jeudi 14 août 2014

Al-Qaïda, une marque ... déposée ?

Alain Nonjon optimiste ? Il oublie que les groupes islamistes, quel que soit le nom dont ils s'affubleront (Al-Qaïda, Frères musulmans, Ansar Chariaa, Bokoharam, Daich ou EIIL ... ), sont utilisés sinon fabriqués à la demande par les américains et financés et armés par leurs amis les pétromonarques : les uns pour conserver le contrôle sur l'or noir du monde dit "arabo-musulman", les autres croyant duper les premiers, se rêvant dans le rôle du nouveau calife du monde "arabo-musulman" !


Alors que peuvent faire les peuples contre de telles forces négatives politique, financière et militaire qui s'opposent à leur aspiration à la démocratie ? 
En tous cas, en Tunisie, pas grande chose sinon rien; d'autant que l'opposition semble s'être résignée à cette intolérable ingérence américano-qatarie !
R.B

Alain NONJON

Professeur à Intégrale et au lycée Michelet, à Paris. 

Directeur de collection chez Ellipses.


Un mort… de marque…


Le 2 mai 2011, dans les abysses de la mer d’Oman, le cadavre de Ben Laden enveloppé d’un linceul blanc et soigneusement lesté a été jeté du porte-avions Carl Vinson sans salve ni couronne ! C’est furtivement que l’ennemi public n° 1 de l’Amérique a été éliminé, bouclant une décennie où le pays s’est engagé… après le 11 septembre 2001 dans une « guerre contre la terreur.
En faisant disparaître son corps dans la mer, les Américains se sont assurés qu’aucun lieu physique de sépulture ne puisse donner lieu à un pèlerinage. L’absence d’image de Ben Laden mort a évité tout culte de son image… Que reste-t-il dès lors de ce réseau à vocation planétaire apparu en août 1988 dans l’est du Pakistan, cofondé par le Saoudien d’origine yéménite Ben Laden, le communicant confirmé, le stratège reconnu et l’Égyptien al-Zawahiri, successeur présumé, idéologue adoubé ? Que reste-t-il de la « Base », base de données à l’échelle mondiale, base de militants dispersés dans le monde et base géographique djihadiste implantée d’abord au Pakistan, puis au Soudan (1991-1996), en Afghanistan, et réfugiée au Pakistan ? La marque Al-Qaïda a-t-elle disparu, ou est-elle déposée… avec ou sans bombes ?
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Carte d'Al-Qaida : 2011-2012

Les franchises d'Al-Qaïda : chefs de file et réseaux

On est évidemment interpellé par une régionalisation qui résonne comme l’éclatement ou à minima l’affaiblissement d'Al-Qaïda. Au printemps 2003 émerge déjà une Aqpa (Al-Qaïda pour la péninsule arabique) décimée par les autorités saoudiennes en mal de réhabilitation auprès des États-Unis. La branche émigre au Yémen ou au sud de l’Arabie saoudite avec des attentats pour baptême : un kamikaze nigérian sur un vol vers Détroit et des colis piégés adressés en octobre 2010 au Yémen. D’autres filiales s’activent en Irak sous la férule de al-Zarqaoui et son groupe « Unification et monothéisme » (Al Tawhid wal jihad) est intronisé par Ben Laden, chef de la branche irakienne, après les attentats de 2003 à Bagdad et les batailles de Falloujah d’avril et de novembre 2004 ; le réseau se polarise sur la terreur antichiite jusqu’à la mort de son chef en 2006, et se réduit à une présence résiduelle après la mort de al-Masri et al-Baghdadi en avril 2010, nouveaux chefs de l’AQI. Au Maghreb, Aqmi (500 membres), dirigé par le jeune Abdelmalek Droukdal, son émir, mène des opérations sanglantes en Kabylie et fait de la capture d’otages son fonds de commerce. Toutes les filiales de Al-Qaïda sont sur la défensive depuis que les pays arabes conjuguent au présent la démocratie. Où est désormais la dynamique mondialisée de Al-Qaïda, le message brouillé par une imbrication opérationnelle, financière, terroriste entre rebelles mafieux et activistes ?

Les Printemps arabes : les marqueurs de l’échec djihadiste

On est convoqué au balcon des révolutions arabes pour évaluer Al-Qaïda. Les soulèvements démocratiques qui embrasent les pays arabes depuis 2010 sont des désaveux cinglants des stratégies de Al-Qaïda :
- les monarchies et dictatures souillées peuvent tomber sous la seule pression du peuple. Le désir de liberté fait plus que les anathèmes de Ben Laden contre le monde occidental ou l’Otan, « incarnation des États-Unis », la voix de la rue plus que le triptyque djihad, terrorisme, violence ;
- les technologies occidentales fédèrent plus qu’elles ne divisent (rôle de Tweeter et des NTIC) ;
- l’islam radical ne peut être aux avant-postes de la révolution comme au Yémen dans la mobilisation contre Ali Abdallah Saleh. Al-Qaïda peut être même rejetée, comme en Libye, lorsque son combat s’identifie à la lutte contre l’Otan alors que Benghazi a placé tous ses espoirs dans la coalition pour mettre à bas la dictature de Kadhafi ;
- la pression de al-Zawahiri sur l’Algérie afin qu’elle « jette elle aussi les tyrans aux poubelles de l’Histoire » est restée lettres mortes et confirme l’échec du projet de Ben Laden de mobiliser, autour de l’idéologie islamiste radicale, les masses arabes pour mettre en place des États islamiques ;
- les victoires faussement attribuées à un islam radical comme la « charia » en Libye ou la bonne tenue des salafistes égyptiens aux élections sont peu de choses par rapport au recul objectif du mouvement.

Des bases de résistance : la nouvelle vie de la marque Al-Qaïda ?


Désormais, c’est certainement en Afrique que Al-Qaïda trouve ses émules les plus zélés. Lorsque le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) se transforme en Al-Qaïda pour le Maghreb, il fait de ses « katibas » des bases avancées du terrorisme inspirées de Al-Qaïda. Celles-ci ont une grande autonomie, mettant sur pied des trafics : Belmokhtar dans l’ouest du Sahara, le dirigeant de la katiba des Moulathamounes, est d’ailleurs surnommé Mister Marlboro. Leurs actions (attentats, rapts, liquidation d’otages, défis à ses grandes multinationales comme Areva ou à de grandes puissances comme la France) sont des échos lointains de ce qui reste d’Al-Qaïda. La relocalisation des combats est en effet le contrepoint de l’affaiblissement de l’organisation transnationale comme en Afghanistan, où des combattants rejoignent les talibans pour être au plus près des populations, au Pakistan où les « surgeons du rhizome sont nombreux et actifs » (G. Kepel, Terreur et martyre. Relever le défi de civilisations, Flammarion, 2008). À tout moment, l’échec des transitions démocratiques peut donner des opportunités à Al-Qaïda comme au Yémen où, dans le Hadramaout — d’où est originaire la famille Ben Laden —, réapparaissent des mouvements violents, en Somalie avec les shebabs (5 000 membres), au Nigeria avec la secte Boko Haram (fondée en 2002, qui signifie « l’éducation occidentale est un péché » en langue haoussa et veut imposer un État islamique dans le nord du pays, à majorité musulmane).

Mais que reste-t-il de la capacité de mobilisation et de recrutement dans la durée des Al-Qaïda ? Il est probable que l’organisation conserve un état-major, des fidèles irréductibles, mais que la structure indépendante, globalisée, transfrontalière a vécu (G. Kepel, op. cit.). Plus que de disparition, on doit conclure à une mise en sommeil de Al-Qaïda : la Al-Qaïda al ma’lumât (le réseau mondial) a vécu et muté en base territoriale dispersée (la Al-Qaïda alamina pour J.-P. Filiu dans Les neuf vies d’Al-Qaïda, Fayard, 2009 [1]). 

Rien ne dit pour autant que le terrorisme international soit mort, que des combattants ne se retrouvent pas dans un discours universaliste et ne se rallient pas à des actions moins régionales, que des cellules dormantes évanouies ne revivent pas sous la forme de combattants solitaires qui nourrissent un ressentiment contre l’Occident, la démocratie, le système capitaliste débridé. 

Le terreau d’un islam radical (misère, corruption et autoritarisme) a-t-il vraiment disparu ? L’inspiration est souvent plus importante que l’action elle-même et, en servant de référence, des organisations de base restent un modèle à suivre, même si elles n’ont plus la capacité de passer à l’acte… pour le moment.

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