samedi 13 septembre 2014

L'Etat islamique n'est pas qu'une «bande armée»


Jean-Pierre PERRIN

«Je vous prie de cesser d’appeler cela l’Etat islamique. Il n’y a aucun Etat, il ne s’accommode d’aucune structure», a déclaré Jean-Luc Mélenchon ce vendredi matin sur RTL, où il était interrogé sur la participation de la France à la coalition internationale contre les jihadistes en Irak et en Syrie. L'eurodéputé emboîtait le pas à François Hollande, qui préfère depuis peu employer le terme de «daech» (ce qui ne résoud rien puisque c'est l'acronyme arabe de «Etat islamique en Irak et au Levant»). Et à Laurent Fabius qui a demandé  mercredi devant l'Assemblée de ne plus utiliser le nom officiel de l'organisation jihadiste, lui préférant «égorgeurs de Daech». 
Que les jihadistes de l'Etat islamique soient des égorgeurs faisant régner la terreur est indiscutable. Mais contrairement à ce qu’affirme l'eurodéputé, l’EI a exprimé sa volonté de créer un Etat. Il l’a manifestée au lendemain de la prise de Mossoul, le 10 juin, en appelant les fonctionnaires à reprendre le travail avant d’en exclure peu après les chrétiens. Lorsqu’il s’est autoproclamé calife dans une mosquée historique de Mossoul, Abou Bakr al-Baghdadi a lancé un appel aux ingénieurs, médecins et militaires à venir rejoindre l’Etat islamique, dont la capitale rêvée est Bagdad, l’ancien cœur du monde musulman et de l’empire abbasside. A ce jour, selon les témoignages de récents réfugiés, la vie continue dans une relative normalité, et en dépit d’une charte en 16 points totalement ahurissante, à Mossoul et dans les autres villes conquises par l’Etat islamique, comme la grande cité de Fallouja, conquise dès janvier. Certes, l’Etat islamique n’a pas de Constitution autre que la charia, mais l’Arabie saoudite n’en a pas davantage.
En fait, et c’est la grande différence avec Al-Qaeda, qui se contentait de bases en Afghanistan ou dans les zones tribales pakistanaises, l’EI revendique un territoire, limité au départ à l’Irak et à la Grande Syrie, qu’elle cherche à présent à étendre à l’ensemble du monde musulman. Signe de cette volonté d’établir un territoire, l’Etat islamique a aboli, à coup de bulldozers, la frontière séparant l’Irak de la Syrie, issue de la colonisation européenne, avec l’ambition de recréer l’ancien territoire du califat.
Parler de «bandes armées» ne suffit certainement pas à rendre compte d’une force estimée aujourd’hui à quelque 30 000 hommes. Une force qui a défait en quelques heures l’armée irakienne et les forces de sécurité (qui comptent plus d’un million d’hommes formés à coups de milliards de dollars par les Etats-Unis) et s’est emparée quasiment sans combat d’une ville de près de deux millions d’habitants et de toute une province. Une force qui, aujourd’hui, pousse jusqu’aux portes de Bagdad. A l’évidence, des stratèges compétents conseillent l’EI, probablement d’anciens officiers supérieurs de l’armée et des services secrets de Saddam Hussein qui ont rejoint l’organisation islamiste.

L'ASSASSINAT DES INFIDÈLES

En fait, c’est loin d’être la première fois que, dans l’histoire de l’islam, surgit un mouvement millénariste. Selon certains chercheurs arabes, plus qu'au wahhabisme – l’idéologie dominante en Arabie Saoudite – l’Etat islamique emprunte d’abord à la doctrine kharidjiste, dont on retrouve chez ses partisans nombre des pratiques. Ainsi, les kharidjites (les «sortants») considéraient-ils le jihad comme le sixième pilier de l’islam. Ils prônaient aussi l’examen probatoire ou imtiḥān qui consistait à exiger de tout nouvel adepte, comme gage de sa sincérité, d’égorger un prisonnier, se référant au fait que Mahomet avait demandé à Ali, le futur quatrième calife, de couper la tête de prisonniers mecquois. Ils prônaient aussi le takfir ou excommunication, d’où l’appellation donnée aux partisans d’Etat islamique de «takfiristes», qui rend légitime l’assassinat des infidèles. Ou encore l’isti’rad, ou démonstration, qui autorisait la mise à mort des hommes mais aussi des femmes et des enfants.
A cette terrible époque, idéalisée aujourd’hui à outrance par les salafistes («les pieux ancêtres», en référence aux quatre premiers califes), l’armée d’Ali infligea une sanglante défaite aux kharidjites pendant la bataille de Nahrawân, près de Bagdad, en 658. L’histoire se répétera-t-elle ?

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