L'athéisme, ou quand l'homme s'émancipe de dieu et cesse de croire à la Vérité Unique, ouvre l'esprit à d'autres vérités !
R.B
Auteur de "Dieu et moi", l'historien, critique vis-à-vis des religions monothéistes, déplore que les non-croyants soient occultés par les médias.
Vous avez expliqué que le monothéisme est plus
violent que le polythéisme quand il s'allie avec le politique...
C'est la thèse que je soutiens dans La Violence monothéiste (2009).
Pour bien faire comprendre qu'il existe une violence spécifique de la religion
du dieu unique, j'ai fait dans ce livre une synthèse, sur une centaine de
pages, de la pensée grecque que je connais bien pour avoir enseigné le grec au
début de ma carrière. Du fait même de l'existence de plusieurs dieux, les dieux
se neutralisent entre eux. Même Zeus, le roi des dieux, n'est pas
tout-puissant, comme on le voit dans Homère. Il est contré par d'autres dieux,
et il est obligé de transiger avec eux. Pour ce qui est des hommes, ils peuvent
s'adresser à un dieu, et s'il n'est pas bien disposé, ils passent à un autre.
Il y a donc la possibilité d'un jeu, qui fait qu'aucun dieu n'est en position
de dire aux hommes : « Voici ce que tu dois faire. » À
l'inverse, dans un monde où il n'y a qu'un dieu, celui-ci, qui est par
définition l'auteur et le responsable de tout ce qui existe, ainsi que le
garant de la vérité et du bien, peut édicter des impératifs absolus. Et à
partir du moment où des hommes sont persuadés de détenir la vraie vérité, ils
ont une tendance naturelle à vouloir l'imposer aux autres.
Pour ces raisons
structurelles, il y a ainsi dans le monothéisme une propension à la violence
qui se manifeste quand les circonstances s'y prêtent. Cette violence s'exerce
aussi entre les trois religions monothéistes. Au lieu de mettre en avant leurs
points communs, à la manière de l'œcuménisme, elles sont en conflit depuis
toujours. Si vous êtes persuadé en effet qu'il n'y a qu'un dieu, vous croyez
également qu'il n'y a qu'une façon légitime de le vénérer. Les deux autres
religions sont dans l'erreur. Et pour faire prévaloir le vrai culte du vrai
dieu, il faut parfois recourir aux armes.
Les religions
sont des productions humaines destinées à rendre le réel matériel plus agréable
ou moins difficile à supporter
À l'intérieur même des religions, les différentes interprétations peuvent
créer des violences schismatiques, comme l'a démontré l'histoire :
catholiques contre protestants, chiites contre sunnites ...
Oui, c'est une violence supplémentaire, qui oppose des variantes dans
chacune des trois religions. Pour la même raison. Si vous pensez qu'il n'y a
qu'une unique façon de vénérer le Dieu unique, les variantes concurrentes au
sein de votre religion sont des hérésies qu'il faut combattre par tous les
moyens. Cet état d'esprit est typique du monothéisme.
Dans la Grèce ancienne,
la notion d'hérésie n'existe pas.
Mais le monothéisme a aussi imprégné des leaders pacifiques comme Martin
Luther King ou le mouvement de résistance de la Rose blanche contre les
nazis ...
L'athée que je suis ne rejette pas les religions comme quelque chose qui
serait fondamentalement mauvais. Je constate qu'il y a des religions dans tous
les peuples dont nous avons connaissance. Ce seul fait prouve que les religions
sont sinon nécessaires du moins utiles aux êtres humains, qui élaborent à ce
sujet des constructions mentales collectives. Ces constructions sont fictives,
mais elles ont un impact sur les sociétés, en bien comme en mal. J'écrivais
dans la première phrase de mon premier livre : « Les dieux sont des
personnages historiques, Dieu y compris. » Ils apparaissent à un moment
donné dans un coin du globe, ils vivent aussi longtemps qu'il y a des hommes
qui sont persuadés de leur existence et ils finissent par mourir.
Les dieux
sont imaginaires sans doute, mais l'imaginaire est une composante du réel. Les
religions, comme les mythes ou les contes, sont des productions humaines
destinées à rendre le réel matériel plus agréable ou moins difficile à supporter.
C'est ainsi que les religions peuvent être bénéfiques. Heureusement ! Je
ne condamne que celles qui nous ordonnent de tuer pour l'amour de Dieu.
Dans cette autobiographie, vous dévoilez aussi vos drames intimes avec
notamment votre femme Maria qui a perdu la mémoire à la suite d'un AVC. Face à
la maladie, face à la mort qui approche, avez-vous eu des moments de
doute ?
J'ai eu un ou deux moments de doute très brefs dans ces épreuves-là. Je me
suis dit : « Si j'avais gardé la foi de mon enfance, elle m'aurait
aidé. » Mais ce sentiment était fugitif, parce qu'à partir du moment où on
a franchi un certain cap dans le chemin de l'incroyance, on ne peut pas revenir
en arrière. Ce n'est pas moi qui demanderai sur mon lit de mort qu'on m'apporte
l'extrême-onction. Autrement dit, j'attends la mort sereinement. Les épreuves
sont difficiles à supporter, mais je les supporte sans la moindre nostalgie
pour une religion qui serait consolatrice.
Il faudrait donc
qu’au nom même de la laïcité, on octroie un espace public dans les médias aux
athées pour qu’ils puissent s’y s’exprimer.
Les religions aujourd'hui occupent une place importante dans les médias, et
certains intellectuels évoquent un « retour du religieux ». Est-ce
que vous trouvez que les athées ne sont pas assez présents dans les
médias ?
Vous avez tout à fait raison de souligner ça. Ce qui me frappe, c'est qu'on
ne parle que des religions et des conflits qu'elles provoquent, mais on ne
parle pas de la partie du peuple qui n'a aucune religion. Les athées véritables
sont peu nombreux. En France, nous sommes peut-être 10 %, et c'est un
pays en pointe en la matière. Il n'en reste pas moins qu'il faudrait dans les
médias donner une place équitable aux athées à côté des religieux. Par exemple,
le dimanche matin, je regarde par curiosité sur France 2 les
émissions consacrées au christianisme, au judaïsme ou à l'islam. Je trouverais
normal qu'il y ait aussi une émission pour les athées. Dans l'esprit même de la
laïcité, n'importe qui peut croire en n'importe quoi. Mais n'importe qui peut
aussi ne pas croire et critiquer toutes les religions. Il faudrait donc qu'au
nom même de la laïcité, on octroie un espace public dans les médias aux athées
pour qu'ils puissent s'y s'exprimer. Et ils auraient des choses à dire pour analyser
en particulier les violences qui sont commises au nom du Dieu unique !
Que les deux finalistes de la primaire à droite, François Fillon et Alain
Juppé, se soient réclamés du pape François, ça vous choque ?
J'ai trouvé ça absurde. On voit que, dans leur esprit, la France reste un
pays chrétien, et ils se basent là-dessus pour séduire des électeurs.
L'identité de la France serait principalement religieuse et chrétienne. Et les
tenants des autres religions n'auraient pas le droit de rivaliser avec la religion
chrétienne, car ce serait contraire à l'identité française. La religion joue en
effet un rôle important dans l'identité des peuples. Mais il n'empêche
qu'aujourd'hui, dans un pays comme la France qui a conçu la notion de laïcité,
on ne peut pas définir un pays en fonction d'une religion, même si elle est
majoritaire. Le propre de la France, ce qui fait la force de sa culture et de
sa philosophie, c'est d'avoir empêché, avec Voltaire et la Révolution, qu'une
religion domine notre pays.
Les musulmans ont une pratique religieuse plus soutenue que le reste de la
population française, notamment chez les jeunes. Et selon l'Institut
Montaigne, 29 % des musulmans estiment même que la loi islamique est
plus importante que la loi de la République. Cela vous inquiète-t-il ?
Je trouve inadmissible que des musulmans vivant en France mettent la loi
islamique au-dessus des lois de la République. Aucun gouvernement ne doit le
tolérer. Si ces croyants veulent être logiques avec eux-mêmes, ils doivent
quitter la France et aller vivre dans un pays musulman.
« Aucun dieu n'a vécu plus de quelques millénaires »,
écrivez-vous. Les monothéistes vont-ils donc disparaître ?
Après une conférence que j'ai faite dans une université parisienne, deux
Chinoises se sont levées et m'ont dit : « Monsieur, nous ne
comprenons pas ce que c'est le monothéisme. » Je leur ai dit qu'elles
avaient raison. L'idée qu'il n'y a qu'un dieu est une anomalie récente dans
l'histoire des religions. Elle a 2 400 ans à peine et elle est
circonscrite à une partie seulement de l'humanité. La question « Dieu
existe-t-il ? », avec une réponse attendue par « oui » ou
par « non », peut nous sembler évidente, mais elle ne dit rien à des
Chinois ou à des hindous et elle n'aurait rien dit à des Grecs de l'Antiquité.
Je suis convaincu que cette religion finira par disparaître, comme ont disparu
la religion des Égyptiens qui a duré plus de trois millénaires ou celles des
Grecs et des Romains.
Il faudrait
créer des couvents pour athées
Les athées vont-ils, selon vous, devenir majoritaires dans le monde ?
Ou d'autres spiritualités se développeront-elles, car l'homme a toujours besoin
de croire en quelque chose ?
Ça m'attriste, mais je pense que les athées resteront longtemps
minoritaires. Les religions sont si importantes pour la plupart des individus,
comme pour les sociétés humaines, que les religions qui vont disparaître feront
place à d'autres religions, avant qu'on n'arrive un jour peut-être à un monde
majoritairement athée. Mais en attendant, nous pouvons faire avancer la
réflexion sur la nature et les visées des religions, si bien que le religieux
devrait être peu à peu marginalisé. Il y a une lutte engagée depuis des siècles
et des siècles entre la clairvoyance et la crédulité. La clairvoyance, de mon
point de vue, c'est la conviction qu'il n'y a pas de dieu. La crédulité, c'est
le besoin de croire à tout prix, envers et contre tout, parce qu'on y trouve
des avantages, qu'il existe un monde surnaturel où un dieu qui sait tout se
préoccupe de nous.
D'un strict point de vue marketing, l'athéisme peut-il, sur le marché des
convictions, concurrencer des religions qui offrent une consolation pour la
mort et des cérémonials spectaculaires ?
C'est vrai qu'il manque aux athées des rituels pour la naissance, le
mariage et la mort. Les rituels sont très importants, ils sont présents dans
toutes les sociétés. C'est une lacune dans l'athéisme. Je dis dans mon dernier
livre qu'il faudrait créer des couvents pour athées. Avant de quitter Israël,
j'ai passé quinze jours merveilleux à l'École biblique de Jérusalem chez les
dominicains. Je me sentais très bien chez eux, à la seule réserve que je ne
croyais pas en Dieu.
Pour vous, le meilleur antidote contre les religions serait de faire une
« cure d'Homère ». Pourquoi ?
Lorsque j'ai lu entièrement Homère du premier vers de l'Iliade au dernier
vers de l'Odyssée, comme je l'avais fait pour la Bible, j'ai découvert des
aspects qui m'avaient échappé. J'avais traduit Homère devant des élèves, mais
je n'avais pas été véritablement sensible à la façon désinvolte, ironique,
irrévérencieuse avec laquelle il traite les dieux. Il se moque d'eux. Il y a là
un jeu, un esprit d'indépendance, qu'on ne trouve pas dans les religions
monothéistes où le sérieux plombe tout. Les illuminés qui tuent pour l'amour de
Dieu feraient bien de se plonger dans le monde de la Grèce ancienne, où ce
genre de fanatisme n'existe pas. La multiplicité des dieux et la liberté des
hommes à leur égard inclinent à la tolérance. Si tout est relatif, il ne peut
pas y avoir d'absolu. Alors que les fidèles des religions monothéistes
affirment que l'homme doit servir Dieu, les Grecs se servaient des dieux, avec
un mélange de pragmatisme et d'humour. D'où le titre de mon livre : Le
sourire d'Homère (2014).
Quand on est
passé de la croyance à l’incroyance, on a fait un pas en direction de
l’intelligence
Pour critiquer vos thèses, Claude Lanzmann a rappelé que chez les
polythéistes grecs, les massacres, viols et esclaves ne manquaient pourtant
pas...
Bien sûr qu'il y a eu des violences en Grèce. Le polythéisme n'est pas
forcément facteur de douceur de vivre. Mais si on regarde de près la
civilisation grecque sur un millénaire, de Homère à Plutarque, on constate
qu'il n'y a jamais eu de guerres de religion. Le plus grand conflit, celui qui
a opposé Athènes et Sparte, la guerre du Péloponnèse, n'avait pas de fondements
religieux. Si les conflits provoqués par les monothéistes sont les plus
sanglants de tous, c'est parce que ces croyants transfèrent dans la politique
l'Absolu qui caractérise leur religion, celle de l'Unique.
Pensez-vous que les athées soient des personnes plus intelligentes que les
croyants ?
De mon point de vue, oui. Les athées ont une plus grande ouverture d'esprit
et plus de lucidité que les croyants. C'est ma conviction. Évidemment, vous
allez me dire que je prêche pour ma chapelle, si on peut parler de chapelle à
propos d'athéisme (rires). Mais je m'inscris dans la lignée des Grecs, qui
avaient décidé d'être intelligents. Comprendre, ce n'est pas une question de
gènes, mais de volonté. Le désir de comprendre est fondamental chez les athées.
Quand on est passé de la croyance à l'incroyance, de mon point de vue, oui, on
a fait un pas en direction de l'intelligence.
Si vous n'aviez droit qu'à un seul argument pour « convertir » un
croyant à l'athéisme, que lui diriez-vous ?
Regarde autour de toi ! Au lieu de rester prisonnier de ce qu'on t'a
dit quand tu étais enfant, de ce qu'on t'a présenté comme la vérité
incontestable dans ta famille, ton milieu social ou ton pays, ouvre les yeux
sur l'extérieur. Regarde tout ce que les hommes ont pensé de différent, dans
d'autres régions du monde et dans des passés lointains. Tu en viendras
naturellement à considérer que ce qui te paraissait évident est relatif. Et tu
auras l'impression d'acquérir une meilleure compréhension de l'aventure
humaine.
Propos receuillis par Thomas Mahler
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