Si l'analyse de l'instrumentalisation de l'islamisme par l'occident est intéressante, la conclusion de Fathi Benslama qui se veut optimiste, quand à l'éventuelle révision doctrinale des partis islamistes (dont les Frères musulmans, les mieux organisés que soutiennent EU, UE et pétromonarques), me laisse sceptique car si comme il le préconise, ces partis délaisseraient la religion, ils se renieraient; puisque ce sont le "coran + chariâa " qui fondent leur politique !
R.B
R.B
L’occident
et l’islam politique : « Daech, la créature a échappé à ses créateurs »
Presse,
intellectuels, hommes publics et responsables gouvernementaux occidentaux ont
sans cesse fait montre de sympathie, de complaisance, voire de complicité, en
Tunisie et ailleurs, à l’égard de l’islam politique. Nous avons interrogé à ce
sujet Fethi Benslama, psychanalyste, professeur à l’université, qui connaît
bien l’intelligentsia et les médias européens et américains.
Pouvez-vous nous éclairer sur
les rapports de l’Occident avec l’islamisme ?
L’Occident n’est pas un bloc
homogène, même si l’islamisme politique et guerrier a accru dans les opinions
publiques la détestation de l’islam et alimenté le racisme antimusulman. En
retour, il s’est nourri du rejet auquel il a contribué, car la stigmatisation
des enfants de migrants est devenue un ressort identitaire du ralliement de
nombre d’entre eux à son idéologie. Dans les médias, l’islamisme fait vendre,
parce que la communication se fonde prioritairement sur le mal : de quoi y
parle-t-on, sinon des calamités, des méchancetés, des horreurs ? Les islamistes
sont des fournisseurs réguliers sur ce plan, que ce soit à travers les
mascarades identitaires ou les têtes coupées. Quant aux pouvoirs publics, à
l’intérieur ils les surveillent, ils peuvent en faire les représentants des
musulmans pour les contrôler, ils leur confient même une mission d’encadrement
dans les quartiers difficiles, mais lorsqu’ils dépassent certains seuils de
violence, ils les répriment.
A l’extérieur, c’est une force qu'on manie au gré des intérêts , d’autant que des pays alliés des Etats européens et américains sont les pourvoyeurs idéologiques, financiers et
militaires de l’islamisme. Les intérêts autorisent le cynisme, le mensonge, le
double discours. De fait, les islamistes sont à la fois ennemis et alliés des
puissances occidentales, avec une zone à risque certes, car ça peut passer d’un
côté ou de l’autre selon les circonstances. Les exemples abondent : le
dernier en date est l’utilisation des jihadistes pour faire tomber le régime
syrien. Au bout de la manipulation, vous avez Daech. La créature a échappé à
ses créateurs, comme dans d’autres cas. Les islamistes ont une tactique virale,
ils mutent vite et ils sont jetables. Ils servent le double jeu occidental avec
l’islam : la reconnaissance et le rejet, l’islam et l’anti-islam. Ne pas
oublier que le mot «islamisme» désignait auparavant la religion islamique
proprement dite, comme le judaïsme et le christianisme.
Pourquoi la gauche européenne
a-t-elle soutenu les Frères ?
Pour une partie de la gauche,
les islamistes représentent les opprimés des quartiers pauvres et aussi ceux
qui résistent à l’occidentalisation. Ils condensent les humiliés de la
différence de classe et de la différence culturelle. Les aspects réactionnaires
de leur idéologie, par exemple avec les femmes, sont amnistiés. Cette position
est dictée par le lavage de la mauvaise conscience du dominant. En revanche,
les démocrates musulmans éveillent la culpabilité et le soupçon, car ils
incarnent aux yeux de cette gauche la réalisation de l’hégémonie occidentale.
De plus, ils sont considérés comme indéfiniment minoritaires dans leur pays.
Des chercheurs de cette mouvance ont écrit que les séculiers des pays musulmans
sont culturellement au service de l’Occident, ils les traitent
«d’islamophobes». L’invention «du musulman modéré» a eu du succès, parce
qu’elle est le produit du relativisme absolu et du semblant chez une gauche
dont le programme est de rater les trains de l’histoire. Pourquoi ne parle-t-on
pas de « démocrate musulman », avec l’exigence qui va avec ? En fait,
« le musulman modéré » est politiquement un radical qui a mis de la poudre aux
yeux d’un social-démocrate européen, qui le veut bien.
Pourquoi la droite continue
de soutenir les Frères ?
D’abord, il faut savoir que
sur l’échiquier politique, il y a une large zone où gauche et droite se
recouvrent, surtout quand ils gouvernent. Mais disons que pour une frange de la
droite, les islamistes servent à radicaliser leur position et à se démarquer de
la gauche. Il y a peu de sujets aujourd’hui qui leur permettent de se
distinguer comme avec l’islam. Pour la droite radicale, les islamistes ne sont
que les musulmans en tant que ennemis intra-muros. L’ennemi interne
inassimilable constitue la menace immunitaire propre au nationalisme fascisant.
D’autre part, l’intérêt stratégique avec la droite conservatrice avec les
islamistes est d'affaiblir les potentialités des musulmans en les engluant
dans des conflits surannés qui les retardent. Le modèle de cette stratégie est
le Hamas vis-à-vis de l’Autorité palestinienne. Au final, les démocrates des
pays musulmans sont pris en étau entre la gauche et la droite des pays
occidentaux.
En Tunisie, les puissances
occidentales exercent-elles des pressions pour qu’il y ait entente avec le
parti Ennahdha ?
La Tunisie est à la fois
l’objet d’un enchantement et de déception ; ou plutôt d’« inception » et de
déception. « Inception », comme dans le fameux film, car voici que la démocratie,
une idée étrangère, s’avère implantée dans le subconscient du sujet tunisien,
qui se réveille comme si elle était sienne ! C’est un beau présage pour le
monde arabe. Mais d’un autre côté, c’est une déception pour les théoriciens du recyclage des islamistes dans l’expérience du pouvoir, étant
donné que la démocratie est réputée irrecevable chez des peuples où la religion
n’est pas réformée. Peu importe les dégâts dans ces pays, les affaires
marcheront bien comme avec les amis du Golfe, et les islamistes recyclés
arrêteront le terrorisme. Avec l’expérience égyptienne, ce calcul s’est avéré
faux, même si on aurait aimé que ça se poursuive jusqu’à son terme, dût-on en
crever. Avec la Tunisie restait la possibilité de la poudre de modération
islamique, version Ennahdha. Nous savons que dans ce mouvement, il y a des
musulmans sages en termes de foi, mais lorsqu’il s’agit du pouvoir, il n’y a
pas de sagesse dans la religion. La base d’Ennahdha est majoritairement
incandescente et ses leaders éclairés composent avec cela. Les puissances
occidentales donnaient Ennahdha gagnante avec une sous-hypothèse
ravissante : le partage du pouvoir avec les séculiers pour éviter le cas
égyptien. Peu importe l’incohérence et ses conséquences sur le pays, mais la realpolitik ne recule devant aucune chimère. Mais « The little big country »
(surnom que je donne à la Tunisie) a fait vite le tour de la question et
renvoyé les islamistes dans leur laboratoire. Tant que « le démocrate musulman »,
et non le musulman démocratisant, totalement opposé à la terreur au nom de la
religion, apte à gérer les affaires publiques, n’a pas vu le jour, ils
resteront dans leur laboratoire.
Et si Ennahdha parvenait à se
soulager du religieux et de la prédication pour se consacrer à la politique et
représenter la droite conservatrice, frange constitutive de toutes les
sociétés, à commencer par les plus modernes, cela pourrait être un cas d’école.
Qu’en pensez vous ?
Ce changement ne viendra pas
par une pure décision idéologique. Il n’est possible que si aux yeux de la
majorité des électeurs d’Ennahdha, la religion cesse d’être une solution aux
problèmes. Autrement dit, qu’ils ne pensent plus vivre dans une communauté de
croyants mais dans une société de citoyens, fondée sur un projet social et
politique. Bref, il faut que le pouvoir ne soit plus prenable au nom de Dieu,
mais au nom d’un projet et d’une compétence humaine, éventuellement inspirée
par des valeurs islamiques conservatrices. Et ça, ce sont les séculiers qui
doivent en faire la démonstration dans l’exercice des responsabilités. A ce moment-là,
n’ayant plus d’électeurs potentiels, la transformation du mouvement
Ennahdha devient nécessaire pour survivre. Si Ennahda échoue aux prochaines
élections municipales, certains de ses leaders commenceront à réfléchir
sérieusement à la question.
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