lundi 27 octobre 2014

TOUT COMMENCE

Article paru dans : Kapitalis
On ne peut que se réjouir et se féliciter que les élections législatives aient donné une majorité claire aux progressistes (si ils savent enfin s’unir) et aient renvoyé les obscurantistes dans la minorité. A cette minorité il faudra rappeler sans cesse les beaux discours qu’elle faisait il n’y a pas si longtemps sur la démocratie, les libertés et sa volonté de consensus ! A elle de jouer son rôle d’opposant mais dans le respecte des règles.

Cependant et c’est le sens de cet article, pour le nouveau pouvoir : être élu ne suffit pas et il doit œuvrer maintenant au progrès de ce pays sous l’œil vigilant, et qui demeurera vigilant, de la société civile. Autrement dit ce vote n’est absolument pas un blanc seing d’autant que les Tunisiens n’ont voté sur aucun programme mais sur leur volonté clairement affichée de ne plus voir les islamistes au pouvoir. Sur ce point c’est très clair mais après ….

Ce pouvoir a tout d’abord deux options : ou rester sur lui-même, étriqué et gérer au jour le jour ou, ce qui me parait nécessaire, élaborer un programme ambitieux et réaliste et associer à l’exécution de ce programme le plus de démocrates possible, le plus d’hommes et de femmes de bonne volonté. Je dirai que la situation du pays après trois ans de régression due  aux islamistes et à leurs comparses CPR et Etakatol, a besoin d’un nouveau souffle et de l’action de tous.

Avant même les élections j’avais déjà suggéré quelques pistes qui sont toujours d’actualité et je voudrai, ici, faire une  projection sur l’avenir.
Que voulons-nous pour le pays ? Il me semble qu’il résulte du combat de la société civile et des élections que le choix s’est porté sur l’ouverture au monde, sur le progrès économique et sociale et sur plus de justice sociale.
Chacun pourra dans le pays se montrer d’accord avec ces objectifs mais il s’agit de les rendre possibles en sachant que tout ne se fera pas en quelques mois mais plutôt quelques années et à condition que le cadre soit fixé.

Pour ma part je vois quatre grands chantiers prioritaires sur lesquels le nouveau pouvoir devra s’engager avec fermeté.
-  La Sécurité.
- Un Etat de droit renforcé.
- Une action forte en matière d’éducation.
- Une politique fiscale et sociale plus juste.

I - La sécurité :

Il est clair et chacun en est convaincu qu’il n’y a aura aucun progrès ni aucune possibilité de développement que ce soit dans le tourisme ou dans toutes autres activités si le pays n’assure pas la sécurité et ne remet pas fermement de l’ordre. Dans le vote qui est intervenu il y a la condamnation sans appel du laxisme qui a permis que les ordures soient à ciel ouvert, que le commerce parallèle occupe les rues et les trottoirs. Ce ne sont pas des détails, cela compte pour les Tunisiens eux-mêmes et pour l’image que donne ce pays. Cette exigence passe par la reprise en main de la police, une formation plus sérieuse et une gestion ferme des carrières. Il faut que la police devienne plus républicaine c'est-à-dire qu’elle oublie les idéologies et qu’elle prenne conscience qu’elle peut être efficace sans recourir à des méthodes blâmables et en respectant les droits de l’homme.
Cela nécessitera une reprise en main ferme de la part de l’encadrement mais aussi probablement par une amélioration des conditions d’emploi des policiers qui font, au service du pays, un travail nécessaire, difficile et qui doit être reconnu.
Si des directives claires sont données et si chacun sait que les dérapages seront fermement sanctionnés, il n’y a pas de raison que ce corps de fonctionnaire de l’Etat ne fasse pas son travail.

Mais la sécurité passe aussi par une Justice plus efficace et moins sujette à critique. Pour cela il faudra aller vers un statut des magistrats qui leur assure une indépendance réelle par rapport au pouvoir mais ce ne sera pas suffisant car cette Justice a pris de très mauvaise habitude de soumission et, dans certains cas de corruption. 
L’indépendance des Juges devra les conduire à s’écarter clairement et nettement de la culture d’obéissance qui a été  trop longtemps la leur mais il faudra aussi que le corps fasse le ménage et que toutes traces de corruption soient pourchassées. C’est, sans doute le dossier le plus délicat car certains se demanderont s’il faut accorder l’indépendance statutaire aux magistrats avant qu’ils ne soient réformés de l’intérieur.

Dans le cadre de cette politique de sécurité il faut faire en sorte que les discours de violence, de haine et de division ne puisse être tenus dans les mosquées qui, il faut l’admettre, ont joué un rôle néfaste dans les dernières années.
Il faut que le pouvoir applique avec énergie et détermination l’article 6 de la Constitution du pays qui dit clairement : « L’État est le gardien de la religion. Il garantit la liberté de conscience et de croyance, le libre exercice des cultes et la neutralité des mosquées et des lieux de culte de toute instrumentalisation partisane.

II - Un Etat de droit renforcé

Le régime de ben Ali avait développé dans le pays la corruption à tous les niveaux et le pouvoir islamiste n’a pas été en reste. C’est une gangrène qui risque, à terme, de ruiner le pays et qui, en tous cas, ne peut  être qu’un frein sérieux pour les investissements.
Quel investisseur prendra le risque d’investir alors que la règle de droit est susceptible de changer ou de ne pas être appliquée sans corruption ?

L’Administration doit prendre un nouveau départ et l’on ne doit plus tolérer le laxisme, la bureaucratie tatillonne qui ne respecte pas la loi.
Le Tunisien n’a pas a quémander son droit, il doit l’exiger de l’administration qui est à son service; et cette administration doit faire respecter la loi partout sans passe-droit.
Cette attitude  permettra aussi le développement des activités, des initiatives dans tous les domaines pour le bien du pays.

Ce qui est positif c’est que grâce au Président Bourguiba, la Tunisie ne part pas de zéro. Elle a déjà un droit, une administration et il suffit que tout cela soit, de nouveau géré par des hommes compétents et honnêtes;et il y en a beaucoup dans le pays.

Par ailleurs la société civile doit continuer son rôle de vigie et agir contre tous dépassements.
Et faut-il rappeler que la liberté de la presse doit être respectée, car c'est le quatrième pouvoir caractéristique des véritables démocraties !

III - Une politique d’éducation volontariste et forte :

Qu’est-ce qui a sauvé la Tunisie de l’emprise des obscurantistes ? Si on va à l’essentiel on peut dire que c’est le niveau d’éducation, de formation de son peuple.
Or sur ce point dont Bourguiba avait fait une absolue priorité et qui avait donné au pays les moyens de sa politique, le régime de Ben Ali avait ouvert la voix à une régression totale.

Ne soyons pas cruel mais il suffit de comparer les générations formées sous Bourguiba et les nouvelles générations pour voir, hélas, le gouffre qui s’est produit entre les deux générations.
Ben Ali, contrairement à Bourguiba, a fragilisé l’éducation publique en favorisant outrageusement les écoles privées, les cours privés, en laissant la corruption intervenir même dans ce domaine.
Ce faisant il a permis à une élite de progresser en payant; et a laissé une grande partie de la population sans réelle formation.

Y remédier doit être une absolue priorité. Il faudra que le pouvoir donne les moyens budgétaires de cette remise en ordre. C’est également un excellent moyen de lutter contre l’ignorance et de favoriser la démocratie qui exige des citoyens éclairés.

IV - Une politique et fiscale plus juste :

Les années qui viennent de se dérouler ont clairement montré une grave division du pays entre une élite aisée, quelques fois riche et une population de plus en plus pauvre et abandonnée. C’est le résultat de plus de cinquante ans de politique et c’est une des graves fautes des pouvoirs successifs.
Certes il fallait faire apparaître une classe moyenne aisée et instruite mais il ne fallait pas abandonner toute une partie de la population et certaines parties du territoire. Cette fracture a été en partie la cause de l’apparition et du succès des obscurantistes qui savent œuvrer dans la misère et l’ignorance.

Ce chantier visant à davantage de justice sociale est vaste et tout ne se fera pas en un instant mais c’est un chantier vraiment prioritaire si l’on ne veut pas, demain, se retrouver avec les problèmes que l’on vient de connaître.

Ce grand cadre ne peut-il être une plate forme dans laquelle beaucoup pourrait s’y retrouver depuis les libéraux intelligents et conscients des périls à venir et des hommes d’une gauche réaliste et efficace. 
A chacun de nourrir par ses idées, par ses projets ce cadre mais en gardant à l’esprit ces objectifs qui feront de la Tunisie un grand pays prospère. C’est de cette manière, c'est-à-dire avec un grand projet, que l’on fait progresser un pays. 

C’est exactement ce qu’avait fait Bourguiba en son temps et qu’il a par la suite, à tort abandonné, diminué par la maladie.

Rachid Barnat

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