lundi 25 octobre 2021

Albert Camus, frère des hommes


Jean-Pierre Ryf / Les amis d'Albert Camus

PHILISOPHIE DE CAMUS

 
Alors il est vrai que Camus a une faible formation universitaire en philosophie et qu’il n’a pas fait « Normale Sup ». Ila un simple diplôme d’études supérieures obtenu à Alger sur un mémoire consacré aux relations de Saint Augustin le père de L’Eglise, ancien évêque d’Hippone l’actuel Annaba et de Plotin le philosophe grec.
Peu de choses aux yeux de ces intellectuels bardés de diplômes !

Par ailleurs, il est vrai qu’Albert Camus est d’abord et avant tout un écrivain, une plume qui évite de jargonner comme certains de ses détracteurs.

Et, enfin, sa pensée que nous allons analyser se méfie avant tout des systèmes, des théories, des analyses abstraites faites dans un langage souvent difficile d’accès.

Alors oui, Albert Camus n’est pas un philosophe de système et on ne lui doit aucune théorie voulant expliquer la totalité du monde. Mais est-ce à dire, pour autant, qu’il n’est pas philosophe au sens de celui qui questionne le monde et donne son point de vue sur les grandes questions qui se posent à l’humanité ? Je ne le pense pas. Et je suis même sûr du contraire.

Et c’est à cette recherche de la philosophie de Camus que je veux en venir maintenant.
Comme, précisément, il n’élabore pas vraiment un système totalisant, expliquant le monde, il est préférable de commencer par souligner ce qu’il n’est pas, d’analyser les théories qu’il rejette clairement pour tenter ensuite de voir sa propre pensée.

I. L’incroyance
La première chose à souligner car elle sous-tend l’ensemble de sa pensée, c’est son incroyance, son refus de Dieu et des religions, car c'est ce refus premier qui le conduit à sa thèse de l’absurde. Le monde, en effet, ne peut être absurde pour ceux qui croient a une vie ultérieure, à un monde autre que notre monde terrestre. Pour eux la vie a un sens.
Or Camus n’a jamais pu entrer dans cette foi. Il le dit à de très nombreuses reprises lorsqu’il évoque l’horreur de la mort.

Cela ne l’empêche pas de respecter les croyants; et même, pourrait-on dire, de les envier. Il faut lire à cet égard la conférence qu’il donna devant des religieux au couvent des dominicains de Latour-Maubourg en 1948 (La Pléiade-Essais-p.371 et s)

Ce texte est important car il nous montre clairement la façon de faire d’Albert Camus et d’abord son respect de l’interlocuteur.
Il faut citer ici, cette partie du texte :
« En second lieu, je veux déclarer encore que, ne me sentant en possession d’aucune vérité absolue et d’aucun message, je ne partirai jamais du principe que la vérité chrétienne est illusoire, mais seulement de ce fait que je n’ai pu y entrer. » et plus loin :
« Ceci dit, il me sera plus facile de poser mon troisième et dernier principe. Il est simple et clair. Je n’essaierai pas de modifier rien de ce que je pense ni rien de ce que vous pensez (pour autant que je puisse en juger), afin d’obtenir une conciliation qui nous serait agréable à tous. Au contraire, ce que j’ai envie de vous dire aujourd’hui, c’est que le monde a besoin de vrai dialogue, que le contraire du dialogue est aussi bien le mensonge que le silence, et qu’il n'y a donc de dialogue possible qu’entre des gens qui restent ce qu’ils sont et qui parlent vrai. »
Ce texte montre un grand respect de l’interlocuteur a qui on va dire clairement et sans détour son point de vue mais dont on va respecter la pensée.

Et cela ne l’empêche pas de dire des choses fortes et même dures. C’est ainsi qu’il va dire à ces religieux qu’il n’a pas compris le silence du Pape pendant la période nazie. Il fait référence ici à un problème souvent soulevé sur le silence du Pape Pie XII face aux crimes nazis. Cette affaire a donné lieu après le décès de Camus à une pièce de théâtre qui a fait scandale à son époque et qui s’intitule : « Le Vicaire de Rolf Hochhut » en 1963; et plus tard encore, au film de Costa-Gavras : « Amen. »

Je trouve que c’est Camus qui a le mieux posé cette question :
« Et pourquoi ici ne le dirais-je pas comme je l’ai écrit ailleurs ? J’ai longtemps attendu pendant ces années épouvantables qu’une grande voix s’élevât de Rome. Moi incroyant ? Justement. Car je savais que l’esprit se perdrait s’il ne poussait pas devant la force le cri de la condamnation. Il paraît que cette voix s’est élevée. Mais je vous jure que des millions d’hommes avec moi ne l’avons pas entendue et qu’il y avait alors dans tous les cœurs, croyants ou incroyants, une solitude qui n’a pas cessé de s’étendre à mesure que les jours passaient et que les bourreaux se multipliaient.
On m’a expliqué depuis que la condamnation avait été bel et bien portée. Mais qu’elle l’avait été dans le langage des encycliques qui n’est point clair. La condamnation avait été portée et elle n’avait pas été comprise ! Qui ne sentirait ici où est la vraie condamnation et qui ne verrait que cet exemple apporte en lui-même un des éléments de la réponse …
Ce que le monde attend des chrétiens, est que les chrétiens parlent à haute et claire voix, et qu’ils portent leur condamnation de telle façon que jamais le doute, jamais un seul doute, ne puisse se lever dans le cœur de l’homme le plus simple. »
Il ne croit donc pas mais respecte ceux qui croient; et cela, on le verra aussi dans ses romans et notamment l’étranger et La Peste.

Dans l’Etranger on se souvient qu’après sa condamnation à mort, Meursault va avoir un long entretien avec l’aumônier venu lui proposer son aide, aide qu’il refusera. C’est un dialogue puissant dans lequel et à plusieurs reprises, Meursault confirme à l’aumônier qu’il ne croit pas et que cela ne l’intéresse pas; et il va jusqu’à la colère face à l’insistance du prêtre.

Dans La Peste Camus met aussi en scène un dialogue entre un athée et un croyant (un prêtre) et c’est alors pour montrer que face à un fléau comme la peste, il n’est pas nécessaire de croire pour agir et qu’au contraire, là où l’homme d’Eglise agit en priant; celui qui ne croit pas, est plus pratique et il agit ici et maintenant, sur cette terre avec ses moyens pour lutter contre le fléau et aider ses frères humains.

Il y a donc dans cette attitude une mise en place d’une philosophie de la solidarité humaine sans avoir besoin de ce je ne sais quelle croyance.
II. L’amour du monde et de la vie
Il est donc incroyant mais il aime le monde et la vie. Chacun connaît plus ou moins la vie de Camus qui, d’une certaine manière, n’a pas été épargné par le malheur (perte du père juste après sa naissance - pauvreté - sa vie dans une famille illettrée - la maladie grave qui l’atteint jeune encore et qui le poursuivra toute sa vie - difficultés dans sa vie familiale - et, enfin, drame de l’Algérie son pays natal); et malgré cela, Camus est doué pour le bonheur et il aime le monde qu’il glorifie comme on glorifie un Dieu.

Il suffit de lire son « Noces a Tipaza » pour comprendre une autre partie de sa philosophie, l’accord de l’homme avec le monde, la jouissance des plaisirs simples que donnent le soleil et la mer; et d’ailleurs, il nous dit clairement : à quoi bon les Dieux, quand on peut jouir des plaisirs de la vie, de la nature du ciel et de la mer. Ne pourrait-on pas dire qu’il est panthéistes et que pour lui les dieux sont partout et surtout dans la nature ?
Ainsi ce très beau texte :
« Bien pauvres sont ceux qui ont besoin de mythes. Ici les dieux servent de lits ou de repères dans la course des journées. Je décris et je dis : « Voici qui est rouge, qui est bleu, qui est vert. Ceci est la mer, la montagne, les fleurs » Et qu’ai-je besoin de parler de Dionysos pour dire que j’aime écraser les boules de lentisques sous mon nez ? Est-il même à Déméter ce vieil hymne à quoi plus tard je songerai sans contrainte : « Heureux celui des vivants sur la terre qui a vu ces choses. » Voir et revoir sur cette terre, comment oublier la leçon ? »
Il y a là un deuxième aspect très important de la philosophie de Camus. Le monde est beau, vivre est souvent agréable; et il faut savoir profiter de ce don.
III. L’absurde
Et finalement ce que l’on a retenu de la philosophie de Camus, la notion de l’absurde qu’il a développé dans le mythe de Sisyphe. C’est précisément le rapprochement qu’il fait entre cet amour de la vie, de la beauté, de la jouissance et la mort.

Vivre est merveilleux mais l’on va mourir. Cela le heurte, le choque, lui fait mal. Il déteste cette idée de ne plus jouir de la vie et cette interrogation qui est d’ailleurs la question fondamentale qui interroge le monde depuis l’origine, est celle qui a conduit les peuples de la terre a rechercher Dieu, pour Camus à l’inventer car il est choqué par cet appel à un sens face « au silence déraisonnable du monde ». Oui, il s’interroge sur la finitude de l’homme et personne ne lui répond.
IV. La solidarité et l’action
En présence de l’absurde et de l’appel à la jouissance des beautés du monde, il aurait pu s’orienter vers une sorte de philosophie de l’égoïsme. Puisqu'il n’y a rien après la mort et que le monde est beau, alors contentons-nous d’en jouir. Et, pour ce faire, ne nous occupons que de nous, dégageons-nous de toutes obligations et servitudes. Par ailleurs, puisqu’il n’y a rien après la mort et surtout pas de jugement, alors tout est permis d’une certaine façon.
Et bien, pour Albert Camus, c’est le contraire. Il insiste sur la nécessité de se créer une morale à l’échelle de l’homme. L’homme doit faire son travail, il doit essayer d’améliorer ce qui peut l’être, il doit être solidaire des autres hommes. La solidarité c’est, je pense, un des grands principes d’action de cet écrivain. Et dans le fond, nous dit-il, c’est dans l’action, dans l’amélioration de la vie que l’homme peut trouver sa joie. Certes, c’est à la fois modeste et toujours à recommencer mais il n’y a pas d’autres solutions; et alors, on peut imaginer « Sisyphe heureux ».

Cette exigence de la solidarité, elle est enfouie profondément dans le caractère même d’Albert Camus qui a toujours aimé l’amitié sincère, la camaraderie. On se souvient que ces moments de bonheur sont ceux qu’il a passé avec des équipes que ce soit les comédiens quand il s’adonne au théâtre ou des ouvriers typographes quand il est journaliste et qu’il aime descendre au marbre. Et, enfin, ne nous a-t-il pas dit que tout ce qu’il avait appris de sérieux, c’est en jouant au foot ?

Camus n’est pas un penseur solitaire. C’est pourquoi il a souffert lorsque le milieu parisien après l’avoir accueilli, lui a battu froid.
Dans son discours de réception du Prix Nobel, il est encore revenu sur cette solidarité nécessaire et notamment avec les personnes persécutées injustement.
« Je ne puis vivre personnellement sans mon art. Mais je n’ai jamais placé cet art au-dessus de tout. S’il est nécessaire au contraire, c’est qu’il ne se sépare de personne et me permet de vivre, tel que je suis, au niveau de tous. L’art n’est pas à mes yeux une réjouissance solitaire. Il est un moyen d’émouvoir le plus grand nombre d’hommes en leur offrant une image privilégiée des souffrances et des joies communes. Il oblige donc l’artiste à ne pas s’isoler ; il le soumet à la vérité la plus humble et la plus universelle. Et celui qui, souvent, a choisi un destin d’artiste parce qu’il se sentait diffèrent, apprend bien vite qu’il ne nourrira de son art, et sa différence, qu’en avouant sa ressemblance avec tous. L’artiste se forge dans cet aller-retour perpétuel de lui aux autre, à mi-chemin de la beauté dont il ne peut se passer et de la communauté à laquelle il ne peut s’arracher. C’est pourquoi les vrais artistes ne méprisent rien; ils s’obligent à comprendre au lieu de juger. Et s’ils ont un parti à prendre en ce monde, ce ne peut être que celui d’une société où, selon le grand mot de Nietzsche, ne règnera plus le juge mais le créateur qu’il soit travailleur ou intellectuel. »
V. Le rejet des idéologies

On voit déjà se dessiner la pensée de Camus mais il faut absolument compléter ces idées par l’une de celle qui, à mon sens, domine sa philosophie : le rejet des idéologies, des systèmes complet qui veulent décrire la totalité du monde. Il ne serait pas loin de penser avec Shakespeare qu’il y a plus de choses dans le monde et sur la terre que dans toute la philosophie.

N’a-t-il pas dit ce rejet des systèmes lorsqu’il écrit « Si j’avais à écrire ici un livre de morale, il aurait cent pages et quatre-vingt-dix-neuf seraient blanches. Sur la dernière j’écrirais : Je ne connais qu’un seul devoir, et c’est celui d’aimer. Et pour le reste, je dis non. Je dis non, de toutes mes forces. »

Une grande partie de ses écrits sont une condamnation du totalitarisme et de la violence qui lui est nécessaire. Bien sûr le totalitarisme nazi, cela va sans dire, qu’il condamne tout en respectant le peuple allemand dans ses « Lettres à un ami allemand », mais aussi et c’est à l’époque assez peu répandu, le totalitarisme communiste.

Dans l’Homme révolté il analyse les mécanismes du totalitarisme et les condamne fermement. Cela lui a valu, on le sait, le mépris et le rejet d’une grande partie de l’intelligentsia et des sartriens en premier lieu. Mais c’est à lui que l’avenir a donné raison et il a été d’ailleurs la raison d’espérer de beaucoup dans les pays touchés par le communisme. Dans le fond, il a approfondi les idées qu’avait déjà exprimé André Gide dans son « Retour d’URSS ».

Mais ne soyons pas dupes. Il n’est pas pour autant fervent défenseur du libéralisme. Et quand la droite veut se l’approprier, comme c’est le cas de nos jours, elle se trompe car si Camus refuse le communisme parce qu’il porte atteinte aux libertés et qu’il est amené à user de violence; il ne soutient pas, pour autant, le libéralisme. C’est ce qui a fait que les libertaires, les anarchistes ont retrouvé chez Camus des idées à eux.
Comme on le voit, il n’y a pas chez Albert Camus de grandes théories car il est bien conscient de la complexité du monde qui ne peut se laisser renfermer dans une idéologie; mais il y a des principes qui permettent aux hommes de faire face au monde : absurdité de notre destin, solidarité nécessaire entre les hommes, nécessité de préserver la liberté et rejet de la violence. C’est peu diront certains. Je crois que c’est au contraire beaucoup et la popularité qu’il connaît de nos jours, est la preuve que les lecteurs ont compris son message et y adhérent.

Face à toutes les tentations totalitaires qui veulent faire le bonheur des hommes en créant, nous disent ces idéologies « un nouvel homme », il insiste pour que l’homme soit respecté et que sa liberté de jouir du monde lui reste acquise.

*****

Jean Pierre Ryf

ANALYSE DE L'ATTITUDE DE CAMUS SUR L'ALGERIE

Je reviens, une nouvelle fois, sur la position d’Albert Camus se refusant à envisager l’indépendance de ce pays, même s’il voyait bien, au fur et à mesure du déroulement de la guerre que cette solution allait probablement survenir.

Est-ce que cela a été une forme d’aveuglement, un refus purement sentimental ou, au contraire, le résultat d’une analyse politique, contraire totalement aux idées prévalant à l’époque, mais conforme, précisément, aux idées politiques de cet écrivain ?

Je pense qu’il est important de se poser cette question qui ne l’est pas souvent dans ces termes.

Cette décision a éloigné Albert Camus, non seulement de ceux qui l’avaient déjà excommunié au moment de la parution de l’Homme révolté, mais aussi, ce qui l’a beaucoup peiné, d’amis très proches, avec lesquels il avait une relation quasi fraternelle. Je pense notamment à Jean Sénac et à Jean Daniel.

Que devons-nous penser de cette position d’Albert Camus et cela porte-t-il atteinte à l’importance de sa pensée, à l’importance des leçons qu’il continue à donner au monde ?

Beaucoup ont expliqué et continuent d’expliquer cette position par son attachement à l’Algérie, sa terre natale ?

Je pense qu’il est inutile, ici, de redire la force de cet attachement ; et l’on pourrait citer mille phrases, extraites d’un peu partout dans son œuvre où il clame cet amour qu’il qualifie, en effet, souvent de vital pour lui.

Si l’on veut s’en convaincre, il faut relire son œuvre, les pages éblouissantes consacrées à ce pays et vous pouvez aussi, lire le très beau livre d’Alain Vircondelet : Albert Camus, le fils d’Alger dans lequel vous aurez accès à mille citations sur ce thème de l’amour du pays et des raisons de cet amour.

Cette explication a, évidement, sa part de vérité mais elle ne peut, à mon sens, tout expliquer.

Et cela d’autant moins qu’Albert Camus a été, dès sa toute jeunesse et tout au long de sa vie d’une grande lucidité sur la colonisation et que l’on peut dire, qu’avant beaucoup, il a été anticolonialiste en montrant les erreurs et même les crimes de cette politique coloniale.

Il faut donc ne pas oublier ses multiples écrits depuis « Misères en Kabylie » où il écrit, avant que ce ne soit dans l’actualité, que l’attitude de la France est inacceptable et qu’elle conduira inéluctablement au drame.

Comment dès lors, malgré ces jugements portés très tôt et avant même que les Algériens eux-mêmes, ne réclament l’indépendance, Albert Camus n’a pas été conduit à œuvrer pour cette indépendance ?

Je considère qu’expliquer sa position en se plaçant sur un terrain « sentimental » est, à la fois, insuffisant et très injuste car c’est faire l’impasse sur la lucidité et la pensée de cet homme.

Pour ma part je suis de plus en plus convaincu que sa position était en réalité justifiée par toute sa philosophie et que, l’avenir, c’est-à-dire ce qui est advenu, permet de dire qu’il n’avait pas tort sur son analyse même si la force de l’histoire et de la politique conduisait inévitablement à l’indépendance.

Autrement dit, connaissant les combats politiques de Camus, il n’était pas possible qu’il soutienne ceux qui luttaient pour l’indépendance à la fois dans la façon dont ils menaient cette lutte et dans les objectifs qu’ils se donnaient. Je ne parle pas ici du peuple Algérien mais bien des politiques, des dirigeants qui ont conduit ce mouvement.

On sait, et je n’insiste pas sur le fait, que dans sa vision politique, Albert Camus a lutte de toute son énergie et de toutes ses convictions contre deux fléaux de son époque et plus généralement de l’histoire humaine : le totalitarisme et le terrorisme.

Contre le terrorisme il publie dès 1949 sa pièce « Les justes » et contre les totalitarismes c’est l’ « l’Homme révolté » qui date de 1951, autrement dit des pensées qui ne sont pas liées à la guerre d’Algérie mais bien le fondement profond de son œuvre.

Dès lors s’abandonner et admettre des régimes totalitaires ou le recours au terrorisme, cela ne peut pas être Camus car il aurait dû renier tout ce qu’était sa pensée  !

Or ceux qui ont conduit la guerre d’indépendance et qui ont d’ailleurs par la suite accaparer le pouvoir, ont usé très clairement et ouvertement du terrorisme et avait comme objectif un pouvoir totalitaire.

Ecrivant cela, je sais que je vais entrainer des polémiques et des critiques. Mais je ne pense pas cependant me tromper ; et l’actualité de l’Algérie depuis l’indépendance, me permet de dire que cette analyse est conforme à la vérité et qu’aujourd’hui beaucoup d’algériens eux-mêmes le pensent et veulent changer de modèle politique. Le Hirak, bien qu’ambigu, n’est-il pas la traduction du trouble des Algériens qui disent vouloir « reconquérir » leur indépendance ?

D’abord le recours au terrorisme et au terrorisme le plus violent et barbare, est évident, acté par l’histoire, et qui n’a d’ailleurs jamais été renié et condamné par les Algériens. Or ce terrorisme s’exerçait, là encore l’histoire est claire, à la fois contre les européens en Algérie mais aussi contre des Algériens hostiles au FLN.

Pensez-vous dès lors, que celui qui avait réfléchi, écrit et condamner le terrorisme dans de nombreux écrits (récits et pièce de théâtre), pouvait passer sur ces crimes et affirmer, par exemple, de manière odieuse ,ignominieuse, comme Sartre dans sa préface au livre de Franz Fanon : Les damnés de la terre :

«  Le premier temps de la révolte, il faut tuer : abattre un Européen, c'est faire d'une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé ! Restent un homme mort et un homme libre »

Il semble d’ailleurs que Franz Fanon aurait contesté cette phrase et aurait voulu en parler avec Sartre sans pouvoir le faire en raison de sa mort.

Quoiqu’il en soit, voyez-vous Camus écrire ce genre d’horreur inacceptable ? Non bien sûr.

Ce terrorisme était-il inévitable comme certains l’ont théorisé ? Camus sur ce point a souvent cité Ghandi et sa non-violence.

En second lieu, le grand combat de Camus est celui contre les totalitarismes qui, sous prétexte de justice, le voyez-vous accepte d’enlever les libertés et même de tuer ?

Or l’histoire montre clairement encore que ceux qui dirigeaient la guerre d’indépendance, avaient en vue, selon les clans, soit le totalitarisme communiste soit le totalitarisme islamique.

C’est le livre de l’historien Roger Vetillard : « La guerre d’Algérie : une guerre sainte ? » qui m’a conduit à cette réflexion sur la position de Camus.

Là encore ce qui est advenu a montré que telle était le sort réservé à l’Algérie par ces dirigeants et que ce pays a connu d’une part les dérives du collectivisme et les dérives de l’islamisme et qu’il n’est toujours pas sorti de ces idéologies, certes contradictoires mais également destructrices.

L’Algérie depuis son indépendance a connu l’enfermement, le refus de l’ouverture, l’absence de démocratie et des droits de l’homme tout ce que Camus défendait.

Pouvait-il dès lors et conscient de cela, prendre le parti de cette indépendance ?

Beaucoup parmi ceux qui avaient soutenu ce mouvement d’indépendance et je pense à Jean Sénac et à ces beaux poèmes sur l’avenir du pays indépendant, sur l’ouverture et la liberté qu’il croyait advenir, ont bien vu finalement que ce n’était de leur part que des rêves qui ne se sont jamais accomplis.

Alors, si dans la position d’Albert Camus, il y a incontestablement une erreur d’appréciation sur la force de la volonté d’indépendance, sur la volonté du peuple Algérien de parvenir à cette indépendance en acceptant, provisoirement pensait-il peut être, un régime politique fermé et liberticide, il n’était pas possible au combattant du terrorisme et du totalitarisme de soutenir ce qui se passait.

Albert Camus était pris en tenaille entre ses convictions profondes et la force destructrice de l’histoire qui avance sans se soucier des nuances. Et qui est, comme on l’a souvent écrit, tragique.

 



2 commentaires:

  1. Albert Camus :
    " L'automne est un deuxième printemps où chaque feuille est une fleur."

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  2. LA MORALE SELON Albert CAMUS :

    " Si j’avais à écrire ici un livre de morale, il aurait cent pages dont quatre-vingt-dix-neuf seraient blanches.
    Sur la dernière j’écrirais : Je ne connais qu’un seul devoir, et c’est celui d’aimer.
    Et pour le reste, je dis non.
    Je dis non, de toutes mes forces ."

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