vendredi 29 octobre 2021

VIGO A REJOINT RANDY AU PARADIS

Le petit Vigo vient de nous quitter à l'âge de 17 ans et 7 mois, âge canonique pour les chiens. Il est né un premier avril 2004. Il a été baptisé Vigo de Belair. Vigo et sa soeur Verlaine, sont les enfants de Randy et d'Orphée.

Vigo est parti sans avoir eu à subir les longues et pénibles maladies qu'avait connues son père Randy. On s'en doutait qu'il partira un jour mais Hamida l'espérait le plus tard possible. Et lui comme s'il l'avait compris, il prenait sur lui pour s'alimenter un peu pour lui faire plaisir; puisqu'elle le nourrissait à la seringue pour finir sa gamelle, pour ne pas le laisser dépérir depuis le départ de Randy.

Il est parti dans les bras de Hamida; ce qui est le rêve de tous les chiens de mourir dans les bras de celui à qui ils ont tout donné, amitié et amour. Et ce qui console un peu Hamida, est de n'avoir pas eu à l'euthanasier et de le voir s'éteindre dans ses bras en toute quiétude.

Dynamique et turbulent à la fois, devant sa soeur Verlaine chétive et plus petite que lui de taille, Vigo faisait le meneur. Son nom comme le veut la règle instaurée par SCC (société centrale canine) depuis 1926 qui associe à chaque année une première lettre de nom, devait commencer par V, pour les natifs de 2004. Vigoureux comme il était, j'ai proposé à Hamida le non Vigo, qu'elle avait accepté pour rappeler sa vigueur, disait-elle. 

En apprenant cette triste nouvelle, j'ai revu comme dans un flash, Vigo bébé que j'avais gardé avec sa soeur Verlaine tout un week-end, parceque Annie & Maurice s'absentaient. Il s'en est pris au papier peint de la salle de bain où je les avais enfermés pour la nuit, dont il tira un bout puis encore un autre, mettant un nu un pan du mur, comme pour dire sa désapprobation d'avoir été enfermé. J'ai éparé sa bêtise. Et depuis, chaque fois que je revois cette restauration, je revois le bébé Vigo qui me l'avait laissée en souvenir de lui. Un mois plus tard, j'ai récupéré Vigo chez Maurice et Annie qui l'offraient à Hamida et que j'ai dû garder chez moi quelques jours avant de prendre l'avion pour la Tunisie, son pays d'adoption, il était plein de vie et tellement joueur. Alors que cet été, je constatais l'effet de l'âge; puisque Vigo dormait beaucoup et ne voyait plus très bien à cause d'une cataracte bilatérale. 

Ayant assuré le rôle de mère de substitution quand on l'avait séparé d'Orphée sa mère au sevrage à l'âge de 3 mois, il s'en est toujours souvenu; puisque à chacune de nos retrouvailles, il me fait une fête incroyable d'autant que j'étais porteur de "messages" de son père qu'il " lisait " des heures durant, en reniflant et humant mes mains qu'il léchait frénétiquement ainsi que mes affaires. 

Vigo est comme un bébé pour Hamida. Il la consolait de la méchanceté de ses aînés. C'est un compagnon fidèle qui a confiance absolue en Hamida. Ces deux là, se comprennent bien; du moins Vigo sait se faire comprendre par Hamida, quand d'un regard et au besoin en l'interpellant de sa petite patte en lui grattant le bras, il communique avec elle. Elle lui parle alors; et lui, il lui répond en posant sa patte sur son bras en la fixant du regard avec l'air de converser avec elle. Un dialogue étonnant entre un enfant et sa maman.  

Et tout petit de taille qu'il est, il est très tôt devenu son cerbère, rôle qu'il assurait même très âgé. Pour lui, Hamida est sa chasse gardée. Il la protège de son petit corps. C'est touchant de le voir prendre son rôle de garde du corps, à cœur. Surtout quand elle est souffrante et s'alitait, il assurait son rôle de garde-malade et de garde-du-corps à la fois, comme pas deux. Le petit chihuahua qu'il est, devenait alors un féroce berger Allemand. Ce qui nous faisait rire car il grognait et aboyait mais ne mordait pas. Ce qui suffisait pour tenir à l'écart ceux qui s'approcheraient de prés de sa maman. 

Hamida le prenait avec elle partout quand elle voyageait. Et comme son père Randy, Vigo adorait voyager. Occasions pour lui de retrouvailles avec Randy en villégiature en France, en Espagne, en Italie ou en Tunisie. Avec l'âge et depuis leur dernière retrouvaille à Pau avec Randy, suite à laquelle Vigo a déprimé gravement; Hamida a sacrifié ses voyages pour le bien être de Vigo : elle n'a plus voyagé pour ne plus le perturber. Elle organisait sa vie autour de Vigo qui passait avant tout. Ce qui étonnait ses amis mais qu'ils respectaient. Elle qui adore voyager, a choisi de rester auprès de Vigo pour l'accompagner dans son grand âge. Mission accomplie. Elle a tout assuré jusqu'au dernier souffle de Vigo; puisqu'il s'est endormi dans ses bras en toute confiance, pour rejoindre Randy. 

Vigo & Randy

Son départ nous bouleverse. De là où il est désormais, il continuera à veiller sur Hamida comme elle a veillé sur lui durant toute sa vie. 

Ils sont petits ces petits mais ils laissent un grand vide quand ils nous quittent : après Randy, voilà que son fils le rejoint au paradis. Une sympathique boule de poils pour les néophytes. Un grand cœur couvert de poils, pour les cynophiles qui les ont connus ! Ils vont beaucoup nous manquer ces deux-là. La vie des chiens est trop courte, c'est vraiment leur seul défaut.

Junior

Vigo est enterré auprès de Junior cet autre merveilleux chien, un Epagneul Breton, qu'avait eu Hamida avant lui. Il veillera sur Vigo, comme veillent sur Randy ses compagnons enterrés dans le jardin de la "Manouna", à Saint Vincent de Tyrosse.  

Adieu petit Vigo. 
Repose en paix.

Rachid Barnat


Merci à Manoune et à Claude pour ce beau Jardin du souvenir 
où le nom de VIGO rejoint celui de ceux qui veillent sur RANDY.

lundi 25 octobre 2021

Albert Camus, frère des hommes


Jean-Pierre Ryf / Les amis d'Albert Camus

PHILISOPHIE DE CAMUS

 
Alors il est vrai que Camus a une faible formation universitaire en philosophie et qu’il n’a pas fait « Normale Sup ». Ila un simple diplôme d’études supérieures obtenu à Alger sur un mémoire consacré aux relations de Saint Augustin le père de L’Eglise, ancien évêque d’Hippone l’actuel Annaba et de Plotin le philosophe grec.
Peu de choses aux yeux de ces intellectuels bardés de diplômes !

Par ailleurs, il est vrai qu’Albert Camus est d’abord et avant tout un écrivain, une plume qui évite de jargonner comme certains de ses détracteurs.

Et, enfin, sa pensée que nous allons analyser se méfie avant tout des systèmes, des théories, des analyses abstraites faites dans un langage souvent difficile d’accès.

Alors oui, Albert Camus n’est pas un philosophe de système et on ne lui doit aucune théorie voulant expliquer la totalité du monde. Mais est-ce à dire, pour autant, qu’il n’est pas philosophe au sens de celui qui questionne le monde et donne son point de vue sur les grandes questions qui se posent à l’humanité ? Je ne le pense pas. Et je suis même sûr du contraire.

Et c’est à cette recherche de la philosophie de Camus que je veux en venir maintenant.
Comme, précisément, il n’élabore pas vraiment un système totalisant, expliquant le monde, il est préférable de commencer par souligner ce qu’il n’est pas, d’analyser les théories qu’il rejette clairement pour tenter ensuite de voir sa propre pensée.

I. L’incroyance
La première chose à souligner car elle sous-tend l’ensemble de sa pensée, c’est son incroyance, son refus de Dieu et des religions, car c'est ce refus premier qui le conduit à sa thèse de l’absurde. Le monde, en effet, ne peut être absurde pour ceux qui croient a une vie ultérieure, à un monde autre que notre monde terrestre. Pour eux la vie a un sens.
Or Camus n’a jamais pu entrer dans cette foi. Il le dit à de très nombreuses reprises lorsqu’il évoque l’horreur de la mort.

Cela ne l’empêche pas de respecter les croyants; et même, pourrait-on dire, de les envier. Il faut lire à cet égard la conférence qu’il donna devant des religieux au couvent des dominicains de Latour-Maubourg en 1948 (La Pléiade-Essais-p.371 et s)

Ce texte est important car il nous montre clairement la façon de faire d’Albert Camus et d’abord son respect de l’interlocuteur.
Il faut citer ici, cette partie du texte :
« En second lieu, je veux déclarer encore que, ne me sentant en possession d’aucune vérité absolue et d’aucun message, je ne partirai jamais du principe que la vérité chrétienne est illusoire, mais seulement de ce fait que je n’ai pu y entrer. » et plus loin :
« Ceci dit, il me sera plus facile de poser mon troisième et dernier principe. Il est simple et clair. Je n’essaierai pas de modifier rien de ce que je pense ni rien de ce que vous pensez (pour autant que je puisse en juger), afin d’obtenir une conciliation qui nous serait agréable à tous. Au contraire, ce que j’ai envie de vous dire aujourd’hui, c’est que le monde a besoin de vrai dialogue, que le contraire du dialogue est aussi bien le mensonge que le silence, et qu’il n'y a donc de dialogue possible qu’entre des gens qui restent ce qu’ils sont et qui parlent vrai. »
Ce texte montre un grand respect de l’interlocuteur a qui on va dire clairement et sans détour son point de vue mais dont on va respecter la pensée.

Et cela ne l’empêche pas de dire des choses fortes et même dures. C’est ainsi qu’il va dire à ces religieux qu’il n’a pas compris le silence du Pape pendant la période nazie. Il fait référence ici à un problème souvent soulevé sur le silence du Pape Pie XII face aux crimes nazis. Cette affaire a donné lieu après le décès de Camus à une pièce de théâtre qui a fait scandale à son époque et qui s’intitule : « Le Vicaire de Rolf Hochhut » en 1963; et plus tard encore, au film de Costa-Gavras : « Amen. »

Je trouve que c’est Camus qui a le mieux posé cette question :
« Et pourquoi ici ne le dirais-je pas comme je l’ai écrit ailleurs ? J’ai longtemps attendu pendant ces années épouvantables qu’une grande voix s’élevât de Rome. Moi incroyant ? Justement. Car je savais que l’esprit se perdrait s’il ne poussait pas devant la force le cri de la condamnation. Il paraît que cette voix s’est élevée. Mais je vous jure que des millions d’hommes avec moi ne l’avons pas entendue et qu’il y avait alors dans tous les cœurs, croyants ou incroyants, une solitude qui n’a pas cessé de s’étendre à mesure que les jours passaient et que les bourreaux se multipliaient.
On m’a expliqué depuis que la condamnation avait été bel et bien portée. Mais qu’elle l’avait été dans le langage des encycliques qui n’est point clair. La condamnation avait été portée et elle n’avait pas été comprise ! Qui ne sentirait ici où est la vraie condamnation et qui ne verrait que cet exemple apporte en lui-même un des éléments de la réponse …
Ce que le monde attend des chrétiens, est que les chrétiens parlent à haute et claire voix, et qu’ils portent leur condamnation de telle façon que jamais le doute, jamais un seul doute, ne puisse se lever dans le cœur de l’homme le plus simple. »
Il ne croit donc pas mais respecte ceux qui croient; et cela, on le verra aussi dans ses romans et notamment l’étranger et La Peste.

Dans l’Etranger on se souvient qu’après sa condamnation à mort, Meursault va avoir un long entretien avec l’aumônier venu lui proposer son aide, aide qu’il refusera. C’est un dialogue puissant dans lequel et à plusieurs reprises, Meursault confirme à l’aumônier qu’il ne croit pas et que cela ne l’intéresse pas; et il va jusqu’à la colère face à l’insistance du prêtre.

Dans La Peste Camus met aussi en scène un dialogue entre un athée et un croyant (un prêtre) et c’est alors pour montrer que face à un fléau comme la peste, il n’est pas nécessaire de croire pour agir et qu’au contraire, là où l’homme d’Eglise agit en priant; celui qui ne croit pas, est plus pratique et il agit ici et maintenant, sur cette terre avec ses moyens pour lutter contre le fléau et aider ses frères humains.

Il y a donc dans cette attitude une mise en place d’une philosophie de la solidarité humaine sans avoir besoin de ce je ne sais quelle croyance.
II. L’amour du monde et de la vie
Il est donc incroyant mais il aime le monde et la vie. Chacun connaît plus ou moins la vie de Camus qui, d’une certaine manière, n’a pas été épargné par le malheur (perte du père juste après sa naissance - pauvreté - sa vie dans une famille illettrée - la maladie grave qui l’atteint jeune encore et qui le poursuivra toute sa vie - difficultés dans sa vie familiale - et, enfin, drame de l’Algérie son pays natal); et malgré cela, Camus est doué pour le bonheur et il aime le monde qu’il glorifie comme on glorifie un Dieu.

Il suffit de lire son « Noces a Tipaza » pour comprendre une autre partie de sa philosophie, l’accord de l’homme avec le monde, la jouissance des plaisirs simples que donnent le soleil et la mer; et d’ailleurs, il nous dit clairement : à quoi bon les Dieux, quand on peut jouir des plaisirs de la vie, de la nature du ciel et de la mer. Ne pourrait-on pas dire qu’il est panthéistes et que pour lui les dieux sont partout et surtout dans la nature ?
Ainsi ce très beau texte :
« Bien pauvres sont ceux qui ont besoin de mythes. Ici les dieux servent de lits ou de repères dans la course des journées. Je décris et je dis : « Voici qui est rouge, qui est bleu, qui est vert. Ceci est la mer, la montagne, les fleurs » Et qu’ai-je besoin de parler de Dionysos pour dire que j’aime écraser les boules de lentisques sous mon nez ? Est-il même à Déméter ce vieil hymne à quoi plus tard je songerai sans contrainte : « Heureux celui des vivants sur la terre qui a vu ces choses. » Voir et revoir sur cette terre, comment oublier la leçon ? »
Il y a là un deuxième aspect très important de la philosophie de Camus. Le monde est beau, vivre est souvent agréable; et il faut savoir profiter de ce don.
III. L’absurde
Et finalement ce que l’on a retenu de la philosophie de Camus, la notion de l’absurde qu’il a développé dans le mythe de Sisyphe. C’est précisément le rapprochement qu’il fait entre cet amour de la vie, de la beauté, de la jouissance et la mort.

Vivre est merveilleux mais l’on va mourir. Cela le heurte, le choque, lui fait mal. Il déteste cette idée de ne plus jouir de la vie et cette interrogation qui est d’ailleurs la question fondamentale qui interroge le monde depuis l’origine, est celle qui a conduit les peuples de la terre a rechercher Dieu, pour Camus à l’inventer car il est choqué par cet appel à un sens face « au silence déraisonnable du monde ». Oui, il s’interroge sur la finitude de l’homme et personne ne lui répond.
IV. La solidarité et l’action
En présence de l’absurde et de l’appel à la jouissance des beautés du monde, il aurait pu s’orienter vers une sorte de philosophie de l’égoïsme. Puisqu'il n’y a rien après la mort et que le monde est beau, alors contentons-nous d’en jouir. Et, pour ce faire, ne nous occupons que de nous, dégageons-nous de toutes obligations et servitudes. Par ailleurs, puisqu’il n’y a rien après la mort et surtout pas de jugement, alors tout est permis d’une certaine façon.
Et bien, pour Albert Camus, c’est le contraire. Il insiste sur la nécessité de se créer une morale à l’échelle de l’homme. L’homme doit faire son travail, il doit essayer d’améliorer ce qui peut l’être, il doit être solidaire des autres hommes. La solidarité c’est, je pense, un des grands principes d’action de cet écrivain. Et dans le fond, nous dit-il, c’est dans l’action, dans l’amélioration de la vie que l’homme peut trouver sa joie. Certes, c’est à la fois modeste et toujours à recommencer mais il n’y a pas d’autres solutions; et alors, on peut imaginer « Sisyphe heureux ».

Cette exigence de la solidarité, elle est enfouie profondément dans le caractère même d’Albert Camus qui a toujours aimé l’amitié sincère, la camaraderie. On se souvient que ces moments de bonheur sont ceux qu’il a passé avec des équipes que ce soit les comédiens quand il s’adonne au théâtre ou des ouvriers typographes quand il est journaliste et qu’il aime descendre au marbre. Et, enfin, ne nous a-t-il pas dit que tout ce qu’il avait appris de sérieux, c’est en jouant au foot ?

Camus n’est pas un penseur solitaire. C’est pourquoi il a souffert lorsque le milieu parisien après l’avoir accueilli, lui a battu froid.
Dans son discours de réception du Prix Nobel, il est encore revenu sur cette solidarité nécessaire et notamment avec les personnes persécutées injustement.
« Je ne puis vivre personnellement sans mon art. Mais je n’ai jamais placé cet art au-dessus de tout. S’il est nécessaire au contraire, c’est qu’il ne se sépare de personne et me permet de vivre, tel que je suis, au niveau de tous. L’art n’est pas à mes yeux une réjouissance solitaire. Il est un moyen d’émouvoir le plus grand nombre d’hommes en leur offrant une image privilégiée des souffrances et des joies communes. Il oblige donc l’artiste à ne pas s’isoler ; il le soumet à la vérité la plus humble et la plus universelle. Et celui qui, souvent, a choisi un destin d’artiste parce qu’il se sentait diffèrent, apprend bien vite qu’il ne nourrira de son art, et sa différence, qu’en avouant sa ressemblance avec tous. L’artiste se forge dans cet aller-retour perpétuel de lui aux autre, à mi-chemin de la beauté dont il ne peut se passer et de la communauté à laquelle il ne peut s’arracher. C’est pourquoi les vrais artistes ne méprisent rien; ils s’obligent à comprendre au lieu de juger. Et s’ils ont un parti à prendre en ce monde, ce ne peut être que celui d’une société où, selon le grand mot de Nietzsche, ne règnera plus le juge mais le créateur qu’il soit travailleur ou intellectuel. »
V. Le rejet des idéologies

On voit déjà se dessiner la pensée de Camus mais il faut absolument compléter ces idées par l’une de celle qui, à mon sens, domine sa philosophie : le rejet des idéologies, des systèmes complet qui veulent décrire la totalité du monde. Il ne serait pas loin de penser avec Shakespeare qu’il y a plus de choses dans le monde et sur la terre que dans toute la philosophie.

N’a-t-il pas dit ce rejet des systèmes lorsqu’il écrit « Si j’avais à écrire ici un livre de morale, il aurait cent pages et quatre-vingt-dix-neuf seraient blanches. Sur la dernière j’écrirais : Je ne connais qu’un seul devoir, et c’est celui d’aimer. Et pour le reste, je dis non. Je dis non, de toutes mes forces. »

Une grande partie de ses écrits sont une condamnation du totalitarisme et de la violence qui lui est nécessaire. Bien sûr le totalitarisme nazi, cela va sans dire, qu’il condamne tout en respectant le peuple allemand dans ses « Lettres à un ami allemand », mais aussi et c’est à l’époque assez peu répandu, le totalitarisme communiste.

Dans l’Homme révolté il analyse les mécanismes du totalitarisme et les condamne fermement. Cela lui a valu, on le sait, le mépris et le rejet d’une grande partie de l’intelligentsia et des sartriens en premier lieu. Mais c’est à lui que l’avenir a donné raison et il a été d’ailleurs la raison d’espérer de beaucoup dans les pays touchés par le communisme. Dans le fond, il a approfondi les idées qu’avait déjà exprimé André Gide dans son « Retour d’URSS ».

Mais ne soyons pas dupes. Il n’est pas pour autant fervent défenseur du libéralisme. Et quand la droite veut se l’approprier, comme c’est le cas de nos jours, elle se trompe car si Camus refuse le communisme parce qu’il porte atteinte aux libertés et qu’il est amené à user de violence; il ne soutient pas, pour autant, le libéralisme. C’est ce qui a fait que les libertaires, les anarchistes ont retrouvé chez Camus des idées à eux.
Comme on le voit, il n’y a pas chez Albert Camus de grandes théories car il est bien conscient de la complexité du monde qui ne peut se laisser renfermer dans une idéologie; mais il y a des principes qui permettent aux hommes de faire face au monde : absurdité de notre destin, solidarité nécessaire entre les hommes, nécessité de préserver la liberté et rejet de la violence. C’est peu diront certains. Je crois que c’est au contraire beaucoup et la popularité qu’il connaît de nos jours, est la preuve que les lecteurs ont compris son message et y adhérent.

Face à toutes les tentations totalitaires qui veulent faire le bonheur des hommes en créant, nous disent ces idéologies « un nouvel homme », il insiste pour que l’homme soit respecté et que sa liberté de jouir du monde lui reste acquise.

*****

Jean Pierre Ryf

ANALYSE DE L'ATTITUDE DE CAMUS SUR L'ALGERIE

Je reviens, une nouvelle fois, sur la position d’Albert Camus se refusant à envisager l’indépendance de ce pays, même s’il voyait bien, au fur et à mesure du déroulement de la guerre que cette solution allait probablement survenir.

Est-ce que cela a été une forme d’aveuglement, un refus purement sentimental ou, au contraire, le résultat d’une analyse politique, contraire totalement aux idées prévalant à l’époque, mais conforme, précisément, aux idées politiques de cet écrivain ?

Je pense qu’il est important de se poser cette question qui ne l’est pas souvent dans ces termes.

Cette décision a éloigné Albert Camus, non seulement de ceux qui l’avaient déjà excommunié au moment de la parution de l’Homme révolté, mais aussi, ce qui l’a beaucoup peiné, d’amis très proches, avec lesquels il avait une relation quasi fraternelle. Je pense notamment à Jean Sénac et à Jean Daniel.

Que devons-nous penser de cette position d’Albert Camus et cela porte-t-il atteinte à l’importance de sa pensée, à l’importance des leçons qu’il continue à donner au monde ?

Beaucoup ont expliqué et continuent d’expliquer cette position par son attachement à l’Algérie, sa terre natale ?

Je pense qu’il est inutile, ici, de redire la force de cet attachement ; et l’on pourrait citer mille phrases, extraites d’un peu partout dans son œuvre où il clame cet amour qu’il qualifie, en effet, souvent de vital pour lui.

Si l’on veut s’en convaincre, il faut relire son œuvre, les pages éblouissantes consacrées à ce pays et vous pouvez aussi, lire le très beau livre d’Alain Vircondelet : Albert Camus, le fils d’Alger dans lequel vous aurez accès à mille citations sur ce thème de l’amour du pays et des raisons de cet amour.

Cette explication a, évidement, sa part de vérité mais elle ne peut, à mon sens, tout expliquer.

Et cela d’autant moins qu’Albert Camus a été, dès sa toute jeunesse et tout au long de sa vie d’une grande lucidité sur la colonisation et que l’on peut dire, qu’avant beaucoup, il a été anticolonialiste en montrant les erreurs et même les crimes de cette politique coloniale.

Il faut donc ne pas oublier ses multiples écrits depuis « Misères en Kabylie » où il écrit, avant que ce ne soit dans l’actualité, que l’attitude de la France est inacceptable et qu’elle conduira inéluctablement au drame.

Comment dès lors, malgré ces jugements portés très tôt et avant même que les Algériens eux-mêmes, ne réclament l’indépendance, Albert Camus n’a pas été conduit à œuvrer pour cette indépendance ?

Je considère qu’expliquer sa position en se plaçant sur un terrain « sentimental » est, à la fois, insuffisant et très injuste car c’est faire l’impasse sur la lucidité et la pensée de cet homme.

Pour ma part je suis de plus en plus convaincu que sa position était en réalité justifiée par toute sa philosophie et que, l’avenir, c’est-à-dire ce qui est advenu, permet de dire qu’il n’avait pas tort sur son analyse même si la force de l’histoire et de la politique conduisait inévitablement à l’indépendance.

Autrement dit, connaissant les combats politiques de Camus, il n’était pas possible qu’il soutienne ceux qui luttaient pour l’indépendance à la fois dans la façon dont ils menaient cette lutte et dans les objectifs qu’ils se donnaient. Je ne parle pas ici du peuple Algérien mais bien des politiques, des dirigeants qui ont conduit ce mouvement.

On sait, et je n’insiste pas sur le fait, que dans sa vision politique, Albert Camus a lutte de toute son énergie et de toutes ses convictions contre deux fléaux de son époque et plus généralement de l’histoire humaine : le totalitarisme et le terrorisme.

Contre le terrorisme il publie dès 1949 sa pièce « Les justes » et contre les totalitarismes c’est l’ « l’Homme révolté » qui date de 1951, autrement dit des pensées qui ne sont pas liées à la guerre d’Algérie mais bien le fondement profond de son œuvre.

Dès lors s’abandonner et admettre des régimes totalitaires ou le recours au terrorisme, cela ne peut pas être Camus car il aurait dû renier tout ce qu’était sa pensée  !

Or ceux qui ont conduit la guerre d’indépendance et qui ont d’ailleurs par la suite accaparer le pouvoir, ont usé très clairement et ouvertement du terrorisme et avait comme objectif un pouvoir totalitaire.

Ecrivant cela, je sais que je vais entrainer des polémiques et des critiques. Mais je ne pense pas cependant me tromper ; et l’actualité de l’Algérie depuis l’indépendance, me permet de dire que cette analyse est conforme à la vérité et qu’aujourd’hui beaucoup d’algériens eux-mêmes le pensent et veulent changer de modèle politique. Le Hirak, bien qu’ambigu, n’est-il pas la traduction du trouble des Algériens qui disent vouloir « reconquérir » leur indépendance ?

D’abord le recours au terrorisme et au terrorisme le plus violent et barbare, est évident, acté par l’histoire, et qui n’a d’ailleurs jamais été renié et condamné par les Algériens. Or ce terrorisme s’exerçait, là encore l’histoire est claire, à la fois contre les européens en Algérie mais aussi contre des Algériens hostiles au FLN.

Pensez-vous dès lors, que celui qui avait réfléchi, écrit et condamner le terrorisme dans de nombreux écrits (récits et pièce de théâtre), pouvait passer sur ces crimes et affirmer, par exemple, de manière odieuse ,ignominieuse, comme Sartre dans sa préface au livre de Franz Fanon : Les damnés de la terre :

«  Le premier temps de la révolte, il faut tuer : abattre un Européen, c'est faire d'une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé ! Restent un homme mort et un homme libre »

Il semble d’ailleurs que Franz Fanon aurait contesté cette phrase et aurait voulu en parler avec Sartre sans pouvoir le faire en raison de sa mort.

Quoiqu’il en soit, voyez-vous Camus écrire ce genre d’horreur inacceptable ? Non bien sûr.

Ce terrorisme était-il inévitable comme certains l’ont théorisé ? Camus sur ce point a souvent cité Ghandi et sa non-violence.

En second lieu, le grand combat de Camus est celui contre les totalitarismes qui, sous prétexte de justice, le voyez-vous accepte d’enlever les libertés et même de tuer ?

Or l’histoire montre clairement encore que ceux qui dirigeaient la guerre d’indépendance, avaient en vue, selon les clans, soit le totalitarisme communiste soit le totalitarisme islamique.

C’est le livre de l’historien Roger Vetillard : « La guerre d’Algérie : une guerre sainte ? » qui m’a conduit à cette réflexion sur la position de Camus.

Là encore ce qui est advenu a montré que telle était le sort réservé à l’Algérie par ces dirigeants et que ce pays a connu d’une part les dérives du collectivisme et les dérives de l’islamisme et qu’il n’est toujours pas sorti de ces idéologies, certes contradictoires mais également destructrices.

L’Algérie depuis son indépendance a connu l’enfermement, le refus de l’ouverture, l’absence de démocratie et des droits de l’homme tout ce que Camus défendait.

Pouvait-il dès lors et conscient de cela, prendre le parti de cette indépendance ?

Beaucoup parmi ceux qui avaient soutenu ce mouvement d’indépendance et je pense à Jean Sénac et à ces beaux poèmes sur l’avenir du pays indépendant, sur l’ouverture et la liberté qu’il croyait advenir, ont bien vu finalement que ce n’était de leur part que des rêves qui ne se sont jamais accomplis.

Alors, si dans la position d’Albert Camus, il y a incontestablement une erreur d’appréciation sur la force de la volonté d’indépendance, sur la volonté du peuple Algérien de parvenir à cette indépendance en acceptant, provisoirement pensait-il peut être, un régime politique fermé et liberticide, il n’était pas possible au combattant du terrorisme et du totalitarisme de soutenir ce qui se passait.

Albert Camus était pris en tenaille entre ses convictions profondes et la force destructrice de l’histoire qui avance sans se soucier des nuances. Et qui est, comme on l’a souvent écrit, tragique.

 



mercredi 20 octobre 2021

Lettre d'un Tune* à son ami d'enfance resté en Tunisie ...

Minaret à Testour 

"Lettre à Mourad", écrite par Paulo, un Tunisien de confession juive exilé en France, à son ami Mourad, Tunisien de confession musulmane, vingt ans après son départ de sa Tunisie natale.

Mon cher Mourad,

Je ne sais pas si tu te souviens encore de moi, mais moi je peux te dire que j'ai de plus en plus de mal à t'oublier. Vingt ans déjà sont passés depuis cette fameuse journée qui a si dramatiquement chamboulé le cours de ma vie. Vingt complètes années exactement depuis ce jour où pour des raisons qui échappaient complètement au garçon de 13 ans que j'étais alors, la guerre des six jours a éclaté au Proche-Orient.

Ne me doutant de rien bien sûr, je vaquais à mes occupations d'écolier en fin d'année scolaire quand le professeur de français nous annonça que des troubles ayant éclaté en ville, il valait mieux rentrer chez soi. Pas très clair encore sur ce qui se passait, mais fou de joie d'être autorisé de manquer les cours, je partis trainer sur l'avenue de Paris. Et c'est là que j'ai vu ces images que j'ai eu tant de mal à oublier.

Un bon millier de manifestants déchainés et armés de bâtons, hurlant des slogans que je ne comprenais pas, cassaient et brulaient sur leur passage tous les commerces appartenant aux Juifs. Je suis resté un moment à les observer, foudroyé par la violence du moment. Mais quand je les ai vus se diriger vers la grande synagogue avec des torches à la main, j'ai compris que la situation était grave et je courus me refugier chez moi. Toute ma famille était là déjà, barricadée derrière les persiennes closes et les portes fermées à triple tour, priant que l'on soit épargné.

Deux heures durant, nous avons attendu, regardant la pagaille, l'angoisse au cœur jusqu'à ce que les forces de police aidées par l'armée, reprennent le contrôle de la situation.

Le soir même, à la radio, nous avons entendu avec joie le président Bourguiba fustiger les manifestants et déclarer que les Juifs Tunisiens étaient des citoyens à part entière qu'il fallait protéger. Et nous le fumes les jours suivants. Mais c'était trop tard. Quelque chose s'était cassé.

Déjà, la plupart de mes coreligionnaires avaient quitté la Tunisie après l'indépendance en 1956 et après les évènements de Bizerte en 1961; mais nous, nous étions restés derrière. Nous espérions que les choses allaient s'arranger et que l'on allait retrouver notre place dans ce pays où nos ancêtres avaient vécu plusieurs siècles. Mais après le 5 juin 1967, c'était foutu. L'espoir avait disparu. Aussi, quelques jours plus tard, nous étions au port de Tunis en train d'embarquer sur « Le Kairouan » à destination de Marseille, n'emportant avec nous pour tout souvenir que quelques effets personnels et 5 dinars en poche. Mes parents, ayant peur que l'on nous empêche de partir, m'avaient fait jurer de ne rien dire à qui que ce soit; et c'est pour ça que je ne t'ai même pas dit au revoir.

A toi que j'avais connu depuis qu'on avait six ans et qui, je peux te le dire aujourd'hui étais mon ami le plus cher. Toi, avec qui, quand nous faisions équipe au foot dans la rue, moi demi de terrain et toi ailier gauche, nous étions imbattables. J'adorais te faire une passe et voir comment tu allais dribbler les défenseurs de l'équipe adverse et envoyer le ballon entre les jambes du goal. Toi, Mourad avec qui j'ai si souvent partagé un sandwich tunisien au goûter de 10 heures ou un petit pain au chocolat vendu par le concierge du lycée. Toi avec qui je partageais le même plaisir d'aller au cinoche voir pour la dix huitième fois « Les sept Mercenaires » ou « Les Canons de Navaronne ». Toi qui étais Arabe et moi qui étais Juif sans que cela ne nous dérange jamais. Toi que j'ai laissé à Tunis et que je n'ai jamais revu depuis mon départ. Toi, Mourad, à qui je n'ai plus jamais parlé.
Au fur et à mesure que le bateau s'éloignait du port de Tunis, je me doutais bien que ma vie ne serait plus jamais la même et mon cœur était plutôt serré. Mais je fus vite emporté par l'excitation de l'aventure d'être sur un bateau et après avoir trouvé de vagues connaissances de mes parents qui avaient des enfants de mon âge, j'entrais dans ma nouvelle vie. Apres l'arrivée à Marseille, le taxi pour la gare, le train pour Paris, le transfert chez un de mes oncles en banlieue parisienne, la fatigue eut raison de moi et j'ai éclaté en sanglots. Impossible de m'arrêter. Ce fut, je dois l'avouer, la seule trace d'émotion dont j'ai été capable à l'époque. Il est vrai que la ville de Paris avait une beauté incontestable à l'époque pour le jeune Tune* que j'étais et l'attrait de la nouveauté eut raison de toutes mes réticences. Et je t'ai oublié. Je dois même te dire que tu m'es sorti complètement de l'esprit. Peut être avais-je besoin d'un bouc émissaire pour donner une chance à ma nouvelle vie ? Qui sait ?

Le fait est que durant les quelques années qui ont suivi, je me suis crée une nouvelle vie. Même quand mes parents parlaient parfois de la Tunisie, je refusais de prendre part à la conversation et partais me refugier loin de tous ces souvenirs que je voulais sortir de ma tête. Et je suis probablement devenu un petit Français. Je parlais et me comportais comme ces nouveaux amis que j'avais à l'école et ma culture devint finalement très proche de ce qu'était celle d'un adolescent Français. Je devins un pathos !! A croire que je n'étais même pas né en Tunisie ni que j'avais passé les premiers 13 ans de ma vie à Tunis.
Et les années passèrent. L'excitation des premiers temps fut vite remplacée par une incompréhensible nostalgie pour quelque chose dont je n'avais aucune idée. La rigueur du climat parisien, accouplée à la dureté des relations humaines, commença à sérieusement émousser ma nouvelle identité. Je devins tour à tour agressif puis mélancolique. Je me plaignais sans arrêt de tous les cotés négatifs de la vie parisienne sans jamais trouver quelque chose qui me rende heureux. Petit à petit, j'en vins à rechercher la compagnie de compatriotes Tunisiens que j'avais laissés de coté les années précédentes. Moi qui ne supportais plus la vue de la bouffe tunisienne que je qualifiais de grasse et mauvaise pour la santé, en vins à devenir le défenseur acharné de la richesse de son goût et même de ses qualités thérapeutiques. Très vite, les cassettes de musique française furent remplacées par les refrains de Fayrouz ou de Ali Riahi.

Personne, y compris moi, ne comprenait les raisons ni la profondeur des changements qui étaient en train de m'affecter. Et puis un jour, cette année, tout m'apparut clairement ! Je regardais un match de foot de la coupe du monde à la télé quand Maradona tira dans les buts avec son pied gauche. Un but si puissant et fantastique que le producteur en charge de l'émission passa et repassa l'action sous tous les angles et en slow motion. Et au moment (qui sembla durer une éternité) ou Maradona tape la balle, j'ai eu un flash superposé avec toi en train de shooter. Toi, Mourad qui m'étais complètement sorti de la tête, tu fis un retour extraordinaire dans ma vie grâce à Maradona. Tout me revint en mémoire ! Le son de ta voix, ta façon de marcher et la couleur de ton short m'apparurent et m'inondèrent d'émotions. On aurait dit que le but de Maradona avait ouvert cette poche de mon passé qui avait été scellée dés que j'avais mis les pieds sur « Le Kairouan ». Les larmes pleins les yeux, je fis un retour vingt ans en arrière et compris enfin l'étendue de tout ce que j'avais perdu. Les odeurs, les saveurs et les couleurs de mon enfance se bousculèrent devant moi pour me faire mesurer toute cette part de moi que je ne suspectais même pas.
Et j'ai pleuré ! Pleuré sur ce que j'avais perdu. Pleuré sur la politique et la folie des hommes. Et puis là, je me suis dit que c'était trop con. Il fallait que je te retrouve et que je te parle. Il fallait que je dise ce qui s'était passé. Il fallait que je rétablisse le contact avec toi et que tu me dises toi aussi comment tu avais vécu tout ça. Il fallait que je t'écrive et que je te retrouve.

Paulo

* Tune : nom que se donnent les Tunisiens de confession juive, partis vivre en France.


dimanche 17 octobre 2021

Laïcité ...

Laïcité : Principe de séparation de la société civile et de la société religieuse. 
La laïcité est le plus beau cadeau que la France ait fait à l'humanité.

" L'Etat chez lui, l'Eglise chez elle " !
Victor Hugo




La laïcité n'est pas le contraire de la religion. 
Elle est le contraire de la théocratie qui voudrait soumettre l'Etat à une religion; 
du totalitarisme qui voudrait soumettre les consciences à l'Etat; 
et du fanatisme qui voudrait s'imposer par la violence ". 
André Comte-Sponville

" La laïcité n’est pas une opinion, c’est une nécessité qui permet d’en avoir une."

La laïcité garantit la liberté de conscience. De celle-ci découle la liberté de manifester ses croyances ou convictions dans les limites du respect de l'ordre public. La laïcité implique la neutralité de l'Etat et impose l'égalité de tous devant la loi sans distinction de religion ou conviction.

La laïcité garantit aux croyants et aux non-croyants le même droit à la liberté d’expression de leurs croyances ou convictions. Elle assure aussi bien le droit d’avoir ou de ne pas avoir de religion, d’en changer ou de ne plus en avoir. Elle garantit le libre exercice des cultes et la liberté de religion, mais aussi la liberté vis-à-vis de la religion : personne ne peut être contraint au respect de dogmes ou prescriptions religieuses.
 
La laïcité implique la séparation de l’Etat et des organisations religieuses. L’ordre politique est fondé sur la seule souveraineté du peuple des citoyens, et l’Etat —qui ne reconnaît et ne salarie aucun culte— ne régit pas le fonctionnement interne des organisations religieuses. De cette séparation se déduit la neutralité de l’Etat, des collectivités territoriales et des services publics, non de ses usagers. La République laïque impose ainsi l’égalité des citoyens face à l'administration et au service public, quelles que soient leurs convictions ou croyances.
 
La laïcité n'est pas une opinion parmi d'autres mais la liberté d'en avoir une. Elle n'est pas une conviction mais le principe qui les autorise toutes, sous réserve du respect de l’ordre public.

                                             La laïcité protège toutes les religions,
tant qu'aucune ne tente d'imposer sa loi !

Dans un Etat laïc, la raison et l'intelligence des hommes deviennent la source du droit;
et plus la religion, comme dans les régimes théocratiques.

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CATHERINE KINTZLER EXPLIQUE LA GENÈSE PHILOSOPHIQUE DE LA LAÏCITÉ À LA FRANÇAISE


Précieux éclairage (vidéo de 3’22) de la philosophe Catherine Kintzler (Penser la laïcité, Minerve, 2014) pour comprendre la genèse philosophique de la laïcité à la française et sa distinction fondamentale du tolérantisme anglo-saxon.

Avec la laïcité, le lien politique n’est pas organisé à partir d’un surplomb religieux, l’association politique commence avec elle-même. « Il y a un espace zéro », résume Catherine Kintzler.

C’est toute la différence avec le tolérantisme anglo-saxon.

Est-ce que l’association politique a besoin d’un modèle qui s’inspirerait du lien religieux ? Est-ce que le lien politique est de l’ordre de la foi ?

L’Anglais John Locke (1632-1704), théoricien de la tolérance, formule cette question pour y répondre positivement et défendre une conception tolérante de la société, c’est-à-dire ouverte à une pluralité de religions et d’opinions, mais qui exclut les athées puisque ceux-ci, parce qu’ils sont sans foi, ne sauraient fonder leur adhésion à une association politique.

C’est le point de départ du tolérantisme anglo-saxon.

Un courant de la Révolution française retourne la réponse philosophique de Locke pour concevoir, à l’inverse, un lien politique admettant les non-croyants, un lien politique disjoint de tout modèle religieux.

C’est le début de l’élaboration du concept de laïcité.

vendredi 15 octobre 2021

Les Juifs Tunisiens de Belleville ou l' histoire d'une assimilation réussie

Depuis longtemps, le quartier de Belleville-Ménilmontant est un quartier d'accueil pour migrants, pour la simple raison que ce quartier était populaire où l'immobilier ne coutait pas chère et les loyers étaient bas.

Dès la fin de la guerre de 1914-1918, les premières vagues de migration de Polonais, d'Arméniens et des Juifs d'Europe centrale, s'installaient en ce quartier. 

À partir de 1950, plusieurs autres vagues d'immigration de la communauté juive tunisienne en font le premier quartier juif de Paris. Aujourd'hui encore, il reste une importante communauté juive de souche orientale. 

Dans les années 1960, ce sont les communautés maghrébines qui s'y installent.

Dans les années 1980, une importante communauté asiatique s'y implante. 

Mais la communauté juive tunisienne marquera ce quartier devenu mythique pour les Tunisiens aussi bien de confession juive que musulmane vivant à Paris, comme pour ceux de passage, qui y retrouvent les odeurs et les saveurs de leur Tunisie natale; mais se fera connaître aussi par une pègre maghrébine qui donnera du fil à retordre à la police, bien illustrée dans le film La Balance de Bob Swaim.

R.B  



LE BELLEVILLE DES JUIFS TUNISIENS
Le livre de Patrick Simon et de Claude Tapia raconte une première histoire : celle d’une fraction - la plus pauvre, économiquement et culturellement - d’une communauté ethnico-religieuse qui, habitant depuis des siècles en Tunisie, s’est exilée en France, et plus particulièrement à Paris, au cours des années 1960 et 1970, s’est approprié le quartier populaire et vétuste de Belleville où elle s’est installée et, en y inscrivant son mode de vie originaire, l’a marqué de sa présence plus visiblement que ne l’ont fait les autres communautés avec lesquelles elle y a cohabité ; puis, à partir des années 1980, a cédé le terrain à de nouvelles vagues migratoires, après que son intégration à la société française s’était suffisamment réalisée pour lui permettre d’aspirer à d’autres espaces de résidence et non sans qu’un mythe bellevillois des Tunes.

Se forge alors, avec la construction d’une mémoire collective des lieux intimement mêlée à celle de la terre d’origine. Du moins s’agit-il de la mémoire de ceux d’entre les Juifs de Tunisie qui ont habité Belleville et l’ont quitté ; car le quartier garde aussi une valeur symbolique pour les autres.

Ce livre raconte une seconde histoire, qui est celle du quartier bellevillois lui-même, afin de rendre raison de la spécificité de la rencontre qui s’est ainsi opérée et du mode de cohabitation de la communauté des Tunes avec les nombreuses autres communautés qui se sont, elles aussi, approprié ce quartier.

Aussi l’analyse s’opère-t-elle en quatre temps : Le premier est le temps où les Juifs demeuraient encore en Tunisie. On ne saurait en effet comprendre ce que les plus populaires d’entre eux ont fait de Belleville sans savoir ce que leur vie en terre d’Islam avait été et comment elle avait commencé de se transformer avec la présence européenne, puis plus spécifiquement française, en Tunisie, comment enfin ces Juifs ont été conduits à l’exil. La référence aux travaux d’historiens est ici nécessaire, mais la mémoire de témoins est également sollicitée.

Le deuxième temps est parallèle au premier. C’est le temps de la transformation du quartier de Belleville depuis le siècle précédent : références sont faites à des travaux d’historiens à nouveau, mais des archives ont aussi été consultées et amplement utilisées.

Le troisième temps est celui de la rencontre. Comment s’est constitué le Belleville des Tunes ? Une enquête de Claude Tapia, réalisée en 1970 auprès de familles juives habitant le quartier, et une série d’entretiens faisant appel à la mémoire des témoins, et conduits par Patrick Simon de 1992 à 1997 permettent de décrire cet « âge d’or » où les Juifs de Belleville y vivaient comme ils vécurent « là-bas » (c’est-à-dire à Tunis).

Le quatrième temps, enfin, est le temps du mythe, lorsque, tout en demeurant un quartier de visite des Juifs tunisiens du fait de la présence persistante de nombreux commerces, Belleville, devenu pour eux un lieu de mémoire, mais mythifié, s’ouvre plus largement à d’autres immigrants, tandis que les Tunes en ascension sociale le quittent. L’enquête de Patrick Simon fournit les matériaux de l’analyse du mythe.

On a bien affaire, avec ce livre, à une ethnographie socio-historique qui s’arme des méthodes de l’histoire et de celles de la sociologie. Fallait-il adopter un point de vue historique pour rendre compte de la manière dont s’est constitué le Belleville des Juifs tunisiens ? On soulignera, plus loin, pourquoi il était indispensable d’adopter ce point de vue. Et si quelques critiques seront formulées, ce sera parce que les auteurs n’en ont pas toujours tiré toutes les conséquences. Le point de vue historique permet seul, en effet, de comprendre :
- la dynamique d’intégration des Juifs tunisiens en France, qui prolonge une dynamique de francisation qui existait déjà en Tunisie (cela montre d’ailleurs combien de conditions doivent être réunies pour que cette intégration ait effectivement lieu et qu’elle ne se fait pas en une ou deux générations) ;
- la dynamique des rapports entre les différentes fractions socioculturelles des Juifs tunisiens en France même et la signification qu’a prise Belleville pour ces différentes fractions ;
- les rapports entre Juifs et Arabes à Belleville, qui reproduisent ce qu’étaient devenus ces rapports sous le Protectorat français en Tunisie ;
- et, en définitive, pourquoi s’est maintenue une forte identité juive tunisienne dont Belleville est une sorte de référentiel, c’est-à-dire ce lieu de mémoire par rapport auquel la distanciation aux origines et la mobilité font sens. Tel n’est pas le cas en ce qui concerne les Juifs algériens ou marocains, par exemple.