jeudi 25 novembre 2021

Le Qatar en perte de vitesse chez les "arabo-musulmans", se rabat sur l'Europe ...

L'émir du Qatar utilise l'organisation internationale des Frères musulmans, comme cheval de Troie pour asseoir son pouvoir de grenouille qui se prend pour un bœuf

Et pour pénétrer les pays sur lesquels l'émir jette son dévolue, les Frères musulmans ne cessent de ruser et de jouer des concepts occidentaux; puisqu'un parti politique frériste en Europe, se présente comme celui des "Démocrates musulmans" ... 

Et pour justifier leur islamisme compatible avec la démocratie, ils ne reculent devant rien. Ils invoquent les partis des " démocrates-chrétiens " d'Occident, auxquels ils se comparent. Drôle de parallèle !

Si les démocrates-chrétiens en appellent aux chrétiens, c'est pour mieux les intégrer dans la République et leur faire admettre les valeurs républicaines et la primauté du droit civil sur le droit religieux depuis la loi de 1905 de séparation de l'Etat de l'Eglise ! Ce qui n'est absolument pas le cas des Frères musulmans, qui instrumentalisent ce concept comme tant d'autres, pour mieux leurrer leurs opposants ... et l'Occident !

Leur dernière trouvaille, étant l' "islam de gauche" que vend aux Tunisiens, Naoufal Saïed frère de l'autre, président de la Tunisie.

Or nous savons que leur programme est la chariaa et le coran et que leur action politique est de convertir le monde entier au wahhabisme et à défaut à lui imposer leur modèle sociétal, celui de la péninsule Arabique, berceau du wahhabisme ! Les Frères musulmans étant de tous les islamistes les mieux organisés et maitrisant aussi bien les cultures des Occidentaux que leur Lois ... savent comment faire pour les pénétrer et s'y pérenniser, leur objectif étant de parvenir au pouvoir en ces pays aussi ! Leur chance, c'est l'ignorance des Occidentaux sinon leur naïveté ou pire la connivence de leurs responsables politiques avec cette organisation criminelle !

R.B

Fabrice Balanche *

Les Frères musulmans : un mouvement en quête d’un nouveau souffle ?

Alicia Piveteau : Quelle est l’origine du mouvement des Frères musulmans ? Quelle idéologie prônent-ils ?

Fabrice Balanche : L’instituteur égyptien Hassan el-Banna crée les Frères musulmans en 1928 dans un contexte de développement du foyer sioniste en Palestine et dans une époque où la colonisation offrait aux Britanniques la mainmise sur le canal de Suez. Ces facteurs amènent Hassan el-Banna à imaginer un mouvement religieux qui pourrait s’opposer à la colonisation et à la domination du monde arabo-musulman par les Occidentaux. Selon ce penseur, il fallait retrouver la voie de l’islam pour chasser les colonisateurs car les musulmans, en perdant leur foi, avaient permis la domination occidentale. C’est le cœur de la doctrine des Frères musulmans, qui se retrouve aussi à Gaza avec la branche palestinienne des Frères musulmans, le Hamas. Dans un premier temps, ce groupe refusait de participer aux combats aux côtés de l’OLP  -  Organisation pour la libération de la Palestine -, car il fallait d’abord « ré-islamiser » la société palestinienne avant d’affronter Israël. Pour les Frères musulmans, ce mouvement de « réislamisation » des sociétés doit se réaliser au sein du monde musulman mais également à l’extérieur, notamment en Europe où se trouvent des foyers de populations musulmanes. Le corpus des Frères musulmans s’articule, à l’origine, autour de la pensée de Ibn Taymiyya, un théologien sunnite du XIIIème siècle, confronté aux tentatives de conquête des Occidentaux pendant les croisades. Ce dernier tenait également une position radicale à l’égard des chiites et des chrétiens locaux. À ses yeux, la seconde obligation pour un fidèle, après la foi, est la défense des terres musulmanes.

Les Frères musulmans n’hésitent donc pas à utiliser la violence. Prenons leur emblème : deux sabres sont croisés et un appel au combat est fait avec l’injonction « Préparez-vous ! ». Ils le prouvent lorsqu’ils fomentent l’assassinat du Premier ministre égyptien Mahmoud an-Nukrashi Pasha en 1948, lorsqu’ils tentent d’assassiner le président égyptien Nasser en 1954, ou enfin, lors du meurtre du président Anouar el-Sadate en 1981, perpétré par un groupe islamiste radical issu de la mouvance frériste. Autre exemple, l’actuel numéro un d’Al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri, a débuté son parcours chez les Frères musulmans. Le penseur égyptien Sayyid Qutb, mis en prison puis exécuté sous Nasser, prônait également la lutte armée et la violence comme moyen d’action pour parvenir à ses fins. Il est une source d’inspiration à la fois pour les salafistes et pour les Frères musulmans. Pourtant, la tendance veut que les salafistes soient considérés comme des radicaux et les Frères musulmans comme des modérés. En réalité, la frontière est très poreuse entre ces deux groupes, qui partagent un corpus idéologique similaire. Les Frères musulmans se distinguent par une stratégie plus moderne en participant aux élections et en recrutant dans des cercles d’intellectuels, là où les salafistes s’intéressent surtout aux classes les plus populaires.

Outre cette violence, leur dogme consiste à imposer la charia et à considérer la connaissance ou le pouvoir politique comme des dons de dieu qui ne peuvent s’exercer qu’à travers le Coran. Pour donner corps à ce mouvement et organiser sa structure, Hassan el-Banna s’est inspiré du nazisme et du fascisme italien ; dans les années 1940, il écrivait : « Hitler et Mussolini ont conduit leur pays vers l’unité, la discipline, le progrès et le pouvoir ». En effet, les Frères musulmans reprennent la stratégie du « one man, one vote, one time » - « un homme, une voix, une seule fois ». Ainsi, une fois le pouvoir atteint grâce aux élections, il est conservé et sanctuarisé. Le jeu démocratique est accepté uniquement pour arriver au pouvoir, mais une fois acquis, seules les lois de Dieu peuvent s’appliquer.

Alicia Piveteau : Comment se diffuse l’idéologie des Frères musulmans ?

Fabrice Balanche : Leur projet initial est de refuser l’État séculier et de s’opposer à l’intégration des musulmans au sein des républiques. Ils défendent ainsi un système politique où le pouvoir politique et religieux est incarné dans une seule personne, le Calife. La confrérie des Frères musulmans est donc comparable à une secte : les membres sont tenus de se consacrer presque exclusivement à leur mouvement religieux et ne peuvent pas adhérer à un autre parti politique. Ils possèdent leurs propres associations fréristes d’étudiants, de médecins, de travailleurs, ou ont leur propre banque, et même leur propre média. Afin de convaincre les populations, les sphères de l’éducation et du social sont massivement investies. Dans les pays arabes où le modèle de développement a échoué, où des carences médicales et éducatives sont visibles, les Frères ont créé les structures nécessaires pour supplanter les services publics.

En raison de la proximité géographique, les Frères musulmans se sont d’abord diffusés au Proche-Orient  - comme en Syrie ou en Palestine  -  puis au Maghreb. Après la série d’indépendances, la Tunisie, le Maroc et l’Algérie ont voulu arabiser l’enseignement dans leurs écoles. Toutefois, ces pays souffraient d’un déficit de personnel pour dispenser ces cours. Des coopérants égyptiens, dont la plupart étaient des Frères musulmans, sont donc venus répondre à ce besoin d’enseignement et ont contribué au développement de l’islamisme au Maghreb. Si les Frères musulmans ont soutenu le coup d’État de Nasser en 1952 pour des motivations nationalistes et pragmatiques, leur objectif, qui était de se débarrasser ensuite du raïs égyptien pour prendre le pouvoir, a échoué. Nasser a en effet initié une répression à leur égard qui les a poussés à fuir l’Égypte et à se répandre dans le monde arabe, notamment là où un besoin éducatif se faisait sentir. Les pétromonarchies du Golfe en ont beaucoup accueilli et les ont soutenus politiquement tant que l’Égypte nationaliste arabe représentait une menace pour eux.

Alicia Piveteau : En 2012, les Frères musulmans remportent l’élection présidentielle en Égypte avec la victoire de Mohamed Morsi. À peine un an plus tard, il est écarté du pouvoir. Comment expliquer cette situation et cet échec ? Que reste-t-il du mouvement en Égypte ?

Fabrice Balanche : Lorsque les manifestations débutent en Égypte en décembre 2010, les Frères musulmans sont en première ligne. Pourtant, leur rôle a longtemps été minimisé par les journalistes et les analystes, qui pensaient qu’il s’agissait d’un mouvement totalement spontané. Sous le mandat du président Moubarak, la confrérie était surtout implantée dans les associations caritatives, puis progressivement le droit de participer aux élections leur a été concédé. En parallèle, sur la scène internationale, les États-Unis ont commencé à voir dans les Frères musulmans une solution aux problèmes de gouvernance en Égypte. Finalement, ils remportent les élections législatives en janvier 2012, puis quelques mois plus tard, les élections présidentielles. Mohamed Morsi est élu avec peu de marge et les résultats seront contestés pendant plus d’une semaine. L’armée égyptienne refusait le résultat du scrutin mais sous la pression des Américains, la victoire du président frériste a été acceptée. Une fois au pouvoir et en reprenant les méthodes des partis fascistes, les Frères musulmans ont commencé à verrouiller le système et à placer leurs partisans aux postes stratégiques.

En novembre 2012, lors du traditionnel défilé en souvenir de la guerre du Kippour de 1973, des anciens membres de la Gamaa al-Islamiya (1) sont placés à côté du président Morsi dans la tribune d’honneur, bien que ce groupe soit à l’origine de l’attentat qui causa le décès du président Anouar el-Sadate. Pour l’armée égyptienne, cet acte n’est pas acceptable. Cela constitue le signal qu’il faut lancer un coup d’État et l’armée peut compter sur le soutien de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis, qui voient d’un très mauvais œil l’accession au pouvoir de la confrérie en Égypte. En juillet 2013, quand l’armée reprend la tête de l’État, Morsi est emprisonné, la constitution de 2012 est suspendue et les Frères musulmans sont éjectés du pouvoir puis réprimés. Depuis, la présidence du maréchal Al-Sissi marque le retour de l’armée au pouvoir en Égypte et de la clandestinité pour les Frères musulmans.

Alicia Piveteau : Pourquoi le Qatar a-t-il décidé de soutenir les Frères musulmans ? Quels sont les enjeux pour Doha ?

Fabrice Balanche : Chassés d’Égypte sous Nasser, les Frères musulmans ont trouvé refuge dans les États du Golfe. L’Arabie saoudite, en mauvais termes avec Nasser, finance et utilise la confrérie contre son ennemi et plus globalement contre tous les partisans nationalistes et séculiers. La fissure entre le royaume saoudien et les Frères a néanmoins lieu en 1990, lors de l’invasion du Koweït par Saddam Hussein. En effet, l’opération est soutenue par les Frères, alors que Riyad s’y oppose.

C’est au Qatar qu’ils trouvent un nouveau refuge, au moment où le prince héritier Hamad ben Khalifa Al Thani écarte son père du pouvoir tandis que ce dernier était en Europe. Le nouveau leader prend la tête de l’État en 1995 et voit dans les Frères musulmans des cadres utiles au développement qatari. Dans une confrontation quasi-constante avec son voisin saoudien, le Qatar utilise les Frères musulmans comme un pion stratégique et les considère comme un moyen d’étendre son influence régionale et internationale. Cette stratégie est particulièrement visible lors des printemps arabes. La confrérie soutient les partis fréristes  -  Ennahdha en Tunisie, le Parti de la justice et du développement au Maroc ou le Conseil national dominé par les Frères musulmans en Syrie. L’argent du Qatar s’allie à ce réseau pour renverser les régimes autoritaires et permettre ainsi à Doha de devenir le phare du monde arabo-musulman.

Autre exemple d’influence : Tariq Ramadan, petit-fils du fondateur Hassan el-Banna, est envoyé au Caire pour faire des études religieuses puis obtient une chaire à l’Université d’Oxford financée par le Qatar. En effet, pour que Tariq Ramadan obtienne le titre prestigieux de professeur à Oxford, le Qatar a réalisé un don de plusieurs dizaines de millions d’euros à l’université britannique. Ainsi, de 2012 à 2017 (2), Tariq Ramadan reçoit-il 35 000 euros mensuels du Qatar pour occuper la chaire d’islamologie d’Oxford et diffuser la pensée frériste.

Alicia Piveteau : Après une période de relations exécrables, Ankara et Le Caire se rapprochent à nouveau. Cela augure-t-il d’un changement d’attitude de la part de la Turquie qui est, avec le Qatar, l’un des principaux soutiens des Frères musulmans ? Quelles pourraient en être les conséquences ?

Fabrice Balanche : L’AKP, le Parti de la justice et du développement, est proche idéologiquement des Frères musulmans sans pour autant en être une filière officielle. En 2008, lorsque Barack Obama arrive à la Maison-Blanche, il a pour ambition de rétablir les liens avec le monde musulman et de réparer les années Bush. Il défend l’idée du « regime change », c’est-à-dire de la nécessité de changer les régimes autoritaires en des régimes plus démocratiques. Entretemps, et toujours grâce aux financements qataris, les Frères musulmans se sont propagés en Occident et ont su convaincre les administrations européennes, américaines et françaises, qu’ils étaient la solution au « regime change ». Ils expliquaient pouvoir incarner l’alternative modérée, capable de répondre aux aspirations musulmanes des populations, de respecter les constitutions et le droit des femmes, sans être des dictateurs. Le modèle islamo-démocrate de la Turquie servait d’exemple et de preuve. Recep Tayyip Erdoğan a pris le pouvoir en 2002, et pendant dix ans, son pays fut cité comme un modèle de réussite : les militaires sont écartés du pouvoir, les traditions sont respectées et les règles démocratiques sont appliquées. Le président Erdoğan rêvait de reprendre de l’influence dans le monde arabe et a pleinement joué la carte de l’alternative aux dictatures.

Lorsque Ben Ali tombe en Tunisie en 2011 pendant les printemps arabes, Erdoğan se rend sur place avec l’objectif d’exporter le modèle turc et d’apporter son soutien aux Frères musulmans. Dans son projet global, Ankara se voulait être le centre de l’islam d’Europe occidentale, et notamment de l’islam de France. En s’appuyant sur le tissu associatif frériste, il voulait fédérer les communautés turques dans un premier temps, puis le reste des musulmans. Coopérer avec les Frères musulmans, déjà installés en Europe, permettait donc à Erdoğan de disposer de leviers stratégiques et politiques en Occident. Toutefois, depuis la répression du coup d’État manqué de 2016, le regard sur la Turquie a radicalement changé, et la méfiance des pays européens à son égard s’est considérablement renforcée.

En réislamisant Sainte-Sophie, et plus largement, en visant la domination du monde sunnite, la Turquie est rentrée dans un conflit avec l’Arabie saoudite. Ankara n’a alors pu compter que sur le seul soutien de son allié qatari. Ce dernier a signé un accord militaire avec la Turquie en 2016, qui a abouti notamment à la construction d’une base turque à Doha abritant 3000 hommes et assurant ainsi au Qatar une protection au plus fort de la crise avec l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. C’est donc naturellement que le Qatar est devenu en seulement cinq ans le deuxième investisseur du pays et qu’il finance généreusement l’expansionnisme de la Turquie en Libye, Syrie, Somalie, Afrique sub-saharienne, etc; et à travers les réseaux fréristes. Les pays arabes voient, à l’exception du Qatar, d’un mauvais œil le retour de l’ottomanisme. Mais depuis le printemps 2021, la Turquie commence à changer de stratégie. Le pays connaît des difficultés économiques et doit faire face à un isolement régional. Pour obtenir un modus vivendi avec l’Égypte et l’Arabie saoudite, Ankara a demandé, en avril dernier, aux Frères musulmans de stopper les programmes trop incendiaires de leurs chaines de télévision, comme El-Sharq, Mekameleen et Watan, basées sur son sol et diffusées au Moyen-Orient. Il ne s’agit pas d’une rupture entre la Turquie et les Frères musulmans, mais pour l’instant d’une prise de distance à l’égard d’un allié affaibli et qui pourrait se révéler à terme encombrant. 

En cas de rupture entre la Turquie et les Frères musulmans, ces derniers perdraient l’une des rares terres d’accueil où ils peuvent prospérer sur le plan de la communication et de leur organisation. Il reste le Qatar, éloigné de l’Europe, alors que c’est précisément vers l’Europe occidentale, vers les pays démocratiques, où se trouve une population musulmane en quête d’identité, qu’ils mènent désormais leur combat.

Alicia Piveteau : Outre le cas de la Turquie, les Frères musulmans semblent aujourd’hui perdre en influence, comme l’illustrent les situations politiques au Maroc et en Tunisie. Où sont-ils implantés et influents aujourd’hui ? 

Fabrice Balanche : En effet, les Frères musulmans sont en perte de vitesse au Maroc, où, suite aux dernières élections de septembre 2021, ils sont passés de 125 à 12 députés, perdant plus de 80 % de leurs électeurs. En Tunisie également, alors que le président Kaïs Saïed a pris les pleins pouvoirs, marginalisant l’Assemblée dans laquelle ils détenaient la majorité relative. C’est aussi le cas au Yémen, où leur parti, al-Islah, est marginalisé, ou encore au Soudan, où le gouvernement de transition qui a chassé Omar el-Bechir a interdit les Frères musulmans en 2020, car durant les trente années de sa dictature, son administration et les Frères musulmans ne faisaient qu’un. Finalement, leur sphère d’influence est aujourd’hui davantage en Europe occidentale puisque dans les pays arabes, leur influence politique a nettement diminué et les pouvoirs en place les combattent avec efficacité.

Alicia Piveteau : Selon certains observateurs, l’Europe serait une terre d’influence des Frères musulmans, et pour Mohamed Sifaoui, la France serait trop passive à leur égard alors que ces derniers œuvrent insidieusement à peser sur les décisions politiques (3). Quel est concrètement l’état de l’influence et de l’implantation des Frères musulmans en Europe ?

Fabrice Balanche : Lorsque Donald Trump remporte la présidence des États-Unis en 2016, il arrive avec la volonté de classifier les Frères musulmans comme une organisation terroriste. Tout d’abord, une partie des Républicains, comme l’influent sénateur du Texas, Ted Cruz, considèrent les Frères musulmans comme une organisation professant « une idéologie islamiste violente » et s’étant donné « la mission de détruire l’Occident ». D’autre part, Donald Trump veut appuyer les décisions de l’Égypte, de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis, de considérer les Frères musulmans comme une organisation terroriste. Cela permettra de sanctionner toutes les personnes et organisations qui les financent.

Pour l’Europe, la question ne s’est pas posée, jusqu’à ce que l’Autriche interdise la confrérie en juillet 2021, grâce à sa nouvelle loi antiterroriste. Ce retard s’explique sans doute par la naïveté durable des Européens à leur égard et pour la France, par une stratégie géopolitique. En 2012, la France partageait le constat des États-Unis, qui voyaient à travers les Frères musulmans une solution pour stabiliser la région. Des diplomates au Quai d’Orsay, notamment dans la cellule « Afrique du Nord/Moyen-Orient », influencés par des universitaires « frérophiles », furent convaincus par la promesse des Frères de respecter la « laïcité » et la « démocratie » une fois arrivés au pouvoir. Quelques années plus tard, en 2015, dans le contexte des attentats en France, l’attention s’est focalisée sur les membres de groupes terroristes, à savoir de Daech ou d’Al-Qaïda. À cette période et en comparaison avec les salafistes, les Frères musulmans ont su conserver leur image de groupe modéré. Habiles sur le plan politique, ils ont réussi à toucher des subventions publiques, notamment dans le cadre de la « politique de la ville », et à s’installer durablement dans le tissu associatif, éducatif et politique. Depuis peu, politiques et chercheurs commencent à s’interroger sur le danger potentiel qu’ils représentent. Gilles Kepel les inclut dans ce qu’il nomme le « jihadisme d’atmosphère » (4), autrement dit dans l’écosystème islamiste qui mène une stratégie de conquête du pouvoir et de rupture avec la république en bloquant l’insertion des habitants français d’origine musulmane.

Dans les universités, le courant frériste se dissimule derrière le mouvement décolonialiste et la culture « woke » (5). Bernard Rougier (6) a enquêté sur leur emprise dans la banlieue parisienne ; Christian Chesnot et Georges Malbrunot (7) ont quant à eux montré comment le financement de la mosquée An-Nour de Mulhouse provenait en très grande partie de la Qatar Charity. Pour les Frères musulmans qui sont derrière ce projet, il s’agit d’enraciner et de développer l’islam politique en Europe, dans des mosquées qui sont des centres de vie. On n’est pas dans l’illégalité, ni dans le financement direct du terrorisme. En revanche, il s’agit bien du soutien à une idéologie qui génère un jihadisme d’atmosphère et accentue le communautarisme. Les autres pays européens sont aussi victimes de cette offensive frériste soutenue par le Qatar et la Turquie. L’ensemble de l’Europe occidentale est concerné. En premier lieu le Royaume-Uni, où les Frères musulmans exilés politiques se sont installés très tôt, et profitant de la tolérance à l’égard du communautarisme, ont développé leurs institutions sociales et politiques. En Allemagne, les services de renseignement s’inquiètent de la progression exponentielle d’organisations et de mosquées fréristes qui gagnent en popularité. Après l’attentat contre la synagogue Stadttempel de Vienne, le 2 novembre 2020, l’Autriche a décidé de combattre fermement ce jihadisme d’atmosphère que les Frères musulmans contribuent à propager, en interdisant la confrérie. La question se pose clairement aujourd’hui au niveau de l’Union européenne.

 

Maître de conférences en géographie à l’Université Lyon 2

 

(1) Gamaa al-Islamiya est un mouvement sunnite égyptien islamiste considéré comme une organisation terroriste par les États-Unis et l’Union européenne.

(2) L’Université d’Oxford le suspend en 2017 en raison des accusations de viol à son égard. Il n’a pas été réintégré depuis.

(3) https://​www​.lefigaro​.fr/​a​c​t​u​a​l​i​t​e​-​f​r​a​n​c​e​/​m​o​h​a​m​e​d​-​s​i​f​a​o​u​i​-​l​e​s​-​f​r​e​r​e​s​-​m​u​s​u​l​m​a​n​s​-​v​e​u​l​e​n​t​-​f​r​a​c​t​u​r​e​r​-​l​a​-​s​o​c​i​e​t​e​-​2​0​1​9​0​924

(4) Gilles Kepel, Le prophète et la pandémie, Paris, Gallimard, 2021.

(5) « Woke » se réfère au verbe « to wake », traduit en français par « se réveiller ». Les partisans de la culture woke se mobilisent contre les injustices à l’égard des minorités. Ils se revendiquent comme conscients de toutes les discriminations subies par les toutes les minorités (ethniques, religieuses, sexuelles…).

(6) Bernard Rougier, Les territoires conquis de l’islamisme, Paris, PUF, 2021.

(7) Christian Chesnot et Georges Malbrunot, Qatar Papers : comment l’émirat finance l’islam de France et d’Europe, Paris, Michel Lafon, 2019.

Légende de la photo en première page : Le signe de Rabia, symbole de ralliement des Frères musulmans. En perte de vitesse au Moyen-Orient et au Maghreb, la sphère d’influence des Frères musulmans se tourne aujourd’hui vers l’Europe occidentale. Face à ce développement que certains jugent inquiétant, l’Autriche est devenue le 8 juillet 2021 le premier pays européen à interdire la confrérie islamiste qui avait notamment centralisé dans ce pays, à Graz, le « trésor de guerre » auparavant situé dans leur ancien fief financier : le Royaume-Uni. L’arrivée massive de mouvements de fonds vers Graz a éveillé les soupçons des enquêteurs autrichiens qui, au terme d’une enquête tentaculaire comprenant 21 000 heures d’écoutes, ont révélé la puissante emprise des Frères musulmans dans le pays. L’Autriche était devenue un pays-refuge pour les Frères, étant le seul de l’UE à accorder un statut officiel à l’Islam (celui de collectivité de droit public).

 

mardi 16 novembre 2021

LES PEUPLES, A L'IMAGE DE LEURS GOUVERNANTS ...

Ou quand la Démocratie est effective, dans un Etat de droit !

Article publié dans : Agoravox

Les villes du fumeux "printemps arabe", sont de plus en plus sales et laides, depuis que le wahhabisme s'y répand !

Le Cygne menacé, emblème de la Hollande.
Elèves Espagnols au musée ... 
Elèves Hollandais au musée ...
Elèves Français avec leur institutrice ...
Elèves Français, dessinant l'Arc de Triomphe de Christo ...

A un ami qui me posait souvent la question, lors de nos voyages en Europe que ce soit l'Europe du sud comme Venise, Florence, Rome, Athènes, Madrid, Grenade ou Valencia ... ou l'Europe du nord, comme Londres, Bruxelles, Amsterdam ... : pourquoi ces villes sont-elles belles et bien tenues; et non celles de la Tunisie ou celles de l'Algérie, nos pays d'origine respectifs ? Et plus généralement, les peuples qui enlaidissent leur environnement, est-ce une fatalité ??

J'ai mis longtemps à trouver une réponse cohérente à sa question; alors que jusque-là, je me contentais de dire que cela tient aux gênes des peuples ! Ce qui est une réponse bête et méchante, trahissant ma colère contre les Tunisiens qui laissent défigurer leurs villes s'ils ne participaient par leurs constructions anarchiques, à les enlaidir; et dont je disais souvent que le seul art qu'ils apprécient, c'est l'art culinaire; tout le monde s'accordant à dire que le Tunisien aime bien manger et qu'il est souvent fin gourmet.

Après mûres réflexions, j'ai fini par lui donner deux explications pour répondre à sa question pour comprendre pourquoi certains peuples cultivent le beau et d'autres semblent s'en détourner.

Pour prendre des exemples concrets, je compare deux villes balnéaires, une en Espagne et l'autre en Tunisie : Valencia et Hammamet, quoique de taille différente ! Deux villes on ne peut plus méditerranéennes par leur plage, leur végétation, leur climat et leur statut de ville touristique.

Le visiteur de ces deux villes est de prime abord saisi par la beauté, l'harmonie et la propreté de l'une; et rebuté par l'anarchie architecturale et la saleté de l'autre. 

Valencia pourtant troisième grande ville espagnole, dispose d'une plage de sable fin qui s'étend sur plus de 20 km et large d'une centaine de mètres par endroit. Sa plage est propre, aménagée pour les baigneurs sans la défigurer, bordée d'une promenade ou paséo de 7 km, arboré et agrémenté de fontaines, de statues, de jeux pour enfants et pour adultes, d'éclairage public de qualité, toujours bien tenue; contrairement à la plage de Hammamet pourtant petite station balnéaire, dont le paseo de quelque centaine de mètre, bien que financé par le prince Albert de Monaco, laisse à désirer car fait de bric et de broc à moindre frais; puisque même ses lampadaires n'ont pas survécu aux premiers hivers, étant fabriqués de tige de fer couverte de moulage en polyuréthane imitant grossièrement les réverbère en fonte des paséo espagnols ! Sans parler du pavement de ce mini paseo qui longe le cimetière marin, posé à même le sable en dépit des règles en la matière, que les premières pluies ont vite transformé en piste accidentée et défoncée ... alors que celui de Valencia bien que plus ancien, est toujours intacte ! Preuve que l'argent offert par ce généreux donateur pour embellir cette station balnéaire, a été détourné par des responsables municipaux peu scrupuleux, pour ne pas dire corrompus, pour livrer aux Hammamétois une telle ineptie qui défigure un peu plus cette ville, pourtant phare du tourisme tunisien 

Lampadaire en mousse ...

Si les responsables municipaux de Hammamet ont réalisé à moindre frais un projet auquel est associé le nom de ce prince monégasque, trahissant une corruption endémique; depuis la fumeuse révolution de 2011, la corruption s'étant généralisée et démocratisée avec les islamistes, ceux-ci ne s'encombrent plus d'un semblant de réalisation de quelque projet que ce soit; puisque l'argent est détourné en totalité et le projet passe à la trappe comme passe l'argent des donateurs directement sur le compte bancaire des responsables islamistes. Ce que découvrent, ahuris, les Tunisiens avec la "disparition" du don chinois à la Tunisie que Rafik Bouchlaka, gendre du Frère musulman Ghannouchi, avait détourné quand il était ministre des Affaires Etrangères de son beau-père !

Un autre point et qui n’est pas des moindres, la préservation du patrimoine architecturale qui est l’âme de ces villes balnéaires. A Valencia, El Cabanyal un quartier de front de mer, a failli être rasé par une maire corrompue qui voulait le livrer aux spéculateurs fonciers pour y édifier des immeubles et des tours, comme cela s’est fait sur d’autres côtes espagnoles défigurées à jamais. Il y eut une résistance de la part des amoureux de ce quartier, jusqu’à l’éviction de cette maire corrompue par les urnes aux élections municipales et l'abandon de ce funeste projet ! Et depuis, sous la pression des habitants de ce quartier, la mairie de Valencia a classé ce quartier au patrimoine architectural de la ville, en le soustrayant définitivement à la convoitise des spéculateurs; puisque désormais ses maisons uniques en leur genre, sont protégées. Ce qui ne fut pas le cas pour Hammamet, quand le maire a autorisé la création d’un remblai au pied de la muraille du fort d’Hammamet. Les riverains se sont opposés à ce projet qui dénaturait ce fort, emblème de la ville. Et bien qu’ils furent soutenus par Frédéric Mitterrand, cet amoureux de la Tunisie qui avait sa maison dans ce fort donnant sur mer, le paseo enserrant le fort fut crée; apportant une nuisance sonore aux riverains, le maire ayant permis l’extension d’un petit café discret installé dans l'enceinte du mausolée du marabout Sidi Bouhdid, par une grande terrasse empiétant largement sur ce nouveau paseo et diffusant une musique par de haut-parleurs à longueur de journée, soirée comprise … sans que le maire et son équipe ne soient inquiétés ni sanctionnés par les Hammamétois, souvent inamovibles par la volonté du prince.

Carrer de la Reina d'El Cabanyal
Hammamet avec paseo

Et c'est justement là que réside le "secret" de ces peuples aimant ou pas, le beau ! 

Dans une démocratie où l'Etat de droit est réel, les élus municipaux comme les élus nationaux, sont responsables devant leurs électeurs et devant la justice en cas de faute ou de fraude, comme en Espagne; contrairement à la Tunisie et à l'Algérie, où les "responsables" n'ont de compte à rendre à personne !

Et pour qu'un peuple puisse exercer ce droit de regard sur l'action de ses élus, encore faut-il qu'il soit instruit et cultivé pour assurer son rôle de citoyen ! Ce qui m'amène à la deuxième raison que j'ai avancée à mon ami pour répondre à sa question.

Que de fois lors de mes visites aux musées en Europe, pour admirer mes peintres préférés et découvrir d'autres, que ce soit au musée du Louvre, au musée d'Orsay, au Prado à Madrid, au Rijksmuseum & au Musée van Gogh à Amsterdam, à la Galleria de l'Accademia de Florence et à celle de Venise, au musée du Vatican ou au musée des beaux-arts à Valencia; j'étais souvent frappé de voir des groupes scolaires accompagnés de leurs enseignants et souvent d'un guide mis à leur disposition par le musée, pour initier les enfants au beau et leur faire connaître l'art et l'histoire de l'art; en leur faisant découvrir et aimer les peintres nationaux mais aussi ceux qui ont fait la renommée de la peinture ... ce qui semble inscrit dans le programme scolaire pour compléter la formation de ces élèves dans le cadre des humanités qu'ils sont sensés acquérir durant leur cursus scolaire. 

Chose inexistante en Tunisie et en Algérie, souvent laissée à l'initiative d'un enseignant désireux d'apporter ce supplément d'âme à ses élèves ! Puisqu'en ces pays, la règle est de former les élèves juste pour qu'ils puissent travailler plus tard et assurer le minimum vital ! 

Et pire, depuis que le wahhabisme s'est répandu en Tunisie comme en Algérie, l'art étant condamné par ses prédicateurs qui dénigrent jusqu'à l'école publique pour recommander à leurs ouailles l'école coranique, les "élèves" n'ont pour unique programme que de mémoriser le Coran, l'unique livre recommandé par ces imams autoproclamés, qu'ils doivent réciter par cœur, souvent sans en comprendre un traître mot ni le sens des sourates rédigées dans un vieux arabe, dont souvent les "lettrés" eux-mêmes, ignorent le sens !

Si dans une réelle démocratie la volonté politique est de former des citoyens pour en faire des hommes responsables à même de contrôler l'action de leurs élus; dans les prétendues démocraties, la volonté politique des gouvernants est de cultiver l'ignorance sacrée, plus propice à la domination des peuples !

Voilà pourquoi cette différence qui saute aux yeux, selon le pays ou la ville où l'on se trouve de part et d'autre du bassin méditerranéen. Le beau n'étant que l'expression d'une cité bien gérée, dans une démocratie où l'Etat de droit est réel et effectif et le citoyen a son mot à dire ! Contrairement à d'autres, prétendument démocratiques, où l'anarchie n'est que la traduction d'une corruption endémique, contre laquelle les hommes n'ont aucun moyen d'agir; d'autant que la paupérisation économique aussi bien qu'intellectuelle, est voulue par leurs gouvernants. 

Rachid Barnat

lundi 15 novembre 2021

La France se couche devant les islamistes

Les Frères musulmans surfent sur les lâchetés des responsables politiques Français de droite comme de gauche ! C'est ainsi que le wahhabisme, cet islam des pétromonarques, étranger à la France, est en train de supplanter son islam, celui de ses anciennes colonies
R.B

 
Boualem Sansal

Face au terrorisme islamiste, «frapper vite et fort, c’est cela que morts et vivants réclament»

Alexandre DEVECCHIO : Nous commémorons cette année le sixième anniversaire des attentats du 13 Novembre alors que le procès de ce carnage vient de s’achever. Avons-nous tiré les leçons de ces événements ?

Boualem SANSAL : Face à l’islam, la France officielle a perdu toute capacité de réfléchir, de statuer et d’agir. Elle subit et se prépare à subir encore. Les musulmans, tout contraints qu’ils sont par le dogme et la communauté, sont plus libres face à leur religion ; ils l’aiment beaucoup, mais ils la discutent quand même, critiquent ses excès, lui donnent des coups de canif par-ci par-là. Il en est même, comme moi qui suis athée de naissance, qui recommandent de la mettre au musée. La France s’est mise dans un processus de soumission invraisemblable, elle s’humilie piteusement alors que personne à ma connaissance ne le lui demande, et surtout pas de s’humilier de cette façon wokienne, s’agenouiller dans la boue, se couvrir la tête de cendres, ­déchirer ses vêtements, se taillader les veines.

La crainte de désespérer la banlieue et la peur de la guerre civile, du séparatisme et des représailles des gardiens de l’islam ou des parrains de l’islamisme n’expliquent pas tout. On croirait que la France s’est engagée dans un processus de conversion volontaire qui ne dit pas son nom. À moins que par un mécanisme de compensation psychique elle remplace le christianisme qu’elle a chassé par la porte par un islam arrivé par la fenêtre. ­Malraux l’avait dit : le XXe siècle sera religieux ou ne sera pas. Moi j’y vois aussi du sexe : l’islam est jeune, vigoureux, infatigable, le christianisme vieux, faible, les Français qui aimaient tant la bagarre et la bagatelle regardent ça avec lubricité et regret.

Ce qui s’est passé le 13 novembre est un acte de guerre d’une violence inouïe auquel la France présidente a répondu par des larmes et des lamentations. Ce faisant, elle a humilié son peuple, sa ­police et son armée, et signé sa fin.

Alexandre DEVECCHIO : Rien de bon ne peut-il sortir de tout cela ?

Boualem SANSAL : Le scénario le plus probable est la guerre civile, avec à terme la libanisation du pays ou son algérianisation qui est un mix entre dictature militaire et dictature islamiste. Écoutez Michel Onfray, il ne cesse de le répéter avec force arguments. La seule façon de l’éviter, et ça, c’est moi qui le dis, c’est le grand chambar­dement, il faut abattre la maison avant qu’il ne soit trop tard et la reconstruire après une séance d’exorcisme réussie. Belzébuth, sors de ce corps, par les ­Lumières vitales.

Alexandre DEVECCHIO : Il y a à peine un mois nous commémorions l’assassinant de Samuel Paty ? Que pensez-vous de ces hommages ?

Boualem SANSAL : Bien sûr qu’il faut des hommages, mais s’ils ne sont pas suivis d’actes forts, ils consacrent l’état de lâcheté et d’incompétence de l’Autorité. C’est insuppor­table de voir la France de Macron passer ses journées à rendre des hommages aux victimes de l’islamisme, et les enterrer ainsi une deuxième fois. Un chef des ­armées n’enterre pas ses morts, ne fait pas de discours en larmoyant, il tonne, il agit, il frappe vite et fort. C’est cela que les morts et les vivants réclament.

Alexandre DEVECCHIO : La campagne pour l’élection présidentielle est marquée par les questions liées à l’immigration et à l’islam. Est-ce le retour du refoulé ?

Boualem SANSAL : Il n’y a pas de refoulé, ces questions sont sur la table depuis de Gaulle qui craignait de voir atterrir des mosquées à ­Colombey-les-Deux-Églises, Giscard, maître d’œuvre du regroupement familial, qui disait que la France faisait face à une invasion migratoire, Marchais qui réclamait l’arrêt de l’immigration, ­Rocard qui disait que la France ne pouvait pas accueillir toute la misère du monde, Chirac qui s’offusquait du « bruit et des odeurs », Sarkozy qui se voulait le champion des expulsions, Hollande qui disait que la France était en guerre, ­Macron qui découvre qu’il faudrait y voir, qu’il y a peut-être, des relations de cause à effet dans les malheurs de la France.

Non, la vraie nouveauté c’est Zemmour le polémiste qui impose à tous ses thèmes de campagne. Et voilà que tous, ­manchots, pingouins et autres canards boiteux, lui emboîtent le pas, mais avec des couacs et des « oui, mais, cependant » qui montrent qu’ils ne feront rien, sinon déplorer, soumis qu’ils sont à la doxa en vigueur.
Paradoxalement en 2017, ces questions avaient très peu été abordées …

En 2017, on a privilégié l’émotion, on a invité toutes les autruches de France à se rassembler pour affronter le danger et bouter l’ennemi. C’était à qui pleurait le plus fort sous l’œil ému des caméras. L’émotion c’est fort, ça unit dans les larmes, le temps qu’elles sèchent.

Nous étions quand même quelques-uns à parler de ces choses, mais on le sait l’émotion rend sourd. N’oubliez pas le politiquement correct et la police de la pensée et souvenez-vous de ce que disait Prévert : « Quand la vérité n’est pas libre, la liberté n’est pas vraie. »

Alexandre DEVECCHIO : N’y a-t-il pas aussi un souci légitime de ne pas stigmatiser l’ensemble des musulmans, de ne pas confondre islam et islamisme ?

Boualem SANSAL : Sur ce plan, Zemmour dit des choses d’une justesse parfaite mais ne les explique jamais afin que chacun puisse voir ce que les mots cachent. L’islamisme c’est de l’officiel, c’est l’une des quatre écoles canoniques qui forment l’islam sunnite, toutes nées entre le VIIe le VIIIe siècle, quelques décennies à peine après la mort de Mahomet en 632 : le malékisme (dominant au Maghreb et au Sahel), le hanafisme (dominant en Turquie, Bosnie, Chine, Inde, Pakistan, Afghanistan), le chafiisme (dominant au Yémen, en ­Afrique de l’Est, en Asie et Asie du Sud-Est), le hanbalisme (école ultra-orthodoxe qui impose une lecture littérale du Coran, dominant en Arabie, au Qatar et au ­Yémen, où il a accouché du wahhabisme ; il est également présent en Asie, aux Comores, sous une forme moins agressive et en Égypte, où il a donné les Frères musulmans).

C’est ce courant minoritaire mais très remuant, le hanbalisme, version wahhabite qu’en Occident on appelle islamisme.

Mais aujourd’hui cette école, irriguée par les pétrodollars saoudiens et qataris et les aspirations califales qui fleurissent dans l’ensemble du monde musulman, a contaminé les trois autres écoles de l’islam sunnite, et les autres courants de l’islam, chiite, kharidjite et même soufi, et au final personne ne sait vraiment reconnaître les siens.
Les musulmans qui connaissent un tant soit peu leur religion et l’école juridique de leur communauté, ne se sentent ­nullement stigmatisés. Ceux qui se ­mouchent, ce sont les hanbalites, les ­
wahhabites, les Frères musulmans et ceux qui confondent tout avec tout.

Alexandere DEVECCHIO : Alors que les 60 ans des accords d’Évian approchent, Emmanuel Macron a multiplié les gestes mémoriels reconnaissant notamment « la responsabilité de la France dans le massacre du 17 octobre 1961 ». A-t-il raison de faire ce type de gestes ? Sont-ils appréciés en Algérie ?

Boualem SANSAL : Macron, c’est Gaston Lagaffe, il en fait toujours trop parce qu’apparemment il ne sait pas au juste ce qui doit être fait. Il devrait lire Un président ne devrait pas dire ça.
Il a sûrement tous les talents que les siens lui prêtent mais pas celui-là, le sens de l’histoire, il n’est pas historien, ni psychologue.

Les Algériens n’aiment pas qu’on vienne les caresser dans le sens du poil, ce qu’ils veulent c’est écrire eux-mêmes leur histoire, chose que leur gouvernement ne leur permet pas, il les oblige à boire le breuvage officiel jusqu’à la lie et obéir aux alertes du ministère de la vérité.

Ce qui intéresse le pouvoir (algérien, NDLR) c’est tout ce qui peut lui apporter un peu de légitimité pour conserver le pouvoir dérobé par lui un certain juillet 1962. La légitimité pour lui c’est le blanc-seing pour piller le pays en toute bonne conscience. Il a trouvé en Macron le gars sympa qui leur en donne tant et plus. Venant de l’ex-colonisateur ça vaut acquittement.

Macron avait passé la pommade à son vieil ami Bouteflika, il le fait aussi avec son nouvel ami Tebboune. Les Algériens observent sans comprendre ce qui peut lier un charmant jeune homme propre sur lui avec la gérontocratie haineuse d’Alger. En fait ils s’en fichent, ce qu’ils veulent c’est un peu de liberté, de la tranquillité, et si possible la vérité sur les affaires de leur pays, et en cadeau un visa pour visiter la France et y faire souche le cas échéant.

Alexandre DEVECCHIO : Dans le même temps, Emmanuel Macron a accusé le régime algérien de vivre de la rente mémorielle …

Boualem SANSAL : Macron est inconséquent, d’un côté il flatte ses vieux amis d’Alger, les abreuve d’hommages et de reconnaissance, et de l’autre il les accuse de vivre sur la rente mémorielle comme ils vivent royalement sur la rente pétrolière, deux choses qui se confondent au fond quand on n’a pas de légitimité et de dignité. On se demande qui conseille si mal ce jeune ­président qui certainement ne demande qu’à bien faire.

Alexandre DEVECCHIO : Il a également réduit le nombre de visas octroyés aux Algériens après l’échec du dialogue au sujet de la réadmission des clandestins expulsés. Comment le pouvoir algérien a-t-il réagi ?

Boualem SANSAL : Il n’y regarde même pas, il sait que ­Macron ne fera rien, il est intelligent mais peureux, il sait que le pouvoir ­algérien ne rigole pas si on touche à ses intérêts. Alors qu’il n’a rien fait, juste émis une idée, voilà que son vieil ami Tebboune rappelle son ambassadeur à Paris, ferme l’espace aérien aux avions militaires français, interdit l’usage du français dans plusieurs ministères, rompt 500 contrats avec des PME françaises et appelle les grandes firmes ­allemandes et italiennes à venir rem­placer au pied levé les entreprises du CAC 40 opérant en Algérie.

Que fera-t-il si Macron s’avisait de toucher aux visas dus à ces messieurs, à leurs familles et ­alliés. Bravo, ça, c’est un chef !
Pauvre Macron, il s’est mis un caillou dans la chaussure et un sacré souci dans la tête.

Alexandre DEVECCHIO : Au-delà de ces derniers épisodes, comment expliquez-vous que soixante ans après la fin de la guerre d’Algérie, les rapports entre les deux pays soient si passionnels ?

Boualem SANSAL : Avant d’être passionnels, ils sont ­intéressés. La seule source de légi­timation de la junte a été et reste la geste anticoloniale. Elle continue la guerre de libération pour maintenir le peuple sous l’empire des lois de la guerre clandestine. On lui explique journellement, par ­communiqués du haut commandement, que la guerre n’est pas finie, que ­l’ennemi est toujours là, plus dangereux que jamais. Il doit y croire, le voir partout et agir en bon moujahid et si nécessaire mourir en héros. Il doit chaque jour ­sacrifier au quart d’heure de la haine du JT de 20 heures contre la France. C’est du pur Orwell.

L’Algérie est de ces rares pays encore vivants (Corée du Nord, Cuba), à avoir réussi à faire de la magnifique fiction orwellienne 1984 une réalité vivante.

D’un autre côté la France a un besoin ­vital de l’amitié et l’affection des ­Algériens pour se persuader et démontrer au monde que sa colonisation a été pour eux un pur bonheur. La preuve est qu’ils prennent d’assaut ses consulats pour obtenir leur visa ou vont affronter à mains nues les ­dangers de la mer pour venir se jeter dans les bras de la mère adoptive ­indigne.

Alexandre DEVECCHIO : Votre dernier livre prend la forme d’une Lettre d’amitié, de respect et de mise en garde aux peuples et aux nations de la terre (Gallimard). En vous lisant, on ne sait trop si c’est un geste de désespoir ou d’optimisme fou ?

Boualem SANSAL : L’optimisme fou et le désespoir sont les deux faces d’une même pièce, la pièce de sagesse, s’entend. Des pans entiers de la vie sont en train de disparaître sous nos yeux. La désintégration se fait par l’action de ce que dans ma lettre j’ai appelé les Grands Destructeurs formés par les couples maléfiques Argent-Marché, ­Religion-Colonisation, Malbouffe-Machinisme, Jeux d’arènes-Délinquance.

Le combat de la jeune Greta Thunberg me paraît ne pas viser la bonne cible. La COP, les partis Verts et autres agitations connexes ne servent à rien, ce sont des leurres. Le danger n’est pas le réchauffement climatique, ce sont les Destructeurs, il n’est que l’une des innombrables conséquences de leur sinistre magistère. Ils tuent la raison, la joie, l’amour, l’amitié, l’esprit, les âmes et ensemencent dans ce qui reste de vivant en nous mille maladies et mille poisons. Détruire les Destructeurs, voilà le seul vrai combat.