mardi 26 juillet 2022

LA CONSTITUTION DE KS, DEVENUE DE FAIT CELLE DE LA TROISIEME REPUBLIQUE ...

Quand j'avais perdu mon premier Blog " TUNISIE POST-REVOLUTION ", j'avais créé aussitôt un nouveau Blog que j'ai baptisé " TROISIEME REPUBLIQUE ", dans l'espoir qu'une nouvelle constitution laïque remplacerait un jour celle de Ghannouchi et ses Frères musulmans, faite par et pour eux, et nous fasse oublier leur sinistre DEUXIEME REPUBLIQUE !

Mais voilà, un autre complexé de l'Histoire, KS le pan-arabiste a pris de court tout le monde, pour imposer sa constitution plus islamiste que ne l'auraient rêvée les islamistes, augurant par la même UNE TROISIEME REPUBLIQUE, faite sur mesure par lui et pour lui, en s'accaparant tous les pouvoirs sans avoir à en rendre compte; et où l'islam politique conserve toute sa place contrairement à ce qu'il avait fait croire aux Tunisiens le 25 juillet 2021, puisqu'il est écrit que tous les articles de sa constitution doivent respecter "makaçed ech'chariaa" (l'esprit des lois religieuses), autrement dit la chariaa primera sur toutes les lois du Code civile !

Dois-je pour autant changer le titre de mon blog par " QUATRIEME REPUBLIQUE " ou " POUR UNE REPUBLIQUE LAIQUE ", pour qu'on ne se méprenne pas sur la Constitution laïque que j'espère et que l'on ne confonde pas la République à laquelle j'aspire, avec celle que KS vient de proclamer ? 

Rachid Barnat

lundi 25 juillet 2022

Kaïs Saïed un dangereux rêveur ou un nouveau dictateur ? Puisque le constitutionnaliste Kaïs Saïed, remplace le constitutionnalisme par un conseillisme ... sans conseillers !

Le 25 juillet 2021, jour de la fête de la République, Kaïs Saïed en profitera pour mettre fin à un parlementarisme devenu la risée du monde entier et promet de mettre fin à l'islam politique de Ghannouchi et ses Frères musulmans dont les Tunisiens n'en voulaient plus et auxquels il a fait croire de les en débarrasser !

Le 25 juillet 2022, les Tunisiens découvrent la supercherie de ce président fantasque et comprennent à quel point il les a grugés par sa prétendue guerre contre la corruption; puisque le référendum voulu par Kaïs Saïed s'avère un échec total, les Tunisiens dans leur immense majorité l'ayant boycotté !

Sa nouvelle constitution étant faite sur mesure pour lui, en lui accordant tous les pouvoirs et en l'exemptant de toute responsabilité en cas d'échec.

Après l'expérience islamiste, voici l'expérience arabiste ...
Depuis leur fumeuse révolution ourdie par le Qatar dont l'émir ne cesse de les ridiculiser en installant à Carthage ses anciens collaborateurs, "analystes politiques" à El Jazeera-RV; l'actuel tartour *, succédant à Moncef Marzougui, alias tartour 1er.

Vivement que les Tunisiens dégagent ces complexés de l'Histoire qui veulent leur imposer des idéologies qui ont échoué partout !

Leur dernier espoir, est de revenir au Destour qui avait libéré le pays et bâtit la Tunisie moderne et dont le véritable hériter est le PDL de Madame Abir Moussi

Que de temps perdu depuis la fumeuse révolution du 14 janvier 2011 qui a livré la Tunisie aux complexés de l'Histoire qui ont pris en otage les Tunisiens juste pour assouvir leur vengeance de Bourguiba qui avait combattu à juste titre toutes ces lubies dangereuses pour la nouvelle République & la jeune Nation Tunisiennes.

R.B

* Tartour (adj) origine arabe : Personnage insignifiant, de décor. Se dit d'un président sans prérogatives. Le terme a été introduit par l'agence AFP pour designer un président sans prérogatives.
Zakaria Bouker
  
Le Don Quichotte Tunisien ...

Michel Camau

Kaïs Saïed pose les jalons d’une orientation idéologique de type nationaliste arabe

La Tunisie de Kaïs Saïed : La nouvelle Constitution soumise à référendum lundi 25 juillet consacre une rupture avec l’esprit du « compromis tunisien », analyse le politologue Michel Camau. Dans un entretien** au Monde Afrique, M. Camau analyse le projet de nouvelle Constitution du chef de l’Etat Kaïs Saïed, soumise à référendum, comme « la remise en cause » de « ce que pouvait représenter la tunisianité », à savoir un « compromis » entre « l’appartenance arabe mâtinée d’islam » et « un projet moderniste dans le sillage des Lumières ».

Quelles sont les racines du phénomène Kaïs Saïed en Tunisie ?

Il faut revenir à l’indépendance. La Tunisie politique connaît un problème qui est largement partagé de par le monde. Ce problème réside dans un rapport différencié au politique suivant les couches de la population. Une partie d’entre elles, identifiée généralement aux élites, revendique la citoyenneté en fonction des notions et représentations de la liberté politique, de la société civile et de l’Etat de droit. Une plus large composante de la population n’a de rapport au politique que du point de vue de l’accès à des conditions de vie dignes. En d’autres termes, elle est tributaire de la définition et de l’impact de politiques publiques à même de répondre à ses besoins. 

Avec Bourguiba, la tentative de « solution » du problème a résidé dans la mise en place d’un dispositif de paternalisme d’Etat. Cet Etat, qui promettait « la joie de vivre », s’est lancé dans des programmes d’infrastructure en matière de santé, de logement, d’éducation. Il dispensait ses « bienfaits », il ne reconnaissait pas des droits. A l’époque, le géographe Habib Attia a pu écrire que les populations rurales attendaient moins de Dieu que de l’Etat. Cette formule paternaliste a trouvé dans le parti unique le moyen d’articuler les relations entre ces populations et les élites. Cela correspondait à une période bien précise qui était celle du développementalisme, en Tunisie et ailleurs.

Et avec Ben Ali ?

La formule a été également une formule de paternalisme d’Etat, mais dans un tout autre contexte qui était celui de la mondialisation libérale. Elle a consisté, pour l’essentiel, dans la mise en place de filets sociaux. Malgré tout, l’Etat n’était plus à même de répondre véritablement aux besoins de la majorité de la population par des politiques publiques efficaces. Là encore, le parti jouait le rôle d’articulateur entre les deux types sociétés.

Puis la révolution de 2010-2011 a éclaté. Qu’a-t-elle fait de ce paternalisme d’Etat ?

Avec la révolution, le paternalisme d’Etat a été remis en cause puisque cet Etat était perçu comme synonyme de corruption, de voleurs… Autrement dit : synonyme de non-reconnaissance des droits à la dignité. Il y a eu un moment où la révolution, du 17 décembre 2010 [soulèvement à Sidi Bouzid] au 14 janvier 2011 [départ de Ben Ali], a opéré une espèce de concordance entre ceux qui revendiquaient le droit d’avoir des droits – aspiration égalitaire – et les élites exigeant la liberté politique et l’Etat de droit. Bien sûr, cela n’a été qu’un moment. On a ensuite assisté à une distorsion, entre ce que j’appelle, d’une part, la révolution institutionnalisée, et d’autre part, la révolution de la dignité, laquelle perdure à travers les mouvements sociaux et les changements s’opérant dans le rapport à l’autorité. 

Quel est le rôle de Kaïs Saïed dans cette distorsion post-2011 ?

Il a justement eu l’intelligence et l’opportunité de s’insinuer dans cette faille dans un contexte de « crise d’hégémonie ». Kaïs Saïed est apparu comme un recours, par ironie de l’histoire, car ce type de situation profite généralement à une personnalité dotée d’un capital héroïque, souvent un militaire. C’est un modeste enseignant de droit constitutionnel qui a joué le rôle de « sauveur ». Il est parvenu à se forger une réputation et à acquérir une notoriété à la faveur de postures qui prenaient le contre-pied des manières de s’exprimer et d’agir des élites modernistes en place depuis l’indépendance.

Quelle rupture le phénomène Saïed consacre-t-il dans la trajectoire tunisienne ?

Nous assistons à la fois à une régression et à un basculement. La régression consiste en un nouvel autoritarisme. Le basculement se rapporte au nationalisme arabe. Kaïs Saïed est un constitutionnaliste qui se révèle en rupture avec le constitutionnalisme. Il a certes été nourri dans une large mesure par la tradition constitutionnaliste française, mais il a toujours eu un regard vers l’Orient. Il est capable de vous parler de Carré de Malberg, de Maurice Hauriou, de Joseph Barthélemy et d’autres auteurs classiques. En même temps, il se référera à un certain nombre de penseurs islamiques et arabes. Sa vision va le conduire à interpréter une partie des dispositions adoptées par les Etats arabes et musulmans comme le produit de l’impérialisme.

Comme dans les rapports entre l’Etat et la religion ?

Oui, dans les dispositions relatives à la religion de l’Etat. Il disait, dans une conférence en 2018, au moment de son départ à la retraite de l’université, qu’en fait c’étaient les puissances impérialistes qui avaient imposé dans certains pays les dispositions constitutionnelles relatives à l’islam comme religion de l’Etat, et ce pour lutter contre le communisme. Nous avons là l’indice d’une vision des choses qui est assez répandue au Moyen-Orient et qui voit dans les menées impérialistes, lesquelles sont incontestables, la cause de tous les maux. Et aujourd’hui, avec sa Constitution, Kaïs Saïed lève le voile sur cette autre composante de sa personnalité, celle du nationaliste arabe. Certes, le nationalisme arabe n’a plus vraiment de vecteurs et de canaux représentatifs, mais il reste un référent pour un certain nombre de courants politiques. Kaïs Saïed, avec sa Constitution, pose les jalons d’une orientation idéologique de type nationaliste arabe, où le constitutionnalisme au sens strict est finalement présenté comme un produit de l’Occident inadapté aux sociétés arabes.

Quelle est l’amplitude de cette rupture ?

Il s’agit d’un basculement lourd de conséquences. Il est rendu possible par l’éradication des élites à laquelle Kaïs Saïed a procédé depuis un an. Il supprime tous les intermédiaires qui sont l’expression d’un point de vue théorique d’universaux démocratiques, des droits de l’homme, de la politique des partis. Il met en place une nouvelle architecture politique et idéologique qui rompt avec les présupposés du constitutionnalisme. Dans sa nouvelle Constitution, il y a quelque chose de bien construit. Il s’agit d’une rupture en douceur avec ce que pouvait représenter la tunisianité, c’est-à-dire, finalement, une forme de compromis entre deux dimensions, l’appartenance arabe mâtinée d’islam et un projet moderniste dans le sillage des Lumières. Avec Kaïs Saïed, le compromis est remis en cause. Il y a un basculement. D’où la concentration des pouvoirs qu’il opère en se réclamant de cette « culture » arabe et musulmane qui est, selon lui, la culture authentique, celle du peuple tunisien.

Et c’est là qu’intervient sa conception de la « construction démocratique par la base ». Certains la rapportent au conseillisme communiste …

Le problème, c’est qu’il y a véritablement chez lui un double jeu sur le plan des idées et de sa pratique. Il se croit investi d’une mission quasi divine de rédemption. Chez lui, le peuple revêt la dimension d’une communauté charismatique dont lui-même serait l’opérateur. Et là, il y a une contradiction colossale. C’est-à-dire qu’en réalité il fait du conseillisme sans conseils. Le conseillisme, historiquement, est toujours le produit d’initiatives populaires et donne lieu à une nouvelle articulation des pouvoirs. Mais il n’y a pas de mouvement conseilliste en soutien de Kaïs Saïd. Nous avons là une imposition par décret d’un pseudo-conseillisme.

Autrement dit, nous avons avec Kaïs Saïed un populisme « par le haut », mais sans populisme « par le bas », sans mouvement social qui pourrait donner vie au conseillisme. Je m’inspire là des travaux très intéressants de Federico Tarragoni. Dans son ouvrage L’Esprit démocratique du populisme (La Découverte, 2019). F. Tarragoni, qui a beaucoup travaillé sur le Venezuela, observe que le populisme « par le haut » comporte une dimension autoritaire et le populisme « par le bas » une fonction critique. Et il ajoute : si le populisme « par le haut » l’emporte, alors c’est la voie ouverte au fascisme. Je ne reprendrai pas le terme « fascisme » pour la Tunisie actuelle mais nous avons avec Kaïs Saïed un populisme « par le haut » qui prétend institutionnaliser des conseils déconnectés d’aspirations ou de revendications de mouvements susceptibles de les dynamiser.

Et sur quoi cela pourrait-il déboucher ?

Le peuple de Kaïs Saïed est un peuple mystique. C’est une catégorie purement idéologique. Il s’agit d’une hypostase [substance première comme réalité ontologique]. Et le peuple réel, celui qu’il rencontre, il tente de le conformer à cette hypostase. Nous en avons eu l’illustration avec la consultation électronique populaire organisée en début d’année et qui a été un échec [530 000 participants pour un pays de 12 millions d’habitants]. Il affirme néanmoins que ce fut un succès. A la clé, il y a toujours une explication, le complotisme. Ce sont des « complots » qui empêchent le peuple hypostasié de pouvoir véritablement exprimer sa volonté. Le complotisme est une dimension primordiale chez Kaïs Saïed et elle présente une parenté avec le complotisme en vogue chez certains nationalistes arabes.

Le divorce est-il inévitable entre le peuple réel et le peuple fantasmé ?

Je crois que Kaïs Saïed a deux ennemis principaux : lui-même et le « peuple ». Lui-même parce que c’est un homme qui correspond, je dirais, à la métaphore du hérisson. Le philosophe Isaiah Berlin avait filé cette métaphore en distinguant les renards et les hérissons. Les renards sont des personnalités à même de s’intéresser à plusieurs domaines sans qu’il y ait un lien très fort entre ces divers domaines d’intérêt. Les hérissons, quant à eux, rapportent tout à une vision centrale, un seul système en fonction duquel tout est compris et ressenti. Autrement dit, les hérissons ont un principe organisateur unique. Et c’est le cas de Kaïs Saïd qui, ayant un seul principe organisateur, décolle de la réalité. Et nous voyons bien qu’il se heurte constamment à la cruauté du réel. Il s’agit de toutes ces promesses de bien-être, de justice, de répartition des richesses… qui ne connaissent pas un début de réalisation.

Et je dirais, en empruntant la formule à un autre auteur, Michael Oakeshott, qu’il n’a pas « l’imagination du désastre ». Il est persuadé qu’avec sa nouvelle Constitution toutes les difficultés vont pouvoir trouver une solution, que la Tunisie est suffisamment riche et qu’il suffit de récupérer l’argent des corrompus pour que tous les problèmes se résolvent. Que la justice se réalisera une fois le peuple débarrassé des juges corrompus, etc. N’ayant pas l’« imagination du désastre », il est tout à fait possible qu’il aille directement dans le mur. Et ce mur, c’est son peuple, ce peuple qui n’est pas celui qu’il imagine.

Dans ce contexte, que va devenir l’héritage de la révolution tunisienne ?

Kaïs Saïed n’est qu’un chaînon dans une série d’événements qui jalonnent la révolution tunisienne. Celle-ci n’est pas achevée. Kaïs Saïed correspond à un moment de cette révolution, apparemment un moment de régénération, en réalité, un moment de régression. Tocqueville se lamentait en 1830 sur le fait que la Révolution française n’avait pas encore atteint le rivage. En 2022, la Révolution tunisienne n’a pas atteint le rivage, mais il n’y a pas lieu de se lamenter. Bien au contraire, il y a matière à se rassurer. Il y a, au sein de la société tunisienne, un certain nombre de collectifs porteurs d’initiatives pour changer les rapports sociaux.

*Michel Camau est professeur émérite, politologue spécialiste du monde arabe et musulman. Ses travaux ont surtout porté sur l’autoritarisme et la démocratie dans cette région, en particulier en Tunisie. Il est notamment l’auteur du Syndrome autoritaire. Politique en Tunisie de Bourguiba et Ben Ali (Presse de Sciences Po, 2003) avec Vincent Geisser et L’exception tunisienne. Variations sur un mythe (IRMC-Karthala, 2018).

** Propos recueillis par Frédéric Bobin Le Monde 24/ 07/22

 

 

 

 

jeudi 21 juillet 2022

Où est passée la Gauche de Jaurès ?


Caroline Fourest

Deux gauches irréductibles
Le mot « irréconciliable » n’est plus prononçable depuis que Manuel Valls l’a osé. Il est même devenu tabou depuis que des ambitions électorales de la Nupes ont mis sous tutelle ce qui restait de la « vieille maison socialiste ». Pourtant, les sillons passés sont bien là, saillants comme un coteau en plein soleil, à hanter la gauche et à la fracturer. Ce n’est pas un hasard si Alexis Corbière, qui fut trotskiste mais aussi professeur d’histoire, a été l’un des rares Insoumis à tiquer en entendant Mathilde Panot banaliser le mot de « rescapée » à propos d’Élisabeth Borne. Le malaise ressenti ne peut être décodé sans mémoire. Le dossier que nous publions cette semaine permet de la rafraîchir.
Comme le pointait brillamment Philippe Val dans Charlie il y a plus de quinze ans, cela fait plus d’un siècle et demi qu’il existe une gauche Jaurès et une gauche Guesde. La première, passionnée de justice mais patiemment réformiste, sait prendre ses responsabilités. Elle ne méprise pas l’État et croit en la République, laïque et sociale. La seconde, assoiffée de revanche, méprise la participation aux affaires de l’État « bourgeois » et considère le compromis comme une trahison. Depuis l’affaire Dreyfus, les deux gauches n’opposent pas le même bois au risque extrémiste et totalitaire. La gauche Jaurès sait, depuis, combien l’antisémitisme est annonciateur du pire et doit être combattu sans attendre. La gauche Guesde n’y voit jamais d’urgence, toujours une diversion, surtout si l’accusé est militaire ou banquier. Ce clivage profond puise ses racines dans les tréfonds de la gauche anticapitaliste du XIXe siècle et il n’a pas pris une ride. On l’a vu ressurgir au moment de l’affaire des « rouges-bruns », lorsqu’une gauche antifasciste démasquait la complaisance d’une certaine gauche anticapitaliste avec le négationnisme. À l’existence des chambres à gaz, elle préférait le mythe des morts par « exploitation », ce mal supérieur – à ses yeux – à un génocide.
Aujourd’hui, il existe une gauche qui aime à croire que le mépris de classe, les inégalités ou les discriminations justifient de fermer les yeux sur le retour flagrant de l’antisémitisme. Elle ironise sans réfléchir sur la « rescapée » Borne, raille Macron en le réduisant à son ancien statut de banquier d’affaires chez Rothschild, et ne voit pas de mal à s’allier avec des islamistes antisémites, comme Corbyn avant eux.
Voilà pourquoi, en un rappel, des yeux se lèvent, et même plus, lorsque Danielle Simonet et Danièle Obono se rendent aux commémorations de la rafle du Vél d’Hiv. Une polémique excessive. Ces deux élues de la République y ont leur place. Mais personne ne peut croire à leur capacité à être vigilantes. Ne parlons pas de la réplique lamentable de Mathilde Panot reprochant au président d’avoir réhabilité Pétain pour avoir commémoré le soldat de 14-18. Cette gauche-là ne sera jamais un antidote à l’antisémitisme, ni d’extrême gauche ni d’extrême droite, juste un strapontin pour le pire.
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dimanche 17 juillet 2022

Ces complexés de l'Histoire qui prennent les Tunisiens en otage pour se venger de Bourguiba ...

Après la dislocation de l'empire ottoman par les puissances coloniales franco-anglaise, le colonialisme a vu naître différents mouvements politiques pour libérer les peuples de leurs nouveaux colonisateurs. Et face aux puissances coloniales, à leurs armées et à leurs armes modernes, beaucoup d'intellectuels et d'hommes politiques n'ont rien trouvé de mieux que de leur opposer leur foi en la puissance divine; le seul point commun à tous ces peuples, étant l'islam. Ainsi sont apparues dès 1838, deux idéologies voisines instrumentalisant l'identité arabo-musulmane de ces peuples : le pan-arabisme revendiquant l'identité ethnique arabe des peuples dont la langue est celle du Coran et  le pan-islamisme appelant au "jihad" (guerre sainte) contre l'envahisseur chrétien, relançant par la même, les guerres de religions.

D'autres, devant l'engouement pour le communisme, ont cru que cette idéologie serait la solution pour en finir avec le colonialisme et l'exploitation de l'homme par l'homme. 

D'autre plus pragmatiques et moins dogmatiques, ont tiré des leçons de l'histoire pour remédier aux causes qui ont fait de ces peuples de perpétuels colonisés. Dont Bourguiba qui a très vite compris qu'il fallait soustraire la Tunisie aux lubies qui veulent la maintenir dans un magma que certains appellent "oumma al-arabiya", d'autres appellent "oumma al-islamiya" et d'autres encore plus rêveurs, voudraient la rattacher à l'internationale communiste ... 

Bourguiba sera le précurseur du nationalisme, avec une vision claire de fonder un pays moderne et regrouper son peuple autour de valeurs républicaines en écartant le tribalisme, le clanisme, le communautarisme ethnique et religieux ... 
Pour cela, il a du combattre les pan-arabistes, les pan-islamistes et les communistes, pour le danger qu'ils représentent pour la République tunisienne qui vient de naître. Qui le lui reprocherait quand on sait tout le mal que ces idéologues ont provoqué parmi les peuples qu'elles avaient gouvernés ?

Mais voilà, la rancune, la haine et le désir de vengeance sont plus grandes et plus tenaces chez les complexés de l'Histoire, au point de les aveugler sur des idéologies qui ont échoué partout; et qui veulent prendre leur revanche quitte à prendre en otage les Tunisiens et détricoter tout ce qu'ils avaient réalisé depuis l'indépendance grâce aux Destouriens, pour s'encrer dans la modernité et rejoindre les nations évoluées !

Kaïs Saïed se rêvant nouveau Raïs du pan-arabisme après Gamel Abdel Nasser, proclame, populisme oblige, que la priorité de ses priorités, est de libérer la Palestine !

Après expérimentation de l'islamisme de Ghannouchi et de l'arabisme de Kaïs Saïed, de plus en plus de Tunisiens sont nostalgiques du bourguibisme.

R.B  


Samy Ghorbal *

Tous complexés par Bourguiba !

Habib Bourguiba avait ses qualités – immenses - et ses défauts. Président démiurge, bâtisseur de la Tunisie moderne, artisan de la sécularisation de la société, il était aussi maladivement narcissique, vaniteux, injuste et parfois mesquin. Il a laissé se développer une fâcheuse tendance au culte de la personnalité qui lui a malheureusement survécu, hier sous Zine El Abidine Ben Ali, et aujourd’hui sous Kaïs Saïed. Son incapacité à penser la démocratie et le naufrage de sa vieillesse ne doivent pas nous amener à sous-estimer la justesse de ses intuitions historiques, et la portée de son héritage politique, aujourd’hui dangereusement menacé.

En lecteur averti d’Ibn Khaldoun, Bourguiba était obsédé par la vision cyclique de l’Histoire. Pour lui, l’histoire de l’Ifriqiya et du Maghreb se résumait à une succession de cycles. Elle portait la marque de l’instabilité politique et de la précarité. Aucun empire n’avait duré plus de 4 générations avant de s’effondrer pour laisser place aux démons récurrents de la division et de l’anarchie. C’est cette carence de l’État qui était à l’origine de la décadence du Maghreb et qui, bien plus tard, avait rendu possible les colonisations turque et française. Pour Bourguiba, l’édification d’un État unitaire, fort et souverain constituait l’aboutissement naturel du combat pour l’indépendance. À ses yeux, l’État était la condition de la Réforme, la seule instance à même de donner un contenu réel aux notions de progrès et de civilisation.

Écrasés par la dimension du personnage, complexés par son ombre tutélaire, ses successeurs, de Zine El Abidine Ben Ali à Kaïs Saïed en passant par Moncef Marzouki, sans oublier le roi sans couronne Rached Ghannouchi, se sont employés à rabaisser, diminuer, détricoter ou annuler son héritage. Ben Ali a donné le ton : il a substitué le culte du 7 novembre aux mythologies fécondes du 20 mars et du 1er juin. Par petites touches d’abord, puis de manière plus ostensible, il a pris ses distances avec la doctrine moderniste bourguibienne en prônant le retour à une « authenticité arabo-musulmane » teintée de traditionalisme religieux. Le Pacte National de 1988, sur lequel les islamistes ont apposé leur signature avec Noureddine Bhiri, exprime les orientations identitaires de « l’Ère Nouvelle ». Toute une série de décisions, en apparence anecdotiques, à commencer par le rétablissement - en 1988 toujours -, de l’observation visuelle du croissant lunaire pour décider du début du mois de Ramadan, s’inscrivent dans cette démarche d’effacement de l’avant-gardisme bourguibien et de la primauté de la raison sur la superstition et « l’esprit théologien ». La dépréciation du statut de la langue française, véhicule de l’ouverture à la civilisation universelle et aux sciences, participe de la même logique du « complexe du roturier » qui habitait Ben Ali…    

L’État moderne bourguibien, avili par Marzouki, attaqué par Ennahdha

L’élection miraculeuse de Moncef Marzouki à la présidence provisoire de la République, le 13 décembre 2011, a marqué le franchissement d’une étape supplémentaire dans le « révisionnisme anti-bourguibien ». Finis les complexes, place à la vengeance ! Marzouki n’a eu de cesse de convoquer la mémoire des vaincus de l’Histoire : celle Salah Ben Youssef, chantre de l’arabité, celle des fellaghas, celle, plus lointaine, de la Tunisie des steppes et des tribus, symbolisée par le combat perdu d’Ali Ben Ghedahem contre l’absolutisme beylical et l’État central, en 1864. Il a inauguré sa présidence en se présentant vêtu d’un burnous et en théorisant son refus de porter la cravate, qu’il assimilait à un symbole de l’aliénation post-coloniale. Une manière de faire passer Bourguiba et ses disciples, viscéralement attachés au prestige de l’État, pour des « valets de l’Occident ». Un contresens absolu quand on sait que ces derniers avaient le nationalisme chevillé au corps et que le combat pour l’indépendance a été le moteur de leur engagement en politique ! En s’affichant au Palais de Carthage en compagnie de prédicateurs salafistes et de voyous issus des Ligues de Protection de la Révolution, Marzouki croyait prendre sa revanche et souiller la postérité de Bourguiba. L’Histoire, jamais avare en ironies, voudra qu’il soit remplacé à Carthage par Béji Caïd Essebsi, le dernier disciple vivant du Combattant suprême, son antithèse absolue.   

Les pitreries excentriques de Marzouki ont fait honte aux Tunisiens et ont avili la fonction de Président et le prestige de l’État. Mais elles n’étaient rien comparées au projet rétrograde d’Ennahdha, mis en échec in extremis grâce au sursaut de la société civile tunisienne et à l’intelligence politique de BCE. Majoritaires à la Constituante avec leurs alliés de la troïka, les islamistes ont commencé par livrer une offensive en règle pour saper les fondements de l’État bourguibien. Détrictotage de l’article 1er, en introduisant une référence explicite à la charia dans la Constitution, coups de canifs au Code du Statut Personnel, retour sur la suppression des biens habous et sur celle de l’enseignement religieux  non contrôlé par l’État : les ultras d’Ennahdha ont fait feu de tout bois. Toutes ces tentatives s’inscrivaient dans un projet pensé, cohérent et implacable : démanteler l’État réformateur moderne, non pas pour instaurer une théocratie, mais pour restaurer le paradigme de l’État traditionnel, gardien de l’identité, de la religion et de l’ordre moral. Elles ont avorté mais ont laissé des traces. Comme un poison lent, s’instillant dans les veines du corps politique et social, le conservatisme a fini par subvertir des pans entiers d’une société déboussolée et en perte de repères.

Le quinquennat de Béji Caïd Essebsi apparaît rétrospectivement comme une parenthèse dans le lent processus de déréliction de l’œuvre et de la mémoire bourguibienne. Disciple revendiqué du Combattant Suprême, BCE a tenté de perpétuer et prolonger son héritage. Comme il l’avait promis, il a organisé le retour de la statue équestre de Bourguiba sur l’avenue qui porte son nom. Il s’est employé, sans toujours y parvenir, à restaurer l’État dans son prestige et son autorité, à gommer les excès du parlementarisme, et à réconcilier les Tunisiens. Surtout, il a tenté de reprendre le flambeau du modernisme en proposant d’instaurer l’égalité successorale. Otage d’une coalition contre-nature avec laquelle il était obligé de composer, affaibli par l’âge et par la rivalité avec ses chefs de gouvernement, sa présidence s’est achevée à quelques mois de son terme naturel, le 25 juillet 2019, comme un symbole prémonitoire.

De l’article 1er à l’article 5, quand une ambiguïté chasse l’autre

Mûrement réfléchi, et imposé à la faveur d’un extraordinaire concours de circonstances, le projet de Kaïs Saïed est celui va le plus loin dans la logique de démantèlement de l’héritage bourguibien. Il réhabilite la Constitution de 1959 dans ce qu’elle a de pire, un présidentialisme exacerbé, sans garde-fous, qui ignore superbement la séparation des pouvoirs. Il liquide l’article 1er, formule magique de la modernité tunisienne, respectueuse de l’identité arabo-musulmane sans en être prisonnière, qui émancipait l’État de la norme religieuse. Celle-ci revient en force à travers l’article 5 de son projet de Constitution, qui affirme l’appartenance de la Tunisie à la oumma musulmane et assigne à l’État la mission d’œuvrer à la réalisation des finalités (maqassid) de l’Islam. Le renversement de perspective est radical. Tout comme l’est le projet de gouvernance par les bases, qui trouve son inspiration dans la Jamahiriya libyenne de Mouammar Kadhafi, à des années-lumière de la tradition politique tunisienne. Et que dire du préambule, mélange d’exaltation révolutionnaire et de falsification historique, qui ne dit mot du mouvement national et mentionne à peine l’héritage du réformisme tunisien ? 

Éducateur hors-pair, Habib Bourguiba parlait au peuple dans sa langue, l’arabe dialectal. Il plaçait son éloquence au service de la raison et d’un pragmatisme tourné vers l’avenir. Kaïs Saïed entretient aussi ce lien direct avec le peuple, qui est sa plus grande force. Mais, dans l’usage de la langue, comme dans celui des références culturelles et historiques, il se situe aux antipodes du héros du 1er juin. Sa posture s’apparente davantage à celle d’un ouléma, qui écrase par la verticalité de son verbe, qu’à celle d’un pédagogue, qui argumente pour convaincre. Sa vision semble définitivement figée dans un passé mythifié. 

Bourguiba avait compris la nécessité de concilier nos identités multiples et de partir de notre substrat historique, arabo-musulman, pour entrer dans la modernité. Il avait compris la nécessité de bâtir un État fort et souverain, capable d’unifier la Nation et de réformer la société pour la débarrasser de ses archaïsmes. Il avait compris la nécessité de s’ouvrir sur les autres civilisations, pour accélérer le développement économique mais aussi intellectuel. Il avait compris que la femme était l’avenir de l’homme tunisien. Il n’était pas démocrate, mais presque chacune de ses intuitions fondamentales était juste. Et pourtant, tous ses successeurs, à la notable exception de BCE, semblent s’être donné le mot pour liquider son héritage au lieu de le faire fructifier. Pour saccager son œuvre, alors qu’il aurait suffi de l’adapter aux exigences des temps nouveaux. Étrange et singulière destinée que celle de la Tunisie, décidément ingrate avec ses grands hommes. Au risque de ne pas se relever.

 

* Journaliste et consultant. A publié Orphelins de Bourguiba & héritiers du Prophète (Cérès éditions, 2012).