samedi 3 janvier 2015

Élucubration d'un perdant qui rêvait d'être président pour de vrai !

Images de tartour ivre de sa colère contre un peuple qui a "mal voté" !
R.B
 
DERNIÈRE NUIT A CARTHAGE


Ce soir, je suis seul. 
Le vent s'est levé. La mer est démontée. J'entends ses vagues. Ce soir, je suis seul. Les huissiers ont fermé les portes du grand salon. J'ai mis un disque de Bach... J'ai sorti une boîte de cigares... Je me suis levé... J'ai vérifié à travers le trou de la serrure si l'autre salon était vide. Les huissiers se sauvent chaque jour au crépuscule et me laissent seul au palais... Je me suis assuré qu'il n'y avait personne et j'ai crié : 
- Putain, de putain de merde, de pays de merde, de peuple de merde, d'élections de merde.
Jusqu'à la dernière minute, j'y ai cru. J'ai reçu des centaines de coup de fil, j'étais en tête partout... Jusqu'à la dernière minute, je me suis vu président pour de vrai... 

J'ai beau être là, j'ai toujours senti que j'étais un président factice. Tout le monde me le fait comprendre. A chaque info, ces couillons de journalistes n'oublient jamais, en citant mon nom, de le faire suivre de cette mention "président provisoire"; comme s'ils disaient président précaire. Je n'aime plus les journalistes... Je ne regarde plus la télé... je ne lis plus les journaux... Je me regarde dans le miroir... Je trouve que je rajeunis de plus en plus...

C'est ma dernière nuit... J'entends les soldats verrouiller la grande porte du palais... Ils m'ont empêché mille fois de la franchir après minuit... Parfois, ils m'ont même donné des coups... Je les faisais rire... Ils vont me regretter... Ils ne savent pas ce qu'ils perdent...Je ne sais pas pourquoi, au début, quand j'ai pris mes fonctions, j'étais saisi à chaque soir d'une envie de chapatti chez Safsaf à la Marsa... Mes gardes du corps me couraient après dans le parc: 
- Revenez, monsieur le président, nous avons réveillé les cuisiniers, il y a du foie gras, du caviar, il y a du confit de canard de Toulouse, il y a un dernier château Pétrus... 
Moi, hilare, vêtu de mon burnous, j'escaladais les grilles du palais en leur criant:
- Je vous emmerde, je veux un chapatti. 
Je parie que l'autre couillon sénile n'a jamais mangé de chapatti de sa vie; et qui ne mange pas de chappattis, ne peut sauver la Tunisie. 
Il n'escaladera jamais les grilles du palais. C'est ma consolation.

C'est ma dernière nuit, et pourtant je ne veux pas y croire... Quand on franchi les portes d’un palais on se dit qu'on n'en sortira jamais. Quand on monte sur un trône, on se dit qu'on y est pour l'éternité... Le plus dur pour un homme, c'est de réaliser son rêve à moitié : président provisoire... Les fils de putes... Trois ans que je me sens inabouti, inaccompli. 

Ce soir, je n'ai pas envie de chapatti... J'ai éteint mon portable...J'entends des klaxons... Ils font la fête.... Ce sont les gens de Carthage, de la Marsa, de Sidi Bou, c'est Neuilly-Auteuil-Passy... Je les méprise... Le Sud me pleure... Le Nord me conchie... Si le pays était un tout petit peu plus grand, j'aurais déclenché une guerre de sécession... Mais cette fois-ci, avec les sudistes dans le rôle des gentils, et les nordistes dans le rôle des méchants... Mais on ne découpe pas en deux un mouchoir de poche...

C'est fou ce que j'aime la mer, pourtant je n'ai jamais connu la mer... Certains soirs, j'ouvre en grand les fenêtres de ma chambre et je me souviens de Cyrus le grand qui avait fouetté la mer parce qu'elle avait englouti ses soldats... Moi, je fais mieux, je lui crie "couchez" et je vous jure qu'elle se couche... Je lui crie " Vas-y, ramène " et je vous jure que la mer gambade au loin pour chercher la bouteille de Seltia que je lui ai lancée. J'ai fait découvrir à la Méditerranée le goût de la marée.

Je vais finir Flaubert... Je relis Salammbô.... "C'était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar". Moi, j'ai une vraie bibliothèque et contrairement à mon prédécesseur je cache mes vraies bouteilles derrière de vrais livres, Pline, Salluste, Démocrite, Sartre... J'ai tout fait pour rester ici, j'ai mis une cravate, j'ai mis un costume, j'ai joué, au foot, j'ai dansé sur du Julio, j'ai embrassé des imams, j'ai étreint des jeunes filles, j'ai mangé des fricassées, je me suis fait un brushing, j'ai pris dans mes bras des salafistes, j'ai donné l'accolade à des voyous, j'ai fait sortir de prison des meurtriers, j'ai récité le Coran, j'ai fait la prière en public, j'ai fait mes ablutions en direct, j'ai fait du ping pong. J'étais prêt à jouer à la belotte, chanter la Walkyrie, danser sur le Casse Noisette, faire un Karaoké sur Abdel Basset Abessamat, un triple saut sur un cheval d'arçon, du patinage artistique avec Condelloro, rouler une pelle à Boko Haram, réciter par cœur le sahih de Bokhari, à hisser le drapeau de Daesh sur le palais de Carthage... Pourtant, je suis un sartrien, profondément sartrien, l'être et le néant c'est moi. Je suis l'être et il, Bajbouj, est le néant. Je suis l'être et ils sont le néant. La première gorgée n'est jamais la dernière...Demain soir, je ne serai peut être plus là, mais il restera mon ombre gravée sur tous ces miroirs... Personne ne pourra passer devant sans me voir... 

J'ai envie de vomir...Je vais vomir... Je n’aurais pas dû regarder France 2, "la Tunisie élit un président laïc."... Mon cul, laïc...Le laïc, le vrai, c'est moi... L'athée c'est moi...Le rationaliste, c'est moi, le libre penseur c'est moi, le mécréant c'est moi... Je crois si peu en Dieu que j'ai demandé le secours des islamistes. Je suis tellement athée que j'ai cherché l'amour des fous de Dieu. C'est l'unité des contraires, aurait dit Karl Marx que je connais par cœur. Contrairement à ce que prétendent les langues de putes, je n'ai jamais voulu me convertir à leur cause, au contraire, j'ai voulu les acquérir à la mienne...Je voulais rentrer dans l'histoire comme l'homme qui a converti l'Islam au rationalisme.... Je ne vais pas sortir... Quelque chose me dit que le vieux va rendre l'âme cette nuit... S'il meurt, j'escaladerai les grilles du palais et j'irais chez Safsaf manger un lablabi...

(Il a sa bouteille de Whisky à la main, il va vers la grande fenêtre, il l'ouvre. Le vent s'engouffre dans le salon, soulève tout et arrache les rideaux)

- Fils de putes, vous dormez, moi je ne dors jamais... Vous faites la fête, moi je pleure... Vous dansez, moi je titube, le Sud est en feu...Je voudrais mettre le feu à Carthage et danser avec vous... J'étais votre avenir et vous avez donné comme à chaque fois vos voix au passé... Peuple de minables tu crèveras, la gueule ouverte, de nostalgie, tu mourras de tes souvenirs. Peuple servile, amoureux de ses tyrans, ce soir tu me rejettes car je n'ai pas su te fouetter...

Non, je ne me suis pas vendu, Non ! Je ne suis pas Faust, je n'ai vendu mon âme ni au diable ni à personne, car je n'ai jamais eu d'âme et encore moins de conscience à vendre.

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