mercredi 9 août 2023

Lettre ouverte d'un socialiste à Melenchon

 



Staphane Le Foll

Monsieur Mélenchon, êtes-vous encore républicain ?

Monsieur Mélenchon, j'ai pris le temps de lire votre « analyse » sur les violences urbaines. Bizarrement intitulé « Retour à la raison sur les révoltes urbaines », ce texte n'est en réalité que la démonstration de votre haine envers la gauche qui a gouverné. Votre ligne politique oscille entre l'outrance quand vous décrivez la loi Cazeneuve de 2017 comme « un permis de tuer » et l'insulte à une nouvelle classe sociale que vous dénommez les « médiacraties » dans un ton rance envers la presse, les intellectuels et celles et ceux qui ne pensent pas comme vous.

Cependant, vous écrivez une chose juste et c'est pour cela que je souhaite vous répondre. Vous dites : « La diabolisation personnelle dont je fais l'objet n'est pas un règlement de comptes avec ma personne. C'est une ligne politique. » Je partage non pas l'invective, mais l'analyse. Effectivement, il ne suffira pas à la Nupes de vous écarter pour exister, il faudra changer de ligne politique. Car là est le cœur du problème. Votre positionnement est une erreur historique et au présent.

La ligne que vous défendez avec cohérence, on peut vous reconnaître cela, contrairement à Olivier Faure qui ne fait que suivre le vent de l'opportunité électorale, tient en trois points essentiels.

Premièrement, dans une vieille antienne de l'extrême gauche, vous portez un attachement viscéral à la lutte des classes, celle-ci expliquant la situation d'extrême tension de nos banlieues. Il s'agirait de l'affrontement des classes populaires contre une bourgeoisie haineuse, défendue par une police violente et, selon vous, à sa solde.

Deuxièmement, la police serait la cause de toutes ces violences après la mort du jeune Nahel, car elle serait une institution raciste à qui le gouvernement de François Hollande aurait donné, dans un élan paroxystique de la trahison sociale-démocrate, le « permis de tuer ».

Troisièmement, dans une construction tout en nuances, vous luttez contre un « arc républicain » en formation. La France insoumise serait devenue à vos yeux la seule à comprendre le nouveau déterminisme historique à l'œuvre et serait la victime d'un complot ourdi par une intelligentsia bourgeoise moisie qui suinte par tous les pores médiatiques.

N'en jetez plus, tout est dit, dans une position et une analyse qui ressemblent furieusement à la posture du Parti communiste entre 1920 et 1934, où la Nupes sous votre domination culturelle et politique serait la seule voie pour conjurer l'alliance bourgeoise, derrière l'extrême droite qui est en train de naître.

Votre ligne idéologique datée et votre ambition de reconstruire la gauche, après votre résultat à la présidentielle [22 % en avril 2022], sont une fuite en arrière, fondée sur une lecture erronée du présent et de l'histoire.

Vous allez jusqu'à remettre en cause la probité du président du Crif, Yonathan Arfi, à l'occasion de la 81e commémoration de la rafle du Vél' d'Hiv, que vous mettez, lui aussi, dans le camp de l'extrême droite car il a eu le malheur de critiquer votre positionnement politique. Dire que votre ligne politique antipolice, procommunautariste, et antirépublicaine à certains égards, fait le jeu du RN est une analyse que je partage. Suis-je donc aussi d'extrême droite ? Ou, plutôt, êtes-vous encore républicain ? Est-il encore permis de vous contredire sans être insulté ?

J'avais écrit précédemment que « la gauche du pugilat nourrit en réaction la droite dure et l'extrême droite ». C'est un mécanisme bien connu car vous sous-estimez depuis toujours le besoin d'ordre et de sécurité qui s'exprime dans le peuple, et en particulier dans le contexte d'aujourd'hui chez les habitants des quartiers. Le maire que je suis connaît bien cette situation complexe de nos quartiers. Le trafic de stupéfiants et les incivilités pourrissent la vie des plus pauvres, et ils le disent.

La demande de sécurité sollicite nos polices municipales et la police nationale pour des résultats souvent difficiles à obtenir. Cela nourrit à la fois l'impatience et la colère des habitants, ainsi que les tensions entre la police et la jeunesse des quartiers. Ainsi, écrire que la violence de la police et son « permis de tuer » seraient la principale des inquiétudes des familles des quartiers, c'est ne rien comprendre à ce qui se passe. Être élu de terrain vous forme à ces réalités. Faut-il l'avoir été ou vouloir l'être.

Rien, j'en suis convaincu depuis longtemps, ne sortira d'une répression aveugle et brutale comme le prônent la droite et l'extrême droite, rien non plus ne sera obtenu par l'indulgence et l'excuse pour ceux qui veulent faire justice eux-mêmes.

La justice doit rester une autorité indépendante et elle doit appliquer les lois de la République. La police doit respecter les règles d'usage de la force, mais ceux qui provoquent, cassent, pillent ne peuvent pas être excusés de toute responsabilité. La solution se trouve dans la combinaison du respect de l'État de droit et d'un soutien renforcé à une politique globale de prévention, d'éducation et d'encadrement.

Pour aller au fond de nos divergences, je dirais que le peuple dont vous vous revendiquez n'est plus représenté par les longues cohortes de mineurs, si bien contées par Pierre Mauroy, qui aspiraient, comme tous les autres ouvriers des grandes industries du début du siècle, à l'amélioration collective de leur vie et de leur situation. Nos sociétés postindustrielles ont changé la donne et la lutte des classes, avec son front de classe, a fait place à une multitude de fractures sociales et territoriales.

Le déterminisme historique a fait place à la détermination de l'exercice de droits et d'exigences individuels de moins en moins collectifs dans une rationalité politique qui n'est plus idéologique, mais qui est celle d'un ressenti individuel partagé de déclassement social pour les classes populaires. Ce basculement d'un projet de progrès collectif dans une lutte contre le déclassement individuel est la cause de la montée de l'extrême droite.

La lecture marxiste révolutionnaire est donc dépassée, le cadre politique d'aujourd'hui aboutit à des comparaisons entre soi et les autres, entre ce que j'ai et ce que les autres n'ont pas ou ce qu'ils ont et ce que je n'ai pas. Au centre se situe le rapport au travail et, une fois les dépenses contraintes payées, au revenu disponible.

Plus grave, l'effet du déclassement conduit au réflexe identitaire et communautaire et impose à la gauche de défendre les valeurs universelles. Il n'est donc plus question de lutte des classes, il est question de valeurs. La gauche, dans ce contexte, doit plus que jamais garder ferme un môle de valeurs universelles et d'équilibre entre la liberté et les droits, l'égalité et la solidarité, la justice. Enfin, elle ne doit jamais lâcher la fraternité, qui ne s'accommode pas de la lutte des classes.

Julien Benda l'avait écrit dans La Trahison des clercs entre les deux guerres. François Mitterrand l'avait repris pour le socialisme afin de ne pas être dans l'effacement des valeurs à chaque grande étape de l'histoire. Quand Guesde refusa de prendre parti dans l'affaire Dreyfus, car c'était une affaire de bourgeois, Jaurès et Blum le firent au nom de la justice. Quand les communistes portugais ne voulaient pas de démocratie bourgeoise à la fin de la dictature, François Mitterrand avait rappelé l'attachement simple des socialistes français à la démocratie, tout simplement.

Les êtres humains n'ont pas besoin des hommes et femmes d'État pour se déchirer, s'affronter, se jalouser, se détester. Ils le font tout seuls. Au contraire, ces hommes et femmes d'État doivent être des facteurs d'apaisement, de calme, et non pas de fureur.

C'est pour cette raison que l'appel au calme est un acte de résistance et un acte de valeur démocratique quand se déchaîne la violence. C'est l'ultime tentative de la raison pour empêcher la violence d'être l'arbitre d'un conflit dans une démocratie. C'est en cela que votre Tribune est contradictoire avec son titre, car vous choisissez un camp contre l'autre, vous chargez la responsabilité des uns pour absoudre celle des autres.

Monsieur Mélenchon, vous posez la question de vos divergences avec le Parti socialiste, mais, au fond, c'est une vieille histoire à gauche entre ceux qui défendent l'idée révolutionnaire, qui croient au déterminisme historique, voire au « Grand Soir » et ceux qui, forts de leurs valeurs, parient sur la dynamique et le mouvement de la société pour changer les choses.

Quant à la montée du nationalisme avec l'extrême droite, que vous dénoncez partout en Europe, il nous oblige à rester fermes sur l'engagement internationaliste de la gauche et en particulier celui de son projet européen, seul projet politique post nationaliste.

Dans ce domaine, La France insoumise, avec sa logique de désobéissance vis-à-vis des traités, apporte sa voix – comme l'a rappelé votre cheffe de file au Parlement européen, Manon Aubry – à ceux qui contestent l'Europe et vouent à l'Allemagne une vieille haine inutile. L'Ukraine nous rappelle tous les jours l'importance de l'Europe, de l'internationalisme et de l'obligation de la solidarité. Car ce qui se joue à deux heures de Paris, c'est la victoire de la démocratie face à la dictature et au nationalisme.

Je reste de gauche et socialiste parce que je crois, comme Blum, au réformisme. Mais je ne crois pas qu'il y ait une différence entre la conquête du pouvoir et l'exercice du pouvoir, car il n'y a pas de but en politique, il y a un horizon qui se repousse au fur et à mesure qu'on avance au service du plus grand nombre. Faut-il un jour ne pas reculer brutalement ? Nous en sommes à ce point et je ne reculerai pas. Face à votre gauche de l'outrance et de l'erreur, il y a un chemin pour écrire l'avenir de la gauche.

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