Auteur : Narjès TORCHANI
Article 1 de la Constitution : une obsession textuelle !
Sous le thème «Le religieux et le politique dans un Etat de droit : expériences comparées», s’est tenu les 17 et 18 novembre à Hammamet le 3ème forum international de Réalités sur le bon voisinage religieux en Méditerranée. Il s’agissait d’exposer les expériences de pays où l’islam est la religion dominante (Turquie, Iran et Tunisie) et de pays européens (Pologne, Allemagne, France et Malte) afin d’introduire un débat sur la question suivante : «Quelle place de la religion en Tunisie dans la nouvelle Constitution ?»
Ce débat, auquel ont participé des invités de prestige venant des pays susmentionnés, a été marqué par la qualité des interventions, complémentaires tout en étant centrées sur cette question, devenue d’actualité au lendemain même du 14 janvier, et symbole de la quête identitaire de tout un peuple. En effet, la relation entre l’Etat et la religion, dans notre pays, sera bientôt déterminée par les articles de la nouvelle Constitution. Un article en particulier, le premier, propose dans son ancienne version une formule à partir de laquelle les discussions sont entamées. C’est un article de référence.
Dès la conférence inaugurale, celle de M. Nejib Chebbi, président du Parti démocratique progressiste, l’article 1 de l’ancienne Constitution a été cité. M. Chebbi, qui siègera à l’Assemblée constituante, a déclaré dans son intervention que cet article ne sera pas modifié. Sollicité pour de plus amples détails, il a expliqué qu’il y a consensus entre tous les partis qui se partagent le pouvoir. Rappelons que l’article premier de la Constitution de 1959 a été rédigé par l’Assemblée constituante de 1956 comme suit: «La Tunisie est un Etat libre, indépendant et souverain; sa religion est l’islam, sa langue l’arabe et son régime la république». Sachant que le thème du forum appelle à une réflexion sur la question de savoir quelle forme donner à l’Etat par rapport à la religion, M. Chebbi veut-il dire que l’article 1er sera maintenu dans son intégralité, ou que c’est juste la partie «sa religion est l’islam» qui ne sera pas omise dans la nouvelle formulation ? En tout cas, son avis, qui semble selon ses déclarations être partagé par ses rivaux d’Ennahdha, du CPR, d’Ettakatol et les autres, n’a pas fait l’unanimité lors du colloque.
Un deuxième intervenant, M. Ridha Chennoufi, professeur de philosophie à la faculté des Sciences humaines et sociales, pense que c’est «trahir la révolution tunisienne que de ne pas changer l’article 1». Selon lui, il faut l’améliorer. Sa proposition est la suivante: «La Tunisie est un Etat civil, social et démocratique, l’islam est sa religion, l’arabe est sa langue et la république est son régime».
Dans ce sens, M. Yadh Ben Achour, président de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, a donné une conférence pleine d’optimisme, stipulant qu’un Etat de droit ne peut être qu’un Etat civil et que même Ennahdha, avec qui il dit s’être entretenu personnellement, insiste sur le caractère civil de l’Etat et est disposé à en ajouter la mention à l’article 1er. Ce qui donnerait selon lui : «La Tunisie est un Etat civil, libre et indépendant, sa religion est l’Islam, sa langue l’arabe et son régime la République». Optimiste, M. Ben Achour l’est en dépit du dérapage sur le «sixième califat» commis par M. Hamadi Jebali, secrétaire général d’Ennahdha, qui n’a pas répondu présent au forum de Réalités. Dérapage que certains plus que d’autres considèrent aussi révélateur qu’un lapsus. D’ailleurs, l’amiral Jean Dufourq, directeur de recherche à l’école militaire de Paris, chargé de rédiger la synthèse du colloque, a relevé parmi d’autres points une inquiétude chez les femmes intervenantes. Trois d’entre elles ont proposé des réflexions pertinentes sur le raisonnement à suivre pour arriver à une formulation saine de l’article premier, ou «comment, dans une Constitution où l’Islam est stipulé comme religion de l’Etat, on peut éliminer de fait le risque d’un extrémisme religieux», d’un «virus en latence» ou d’une «Constitution séropositive». Sans donner de réponse toute faite et en posant de nombreuses interrogations, Olfa Youssef, docteur d’Etat en lettres et langue arabe, Héla Ouardi, professeur de littérature et de civilisation françaises à l’Université de Tunis et Ikbal Gharbi, directrice de la radio religieuse Ezzitouna, ont analysé la relation entre l’Etat et la religion, plus précisément l’Etat et l’islam, chacune selon sa spécialité. Il faut «distinguer les aspects politique et identitaire de la citoyenneté», selon Ikbal Gharbi. Il faut «se référer à l’Islam des lumières et travailler encore plus sur l’éthique de l’Islam», selon Olfa Youssef.
Au final, et au bout des expériences comparées de ce troisième forum international de Réalités, les participants, tunisiens et étrangers, étaient d’accord sur la nécessité pour la Tunisie de trouver sa propre formule, celle qui correspond à sa personnalité, comme le souligne l’historien Khalifa Chater, quand il qualifie les exemples exposés de cas d’espèce et non de modèles, en ajoutant que la Tunisie ne devrait suivre aucun de ces exemples et qu’elle devrait créer son propre modèle, selon ses propres spécificités. Avis que partage l’amiral Jean Dufourq dans sa synthèse. Selon lui, entre le 14 janvier et le 23 octobre, nous étions dans une mélancolie démocratique: après les élections, nous sommes dans une perplexité démocratique. La raison de ce débat identitaire revient à son avis au fait que pendant la dictature, l’image de la Tunisie s’est embrouillée dans nos esprits...
Narjès TORCHAN
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