Les socialistes censés être les défenseurs
de la laïcité, ont permis aux Frères musulmans, ses pires ennemis, de
l'attaquer. Et de reculade en reculade devant leurs coups de boutoir dans ses
règles du vivre ensemble, ils ont fait le lit du wahhabisme que les
islamistes de tous poils importent en France allégrement grâce au soutien des pétromonarques. Lionel Jospin lors de "la crise du voile dans
l'école", répondait à l'inquiétude d’Elisabeth Schemla, qui
l'interrogeait : " que voulez-vous que cela me fasse que la France s'islamise ? ".
La droite ne sera pas en reste, puisqu'elle aussi, électoralisme oblige, va
contribuer à l'expansion du wahhabisme au détriment de la laïcité.
R.B
La laïcité, une idée pour demain
Les enquêtes nous
confirment ce que nous pressentions depuis longtemps : la laïcité ne fait plus
recette, surtout chez les jeunes. Ce consensus d’un siècle n’en finit plus de
se lézarder : pourquoi ? Faut-il la remiser au musée ? La relooker pour la
rendre compatible à l’ère du "venez comme vous êtes" identitaire ? La
rendre accommodante comme certains le demandent à gauche, pour tenir compte des
discriminations et tirer un trait sur nos névroses post-coloniales ? Ou au
contraire en faire une valeur patrimoniale sans laquelle, aux côtés du plateau
de fromages et des citations d’Audiard, il ne serait de conscience nationale
possible ?
Faute d’avoir su penser
dans la sérénité cette situation sociale inédite, qui voit l’émergence d’une
nouvelle religion française, l’islam, dans un pays plus sécularisé que bien
d’autres, notre pays se livre depuis trente ans à toutes sortes de bricolages,
institutionnels et idéologiques, où l’emphase des slogans – "nouvelle
laïcité", "laïcité apaisée", "iconstruction d’un islam
de/en France", etc.- cache mal le désarroi d’une classe politique qui
semble aussi médusée par l’islam et le monde arabo-musulman, qu’oublieuse de ce
qui a fondé, historiquement, la laïcité.
La
laïcité, ou la naissance de la France moderne
On prête à Churchill
d’avoir dit "plus vous saurez regarder loin dans le passé, plus vous
verrez l’avenir". Or la laïcité a une histoire. Puisqu’on en parle si peu,
le lecteur me pardonnera que j’en parle un peu longuement ici ; car cette
histoire ne débute pas en 1905, ni même en 1789, et pas davantage avec les
Lumières. Cette "idée laïque", longtemps avant de devenir le principe
politico-juridique que nous connaissons, a lentement mûri chez les légistes
médiévaux. Elle se manifeste déjà, si on veut à tout prix la dater, dans la
querelle qui oppose Philippe Le Bel au pape Boniface VIII.
Nous sommes au
tournant des XIIIème et XIVème siècle , le Pape prétend imposer sa suréminence
à toutes les créatures humaines et à leurs lois, précaires et révocables. Ainsi
le pouvoir manie "deux glaives" : le spirituel, manié "par
l’Eglise", et le temporel, manié "pour l’Eglise". Rien au dehors
de l’Eglise, rien au-dessus d’elle. Philippe Le Bel ne l’entend pas ainsi : en
1302, il convoque pour la première fois les états généraux, et c’est aux
représentants de cette nation qui n’existe pas encore, la France, qu’il demande
leur soutien face aux prétentions papales. Soutien acquis, y compris celui des
évêques. "Ausculta, fili !", l’exhorte le pape, qui le menace
d’excommunication : Philippe Le Bel s’en moque. La lettre apostolique est
brûlée en sa présence, le roi envoie Guillaume de Nogaret menacer à son tour le
pape : celui-ci meurt quelques semaines après une brève séquestration.
Fin de la querelle,
triomphe du roi téméraire, et surtout naissance d’une raison politique qui
n’admet que Dieu au-dessus d’elle, mais non ses intercesseurs. Plus tard, il y
aura la Pragmatique sanction de Bourges (1438), le Concordat de Bologne (1516),
les édits de paix tentant de mettre un terme aux guerres de Religion, dont
l’Edit de Nantes (1598). Avec des succès variables et toujours fragiles, le
propre du politique se libère progressivement de l’ombre portée des sacrements
divins. Ce processus n’établit pas seulement les droits de l’Etat face à la
puissance de l’Eglise : il met en scène une puissance publique qui prend acte
petit à petit, et malgré de violents revirements (la Révocation…), de
l’irréductible diversité des convictions, et qui cherche un équilibre, par
nature instable, entre l’unité, gage de stabilité, et la pluralité,
manifestation de la liberté.
Longtemps après la
Révolution, Michelet et surtout Quinet méditeront sur l’impasse dans laquelle
les premiers républicains se sont trouvés sur la question religieuse. Que faire
: la supprimer ? impossible. En changer ? impraticable. Laisser faire ? Dangereux.
Ce n’est pas un hasard si Aristide Briand, dans son rapport de présentation du
projet de loi de Séparation, donne sur une centaine de pages une magistrale
leçon d’Histoire qui met littéralement les pas de la Nation France dans ceux de
la laïcité. C’est à Jaurès qu’il revient d’ajouter une idée décisive, disons
plus en rapport avec les exigences de l’époque, lorsqu’il affirme que laïcité
et démocratie sont, pour ainsi dire, synonymes.
Il n’en fallait pas
moins pour convaincre un pays traversé par tant de divisions que la Séparation
était possible : beaucoup, à gauche, redoutaient la puissance d’une Eglise
rendue à la liberté ; la droite craignait au contraire que la société ne
s’éloigne d’une Eglise banalisée, privée de son statut officiel, ce qui montre assez
que la suréminence symbolique avait, depuis longtemps, changé de mains.
Un
compromis remis en cause ?
Il a fallu ce lent
travail des siècles, parachevé par la sécularisation accélérée de la société
française contemporaine, pour établir la paix laïque. Il ne faudra que deux
collégiennes portant ce qu’on appelle encore, improprement, un
"tchador", pour la faire vaciller. Cette "affaire de Creil" (1989), nous n’en
sommes pas sortis, et c’est à peine si l’Etat de 2022 est moins sûr de son fait
qu’il ne l’était, lorsque le ministre de l’Education, Lionel Jospin renvoya la
balle au Conseil d’Etat.
A ne vouloir fâcher
personne, l’Etat prend le risque de mécontenter tout le monde : il est toujours
trop mou pour ceux qui, à mots de moins en moins couverts, ont pour obsession
unique de mater l’islam et les musulmans. Mais il sera toujours trop dur, à
l’inverse, pour ceux qui se prétendent les gardiens d’une "Seule et Vraie
Laïcité", au demeurant imaginaire et fantasmée, qui aurait promis la
liberté inconditionnelle des croyants sans lui mettre les solides garde-fous du
titre V de la loi de 1905, au titre explicite : "Police des cultes".
Un culte "placé sous la surveillance des autorités", c’est ce qui
s’appelle une liberté encadrée ! Et ce n’est certes pas, tant s’en faut, le
modèle de séparation tel que les anglo-saxons l’entendent, eux qui, en Amérique
du nord, consacrent dans le droit la possibilité d’écarter la loi commune au
profit de la loi religieuse - c’est cela, "les accommodements
raisonnables".
En niant obstinément
le réel - c’est-à-dire la progression continue d’un islam dur, rigoriste,
intolérant envers les minorités sexuelles et méprisant envers les femmes - et
en cherchant à "faire du judo" avec des prédicateurs réputés parmi
les moins extrêmes des extrémistes, au nom d’un paternalisme typiquement
colonial envers les descendants de l’immigration - tout une génération
intellectuelle et militante a porté cette "laïcité d’apaisement" qui
aura fait bon accueil à Tariq Ramadan et les gros yeux à Charlie. En édulcorant
constamment le rouge-sang islamiste, en le faisant passer pour une bigoterie
new-age et en prétendant qu’il n’y avait pas de problème avec la laïcité en
France, cette école de pensée, forte de son audience et de son aura dans les
milieux éducatifs en particulier, a causé des ravages, car elle a tout à la
fois forgé la conviction, désormais répandue parmi les jeunes enseignants,
qu’il faut assouplir toutes les règles de la laïcité, mais elle a aussi
conforté les partisans d’une laïcité d’exclusion - c’est-à-dire d’une fausse
laïcité – et permis à l’extrême-droite de crédibiliser, contre toute
vraisemblance, sa conversion laïque.
Une
boussole de liberté pour naviguer par gros temps
Ringarde, la laïcité ?
Ce sont ses contempteurs, ou ses zélotes intéressés, qui sont ringards. La
profonde modernité de l’idée laïque consiste à dire que la cité ne se reconnaît d’autres lois que celles qu’elle se donne à elle-même. Aucun principe extérieur
ni supérieur ne lui est opposable ; aucune puissance sociale ne dispose de
droits sur les individus : ils sont libres, et l’Etat démocratique est là pour
garantir que cette liberté soit effective. Contrairement à une critique trop
facilement mise en circulation, aujourd’hui, à gauche, mais qui se laisse
repérer historiquement dans les attaques de la droite conservatrice contre la
République - gauche et droite jouant décidément à fronts renversés -, ces
droits n’ont rien d’abstrait : ils s’éprouvent dans une réalité sociale, celle
du "milieu" dans lequel on naît et on grandit, dont les individus ont
le droit absolu de s’émanciper. La laïcité protège le croyant qui veut croire
et pratiquer, mais elle ne protège pas que cela : en séparant la conviction,
qui est libre, des institutions sociales qui prétendent dire ce que la foi
commande, elle donne à l’individu la possibilité de croire comme il l’entend,
et non selon la norme que le groupe lui impose. C’est un point fondamental que
les tenants du laisser-faire religieux semblent avoir oublié.
Nous connaissons, au
plan mondial, un nouveau temps d’épreuve pour les libertés. Les aspirations à
l’autorité, les manipulations du vrai par la marchandisation des images, la
destruction des savoirs qui fondent une culture commune, sont des défis immenses
dont nul ne peut dire que la démocratie sortira vainqueur. L’idée laïque est un
atout que nous ne pouvons pas nous permettre de négliger : elle constitue une
boussole de liberté pour naviguer par gros temps.
* Préfet et
cofondateur du Printemps républicain.
1987 : DEBUT DE L'ENTRISME DU WAHHABISME/ISLAMISME EN FRANCE ...
RépondreSupprimerEn effet si les socialistes avaient interdit le foulard aux trois jeunes filles, les premières à jouer le jeu des islamistes, le gouvernement aurait tué dans l'œuf l'importation du wahhabisme par les Frères musulmans en France !
Et maintenant preuve que cet entrisme se généralise : les enseignants sont visés et beaucoup s'autocensurent pour ne pas aborder les sujets qui fâchent les islamistes ...
Pas que ! Puisque les journalistes comme les humoristes, de plus en plus se censurent pour ne pas aborder les sujets qui fâchent ...
Les Français ne diront pas merci à Lionel Jospin ministre de l'éducation de Mitterrand, qui répondait à une journaliste inquiète de l'islamisation possible de la société française : " Que la France s'islamise, que voulez-vous que cela me fasse ? " !!