari ou Ibn Roshd ont la vraie interprétation de l’islam, car la vraie interprétation n’est connue que par Dieu et les prophètes. Les anciens sont sages en disant «Allah ou a’lam» (dieu sait).

Leila ZAIMI : Le sous-titre de votre livre est «Le nécessaire passage de Platon à Kant». Qu’est-ce que cela veut dire exactement ?

Lahouari Addi : La religion est d’abord une philosophie, une métaphysique. A l’origine, en islam, il y a eu des philosophes-théologiens (al Kindi, Ikhwane Es-Safa, al mu’tazilas…). Il y a eu ensuite une évolution qui a distingué les philosophes des moutakalimoune (théologiens). L’islam récuse le mot «théologie» qui prétend étudier Dieu. Les moutakalimoune étudient le kalam, le mot de Dieu. 

Le courant antiphilosophie a commencé avec Ibn Hanbal qui était irrité que Platon et Aristote soient souvent cités et élevés au rang de prophètes bibliques. C’est lui l’inventeur du concept de salafiya (le fait de se relier aux pieux prédécesseurs) qui cherchait à revenir aux salafs (les pieux prédécesseurs, premiers califes de l'islam, dits aussi "errachidoun") pour ne pas citer les philosophes grecs. Ce mouvement a triomphé avec al Ghazali et Ibn Taymiyya qui ont quasiment interdit la philosophie. 

«Ta-mantaqa, ta-zandaqa» (pratiquant la dialectique, il tombe dans le manichéisme), écrivait Ibn Taymiyya. 

Ce faisant, ces auteurs et leurs disciples ont fermé toute possibilité d’évolution de la pensée musulmane. Philosophie et pensée religieuse vont de pair ; si vous interdisez la philosophie, la pensée religieuse perd le contact avec la réalité humaine et la transcendance divine.

Leila ZAIMI : Pouvez-vous en quelques mots dire la différence entre Platon et Kant ?

Lahouari Addi : Je considère Platon et Kant comme faisant partie des plus grands philosophes de l’humanité. Ils ont produit deux systèmes philosophiques cohérents, mais différents. 

Si je dois résumer la différence qui les sépare je dirais que :
- Pour Platon l’homme est un atome d’un cosmos composé d’un monde sensible corruptible à qui le corps appartient, et d’un monde idéal parfait qui accueillera l’âme après la mort du corps. Entre-temps, et pour rendre supportable sa vie dans le monde sensible, il doit utiliser la raison en obéissant à la logique d’ensemble du système supra-organique auquel il appartient. Il lui reste à espérer que son âme rejoindra, après la mort du corps, l’Olympe où règne la perfection éternelle. 
- Pour Kant, l’homme n’a pas les moyens de connaître sa condition. Notre structure mentale, dit-il, fait que nous ne connaissons que la réalité pour soi et non la réalité en soi. Nous percevons les phénomènes et non les noumènes. La science étudie les phénomènes et la métaphysique spécule sur les noumènes. Nous connaissons Dieu à travers les limites de notre raison et non dans sa réalité transcendantale. La compréhension de l’essence des choses est au-dessus de nous. 

Platon alimente les guerres de religions et Kant les fait cesser. Avec Platon, la foi se base sur la raison ; avec Kant, elle se fonde sur la conscience. Or, la raison est belliqueuse, puisque chacun croit avoir raison contre les autres, alors que la conscience est pacifique. 

C’est avec Kant que l’espace public est pacifié, pas avec Platon.

Leila ZAIMI : Comment expliquez-vous que la culture musulmane n’a pas dépassé la vision platonicienne ? Comment expliquez-vous cette stagnation par rapport aux Européens ?

Lahouari Addi : La pensée musulmane n’a pas évolué parce que les monarchies, aidées par les théologiens, ont persécuté la pensée libre, avec l’exception de al Ma'moun (entre 813 et 823) qui avait protégé les mu’tazilas. Il y avait des potentialités énormes. Al Ma’ari est le précurseur de David Hume et de Dante avec son livre «Rissalat al Ghoufrane» ; Ibn al Moukaffa’ annonce les fables de Jean La Fontaine ; Ibn Toffeil a écrit un livre (Hay Ibn Yakdhan) similaire au roman «Robin Crusoé» (qui est un conte philosophique) ; Ibn Roshd a eu une influence indirecte dans la genèse de la philosophie occidentale ; Ibn Khaldoun est le précurseur de Hobbes et de Durkheim, etc. 

Il y avait un potentiel énorme de modernité intellectuelle, mais l’oppression politique et l’aliénation religieuse ont étouffé cette évolution. Par ailleurs, au niveau du dogme, islam et christianisme ne doivent pas être comparés comme on le fait souvent en insinuant que le christianisme est meilleur que l’islam. Judaïsme, christianisme et islam sont une même religion. Le Coran reconnaît Moïse et Jésus comme des prophètes; et ce qui est oublié, c’est que la première réforme du christianisme, c’est l’islam. 
Le Coran déclare rétablir dans sa vérité le message de Moïse et de Jésus en récusant la divinité de Jésus et le clergé. 

Je trouve séduisante l’hypothèse de Mohamed Shahrour qui parle de «christianisation» de l’islam après la mort du prophète avec la promotion des hadiths et l’évolution des oulémas vers un statut de clergé. Ce n’est pas ce que voulait le prophète, qui refusait qu’on le sacralise comme Jésus chez les chrétiens. 

En effet, pour Shahrour, l’imam Chafei a sacralisé la parole du prophète alors que seul le Coran est sacré. Pour lui, le sunnisme est une déviation par rapport à la norme coranique. Il en est de même chez les chiites qui ont sacralisé ahl el beit et ont reconduit le mythe chrétien du Messi attendu. Si on compare les dogmes, l’islam est plus proche de la sécularisation.

Leila ZAIMI : En écrivant un tel ouvrage, votre intention, entre autres, était «de rappeler ce que le discours religieux musulman doit à la métaphysique grecque, en particulier au dualisme platonicien autour duquel s’est élaborée la théologie du monothéisme abrahamique, dans ses versions juive, chrétienne et musulmane». Quels sont vos arguments ?

Lahouari Addi : Mes arguments sont développés dans le livre que vous avez lu. L’hypothèse que je défends est que le monothéisme abrahamique a utilisé la philosophie de Platon pour se donner une argumentation rationnelle. La philosophie de Platon est dépassée en Europe, remplacée par celle de Kant. 

La culture musulmane contemporaine est platonicienne, alors que la culture occidentale est kantienne. Kant est le penseur de la modernité intellectuelle et de la sécularisation. C’est ici que réside le secret de l’avance des Occidentaux sur le monde musulman. 
Vous allez me dire est-ce qu’une interprétation kantienne de l’islam est possible ? La philosophie morale de Kant est confirmée par plusieurs versets du Coran, mais il faut passer par le naskh, l’abrogation, c’est-à-dire faire abroger des versets par d’autres versets. Il ne faut pas avoir peur de ce mot qui appartient à la culture musulmane. Nous pratiquons l’abrogation, dans un sens ou dans un autre, tous les jours consciemment ou inconsciemment dans notre comportement social. 

La théologie musulmane s’est construite sur l’abrogation implicite de nombreux versets du Coran, notamment celui qui énonce «pas de contrainte en religion» (S.2, V.256). Mais l’abrogation est inévitable. J’ai un voisin non musulman là où j’habite à Lyon avec qui j’ai des relations de bon voisinage. En me comportant ainsi, j’ai abrogé le verset qui me recommande de tuer les juifs, les chrétiens (S.9, V.5). Mais si je tue mon voisin, j’aurais aussi abrogé le verset qui dit «pas de contrainte en religion». 

Les oulémas font peur aux croyants sur le sujet de l’abrogation alors qu’eux-mêmes abrogent les versets humanistes.

Leila ZAIMI : Dans votre essai, on peut lire «à partir du 16e siècle, l’Europe et l’islam ont commencé à diverger intellectuellement. Galilée avait ruiné le savoir aristotélicien des docteurs de l’Eglise, provoquant une crise grave dans le savoir profane sur lequel l’autorité ecclésiastique avait bâti sa légitimité intellectuelle. La culture musulmane n’a pas connu cette crise parce que ‘ilm al-kalâm n’avait pas fondé sa pertinence sur le savoir aristotélicien…». 
D’après vous, le monde musulman a-t-il besoin d’un choc culturel et de pensée au sens épistémologique du terme ?

Lahouari Addi : L’Eglise latine avait lié son discours à la science profane, appelée la scolastique, qui était principalement d’origine grecque. Lorsque ce savoir s’était effondré à la suite des découvertes scientifiques, l’autorité intellectuelle de l’Eglise a été remise en question. 
Cette évolution n’a pas eu lieu en islam car les oulémas avaient rompu les liens avec le savoir profane, dont la philosophie, l’astronomie, la chimie, etc. Il n’y avait pas de lien entre la théologie et les sciences profanes. 

Al Ghazali avait disqualifié la causalité aristotélicienne, affirmant que si le feu brûle le bois, c’est en raison de la volonté divine et non pas en raison des lois de la nature comme le prétend Aristote. D’ailleurs, dit-il, Dieu fait des miracles quand il veut en suspendant les lois de la nature. C’est ainsi que la théologie musulmane s’est désintéressée du savoir profane qui était cependant condamné s’il contredisait la parole des oulémas. 
La société musulmane est devenue indifférente à la science. 

Mohamed Abdou avait raison quand il avait écrit que l’islam n’aurait pas condamné Galilée comme l’a fait l’Eglise. Un théologien musulman aurait dit à Galilée «ta découverte montre la puissance divine».

Leila ZAIMI : Dans le cinquième chapitre, vous tentez d’analyser le paradoxe de la société musulmane contemporaine qui «accepte la technologie la plus moderne tout en refusant la philosophie du sujet qui l’accompagne». 
Quels sont les résultats de cette analyse ?

Lahouari Addi : Les musulmans acceptent la technologie moderne à la suite de la Nahdha (renaissance) du 19e siècle, en disant qu’elle a pour source la raison que Dieu a donnée à l’être humain. Selon Mohamed Abdou, les Européens ont utilisé ce don de Dieu qui a été négligé par les musulmans. Mais ce qui est oublié, c’est que cette technologie a été créée par un sujet historique conscient de lui-même. Les découvertes de Galilée et de Newton ont conduit successivement à Descartes et à Kant. 

La science occidentale s’est développée parallèlement à l’émergence du concept de conscience inconnu dans la pensée grecque et que refuse la théologie médiévale.

Leila ZAIMI : Que répondez-vous à ceux qui disent que vous n’êtes pas habilité à traiter de ces questions, puisque vous n’êtes pas théologien ?

Lahouari Addi : La théologie est un savoir humain qui a une fonction sociale et, à ce titre, elle relève de la sociologie de la connaissance. Elle fait partie de la culture, et tout ce qui est culturel intéresse la sociologie. 

Ma réflexion porte sur le caractère historique et épistémologique du discours religieux dans ses rapports avec la philosophie et avec les représentations culturelles comme vision du monde. 

La théologie étudie les textes sacrés ; la sociologie de la connaissance étudie l’usage social du discours sur le texte sacré.

Leila ZAIMI : Votre livre, me semble-t-il, fait suite à un autre important de vos ouvrages, «le Nationalisme arabe radical et l’islam politique», publié en Algérie et aux Etats-Unis. Le premier est un courant marqué aujourd’hui du sceau de l’échec et ne parvient plus à produire une idéologie mobilisatrice, comme il y a cinquante ans ou plus, le second est synonyme d’un problématique retour aux origines avec, depuis une quarantaine d’années, une déclinaison violente dont l’horreur est atteinte par Daech. 
Comment sortir de cette double impasse ?

Lahouari Addi : Schématiquement, le monde arabe a eu deux réponses politiques pour s’opposer à la domination européenne : le nationalisme arabe radical (Michel Aflak, Nasser, Boumédiène, Saddam…) et l’islamisme (Hassan al Banna, Qutb, al Qaïda…). 
Les deux ont échoué parce qu’ils n’ont pas perçu que l’avance de l’Occident n’est pas seulement matérielle, mais intellectuelle. 

Les nationalistes pensaient rattraper le retard en industrialisant et les islamistes en faisant respecter la morale par la chari’a. 

Les deux courants n’ont pas saisi l’importance de la révolution intellectuelle des 17e-18e siècles qui a séparé l’Europe du monde musulman. Le nationalisme a commencé à décliner avec la défaite face à Israël, en 1967, et l’islam politique est en train de perdre du terrain. 

Les deux idéologies ont échoué, parce qu’ils ont tous deux ignoré la perspective historique et l’anthropologie humaine. On ne peut pas connaître la société musulmane si on la réduit au seul facteur religieux. Il faut mobiliser la sociologie, l’économie, la science politique, l’histoire, etc.

* Lahouari Addi a été formé à l’université d’Oran où il a enseigné, pendant vingt ans, après avoir obtenu un doctorat en France. Au milieu des années 1990, il est nommé professeur de sociologie politique du monde arabe à Sciences Po/Lyon. Il a été plusieurs fois invité par des universités américaines. Il est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages et d’une cinquantaine d’articles parus dans des revues académiques. Il intervient souvent dans la presse algérienne où il offre des analyses sur les contradictions idéologiques et politiques de la construction de l’Etat.