vendredi 24 août 2012

23 OCTOBRE : LA CRISE ou LE SURSAUT

Article paru dans : Kapitalis
et dans : Tunis Tribune
et dans : Saudiwave

La première règle de la démocratie, celle qui en est le fondement même, c’est celle du respect de la volonté du peuple. C’est cette règle qui fait que la Constituante n’a de réelle légitimité politique que jusqu’au 23 octobre 2012 et, quelques soient les arguments de la majorité en place pour se maintenir au-delà du 23 octobre, ils n’ont aucune pertinence face à cette idée très simple : le peuple tunisien a donné un mandat à cette Constituante : établir une Constitution dans le délai d’un an.

Il faut rappeler clairement que la règle a été acceptée par les partis dans le document ratifié par le Président Fouad Mbazza et le premier ministre Béji Caid Essebsi, et par leurs chefs de parti.
Sauf à renier leur parole, les partis qui ont signé, sont engagés par cette date acceptée.
Le Président Moustapha Ben Jaâfar lors d’un entretien télévisé a d’ailleurs dit que cette règle s’imposait et que ce serait une faute morale et politique que de ne pas la respecter.
Les Tunisiens doivent imposer le respect de ce délai.
                                                    
Que nous disent les parlementaires d’Ennahdha et notamment Habib Khedher, président de la Commission  de la Constitution par la volonté de son oncle Ghannouchi ? Ils soutiennent que ce délai serait trop court en raison de la charge de travail qui s’est imposée à la Constituante : celle de préparer la Constitution mais aussi celle de voter des lois et de contrôler le gouvernement.

Cette argumentation est inopérante pour plusieurs raisons :
- Cette assemblée n’avait qu’un rôle de gestion courante et n’avait pas à prendre des décisions qui engagent l’avenir du pays : sa seule mission était de rédiger la Constitution.
Seul le pouvoir définitif, issu de la nouvelle Constitution, aura le pouvoir de prendre des engagements d’avenir. Le pouvoir de la troïka n’est qu’un pouvoir provisoire et de gestion courante.
Elle a outrepassé ses prérogatives.
- Par ailleurs ce n’est pas parce qu’Ennahdha a fait traîner les choses en longueur, avec notamment sa volonté de faire référence à la Charia, sa volonté de restreindre le droit des femmes, de s’attaquer à la liberté de la presse et à l’indépendance des juges … que le délai d’un an doit augmenter pour autant. En un mot ce n’est pas parce qu’Ennahdha s’est heurtée à une vive opposition de la population et qu’elle s’est obstinée, que son délai doit augmenter.
- L’incompétence, l’inertie et la désorganisation de cette assemblée  présidée par Moustapha Ben Jaâfar, n’est pas non plus une excuse.
- Enfin, il faut que les Tunisiens ne soient pas dupes : si Ennahdha veut aller au-delà du terme fixé, c’est pour asseoir davantage son pouvoir, mettre ses hommes partout, limiter les libertés, acheter certaines consciences, livrer d’avantage le pays aux prosélytes wahhabites et aux prédicateurs obscurantistes et vendre le pays à leurs amis qataris. Comme si le gouvernement sorti du rang de ce parti mais dont les ministres ne demeurent pas moins des élus constituants, avait mandat pour vendre le patrimoine des tunisiens.
- Par ailleurs, on comprend assez bien que les élus, grassement payés et dotés d’avantage choquants dans un pays où la misère s’accroit, veuillent prolonger au-delà du délai le maintient de ces avantages. Mais comme l’a dit, fort justement Ben Jaâfar ce serait une faute morale.

Si les tunisiens ne réussissent pas à imposer le respect de ce délai, alors qu’il était expressément prévu au moment du vote, ils pourront dire adieu à la démocratie et à ses règles car le mauvais exemple aura été donné et le pli sera pris. Pourquoi dans l’avenir respecter ce qu’a dit le suffrage universel ?

Il ne faut pas cacher que cette position, pourtant parfaitement légitime, est porteuse de beaucoup d’incertitudes et même de périls.
Si la Constitution n’est pas adoptée avant le 23 octobre et si la Constituante ne met pas en place un calendrier précis et ferme pour de nouvelles élections, il est clair qu’elle aura perdu toute légitimité politique et que l’on sera en présence d'une forme de coup d'état.

S’ouvrira alors une période d’extrême danger car il n’y aura plus, en place, aucun pouvoir légitime et la porte sera ouverte pour toutes les aventures et tous les désordres.

Les Tunisiens n’auront plus que le recours à la révolte, aux manifestations permanentes et à la grève générale pour imposer au pouvoir encore en place mais sans légitimité, d’organiser sans délai des élections libres.

Il faut souhaiter que tous les partis y compris ceux du pouvoir actuel, aient suffisamment le sens de l’état et de l’intérêt du pays pour que l’on n’en arrive pas là.
Cependant, ces périls qu’il ne faut pas se cacher et qu’il faut analyser lucidement, ne doivent pas conduire à renoncer et à admettre que le pouvoir en place puisse continuer à garder sa légitimité après le 23 octobre car ce serait, pour éviter un désordre, accepter la naissance d’une nouvelle dictature.

Y a-t-il une solution ? Oui, bien qu’elle puisse paraître à premier abord utopique pour beaucoup mais elle n’est pas invraisemblable. Elle est peut-être même, la seule qui puisse préserver le pays de graves remous.
Cette solution doit impérativement intervenir maintenant, au moment où la Constituante a sa pleine légitimité. Il est encore possible de renverser la vapeur.
Si les constituants, membres d'Ettakatol et du CPR, au vu de l'échec de la troïka et de la grande impopularité de leur parti et de leur chef, faisaient leur examen de conscience pour comprendre qu'il y a péril dans la maison Tunisie et désertent leurs partis pour rejoindre l'opposition dans l’intérêt suprême de la Tunisie, à coup sûr la Constitution sera sauvée de la main mise d'Ennahdha qui ne cesse de souffler le chaud et le froid pour faire durer son règne et distiller son wahhabisme rampant dans la société tunisienne !
 
Dans cet élan républicain, les élus indépendants feront de même, et feront bloc avec l’opposition. L'union faisant toujours la force, c'est le parti obscurantiste qui se retrouvera en minorité !

Les élus du CPR et d’Ettakatol qui ne partagent plus la ligne politique choisie par leurs chefs respectifs, devraient donc rejoindre l’opposition à Ennahdha. Ainsi l’opposition deviendrait la majorité. Elle pourrait alors établir une Constitution réellement démocratique, respectueuse des libertés et des aspirations des tunisiens et décider d’un calendrier rapide et ferme pour des élections libres.

Ces parlementaires dont on peut comprendre qu’ils ont espérés beaucoup de leur alliance avec le parti Ennahdha qui se prétendait « modéré », doivent avoir constaté - et probablement avec amertume - que la modération de ce parti n’est qu’un paravent et que tout démontre depuis le début sa volonté d’hégémonie pour supprimer les libertés, se maintenir seul au pouvoir en laissant éventuellement des miettes à ses alliés, d’utiliser la violence de sa base salafistes pour islamiser le pays à la manière des pétromonarchies.
Est-ce vraiment ce qu’ils veulent pour leur pays ? Est-ce que cela correspond vraiment aux valeurs qu’ils ont toujours défendues ?
Si ces parlementaires, en leur âme et conscience, s’allient à l’opposition pour la faire devenir majorité, ils s’attireront le respect et la reconnaissance des tunisiens et ils permettront ainsi d’éviter au pays une très grave crise qui ne peut que nuire à tous. N’est-ce pas, dans le fond, le sens du discours de Marzouki devant son congrès ? Bien que les congressistes semblent une fois de plus le désavouer en réaffirmant leur suivisme à Ennahdha ! Mais que valent les discours de Moncef Marzouki ?
Il y a des moments dans la vie d’un pays où il faut agir avec courage et honnêteté.
Ce moment est arrivé, chacun est devant ses responsabilités.

Rachid Barnat

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